LEOTARD QUE JAMAIS

A 3 jours de ses 61 ans, l'acteur, auteur, chanteur, compositeur et poète Philippe Léotard s'est éteint. Inclassable, "généraliste et non pas spécialiste" selon ses propres termes, cet artiste hors-normes, cultivant les excès et multipliant les dépendances, aura frôlé la mort plusieurs fois, avant de la rencontrer définitivement.

Septième sceau
Cette sympathie avec le diable qui le détruisait d'une manière ou d'une autre (dope, alcool, sexe) était avant tout une réaction contre l'autorité, qu'il a toujours fuit. Jamais il n' a pu s'imposer comme leader, star ou tête d'affiche, malgré ses talents polyvalents. Fils aîné d'une famille de droite, catholique, traditionnaliste, avec un père à la Cour des comptes (et aussi Maire de Fréjus) et une mère écrasante, il se rebellera très vite contre cet enfermement, ces oeillères collées à la peau. Son frère François, avec qui il a de très bons rapports, deviendra lui-même maire de Fréjus, ministre de la Défense. Philippe se voit "ministre de la défonce". Majeur, il quitte le clan et rejoint la Légion étrangère. Il aurait été une fille, il aurait "tué" ses parents en devenant prostituée.

Au début, il se dirige vers une carrière littéraire. Ses études (licence en lettres modernes), sa passion pour les romans le prédestinent plus pour devenir un Rimbaud contemporain. Il écrit tellement qu'il en rate Normale Sup.
Mais en 64, il fait sa première rencontre majeure : Ariane Mnouchkine; ils fondent la compagnie du Théâtre du Soleil. Mais refusera la direction. Il devient comédien. Au théâtre, il jouera aussi pour Chéreau (l'immense "Koltès"), et croisera ainsi Piccoli. Combat de génies et de fauves.

Septième art
Truffaut l'a repéré dès 1970. Il apparaît brièvement en homme ivre dans "Domicile conjugal". Sa carrière s'emballe vite, naturellement. Il tourne avec Sautet, Pialat, Frankenheimer, Lelouch, Boisset, Tavernier dans les années 70. Parfois, il retrouve plusieurs fois le même réalisateur. Second rôle à l'ombre des plus grands comédiens, il accepte tout ce qui passe, y compris en travaillant pour la télévision. Il se fabrique une famille.
Entre temps il a rencontré Nathalie Baye, grâce à Truffaut, qui devient sa compagne durant 10 ans... et une des actrices avec qui il a le plus tourné.

On peut croire qu'au début des années 80, l'acteur Léotard a le cinéma français a ses pieds et peut devenir une star, à l'instar d'un Brasseur. Des gueules similaires comme Bohringer émergent. Ils ont la même attirance pour les nuits alcoolisées, ils partagent le goût des colères et la voix rocailleuse. Le charme est omniprésent. Le caractère, imprévisible. La provoc' totalement liée à l'époque post Giscardienne. Léotard, avec l'arrivée de la gauche, apparaît comme en symbiose avec son époque.
Ces eighties lui amènent des premiers rôles, des gros succès et un César. Se suivent Le Choc (avec Delon et Deneuve), La Balance (César du meilleur acteur), Tchao Pantin (Berri, avec Coluche), La Pirate (Doillon), Le Paltoquet (Deville, avec Bohringer). Il s'assemble à ceux qui lui ressemblent. Puis sa filmographie part à la dérive, entre Ferreri et Mocky , sauvée par deux Lelouch (dont Les Misérables). Plus de 70 films au compteur, le dernier datant de 98 (La momie à mi-mots).

Sa sortie de route est essentiellement dûe à ses overdoses (coke), sa détention de dope (et ses 18 mois de sursis), ses comas, des crises de délirium tremens. Cet ancien prof de lettres et de philo ne buvait pas d'eau. Cette légende du Saint Buveur vivante faisait quelques tours pour amuser les plateaux de télé. Les animateurs faisaient ce qu'ils pouvaient pour le sauver de la noyade annoncée.

Septième ciel
Continuellement au bord de la falaise, cramé par la poudre et les mégots, la vie consumée par son envie d'absolu, les traits de plus en plus tirés et détruits, ses yeux pétillants et coquins, l'acteur a étendu son talent à d'autres arts pour exister, mettre en lumière ses rides et ses cicatrices, ses blessures et ses plaies. Le coeur était là pour donner une dernière décennie de générosite, en écrits et en chanson.

Il enregistre quatre albums (L'amour comme à la guerre a reçu le Grand Prix de l' Académie Charles cros, Je rêve que Je dors fut un beau succès en ventes). Il chante des textes de Ferré ou d'Artaud. Il se promène sur les scènes de France. Bouffeur de vie, il veut "pouvoir manger le fromage et le dessert" et être reconnu comme le "dernier poète de la décadence". Il fait éditer des recueils (Le portrait de l'artiste au nez rouge, Pas un jour sans une ligne) et un roman autobiographique (Clinique de la raison close).

"Artiste émouvant", "sensibilité à fleur de peau", "acteur passionné et vibrant", il semblait enfin avoir atteint une certaine harmonie, avoir fait la paix avec ses démons, avoir trouvé la femme de sa vie avec Clara.
"Mon souhait, le seul, c'est une femme écrivant sur ma tombe : Il a aimé."

La seule chose qui comptait pour ce brillant trublion ayant la soif de l'âme.

Vincy / 27.08.01  


 

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