Berlin 2010 : vous reprendrez bien un peu de polémique nazie ?

Posté par MpM, le 19 février 2010, dans Actualité, société, Berlin, Festivals.

judsuss.jpgQue serait un festival sans polémique ? Mérité, recherché ou fabriqué de toute pièce, le scandale permet d'entretenir le buzz, de provoquer la curiosité et surtout de faire parler. C'est bon pour l'image comme pour le business, même si la plupart du temps "l'affaire" retombe d'elle-même comme un soufflé en moins de 48h. Que voulez-vous : un film chasse l'autre.

Deux jours avant la remise de l'Ours d'or, et alors qu'il ne reste que trois films en compétition à découvrir, la Berlinale a donc connu sa première mini-polémique 2010, forcément politique. Comme cela arrive souvent ici, la cause en est un film traitant de l'époque nazie. Jud Süss (Film ohne Gewissen) d'Oskar Roehler (Les particules élémentaires) raconte la genèse du film de propagande nazie "Le juif Süss" commandé par Goebbels dans le but de renforcer la haine des Allemands envers le peuple juif. Cette œuvre, qui fut à l'époque montrée à plus de 20 millions de personnes, met en scène un marchand juif censé personnifier la lâcheté, la duplicité et la perversité dans la Prusse du 18e siècle. Elle est aujourd'hui encore interdite en Allemagne.

Le plus grand scandale provient probablement de sa mise en scène outrée et grandiloquente

Ce qui a le plus choqué les journalistes présents à la séance de presse (et qui ont sifflé le film, pratique bien plus rare à Berlin qu'à Cannes), c'est la liberté prise par Oskar Roehler et son scénariste Klaus Richter avec la vérité historique. L'épouse de Ferdinand Marian (l'acteur qui jouait Süss) devient ainsi juive pour les facilités du scénario (plus de compassion, moins de réflexion). Le film oublie aussi de préciser que le comédien continua sa carrière après le succès de Süss, donnant l'impression qu'il n'est qu'une malheureuse victime de Goebbels. Ces "évolutions arbitraires" revendiquées par le réalisateur ôtent à Jud Süss (Film ohne Gewissen) toute caution documentaire, ou au moins historique.

Privé de cela, il ne lui reste plus grand chose tant il est artistiquement raté. Le plus grand scandale provient probablement de sa mise en scène outrée et grandiloquente... mais d'une courte tête seulement devant son scénario si mal ficelé qu'il oublie la moitié des enjeux en route. Ne parlons pas des personnages qui sont au-delà de la caricature, réduits au degré zéro de la psychologie (alcoolique, neurasthénique, fanatique...).

Le sujet, malgré tout, éveille une nouvelle fois la mauvaise conscience et le sentiment de culpabilité des Allemands. D'où la réaction épidermique de certains, et l'ambiance gênée durant la projection. Probablement afin d'éviter tout débordement, la conférence de presse avec l'équipe du film a quant à elle été particulièrement bordée. Le modérateur a très largement monopolisé la parole en interrogeant longuement (et de manière purement inoffensive) les différents intervenants. Ensuite, les autres questions ont surtout porté sur des points de détail concernant les différences entre fiction et réalité.

Pas de quoi lancer une vraie polémique, mais suffisant pour souligner le malaise qui, aujourd'hui encore, accompagne systématiquement toute œuvre touchant au nazisme. Etant Allemand lui-même, Oskar Roehler savait à quoi s'en tenir en choisissant précisément la forme du mélodrame flamboyant et approximatif pour un sujet pareil. De là à penser que les sifflements et la menace de scandale faisaient partie de ses calculs, ou de ceux du Festival de Berlin...

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commentairesUn commentaire
  1. Posté par Jérôme Segal, le 22 février 2010 à 2:02

    Tout à fait d’accord ! Je suis ressorti estomaqué de la projection au Friedrichpalast. Les gens riaient des bons mots de Goebbels. Roehler fait de Marian une victime, de nombreuses scènes sont affligeantes (notamment les scènes de sexe, par exemple à la fenêtre pendant un bombardement). Si on commence par accepter de tels films, on finira par laisser libre cours aux propos négationnistes. Ce film est artistiquement nul et idéologiquement nocif.

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