Vendredi, en préambule du débat sur l'exception culturelle organisé par les rencontres cinématographiques de l'ARP, dont le thème était "L'exception culturelle 2.0", Michel Hazanavicius (The Artist) a lu un manifeste de l'ARP devant la Ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti.
Manifesto 2.0
Ce texte interpelle le gouvernement français pour qu'il affirme "une politique culturelle claire et forte afin de défendre les principes de notre système de financement face à la politique libérale prônée par Bruxelles" alors que la Commission scrute les mécanismes de financements, qu'elle pourrait remettre en cause.
Demandant "de passer à l'acte II de l'exception culturelle" urgemment, comme promis durant la campagne présidentielle, le manifeste rappelle que le "mode de financement a toujours reposé sur un principe simple, selon lequel les diffuseurs de nos œuvres quels qu'ils soient, devaient participer au financement de ces œuvres."
Ainsi pour l'ARP, "les nouveaux entrants et nouveaux diffuseurs doivent s'intégrer harmonieusement à cet équilibre, et c'est le rôle des politiques de se battre pour que ce principe soit respecté." Sont visés les fournisseurs d'accès à internet et autres portails de diffusions tels que iTunes (Apple), Amazon, Google (et YouTube), Dailymotion... Dans le texte, il est rappelé là aussi que "ce mode de financement profite par ailleurs à tout le cinéma européen, encourage par là même une importante circulation des œuvres, défend la liberté d’expression en finançant des cinéastes du monde entier."
Changement de stratégie du gouvernement français
En concluant les débats, Aurélie Filippetti a tenté de rassurer l'auditoire : "Le président François Hollande m'a chargé de vous dire que 'l'exception culturelle' sera à l'agenda de tous ses rendez-vous européens". "Il a conscience que la culture est au coeur de notre identité, notre citoyenneté", a-t-elle ajouté, considérant que les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. L'exception culturelle a été actée par le GATT (aujourd'hui OMC) en 1993 après une dure bataille menée par la France.
Surtout elle a annoncé un changement de stratégie. Les discussions durent depuis six mois entre le gouvernement français, qui ne veut rien lâcher, et une commission européenne plutôt favorables aux géants mondiaux de l'Internet et aux FAI. Le gouvernement va retirer la notification faite à la Commission sur la réforme de la taxe sur les distributeurs de service de télévision (TSTD). Un nouveau texte de réforme va être présenté au Parlement français dans le cadre de la loi de finances 2013, actuellement en discussion, et notifié immédiatement après à Bruxelles.
C'est désormais le pourcentage du volume d'affaires des fournisseurs d'accès à internet (haut débit fixe et mobile) qui sera pris en compte, avec un abattement pour tenir compte de "la densité audiovisuelle" des abonnements.
Ce virage semblait nécessaire puisque aucun accord n'a été trouvé à temps avec Bruxelles avant la fin de la période de négociation, aujourd'hui, 21 octobre. Le risque était de lancer une procédure approfondie permettant à la Commission européenne d'obtenir un délai supplémentaire de 18 mois, et bloquant ainsi le sujet durant toute cette période.
Fleur Pellerin renvoyée dans ses câbles
Politiquement, le gouvernement a surtout donné raison à la Ministre de la culture, soutenue par toutes les organisations du cinéma, plutôt que de soutenir la proposition de taxe forfaitaire de la ministre chargée de l’économie numérique, Fleur Pellerin. En effet, le 16 octobre, les organisations du cinéma et de l’audiovisuel (BLIC ; BLOC ; ARP ; UPF ; SACD ; SPFA ; SPI ; USPA) avaient déjà apporté leur plein soutien à la Ministre de la Culture dans son projet de taxe réformée, calculée sur la base d’une assiette large et proportionnelle, comme c’est déjà le cas pour les salles et les télévisions, et selon le principe de la neutralité technologique.
Les cinéastes de L'ARP se sont évidemment réjouis "des propos de la Ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, dont le discours a témoigné de sa conviction pour la singularité de la place de la culture au cœur des politiques européennes."
Leur manifeste est avant tout une alerte lancée à Bruxelles, et pas une volonté de faire pression sur Paris. En France, le système de financement - à travers des taxes payées par toute la filière, reversées aux Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) qui redistribue à son tour à l'industrie cinématographique - permet aujourd'hui au cinéma français d'être financé et prospère, produisant ou coproduisant plus de 272 films en 2011.
Le système est aujourd'hui fragilisé par la numérisation des films et l'apparition des Vidéos à la demande. Les fournisseurs d'accès à internet (FAI) ont fait appel à la Commission européenne pour ne pas avoir à payer la taxe sur les services de télévision (TST, qui a rapporté près de 400 millions d'euros en 2011, selon l'ARP).
De quoi inquiéter les cinéastes européens qui dépendent beaucoup du financement français. Parmi les premiers signataires du texte figurent Ettore Scola, Fernando Trueba, Robert Guédiguian, Ken Loach, Pierre Jolivet, Jan Kounen et l’ensemble du conseil d’administration de l’AR (notamment Michel Hazanavicius, Claude Lelouch, Jean-Paul Salomé, Eric Tolédano, Olivier Nakache, Jean-Jacques Beineix, Patrick Braoudé, Christian Carion, Costa-Gavras, Cédric Klapisch, Gérard Krawczyk, Jeanne Labrune, Radu Mihaileanu, Raoul Peck et Abderrahmane Sissako).
Le manifeste est disponible à la suite de ce texte.
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