Des nez qui saignent, des forêts, de l’amour et des morts… florilège de ce qu’on a vu à Cannes 2015

Posté par vincy, le 25 mai 2015, dans Cannes, Festivals, Films.

Cannes est un portfolio où des cinéastes venus du monde entier nous proposent une photographie du monde. Si la compétition était tiède, l'ensemble des sélections étaient quand même d'un niveau assez élevé pour ne pas sortir déprimé de cette quinzaine. De Vice-Versa à Mad Max, de Miguel Gomes à Naomi Kawase, d'Apitchapong Weerasethakul à Arnaud Desplechin, il y avait de quoi satisfaire pleinement l'appétit cinéphile.

Cette année, pour sa 68e édition, l'album de la compétition est peu joyeux, même si on ajoute les films hors compétition.

Des arbres

Qu'avons-nous vu finalement lors de ce marathon cinématographique? Des forêts. Ah du bois, du sous-bois et des arbres, il y en avait. Japonaise et morbide dans La forêt des songes, mythologique et remplie de secrets dans Tale of Tales, chemin vers la liberté ou vers la mort dans l'épilogue du Fils de Saul, abritant la maison chic de la famille de Plus fort que les bombes, entourant l'hôtel non moins chic de Youth, lieu de chasse à l'homme dans Macbeth, résidence des "Célibataires" dans The Lobster... Mais si on ne devait en retenir qu'une, ce serait celle de The Assassin, sublimée par Hou Hsiao-hsien, et où l'on y livre un combat magnifique, avec une musique mixant sons électroniques et mélodies folkloriques.

Du sang

Il y a aussi eu beaucoup de nez qui saignent. Symptôme qui traduirait quelques angoisses. Et plus généralement, il y a eu du sang: sur les mains, les visages, les corps... La mort n'était jamais très loin. Ainsi, sur les 19 films en compétition, seuls La Loi du marché, Mon roi et Carol n'ont aucun mort sur la conscience. Des films comme Notre petite soeur, La forêt des songes, Plus fort que les bombes, Dheepan, Macbeth et Valley of Love amorcent leur histoire avec des fantômes, hantées par un enterrement. Le Fils de Saul, film sur les camps de concentration, est un portrait de l'horreur humaine quand il s'agit d'industrialiser la mort. A Cannes on meurt bouffée par les chiens (The Lobster), de maladie ou d'accident (Notre petite soeur, Mia Madre, La forêt des songes, Plus fort que les bombes, Mountains May Depart, Chronic), de décapitation, égorgement ou autres homicide volontaire et peine capitale (Marguerite et Julien, Macbeth, The Assassin, Tale of Tales), à coups de flingues (Sicario), à coups de machettes (Dheepan), ou en se suicidant (Youth, Valley of Love).

De l'amour

Mais rassurez-vous, il y a aussi de l'amour. Si la chair a manqué (on comprend mieux la programmation de Love en séances spéciales), au point de ne retenir que deux scènes de sexe, dans le Haynes et le Donzelli, l'amour était présent. De l'amour passionnel à l'amour parental, de l'amour filial à l'amour intergénérationnel, qu'il soit déviant ou dérangeant, les variations ont été multiples. Il conduit à la folie, la possession, la démence, la déprime, la jalousie dans Tale of Tales, Macbeth, Youth, Mon roi, The Lobster, The Assassin, Marguerite et Julien et même Mia Madre... Qu'il soit entre soeurs, mère et fils, père et fille, roi et reine, frère et soeur, parents divorcés, prof et élève, deux femmes, père et fils handicapé, etc... l'amour a pris toutes les couleurs. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est rarement serein et que les happy ends sont loin d'être la norme. L'amour est donc plus fort que tout, au point d'être dévastateur le plus souvent.

De la noirceur

Thanatos, Eros (et psyché), cette compétition était aussi un portrait sombre et pessimiste de notre société. Dans Notre petite soeur, les dettes s'accumulent pour la propriétaire du restaurant, dans The Lobster, les individus n'ont d'autres choix que d'être célibataires ou mariés, avec des règles tyranniques dans les deux cas, dans Carol, une femme doit choisir entre la convention et la marginalité, dans La loi du marché, l'emprise de l'entreprise se confronte au chômage et à la précarité qui rendent vulnérables et faillibles les individus, dans Sicario, le trafic de drogue conduit à la guerre et à des actes illégaux de la part des hommes de Loi, dans Mountains May Depart, les mines ferment et les profiteurs du régime s'exilent, dans Dheepan, les cités sont en feu et les immigrants sont malheureux, dans Chronic, les malades sont dépendants de traitements ou choisissent une fin de vie hors périmètre légal... L'Homme est ainsi fragilisé, prisonnier des autres, d'un système ou de la société. Qu'on trouve un rare bonheur dans l'exil, le divorce, une démission, l'amour ou un peu de gloire, l'amertume n'est jamais loin.

Des femmes

On s'attendait à une édition véritable féminine et même féministe. En fait il n'en est rien. Enfin, n'exagérons pas. Mais, à l'instar de la Palme d'or, la compétition était surtout virile, pleine de testosérone. Mettons de côté Woody Allen, Mad Max, Le petit prince et Vice-Versa, qui ont mis au coeur de leur histoire une femme ou une fillette, le sexe faible reste encore affaiblit ou parfois, pire, amoché, par les cinéastes.

Il y a quelques exceptions. Notre petite soeur, Tale of Tales, The Lobster, Mia Madre, Carol, Mountains May Depart, Dheepan, The Assassin et Valley of Love proposent tous un ou plusieurs personnages féminins forts: des décideuses, des dirigeantes, des déterminées, des dominantes. Mais à l'inverse on va continuer de se désoler de voir qu'une femme est forcément hystérique (Mon roi), alcoolique (La forêt des songes), suicidaire (Plus fort que les bombes) quand ses amours vont mal. Ne parlons pas de Lady Macbeth, réduite au rôle de simple conseillère dans Macbeth. Quand elle n'est pas tout simplement malade et dépendante des hommes (Chronic, La forêt des songes). La femme forte de Sicario se mue en observatrice passive qui regarde les hommes jouer aux soldats sans elle. Même chez Sorrentino, elle n'est qu'un faire valoir des désirs masculins: Miss Univers (qui en a dans la tête quand même), fille de (qui ne semble pas avoir d'existence autre) ou égérie.

La femme reste souvent l'épouse d'un mâle, névrosée la plupart du temps. En cela, les jeunes femmes de Notre petite soeur, les célibataires de The Lobster, la réalisatrice de Mia Madre, les amoureuses de Carol, la super flic de Sicario, les héroïnes de Mountains May Depart, la combattante de The Assassin font exception. La vie dans l'ombre d'un homme n'est pas forcément signe d'une aventure heureuse. Au moins, ici, les personnages féminins ne tombent pas dans un cliché d'une autre époque.

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