Le silence de Jonathan Demme (1944-2017)

Posté par redaction, le 26 avril 2017

Jonathan Demme est décédé mercredi 26 avril à New York des suites d'un cancer, à l'âge de 73 ans.

Issu de l'école Roger Corman, il avait débuté sa carrière à l'âge de 30 ans, en 1974, avec 5 femmes à abattre. Le réalisateur y donnait déjà le ton de la première partie de sa  filmographie, un mélange d'humour, parfois noir, parfois sarcastique, d'action mais surtout des personnages souvent féminins, exploités mais sachant prendre leur revanche. Il a d'ailleurs tourné de nombreux films un peu barrés avant d'être consacré par ses pairs. Ses premiers films durant les années 70 - Crazy Mama, Colère froide, Handle with Care, Meurtres en cascade (son premier thriller avec une vedette), en 1979, Melvin and Howard - ne marquent pas les esprits. Il s'essaye alors à différents genres.

Dans les années 1980, il se diversifie : vidéo clips, téléfilms, séries, docus.... Fan de musique, il dédaigne presque la fiction (hormis Swing Shift avec Goldie Hawn et Kurt Russell en 1984) et ne tourne rien jusqu'en 1986. Là, sa carrière décolle avec le débridé Dangereuse sous tous rapports (Melanie Griffith), le jouissif Veuve mais pas trop (Michelle Pfeiffer) et finit ainsi les années 1980 avec deux succès, deux comédies où l'action et le polar ne sont pas loin.

Doublé magique

Or ses deux grands films, et d'ailleurs la suite de sa carrière, seront aux antipodes de ce genre où il excellait. En 1991, il créé le duo le plus fantastique du cinéma américain, le bien et le mal, où l'innocence est une notion bien floue quand un cannibale est moins monstrueux qu'un serial-killer. Le silence des agneaux va devenir une référence dans le genre. Outre son immense carton public et critique, le film est l'un des rares à recevoir le quinté gagnant aux Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario adapté, meilleur acteur pour Anthony Hopkins et meilleure actrice pour Jodie Foster.

Deux ans plus tard, il réalise la première grosse production hollywoodienne sur le SIDA, avec Philadephia. Tom Hanks sera oscarisé tout comme Bruce Springsteen pour la chanson du film. Son cinéma est minutieux, toujours centré sur la psychologie humaine, sur le dialogue entre des opposants ou des incompris. Mais Jonathan Demme va enchaîner deux fiascos qui vont lui faire perdre rapidement son aura de grand cinéaste. En 1998, Beloved, d'après le grand roman de Toni Morrison, film de 3 heures avec Oprah Winfrey et Danny Glover, est attaqué par la critique, boudé par le public. En 2002, il signe le remake de Charade, avec La Vérité sur Charlie. Plantage.

Cinéaste insatiable

Il se refait grâce à un autre remake, en 2004, Un crime dans la tête, bon thriller politique avec Denzel Washington, Liev Schreiber et Meryl Streep, puis retrouve ses premières amours avec la comédie féminine (Rachel se marie, en 2008 avec Anne Hathaway, Rosemarie DeWitt et Debra Winger). Il faut alors attendre 2015 pour qu'il revienne derrière la caméra pour une fiction. Ricki and the Flash, show construit pour Meryl Streep, n'a rien d'un grand film, mais il y a toujours cet attachement personnel que Demme a pour les femmes un peu déjantées mais autonomes, et surtout pour la musique. On lui doit trois docus sur Neil Young parmi de multiples documentaires sur le rock ou la pop (Justin Timberlake + the Tennessee Kids). De même, il est passionné de politique (docus sur Jimmy Carter ou la démocratie en Haïti), et a filmé des scientifiques (le biologiste Tyrone Hayes, l'agronomiste Jean Dominique).

Quatre décennies à filmer des histoires ou la réalité, qui, selon lui, reflétaient le monde. A jouer des gros plans, des regards qui fixent la caméra, à amener ses acteurs à une certaine vérité, loin des artifices hollywoodiens (au total huit d'entre eux auront été nommés au Oscars, et trois l'auront gagné, grâce à ses films).

Gentil et généreux

Finalement, Jonathan Demme était inclassable. Des spectacles hollywoodiens aux excentriques films indés en passant par des docs rocks et des épisodes de séries, il semblait ne suivre aucun plan de carrière. Il expliquait il y a quatre ans qu'il suivait toujours son enthousiasme, qu'il avait eu la chance de ne jamais se répéter. "J'adore le thriller, mais j'ai eu la chance de faire Le silence des agneaux, alors je ne voudrais pas réaliser un thriller qui soit moins bien que celui-là."

"J'ai rencontré des tonnes de gens avec Moonlight mais mon camarade Demme était le plus gentil, le plus généreux", a tweeté le réalisateur Barry Jenkins. De l'avis général, il était en effet très humain. L'épouse de Jonathan Demme et ses trois enfants, ont demandé qu'"à la place de fleurs", ceux qui le souhaitaient effectuent, en son hommage, des dons à l'association de défense des immigrés Americans for Immigrant Justice.

3 raisons d’aller voir Le procès du siècle

Posté par vincy, le 26 avril 2017

Deborah Lipstadt, historienne et auteure reconnue, défend farouchement  la mémoire de l’Holocauste. Mais un universitaire extrémiste, David Irving, avocat de thèses controversées sur le régime nazi, la met au défi de prouver l’existence de la Shoah. Pour lui c'est une manière d'exposer et banaliser le révisionnisme. Pour elle c'est une question de vie. Sûr de son fait, Irving assigne en justice Lipstadt, qui se retrouve dans la situation aberrante de devoir prouver l’existence des chambres à gaz. Comment, en restant dans les limites du droit, faire face à un négationniste prêt à toutes les bassesses pour obtenir gain de cause, et l’empêcher de profiter de cette tribune pour propager ses théories nauséabondes ?

Un débat fondamental. Prouver que l'holocauste existe n'est pas si facile si on retire les témoignages des survivants. Pourtant, il est indéniable que ceux qui "minore" ou "doute" de la Shoah sont dans un déni total, historique, politique, scientifique. Le film propose un débat toujours essentiel, qui ne convaincra peut-être pas ceux qui croient à un complot sioniste. Pourtant, là, on nous explique par A+B comment on peut prouver l'existence d'une extermination massive des Juifs, homos, handicapés, tziganes, opposants politiques... Cela permet de rappeler à quel point l'horreur a existé, réellement. Qu'il est toujours vital de s'en rappeler. Mais, au-delà de cet angle, on retient que la visite d'Auschwitz par l'avocat interprété par Wilkinson est de loin la meilleure séquence du film: seule la honte nous envahit en contemplant ce camp de la mort.

Un quatuor parfait. Rachel Weisz n'a plus à nous convaincre de son talent, même dans un film "classique". On comprend que le personnage de cette justicière dans l'âme obligée de se taire l'ait séduite. L'actrice s'impose naturellement à l'écran comme la star autour de laquelle tourne trois astres: son opposant, l'affreux pro-Nazi incarné par un Timothy Spall au sommet de l'ambiguïté, passant du père aimable au détestable négationniste, de l'employeur a priori non raciste au populiste le plus xénophobe ; Andrew Scott hérite du rôle le plus discret, celui de l'avocat travailleur, mais c'ets aussi le lien entre tous, capable de perdre son flegme britannique tout en ayant un humour froid ; enfin, l'avocat orateur, celui qui va croiser le fer dans l'arène, est joué par un Tom Wilkinson impeccable, malaxant chaque relief de la personnalité colorée de son rôle, et qui, finalement s'avère être le véritable astre solaire du groupe.

Un film pédagogique. Mick Jackson, 74 ans, n'a pas beaucoup tourné pour le cinéma. Le réalisateur ne s'embarasse pas d'ailleurs d'une quelconque mise en scène originale, préférant l'efficacité (quitte à être didactique). De la part du cinéaste auteur du charmant Los Angeles Story (L.A. Story), du lourd mais très profitable Bodyguard (The Bodyguard) ou de la série B catastrophe Volcano, il ne fallait pas forcément s'attendre à autre chose. Pourtant, on peut reconnaître au film une vertu: sa pédagogie. Pas seulement sur la Shoah, mais aussi sur le fonctionnement du négationnisme, du populisme, et de la justice britannique. En prenant le spectateur pour un apprenant intelligent, Le procès du siècle réussit à être intéressant et instructif.

Cannes 70 : la nouvelle vague coréenne

Posté par cannes70, le 25 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-23. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


Deux des meilleurs films de l'année dernière nous venaient tout droit de Corée du Sud et sont passés sur la Croisette. Dernier train pour Busan de Yeon Sang-ho, avec son train rempli de zombies, en séance de minuit et Mademoiselle, récit à tiroirs de Park Chan-wook, en compétition officielle mais reparti bredouille, comme les meilleurs films de la sélection diront les mauvaises langues. On retrouvait en même temps à Cannes, hors-compétition, un autre film coréen plutôt bien reçu : The Strangers, dans lequel Na Hong-Jin mêlait vampires, exorcismes et thriller.

Cette année, ce ne seront pas moins de quatre cinéastes coréens qui seront présents en sélection officielle à Cannes. En séance spéciale, Hong Sang-soo retrouve Isabelle Hubert, cinq ans après In another country, avec La Caméra de Claire, un film tourné pendant ... le Festival de Cannes 2016. Dans un registre plus violent, nous auront droit en Séance de minuit à deux longs-métrages de réalisateurs inconnus dans nos contrées : The Merciless, "film de prison" de Byun Sung-hyun et The Vilainess, "film de vengeance" de Jung Byung-gil. Bong Joon Ho, lui, fait partie des 18 aspirants à la Palme d'or grâce à son Okja, production Netflix qui vraisemblablement n'aura pas l'honneur de sortir en salles, en tout cas pas en France.

Cannes a d'ailleurs été une rampe de lancement pour ce qu'on appelle "la nouvelle vague coréenne". Comme pour la française (et les innombrables déclinaisons dans d'autres pays), cette vague ne se définit pas tant par une période précise que par le nouvel élan permis par une poignée de réalisateurs, aux préoccupations plus ou moins semblables. Des cinéastes par ailleurs extrêmement populaires au pays du matin calme et qui ont été accueillis à bras ouverts par la critique française tout au long des années 2000.

Ha ! Si j'avais un marteau ...


Il nous faut revenir quelques années avant l'éclosion de cette "nouvelle vague" pour en comprendre les obsessions. De 1961 à 1979, la Corée du Sud subit la dictature de Park Chung Hee, et le cinéma national est, comme on peut s'en douter, fortement censuré et contrôlé par le pouvoir. Pendant les années 1980, la transition démocratique est en marche (n'y voyez aucun slogan politique), ce qui permet à l'industrie cinématographique d'être plus ou moins libre à partir des années 1990. Une décennie pendant laquelle les futurs grands cinéastes vont se former, faire leurs premiers pas avant de débarquer en trombe au début des années 2000. On peut même prendre une date charnière : 2004. Cette année-là, ce sont deux films coréens qui vont être unanimement acclamés. Non seulement deviennent-ils des classiques instantanés mais, surtout, ils vont révéler en France deux réalisateurs qui vont devenir des sortes d'ambassadeurs de ce cinéma coréen. Old Boy et Memories of murder vont, chacun dans leur style même, caractériser la nouvelle vague coréenne.

Dans Old Boy, deuxième film de la "trilogie de la vengeance" de Park Chan Wook, il est question d'un homme enfermé pendant 15 ans pour une raison qu'il ignore et qui va traquer ses malfaiteurs. Bong Joon Ho lui, dans Memories of murder, signe aussi un thriller (quoiqu'il s'agisse d'un terme plutôt générique) dans lequel deux policiers enquêtent sur un tueur en série. Les deux films sont d'une grande violence et leurs récits prennent le spectateur aux tripes du début à la fin. Ils partagent une critique, plus ou moins explicite, de la société coréenne et exorcisent le passé à coup de marteau ou de coups de pieds sautés.

D'un côté, nous avons un homme enfermé sans raison pendant plus de quinze ans, de l'autre c'est autant la société elle-même qui devient folle que ses rouages. Les policiers de Memories of murder sont en effet aussi violents que Oh Dae-soo, le protagoniste d'Old Boy qui est prêt à tout pour avoir sa revanche. Surtout, les deux long-métrages sont des claques visuelles : le plan-séquence du couloir de Park Chan-wook en aura marqué plus d'un, tandis que Bong Joon-ho nous plonge pendant plus de deux heures dans une atmosphère aussi crasse que belle. Si ce dernier triomphe au Festival international du film policier de Beaune, Old Boy est lui présent à Cannes et repart avec un Grand Prix amplement mérité.

Quelques jeunes turcs coréens (vous suivez ?)


Park Chan Wook reviendra sur la croisette, repartant même avec un Prix du Jury pour Thirst en 2009, et Bong Joon Ho est à la Quinzaine des réalisateurs avec The Host en 2006, à Un Certain Regard avec Mother en 2008 et sera donc pour la première fois en compétition officielle cette année. Un autre cinéaste de la même génération qui aime bien la violence et les anti-héros, Kim Jee Won, est lui aussi passé par la Riviera à deux reprises hors-compétition :en 2005 pour A bittersweet life et en 2008 pour le génial et déjanté western mandchourien Le bon, la brute et le cinglé.

Il ne faudrait cependant pas réduire la nouvelle vague coréenne à des films ultra-violents, ni aux quelques noms cités au-dessus. On retrouve en effet parmi ses rejetons des cinéastes plus intimistes. Hong Sang Soo, qui aime les femmes et l'alcool de soja, est ainsi devenu un habitué de Cannes, et ce dès son deuxième film, Le pouvoir de la province de Kangwon. En moins de vingt ans, il est ainsi passé quatre fois par la case Un certain regard et quatre autres fois en sélection officielle. Il a d'ailleurs côtoyé Old boy en 2004 avec La femme est l'avenir de l'homme.

Deux autres figures importantes de la nouvelle vague coréenne ont elles-aussi été accueillies à Cannes, mais assez tardivement, en tout cas bien après d'autres festivals de renom. Kim Ki Duk, remarqué à la Mostra de Venise pour L’île en 2000, et acclamé pour Printemps, été, automne, hiver… et printemps en 2003, est présent à Un certain regard en 2005 (L'Arc) et 2011 (Arirang), et en compétition officielle en 2007 (Souffle). Im Sang Soo se fait connaître internationalement pour Une femme coréenne à la Mostra de Venise de 2003 et c'est sans surprise qu'il débarquera sur la Croisette les années suivantes. À la Quinzaine des Réalisateurs, en 2005, il traite de l'assassinat du dictateur Park Chung Hee, puis en 2010 et 2012 il concourt pour la Palme avec d'abord The Housemaid, remake d'un classique coréen de 1961, puis avec L'ivresse de l'argent.

Et aujourd'hui ?

La nouvelle vague coréenne a donc mis sur le devant de la scène toute une génération de cinéastes, encore plébiscitée aujourd'hui, à Cannes notamment. Il est peut-être trop tôt pour choisir une date précise à laquelle arrêter ce "mouvement", mais à n'en pas douter il sera l'objet de plusieurs études dans un avenir proche. Et qui sait, peut-être qu'un film coréen sera enfin palmé à Cannes cette année ? Park Chan-wook fait d'ailleurs partis du jury… De bonne augure ?

Nicolas Santal de Critique-film

Cannes 2017 : le jury du 70e Festival

Posté par wyzman, le 25 avril 2017

A trois semaines de la 70ème édition, les organisateurs du festival de Cannes viennent de dévoiler la liste des jurés. Du 17 au 28 mai, et comme nous vous l'avions déjà annoncé, Pedro Almodóvar (réalisateur espagnol) présidera ce jury.

Il sera épaulé par Jessica Chastain (actrice américaine), Will Smith (acteur américain), Fan Bingbing (actrice chinoise), Maren Ade (réalisatrice allemande), Park Chan-wook (réalisateur sud-coréen), Agnès Jaoui (actrice française), Paolo Sorrentino (réalisateur italien), Gabriel Yarde (compositeur français). Très international, ce jury est également assez paritaire : quatre femmes et quatre hommes aux côtés de Pedro Almodovar.

Cannes 70 : quelle place pour le cinéma africain ?

Posté par cannes70, le 24 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-24. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


L'un des questions récurrentes posées annuellement au délégué général du Festival de Cannes mais aussi aux programmateurs des sélections parallèles (Quinzaine, Semaine et autres) est la sous-représentation du cinéma africain dans la plus grande manifestation de cinéma. Sur un continent marqué par la pauvreté, les guerres, le manque de productions solides ou de soutiens forts des pouvoirs publics (pour le moins), est-il possible de produire et donc ensuite de diffuser des films africains ?

Le sénégalais Ousmane Sembène, dont le film La Noire de… est le premier long-métrage réalisé par un cinéaste d'Afrique noire (prix Jean-Vigo en 1966) disait lui-même face aux questionnements sur la faible représentation du cinéma africain dans les Festivals de Film (Cannes, mais aussi Venise et Berlin) : «C'est à nous de créer nos valeurs, de les reconnaître, de les transporter à travers le monde ; nous sommes notre propre Lumière».

Djibril Diop Mambéty est le premier cinéaste du continent à avoir marqué le Festival de Cannes avec tout d'abord avec un court-métrage documentaire, Contras'City projeté dans la cadre de la première Quinzaine des Réalisateurs en 1969. Ce off de Cannes l'accueillera à nouveau avec Badou Boy, chronique enjouée d'une durée d'une heure de la vie quotidienne dans le Dakar populaire en 1971, puis deux ans plus tard avec son premier long, Le Voyage de la hyène. Ce chef d'oeuvre politique et métaphorique est plus connu aujourd'hui sous son titre d'origine Touki Bouki, redécouvert grâce à la World Fundation et Cannes Classics en 2008.

À travers l'errance d'un couple de jeunes adultes qui rêvent d'un avenir meilleur loin de leur pays natal, le réalisateur questionne une société perdue entre tradition et modernité. Mory, ancien gardien de troupeau, conduit une belle moto avec en figure de proue le crâne d'un zébu, symbole de son ancienne activité. Il propose à sa compagne Anta de prendre le bateau qui part le lendemain pour Paris, déjà eldorado pour de nombreux africains. La relation du couple est moderne, libérée de tout code moral convenu, amoureuse et sensuelle. La forme du récit est aussi libre que ses deux protagonistes qui ne semblent retenus par rien de tangible dans leur pays. Membéty transgresse les règles narratives avec un art maîtrisé du montage et du saut du coq à l'âne, ne cherchant pas la clarté à tout prix mais à faire naître des sensations quasi magiques. Une liberté d'écriture qui inscrit Membéty comme un cousin éloigné de Jean-Luc Godard et un futur grand du cinéma mondial. Ce film a fortement contribué à faire émerger une curiosité pour une cinématographie encore (déjà) balbutiante.

Pour autant, Djibril Diop Mambéty ne s'impose pas comme le représentant de son pays, voire de son continent, mais comme un créateur de formes à part entière, visionnaire mais qui n'a pas pu, hélas, s'imposer avec une longue filmographie. Celui qui croyait à un cinéma africain indépendant produit dans son pays n'a jamais quitté le Sénégal, ni pour aller dans une université de cinéma ni pour trouver de nouveaux financements. Malheureusement, il ne tournera qu'un seul autre long-métrage, vingt ans plus tard : Hyènes, adaptation bouleversante du Voyage de la vieille dame de Dürrenmatt, en compétition officielle en 1992.

Le compositeur Wasis Diop évoquait l'engagement de son frère dans un entretien au site Africiné : «La complicité professionnelle entre Djibril et moi a débuté quand il a eu sa caméra en main. C'était en 1965. Il avait dix-huit ans : un âge précoce dans un pays où le cinéma n'existait pas. J'étais à l'école et je séchais les cours pour l'accompagner dans son aventure. […] Nous étions déjà, très tôt, portés vers des questionnements de lumière, d'ombre, de mouvement, de son, etc. C'est ce qui fait que je suis devenu musicien, grâce à l'écoute de la société, de l'environnement, à l'observation, des quantités de choses, des personnages insolites qui cernaient notre existence». Les deux films sont associés à ses yeux, comme une boucle réunie par un lien invisible : «Touki Bouki et Hyènes c'est exactement la même histoire. Dans Touki Bouki, l'héroïne Anta s'en va, dans Hyènes elle revient à travers le personnage de Linguère Ramatou. C'est une symbiose, c'est une même histoire liée par une toile, je ne dirais pas mystique mais magique dans la création».

Sénégal toujours avec Ousmane Sembene, le premier – et le dernier, jusqu'à présent – cinéaste africain à recevoir le Carrosse d'or attribué par la SRF dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs en 2005. L'année précédente, il remportait le Prix Un Certain Regard à Cannes pour Mooladé, son dernier film, dans lequel il dénonce l'excision dont sont victimes les jeunes filles dans de nombreuses sociétés en Afrique. Il avait dédié son prix «aux mères, femmes qui luttent pour abolir cet héritage d'une époque révolue». En 2015, le documentaire Sembene ! de Jason Silverman et Samba Gadjigo, présenté à Cannes Classics après une projection de La Noire de…, revenait sur cet auteur plus classique sur la forme mais qui a lui aussi exercé une influence majeure.

En 2005 toujours, il donnait une leçon de cinéma sur la Croisette, évoquant sa vocation et son accession à ce métier inaccessible : «J’ai toujours été fasciné par l’image, […] dès l’enfance, entre quatre et six ans. On était avec les grand-mères qui savaient raconter des histoires. Des conteurs, j’ai retenu qu’ils étaient en même temps leurs propres auteurs, metteurs en scène, acteurs et musiciens. […] De la parole, l’image se créait dans ma tête. Et ça a continué pendant toute mon enfance. […]». Je voulais connaître le continent, pas seulement connaître le Sénégal. J’ai fait le tour du continent : à pieds, à dos de chameau, à cheval et en pirogue. Uniquement pour apprendre. Et c’est à partir de ce moment que j’ai passé dix jours sur le fleuve Congo ; on fuyait, c’était à l’époque de Lumumba. Je le dis toujours ; ce que j’ai vu m’a alors fasciné. Et du Congo, alors le Zaïre, j’ai dit : « je vais apprendre le cinéma ». […] En France, j’ai rencontré des hommes à qui je suis toujours redevable : des cinéastes. Je leur ai dit que je voulais faire du cinéma. C’est ainsi que, grâce à leur soutien, Georges Sadoul, entre autres, je me suis retrouvé en Union soviétique [aux studios Gorki de Moscou]. J’avais quarante ans bien sonnés. J’ai laissé enfant et femme pour aller apprendre le cinéma. Qu’est-ce qu’apprendre ? C’est avoir une connaissance de l’autre et de se demander ce qu’on peut ajouter à ce qu’on a appris pendant son enfance. Savoir seulement ce que le maître sait, le maître reste supérieur à vous. Respecter son père, c’est bien mais si vous n’ajoutez rien de nouveau à la maison de votre père, vous êtes toujours en dessous de votre père. Et je suis sûr que ceux qui m’ont enseigné, d’une manière ou d’une autre, seraient d’accord avec moi. J’ai appris à faire des films, mais je dois le faire en conformité avec mon temps et mes émotions. ».

En 1962, il réalisait son premier court-métrage, Borom Sarret (diffusé à Cannes Classics 2013), la journée d'un charretier qui transporte des clients et des marchandises. Lorsqu'un fonctionnaire zélé confisque son outil de travail, il rentre chez lui, sans argent et sans nourriture. Le réalisateur évoquait également sa responsabilité en tant que cinéaste africain, son «double rôle» consistant à s'adresser à deux publics différents en même temps : le public africain et le public international.

Après ces deux pères fondateurs, liés par leur pays d'origine et par leur importance historique en tant que porteurs d'espoirs pour ceux qui espéraient donner une voix à leur pays dans un continent sacrifié dans ce domaine, petit tour d'horizon, bien trop succinct des principaux artistes venus d'Afrique, à commencer par l'un des cinéastes les plus respectés de sa génération : Youssef Chahine. L'égyptien, né en 1926, est venu plusieurs fois en compétition, pour la première fois avec Le Fils du Nil en 1952 puis avec Ciel d'enfer (1954), La Terre (1970) et Adieu Bonaparte (1985) revenu à Cannes Classics en 2016 en version restaurée. Le Destin en 1997 lui permet de recevoir un prix pour l'ensemble de sa carrière. À Un Certain Regard, il présente L'Autre en 1999 et Alexandrie... New York en 2004, La Quinzaine des réalisateurs l'a accueilli avec Alexandrie encore et toujours (1990) et Le Caire raconté par Youssef Chahine (1991). En 2007, il est l'un des réalisateurs du film collectif Chacun son cinéma. Il est membre du Jury officiel en 1983.

En 1987, deux grands noms sont présents simultanément à Cannes. Devenu cinéphile grâce à l'arrivée des films des films de Hollywood dans son village natal dont ceux de John Wayne, le Malien Souleymane Cissé est devenu une autre grande figure de Cannes, recevant le Prix du Jury pour Yeelen (La Lumière). Il est invité à plusieurs autres reprises, en compétition pour Waati (Le Temps) en 1995 puis en séance spéciale avec Min Ye... (Dis moi qui tu es...) en 2009 et Oka en 2015.

Déjà en 1982, il participait à Un Certain Regard avant de rejoindre le jury officiel en 1983 et à celui de la Cinéfondation en 2006. En 2007, il fait partie des cinéastes présents pour le lancement de la World Cinema Foundation, aux côtés de Alfonso Cuarón, Ahmed El Maanouni, Fatih Akin, Gianluca Farinelli (directeur de la Cinématèque de Bologne, voir entretien), Ermanno Olmi, Walter Salles, Martin Scorsese et Wong Kar Wai. : «Les projets arriveront naturellement à la Fondation, il y aura des metteurs en scène qui amèneront des films représentant leur propre culture, l’identité de leur propre pays. […] Cette Fondation représente un grand espoir en Afrique, parce que nous nous rendons compte de tous les problèmes que le continent africain connaît […] Dans beaucoup de pays, il n’y a pas de préservation des films. […] Martin Scorsese est une personne qui a beaucoup d’humanité et une certaine prévoyance. Nous l’accompagnerons dans ce combat, parce qu’il en est de notre survie. Si dans 15 ou 30 ans, nos films ne sont plus visibles, et bien nous n’existerons plus».

Comme plusieurs réalisateurs évoqués ici, il a appris le cinéma dans une contrée lointaine : «L’occasion s’est ensuite présentée pour moi de faire des stages de photographie et de cinéma à Moscou, où je suis resté sept ans. L’adaptation n’a pas été facile… J’ai dû m’adapter au climat et apprendre le russe. Diplôme en poche, j’ai commencé à faire des reportages au Mali et par la suite des films».

Attentif à la transmission du savoir de son métier, il est l'un des fondateurs de l’Union des Créateurs et Entrepreneurs du Cinéma et de l’Audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest (UCECAU) dont l'un des buts est d'aider les jeunes générations à trouver les moyens de devenir cinéastes. Martin Scorsese, pourtant grand cinéphile, n'a découvert le cinéma africain qu'avec Yeelen et s'est donc bien rattrapé depuis en contribuant à la naissance puis à l'essor de la World Cinema Foundation. «Ce film a permis notre rencontre. Il a eu la gentillesse de nous apporter un soutien à la fois moral et logistique formidable. En 2007, il a même passé quatre jours avec nos jeunes à Bamako et en a invités quelque-uns sur son propre plateau de tournage » racontait Cissé au site Daily Movies.

En 1987, le Burkinabé Idrissa Ouedraogo débute à la Semaine de la critique avec Yam Daabo puis obtient le Grand Prix du jury en 1990 avec Tilai et revient enfin avec Kini & Adams en 1997, en compétition. En 1989, Yaaba était à la Quinzaine des Réalisateurs et reçoit le Prix de la critique, Djibril Diop Mambéty faisant d'ailleurs son retour après 17 ans d'absence en signant son making-off, Parlons Grand-mère, où il observe avec humour et poésie les aléas d'un tournage au Burkina Faso.

Dans un entretien au Monde en 2015, il insistait sur l'importance de la maîtrise de L'outil de fabrication : «Le cinéma est un art, il ne consiste pas seulement à raconter une histoire, il est aussi une technique. Pour être compétitif avec le flot d’images qui envahit le monde, il faut l’être d’abord en termes techniques et aussi en terme de récit. […] Ce métier artistique a pour base des études de cinéma comme Abderrahmane Sissako, Souleymane Cissé, Sembène Ousmane et moi-même en avons fait. La formation, la maîtrise de l’outil cinématographique sont très importants. C’est ce qui permet au regard et aux oreilles d’accepter un film. On ne peut pas faire l’économie de la formation professionnelle. […] Un film, c’est de la bonne image et du bon son, c’est tout. A force de ne plus en donner, les salles de cinéma n’existent quasiment plus dans nos pays».

Abderrahmane Sissako a lui aussi étudié le cinéma... à Moscou. Il débute à Cannes avec le court-métrage Octobre à Un Certain Regard en 1993, revient en 1998 avec La Vie sur Terre à la Quinzaine des Réalisateurs en 1998 et En attendant le bonheur le fait revenir à Un Certain Regard en 2002. Bamako est en sélection officielle hors-compétition en 2006 et en 2014 Timbuktu est très remarqué, laissant croire à une présence au palmarès. Il n'en sera rien mais quelques mois plus tard, le film remporte sept César, dont ceux du meilleur réalisateur et du meilleur film.

Abderrahmane Sissako inaugure avec Juliette Binoche le Pavillon des Cinémas du Monde en 2009. Il est simple membre du jury Cinéfondation et Courts métrages en 2000 avant d'en être le président en 2015, président de Un Certain Regard en 2003 et membre du jury long-métrages en 2007. premier réalisateur d'Afrique noire nommé à l'Oscar du film étranger avec Timbuktu pourrait lui permettre d'être le premier cinéaste du continent à présider le jury officiel. Peut-être devra-t-il attendre un autre film aussi exposé pour le devenir ? Il est le conseiller culturel du chef d'état Mohamed Ould Abdel Aziz.

Récemment un nouveau cinéaste s'est imposé sur la scène internationale avec Abouna (Quinzaine des réalisateurs, 2002) et Daratt (prix spécial du jury à Venise en 2006). Mais c'est le succès de Un Homme qui crie, prix du jury à Cannes en 2010 qui permet à Mahamat-Saleh Haroun non seulement de poursuivre son œuvre mais aussi d'aider à la visibilité du cinéma dans son pays. Il n'est pas seulement le premier cinéaste de premier plan venu du Tchad : avec le documentaire Bye Bye Africa, en 1999, il signait l'acte de naissance du cinéma tchadien.

En 2013, il revient, toujours en compétition, avec Grigris, non primé par le jury mais qui permet au directeur de la photographie Antoine Héberlé de recevoir le Prix Vulcain de l'Artiste-Technicien, décerné par la C.S.T. Comme souvent avec les cinéastes émergents de pays qui ne le sont pas moins, la direction du festival l'invite à participer à ses jurys et il est ainsi membre de la Cinéfondation en 2014 et de l'officielle en 2011 sous la direction de Robert De Niro (celui de la Palme d'or à The Tree of life de Terrence Malick). Interrogé lors de la conférence de presse du jury le jour de l'ouverture, il revenait sur ce qui s'était passé depuis l'obtention de son prix quelques mois plus tôt. Il annonçait alors qu'il avait été approché par le président Idriss Déby Itno pour créer une école de cinéma mais le projet n'a jamais été mené à terme, comme il l'expliquait en février dernier au Point : «Il a traîné, notamment du fait de l'entourage où tout le monde n'était pas favorable, n'y voyant pas leur intérêt. Et puis, il y a eu la crise, qui sévit encore, ça ne facilite pas les choses».

Vers la fin du festival, dans un entretien à La Croix, il s'exprimait sur l'invitation qui lui avait été faite et comment il avait vécu l'expérience, signalant notamment : «Les jurés sont sélectionnés par le Festival pour leur vision et leur proximité avec un certain cinéma. […] J'ai pris cet honneur, au-delà de ma personne, comme un signal lancé à l'Afrique. Une façon de dire à ceux qui pensent que Cannes ne se préoccupe pas de ce continent que, quand on a des choses importantes à dire, une place leur est faite. Il faut se préoccuper d'être dans cet endroit, se donner les moyens d'y figurer. Tous les cinémas du monde s'y confrontent et viennent acquérir plus de visibilité. À nous aussi de faire bouger les choses. Je me suis retrouvé dans un jury de haute tenue qui a élargi mon horizon et mon regard. J'aime bien les expériences qui me permettent d'apprendre. On est conscient quand on arrive qu'il faut défendre un cinéma exigeant et qui parle au monde. Les discussions, entre nous, m'ont permis de comprendre des aspects que je ne percevais pas bien ou pas toujours. Ce que j'ai vécu comme juré a ressemblé à une sorte d'apprentissage».

L'an dernier il revenait en séance spéciale avec le documentaire Hissein Habré, une tragédie tchadienne. Son prochain film, Une saison en France, qui réunit Sandrine Bonnaire et Ériq Ebouaney, et que l'on espérait sur la Croisette, devrait sortir l'automne prochain. Mahamat-Saleh Haroun a sorti un premier roman en mars dernier (Djibril ou Les ombres portées) et a été nommé ministre du Développement touristique, de la Culture et de l'Artisanat le 5 février dernier. Comme son collègue mauritanien, il lui est reproché d'être trop proche, voire complice, de gouvernements laissant peu de liberté à leur peuple.

En 2012, La Pirogue du sénégalais Moussa Touré est sélectionné à Un Certain regard et poursuit de façon plus didactique que son compatriote Membéty les voyages clandestins de l’Afrique vers l’Europe. Les temps ont changé, le style onirique est délaissé pour un brûlot réaliste et engagé sur l'exil, souvent mortel, des Sénégalais qui espèrent une meilleure vie ailleurs. Le réalisateur voit l'embarcation de son titre comme «une métaphore du pays qui part à la dérive, quand il n’y a plus d’horizon». Interrogé sur ce qu'il attendait du Festival de Cannes, il répondait : «Que le festival de Cannes s'ouvre davantage au cinéma du monde».

Présence forcément limitée en raison du boycott qui a frappé ce pays ségrégationniste avant la libération de Nelson Mandela, l'Afrique du Sud n'a que rarement envoyé des représentants. Skoonheid d’Oliver Hermanus, développé  au sein de la Résidence de la Cinéfondation, est le premier film tourné en afrikaans (la langue des oppresseurs) montré sur la Croisette, à Un Certain Regard en 2011. Son compatriote Oliver Schmitz est lui venu avec Mapantsula (1988), Hijack Stories (2001) et Le Secret de Chanda (2011), toujours à Un Certain Regard.

Parmi les autres réalisateurs de la compétition, au moins partiellement oubliés de nos mémoires, quelques égyptiens : Salah Abou Seif, considéré comme le père du cinéma réaliste égyptien, avec Les Aventures de Antar et Abla (1949), La Sangsue (1956) et Le Monstre, Grand Prix en 1954 ; Kamal El Sheikh avec Vie ou mort (1955), La dernière nuit (1964) et Langage du geste (1973) ; Henry Barakat avec Al Haram (1965) mais aussi le marocain Abdelaziz Ramdani avec Âmes et rythmes (1962) ; le tunisien Abdellatif Ben Ammar avec Une si simple histoire (1970) en compétition et avec Aziza à la Quinzaine des réalisateurs (1980) et l'haïtien Raoul Peck avec L'Homme sur les Quais en 1993, porté par l'impressionnante performance de Toto Bissainthe, la voix du rôle-titre de La noire de... de Sembène. Il est le président de la Fémis depuis 2010. Le français Jacques Baratier avec Goha fait partie de la liste des quelques réalisateurs étrangers en course pour la Palme d'or avec un film tourné sur le sol africain (en Egypte), une fable qui révèle Omar Sharif et Claudia Cardinale. Jean Rouch, qui a souvent encouragé les artistes africains à faire entendre leurs voix, représente en 1976 le Niger avec Babatou, les trois conseils.

Le cinéma africain a heureusement été primé sur la Croisette. Passons sur la Palme d'or officiellement marocaine de Orson Welles pour Othello, la première – et dernière à ce jour – revenant à l'Algérie pour Chronique des années de braise, palme d'or du jury de Jeanne Moreau en 1975. Déjà prix de la première œuvre avec Le Vent des Aurès en 1967, Mohammed Lakhdar-Hamina reste l'un de ces habitués méconnus de Cannes, avec d'autres sélections encore, à commencer par le court-métrage Sous Le Signe de Neptune, en compétition en 1963 et les longs-métrages, en compétition toujours, Vent de sable (1982) et La Dernière Image (1986) avec Véronique Jannot, vedette de la série Pause Café et interprète de la chanson rébus Désir, désir avec Laurent Voulzy. Il a depuis disparu des radars.

Malgré la longueur de ce texte, la question des financements et de l'exposition du cinéma africain reste à creuser en détails. Des tentatives de mettre en avant le continent se sont parfois soldés par des échecs. Ainsi, les Soleils d'Afrique lancés à Cannes en 2004 au Pavillon des Cinémas du Sud, se voulaient les Oscars ou les César de l'Afrique mais l'initiative a rapidement fait long feu. Plus pertinente est l'annonce récente par l'UNESCO de la création d'un partenariat avec la Film Foundation et la Fédération Panafricaine des Cinéastes pour un projet important pour le patrimoine cinématographique africain. Il vise, sur le long terme, à localiser, restaurer et préserver les grands classiques du cinéma africain.

L'Afrique à Cannes en 2017

Va-t-on découvrir le prochain nouveau grand nom du continent africain lors de Cannes 2017 ? Le nombre de représentants est faible, comme toujours ou presque donc, mais en sélection officielle, on retrouve au sein de Un Certain Regard la Tunisienne Kaouther Ben Hania avec La Belle et la meute (Aala Kaf Ifrit) et l'Algérien Karim Moussaoui avec En attendant les hirondelles, un projet soutenu par Alice Winocour, marraine 2016 de la Fondation Gan.

La Quinzaine des Réalisateurs accueille modestement la réalisatrice zambienne Rungano Nyoni avec I Am Not A Witch ; rien à la Semaine de la Critique ni à l'ACID et la sélection de Cannes Classicss n'a pas encore été dévoilée… mais La Fabrique Cinéma (ex Fabrique des Cinémas du Monde), un événement de soutien à la création organisé par l’Institut français, présentera dix projets dont quatre venus d'Afrique : The Sovereign de Wim Steytler (Afrique du Sud), The Bridge de Hala Lotfy (Egypte), Hawa Hawaii de Amirah Tajdin (Kenya) et The Maiden’s Pond de Bassem Breche (Liban). De futurs talents de la compétition cannoise ?

Pascal Le Duff de Critique-Film

Chiara Mastroinanni, Emmanuelle Bercot et Jéremie Elkaïm dans un « When We Rise » à la française

Posté par wyzman, le 24 avril 2017

Après ses trois César 2016 reçus pour Fatima, Philippe Faucon revient au petit écran par la grande porte. En effet, le réalisateur de Dans la vie et La Désintégration prépare activement le tournage de la mini-série Fiertés, produite par Joëy Jaré (Clara Sheller, Kaboul Kitchen) pour une diffusion sur Arte.

Centrée sur "la vie d'une famille, les combats menés par les homosexuels autour du Pacs, du mariage et de l'adoption" comme indique Le Film Français, Fiertés sera composée de 3 épisodes de 52 minutes. Ceux-ci se dérouleront sur trois décennies, de l'arrivée de François Mitterrand à l'Elysée en mai 1981 jusqu'à l'adoption de la loi Taubira promulguée en mai 2013. Les scénarios sont l'oeuvre de José Caltagirone (Speakerines) et Niels Rahou (Derniers recours).

Le tournage de Fiertés se déroulera en région parisienne du 2 mai au 16 juin. Au casting de cette mini-sérié, on retrouvera Emmanuelle Bercot (La Tête haute), Chiara Mastroinanni (Poulet aux prunes), Jéremie Elkaïm (Marguerite et Julien), Fréderic Pierrot (Populaire), Loubna Abidar (Much Loved), Stanislay Nordey (N'oublie pas que tu vas mourir) et Samuel Théïs (Party Girl).

Bien que l'on ne connaisse pas encore la date de diffusion de Fiertés, l'annonce du début du tournage n'est pas sans rappeler l'autre mini-série LGBTQ de l'année : When We Rise. En 8 épisodes, la série de ABC retraçait la naissance du mouvement LGBT à la suite des émeutes de Stonewall en 1969 et allait jusqu'à l'abandon de la Proposition 8 et l'autorisation du mariage homosexuel en 2013. Entière écrite par Dustin Lance Black (Harvey Milk), When We Rise était réalisée par Gus Van Sant (Elephant) entre autres. Émouvante et importante, When We Rise est un bel exemple de mini-série audacieuse. Philippe Faucon et Arte auraient tort de ne pas s'en inspirer pour Fiertés !

Cannes 70: Et Cannes créa l’actrice française…

Posté par vincy, le 23 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-25. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Au fil des décennies, entre flâneries sur la Croisette, poses sur le tapis rouge, robes traînant sur les marches ou sourires radieux éclairés par les flashs des photographes, l'actrice française a su être la Marianne, l'emblème du chic gaulois, l'ambassadrice de la beauté et le symbole d'un jeu mêlant glamour et drame. Souvent jurées, voire présidentes de jury, les comédiennes ont aussi été les égéries de grandes marques, les figurantes classes d'une montée des marches ou d'une remise de prix.

Inutile d'en faire la liste exhaustive. Elles sont toutes passées par Cannes. De Danielle Darrieux à Emmanuelle Béart, de Marie-France Pisier à Laetitia Casta en passant par Simone Signoret, Sandrine Bonnaire ou Nathalie Baye. Mais on ne va en retenir que quelques-unes, celles qui ont cette particularité d'avoir marqué le Festival, par leur nombreux films sélectionnés ou par leur présence sensationnelle, et qui ont un retentissement mondial, dont Cannes n'est pas étranger. Un Top 10, qui couvre toutes les décennies cannoises. Et en cadeau bonus, une comédienne à part dont on fête les 50 ans de la disparition.

Françoise Dorléac. Il y a 50 ans, le 26 juin 1967, Françoise Dorléac disparaissait tragiquement pas très loin de Cannes. Elle avait 25 ans. La sœur de Catherine Deneuve était alors une des rares stars françaises de la nouvelle génération. 16 films à son actif en 8 ans de carrière. Magnétique, charmeuse, à l'aise dans la comédie et le drame, gracieuse, la comédienne avait tout pour plaire. Elle avait tourné avec Michel Deville, René Clair, Édouard Molinaro, Philippe de Broca, Roger Vadim, Roman Polanski, Ken Russell.

Tout la destinait à une carrière internationale. Juste avant son accident de voiture, elle avait conquis le public, en compagnie de Deneuve, avec les éternelles Demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy. Pourtant c'est bien un film de Demy et avec Deneuve qui avait assombrit son passage sur la Croisette.

En 1964, Françoise Dorléac accompagnait le film de François Truffaut, La peau douce. Dorléac et Truffaut sont alors en couple. La première est au top du box office avec L'Homme de Rio. Le second a des difficultés financières. Le film est là pour consacrer la star en devenir et remettre le réalisateur sur les rails de la prospérité. Hélas, la critique éreintera le beau drame adultérin. Et le jury ignorera complètement le film au palmarès. Le film ne sera finalement vu que par 600000 spectateurs. La blessure est immense pour Truffaut, qui ne reviendra plus à Cannes avant 1973.

Mais l'ironie de l'histoire est ailleurs, dans un match que personne n'attendait. De ce Festival, personne ne retiendra la sublime Françoise Dorléac. Tous les yeux étaient rivées sur sa cadette, Catherine Deneuve, qui explose à Cannes avec son premier grand rôle dans le film qui, en bonus, reçoit la Palme d'or : Les Parapluies de Cherbourg.

Michèle Morgan. Le cas particulier de l'actrice récemment disparue est qu'elle était déjà une star internationale lorsqu'elle est venue au premier festival de Cannes, en 1946. Elle y a présenté La symphonie pastorale en compétition. Elle est revenue en compétition en 1956 avec Marie Antoinette, reine de France, en 1990 avec Ils vont tous bien et hors-compétition en 1962 avec Le crime ne paie pas. Ce fut surtout la première actrice de l'histoire du Festival à recevoir le prix d'interprétation féminine. La quintessence du jeu à la Française où elle incarne une aveugle dans le film de Jean Delannoy. C'était son grand retour en France, pays qu'elle avait quitté au début de la guerre pour Hollywood. Elle avait le mal du pays et son passage sur la Côte d'Azur lui faisait un bien fou. Elle était ravie de son prix. Et à jamais, l'image la plus représentative de ce premier festival c'est cette jeune femme de 25 ans, en bikini, libre et radieuse, s'amusant devant les photographes sur le sable de la plage du Carlton.

Brigitte Bardot. Avec elle l'après-guerre prend fin, l'émancipation sexuelle éclot, la libération de la femme naît. La star des starlettes, c'est elle. Elle débarque sur la Croisette et va affoler paparazzis et photographes. La première "people" de l'histoire du Festival. Brigitte Bardot n'a jamais été en compétition à Cannes.

Mais sa seule présence, en "touriste", en 1953, convaincue que son sex-appeal ferait tourner la tête des festivaliers, a suffit à en faire une vedette dans l'air du temps. Elle n'a tourné que quelques films, avec des petits-rôles. Son sex-appeal n'est pas encore mondial. Elle vit avec Roger Vadim, qui a des difficultés à monter son film, Et Dieu créa la femme... En débarquant à Cannes, elle veut à la fois voler la vedette aux grandes actrices, améliorer sa notoriété et ainsi rassurer les éventuels producteurs d'investir dans le projet de son époux.

Le film sort trois ans plus tard, grâce à la participation financière de l'acteur principal, Curd Jürgens. Il en fait une actrice de premier rang. Déchaînant les passions, défiant la censure, entre érotisme libéré et modèle féministe, Et Dieu créa la femme... entraînera aussi la fin du couple Bardot/Vadim.

Jeanne Moreau. Deux fois présidente du jury (1975 et 1995), Jeanne Moreau est l'une des plus fortes incarnations du festival. A la fois actrice incontournable, autorité cinéphile, muse de la Nouvelle vague, citoyenne engagée. Lady Moreau a débarqué en 1960 avec Moderato Cantabile. Elle fait face à Jean-Paul Belmondo dans un film mis en scène par Peter Brook d'après le roman de Marguerite Duras. Excusez du peu. Jeanne Moreau obtient le prix d'interprétation à Cannes.

Elle a déjà dix ans de carrière derrière elle, avec Vadim, Malle, Becker, Allégret, Decoin dans sa filmographie. Certains de ses films ont été de jolis succès (La Reine Margot a séduit 2,4 millions de Français). Moderate Cantabile sera aussi un succès avec un million de spectateurs. Mais ce prix d'interprétation à Cannes est son premier grand prix international.

De ce jour-là, elle ne quittera plus la Croisette avec parfois deux films en compétition la même année (en 1966 tout comme en 1991). Les dernières fois où Jeanne a présenté un film à Cannes, c'était en 2005, à Un certain regard avec Le temps qui reste de François Ozon, et en 2009 avec Visage de Tsai Ming-liang, en compétition. Elle n'était pas là pour monter les marches. Le temps est passé.

Catherine Deneuve. On ne va pas s'éterniser sur le cas Deneuve. Une Palme d'or d'honneur. Un prix d'interprétation spécial. Deux films ayant reçu la Palme d'or. Une vice-présidence de jury. Plusieurs fois remettante de la Palme. La Deneuve est plus qu'une abonnée de la Croisette, elle est Cannes. Même si elle apprécie peu le chaos du Festival comme toutes ces mondanités du 7e art. Le plus impressionnant est sans doute le nombre de films qu'elle a accompagné, depuis son lancement au firmament des étoiles en 1964, avec Les Parapluies de Cherbourg, jusqu'à aujourd'hui. Six décennies de présence ininterrompues.

D'abord Hors compétition avec Luis Bunuel, Claude Lelouch, Tony Scott et Alain Corneau. Puis régulièrement en compétition grâce à André Téchiné (trois fois), Manoel de Oliveira, Raoul Ruiz, Leos Carax, Lars von Trier, Marjane Satrapi, Arnaud Desplechin... Ces dernières années, elle a soutenu un film d'ouverture, une petite production de Paul Vecchiali, un film de Christophe Honoré. Mais elle est surtout revenue pour présenter ses grands films à Cannes Classics, du Dernier métro à Indochine, du Sauvage à La vie de château.

Cannes a toujours illustré sa carrière en soulignant son éclectisme et son ouverture sur le monde. Star mondiale, elle assume son rôle : avec des tenues extravagantes et glamours de grands stylistes, en épaulant la novice Björk qu'elle défend en conférence de presse, en rendant hommage aux cinéastes à qui elle doit beaucoup ou en embrassant à pleine bouche le Maître de cérémonie, juste pour le fun.

Isabelle Huppert. On a déjà évoqué le cas spécifique de Isabelle Huppert dans cette série (lire notre article). L'actrice est celle qui a reçu deux prix d'interprétation, avec ses deux cinéastes emblématiques (Chabrol et Haneke). Une exception en soi. Depuis Aloise en 1975, Huppert est une régulière. Dès l'année suivante elle est couronnée avec Violette Nozière. Quatre films en compétition dans les années 70, 6 dans les années 80 (dont trois en 1980), 2 dans les années 90, 2 dans les années 2000 et 6 depuis 2010.

Avec les autres sélections, le compteur explose. Huppert est une sorte de quintessence cannoise. L'actrice française par excellence, qui, comme Moreau, Deneuve, Binoche ou Cotillard, est sur le tapis rouge pour un film français, européen, américain ou asiatique. Elle n'a aucune frontière. Toutes ces comédiennes révèlent ainsi l'universalité du cinéma, en bonnes héritières des frères Lumière et de l'esprit des Lumières.

Isabelle Adjani. En 1976, Adjani arrive sur la Croisette, auréolée du génie qu'on lui colle à la peau, avec Roman Polanski, pour Le Locataire. Elle est déjà populaire (La gifle), admirée (L'histoire d'Adèle H), curieuse (Barocco). Cannes s'offre alors les deux Isabelle. La Huppert qui repartira avec un prix d'interprétation pour Violette Nozière. L'Adjani déjà insaisissable.

Isabelle A. et Isabelle H. reviennent d'ailleurs ensemble en 1979 avec un Téchiné, Les sœurs Brontë. Mais en 1981, c'est bien Adjani qui domine Huppert. La star de l'époque,c'est elle. Elle obtient un prix d'interprétation pour deux films radicalement différents: Quartet de James Ivory et Possession d'Andrzej Zulawski. Ce dernier film a été un cauchemar. Le début du déraillement qui la conduira dans le mur dix ans plus tard.

Entre temps, elle revient à Cannes, avec L'été meurtrier. Puis se fait rare. Le désastreux Toxic Affair est présenté hors-compétition en 1993. Un échec. Son grand retour s'annonce en 1994 avec La Reine Margot. Le rôle de Jeanne Moreau. Catherine Deneuve au jury. Adjani au sommet. Mais c'est Virna Lisi qui emporte le prix d'interprétation. Une dispute au sein du jury prive la Reine Isabelle de la gloire promise. Et l'étoile file vers les confins obscurs d'une galaxie de films plus ou moins oubliés. Parfois, elle revient briller. Pour présider le 50e Festival de Cannes, remettre un prix, ou s'attirer la colère des photographes. Elle sait encore créer l'événement.

Sophie Marceau. On ne peut pas passer à côté de l'actrice chérie des Français. A Cannes, elle n'a jamais été en compétition. Tout juste au début de sa carrière, elle a quand même accompagné Noiret, Depardieu et Deneuve sur le tapis rouge pour le film d'ouverture de 1984, Fort Saganne. 25 ans plus tard, elle est revenue en séance de minuit avec un film de genre, Ne te retourne pas. Elle a bien présenté deux films à Un certain regard (dont son premier film en tant que réalisatrice, le court métrage L'aube à l'envers).

Bref on ne peut pas dire que Sophie Marceau ait une histoire particulière en tant qu'actrice avec Cannes. Elle fut quand même membre du jury en 2015. Mais, connue de la Chine à la Russie, du Japon à l'Allemagne, elle a souvent été réclamée par Cannes pour faire sensation sur le tapis rouge ou remettre un prix. Parfois tout se mélangeait. Un décolleté qui dénude un sein, une robe qui s'emmêle les pinceaux, une autre qui dévoile sa culotte, un discours brouillon où tout se mélange. Son franc-parler, sa sincérité, sa personnalité difficile affrontent alors les quolibets, moqueries, critiques. C'est la copine sympa qu'on regrette parfois d'inviter. Mais elle fait partie du folklore. Les malheurs de Sophie ont toujours fait le bonheur des magazines people et féminins qui ne viennent pas à Cannes pour le cinéma mais bien pour chopper une Cendrillon perdant sa chaussure sur les marches.

Juliette Binoche. Comme Deneuve, elle est née sur la Croisette. En 1985, l'actrice vient de présenter le dernier film de Godard, Je vous salue Marie à Berlin. Trois mois plus tard, elle monte les marches grâce à André Téchiné pour Rendez-vous, le film qui la révèle définitivement. Elle obtient quelques mois plus tard sa première nomination aux César comme meilleure actrice et reçoit le Prix Romy Schneider. Rendez-vous sera primé pour sa mise en scène et Binoche, nue sur l'affiche, va alors rapidement devenir l'une des comédiennes les plus sollicitées.

Pourtant, il faut attendre quinze ans avant qu'elle ne revienne à Cannes. Entre temps, elle a eu un Oscar, un César, un prix à Venise et un autre à Berlin. La jeune comédienne est devenue une actrice internationale. Et c'est d'ailleurs avec des cinéastes étrangers qu'elle vient sur la Croisette : Michael Haneke, Hou Hsiao-hsien, Abbas Kiarostami, qui lui permet, grâce à Copie Conforme, de réaliser le grand chelem, et David Cronenberg. Olivier Assayas (co-scénariste de Rendez-vous) et Bruno Dumont ont été les deux derniers cinéastes en date à la faire briller sur les marches. Mais surtout, Juliette Binoche a été la seule actrice française a être le visage de Cannes, égérie le temps d'une édition, sur une affiche bleue électrique.

Marion Cotillard. Après un long moment où les vedettes francophones se sont enchaînées dans l'histoire de Cannes - Emmanuelle Devos, Elodie Bouchez, Audrey Tautou, Valéria Bruni Tedeschi, Emilie Dequenne, Ludivine Sagnier, Mélanie Laurent, etc... - une seule actrice a émergé dans les années 2000 : Charlotte Gainsbourg, qui fut d'ailleurs récompensée par un prix d'interprétation en plus d'être membre du jury. Mais on ne peut pas dire que sa filmographie comme son itinéraire soit liés à Cannes. Ce fut plutôt une forme de consécration d'une déjà longue carrière.

En revanche, Marion Cotillard, après plus de quinze ans de carrière, un Oscar, deux César et quelques films hollywoodiens, va devenir la plus fidèle des actrices à partir de 2010. C'est déjà une star et elle va devenir durant cette décennie l'actrice cannoise par excellence. Pas une année depuis Minuit à Paris en 2011 où elle n'aura pas un ou deux films en sélection officielle: De rouille et d'os en 2012, The Immigrant et Blood Ties en 2013, Deux jours, une nuit en 2014, Le petit prince et Macbeth en 2015, Juste la fin du monde et Mal de pierres en 2016, Les fantômes d'Ismaël en 2017.

Miss Dior qu'on adore ou qu'on abhorre est devenue une tête d'affiche pour Hollywood et une valeur sûre pour les films de festivals. A chaque fois le prix d'interprétation lui échappe. Mais après tout, Deneuve, Binoche ou Gainsbourg justement ont du longtemps attendre avant de l'obtenir. C'est l'actrice qui tourne avec un québécois, un américain, un australien, deux belges, son mari, les grands auteurs du cinéma français. Elle a troqué le taxi marseillais pour la limousine de Renault cannoise. Cotillard c'est la french touch du XXIe siècle.

Léa Seydoux. Dernière venue du casting. Il y a eu La vie d'Adèle, avant et après. Avant pourtant, elle était déjà un peu connue avec des auteurs comme Bonello, Breillat, Honoré, Ruiz. Mais Cannes, elle était surtout hors-compétition, en second rôle. Dans Robin des Bois et Minuit à Paris (comme Cotillard). Ou avec un personnage éphémère dans le premier chapitre de Inglorious Basterds en compétition.

Il faut attendre 2013 pour qu'elle s'impose. Dans Grand central à Un certain regard et dans La vie d'Adèle en compétition. Le film obtient la Palme d'or. On n'a d'yeux que pour sa partenaire, la novice et fraîche Adèle Exarchopoulos. Mais les deux comédiennes reçoivent une Palme chacune en distinction honorifique. Une première. Pour Léa Seydoux, c'est le grand virage. Les grosses productions s'ouvrent à elle, de James Bond à Wes Anderson. Elle devient la It-Girl frenchy du cinéma mondial.

Depuis sa Palme, elle est toujours en compétition: chez Bonello avec Saint Laurent, chez Lanthimos avec The Lobster, chez Dolan avec Juste la fin du monde. A l'instar de Cotillard, elle navigue entre blockbusters et films d'auteur, entre Tom Cruise et Benoit Jacquot. Elle assure la promo et assume son statut de "cover girl", avec belles robes, bijoux et ce petit accent français quand elle parle anglais. Elle aussi se joue des frontières, des genres, des étiquettes. Elle vise la catégorie "world actress". Avant la femme française faisait rayonner le cinéma du pays dans le monde ; aujourd'hui le cinéma mondial fait rayonner l'actrice française.

Cannes 70 : de la scène à la musique de films

Posté par cannes70, le 22 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

En partenariat avec Cinezik, Benoit Basirico nous décrypte les musiques qui ont fait Cannes.

Aujourd'hui, J-26. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Tout compositeur de musique de film est avant tout un compositeur. Avant de se mettre au service d’un film, d’un cinéaste, un musicien a très souvent, pour commencer, créé des œuvres pour lui-même. La musique de film n’est pas un métier, ni une vocation, mais est la conséquence de rencontres et de circonstances qui amènent tel musicien à rencontrer une image.

Après un parcours pour la scène, certains ont franchi un cap qui les lie exclusivement au cinéma au point de faire oublier leur première activité. C’est le cas de Danny Elfman que l’on associe au cinéaste Tim Burton en oubliant qu’il était d’abord leader du groupe de New Wave Oingo Boingo. C’est d’ailleurs pour un film très rock qu’on le retrouve à Cannes pour son unique présence en compétition (Hôtel Woodstock d’Ang Lee).

C’est la même chose pour Cliff Martinez qui était batteur des Red Hot Chili Peppers avant d’être identifié comme le compositeur de Steven Soderbergh (palme d’or en 1989 avec sa première B.O, Sexe, Mensonges et Vidéo, puis en compétition de nouveau en 1993 avec King Of The Hill) et il est surtout dernièrement associé à Nicolas Winding Refn (3 films en compétition : Drive, Only God Forgives et The Neon Demon l’année dernière).

Le japonais Ryûichi Sakamoto a conçu des albums de musique électronique à partir de 1978 avant de fréquenter le Festival de Cannes, lui aussi dès son premier film, en 1983 (pour Furyo de Nagisa ?shima, qu’il retrouvera à Cannes avec Tabou en 2000). C’est également à Cannes que l’incontournable Hans Zimmer fait ses débuts au cinéma. Alors membre - au synthé - du groupe The Buggles (avec le fameux “Video Killed the Radio Star”), il est en compétition du festival en 1984 avec Le Succès à tout prix de Jerzy Skolimowski. Il sera ensuite 5 fois présent en compétition notamment pour Rangoon de John Boorman en 1995. Cannes est ainsi toujours à la pointe des futurs talents musicaux.

Alors que Danny Elfman, Cliff Martinez ou Hans Zimmer ont complètement fait le deuil de leurs travaux solo ou de groupe, Sakamoto continue les deux activités conjointement avec une égale popularité. De plus, les compositeurs de cinéma renouent depuis quelques temps avec la scène (Ennio Morricone, Michel Legrand, Vladimir Cosma, et même Danny Elfman) en jouant leurs bandes originales en concert avec de nouvelles orchestrations (et en glissant quelques œuvres personnelles), une manière pour eux de renouer avec leur statut de compositeur exclusivement en sortant du contexte filmique, et ainsi surmonter ainsi quelques frustrations. A ce propos, Hans Zimmer est en concert à Paris Bercy le 11 juin 2017. Malgré ces présences scéniques, leur nom demeure associé au cinéma.

Parmi les musiciens dont la belle réputation au cinéma prend le relai d’une carrière d’albums, il y a souvent une belle rencontre avec 1 ou 2 cinéastes privilégiés. On peut citer Lim Giong qui est passé de la musique électronique à Taïwan à une collaboration avec Hou Hsiao Hsien et Jia Zhang Ke (en compétition 5 fois avec ces deux cinéastes, de Goodbye South, Goodbye en 1996, sa 2nd B.O, à The Assassin en 2015).

Nick Cave et Warren Ellis (associés sur les albums du chanteur australien) ont commencé au cinéma avec John Hillcoat (Ghosts... of the Civil Dead en 1988, puis en compétition à Cannes avec Des hommes sans loi en 2013) alors que le violoniste s’est émancipé avec le succès que l’on connaît pour Mustang (Quinzaine des réalisateurs, et le César à la clé). On le retrouve d’ailleurs cette année à Un Certain Regard avec Wind River de Taylor Sheridan.

Jonny Greenwood, guitariste et membre actif du groupe de rock Radiohead, s’est fait connaître au cinéma avec Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood en 2007), mais c’est pour Lynne Ramsay qu’il est venu à Cannes (We Need To Talk About Kevin en 2011).

Tout en étant un compositeur au sens large, et parfois musicien de scène comme nous venons de le voir, tout musicien n’est pas capable pour autant de devenir un compositeur pour le cinéma. Ce travail de musique à l’image implique des considérations et des compétences qui ne sont pas exclusivement liées à la composition elle-même, mais aussi à la compréhension du film, aux enjeux du récit... les compositeurs qui se consacrent exclusivement à cette activité peuvent ainsi par expérience et savoir-faire apporter leur compétence à un réalisateur pour le soutien du film.

Philippe Sarde (en compétition cette année pour la 21e fois avec Rodin de Jacques Doillon) se définit d’ailleurs comme un scénariste musical. Il est plus dans la considération du film que dans la musique elle-même, allant même jusqu’à proposer des modifications de montage au cinéaste. Bien souvent il s’agit pour le réalisateur ou producteur d’un choix de raison et un gage de confiance que de faire appel à un artiste qui connaît le cinéma. Ces compositeurs sont aussi caméléons, n’ont pas de style propre et défini (même si une identité et des éléments de personnalité peuvent se dégager). Pour les besoins d’un film, ils pourront alors convoquer un orchestre, un instrument soliste, une valse, un tango, du jazz, ou des sonorités plus électroniques.

Malgré les qualités requises pour écrire sur-mesure la musique d’un film, certains cinéastes invitent des musiciens issus du concert. Ils le font pour leur style propre, parce qu’ils ont aimé leur musique à l’écoute de leurs albums. Ils ne leur demanderont pas de faire autre chose, de sortir de leur territoire. Il s’agit donc ici de créer une confrontation entre deux univers plutôt que de provoquer une véritable collaboration.

C’est ce que fait Jim Jarmusch, lui-même par ailleurs musicien, lorsqu’il invite Neil Young à improviser avec sa guitare face aux images de Dead Man (en compétition, Cannes 1995). Hormis le rock, avec dernièrement Sqürl sur Paterson (Cannes 2016) et Only Lovers Left Alive (Cannes 2013), le cinéaste a pu explorer d’autres genres, tel que le rap avec RZA sur Ghost Dog (Cannes 1999) et le jazz à ses débuts par sa collaboration avec le saxophoniste John Lurie (à Cannes avec Down by Law en 1986 et Mystery Train en 1989).

D’autres réalisateurs ont pu manifester leur passion pour le rock, que ce soit Olivier Assayas avec David Roback, membre de Mazzy Star, sur Clean (Cannes 2004), et Sonic Youth, groupe de rock avant-gardiste américain sur Demonlover (Cannes 2002), Leos Carax avec Neil Hannon, leader du groupe de pop rock The Divine Comedy (Holy Motors, Cannes 2012) et avec le chanteur anglais Scott Walker sur Pola X (Cannes 1999).

Tous les styles musicaux ont fait leur cinéma, en voici une petite énumération non exhaustive.

Pour le rock, on peut ajouter Peter Gabriel (“Birdy” de Alan Parker, Cannes 1985), John Cale - ex-Velvet Underground (N'oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, Cannes 1995), ou encore David Byrne, chanteur du groupe new wave Talking Heads (This must be the place de Paolo Sorrentino, Cannes 2011). Pour la pop, il y a Bjork chez Lars Von Trier (Dancer In The Dark, Cannes 2000), Jon Brion chez Paul Thomas Anderson (Punch-Drunk Love, Cannes 2002).

Pour l’électro, Thomas Bangalter de Daft Punk officie chez Gaspar Noé (Irréversible et Enter the void et leurs polémiques cannoises), Moby chez Richard Kelly (Southland Tales, Cannes 2006), et les précurseurs Giorgio Moroder dans Midnight Express de Alan Parker (Cannes 1978), Vangelis (5 sélections dont Les Chariots de feu de Hugh Hudson en 1981), ou encore Tangerine Dream, groupe allemand psychédélique (Le Solitaire de Michael Mann, Cannes 1981). Cette année, Arnaud Rebotini, fondateur du groupe Black Strobe, est en compétition avec 120 battements par minute de Robin Campillo.

Pour le jazz, le clarinettiste Michel Portal est venu 5 fois à Cannes en compétition (dont Max mon amour de Nagisa Oshima, 1986). Amos Gitai a fait appel au saxophoniste norvégien Jan Garbarek (Kippour, Cannes 2000) et au clarinettiste et saxophoniste français Louis Sclavis (Kadosh, Cannes 1999).

Enfin, pour terminer avec la chanson française, il y a eu Serge Gainsbourg dans Tenue de soirée (Cannes 1986) de Bertrand Blier, Jacques Brel pour son propre film Le Far West (Cannes 1973), Philippe Katerine dans Peindre ou faire l'amour (Cannes 2005) des frères Larrieu, ou encore Jean-Louis Aubert chez Philippe Garrel qui faisait avec L'Ombre des femmes (2015) l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs où on le retrouve cette année avec L’Amant d’un jour.

Benoit Basirico pour Cinezik

Les quatre suites d’Avatar calées après 2020

Posté par vincy, le 22 avril 2017


James Cameron a profité de la Journée mondiale de la Terre pour annoncer le nouvel agenda des quatre suites d'Avatar.

Avatar 2 sortira finalement le 18 décembre 2020, le troisième opus est prévu un an après, le 17 décembre 2021. Puis il faudra attendre le 20 décembre 2024 pour le quatrième épisode et le 19 décembre 2025 pour l'épilogue.

James Cameron déclare être "heureux de travailler avec la meilleure équipe qui soit !"

"Les suites d’Avatar sont imaginées comme des films pleinement divertissants à part entière, qui une fois ensemble, formeront une saga épique" indique le communiqué.

En 2013, James Cameron avait annoncé trois suites, qui devaient sortir au mois de décembre des années 2016, 2017 et 2018. Il y a un an, alors que le projet était déjà décalé, le réalisateur révélait qu'un cinquième film verrait le jour. Avatar 2 était prévu alors pour Noël 2018 puis les trois autres films fin 2020, fin 2022 et fin 2023. Depuis quelques semaines, on savait que ce calendrier ne serait pas garantit.

Avatar 2 sera donc en salles avec quatre ans de retard, et onze ans après le premier film, qui avait 2,8 milliards de $ au Box office mondial.

Cannes 70 : ça va tourner sur la Croisette, chérie !

Posté par cannes70, le 21 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-27. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .



Le Festival de Cannes fait rêver les cinéphiles. Ceux qui cèdent, ne serait-ce qu'une fois, à l'appel de la Croisette sont mordus, sinon pour l'éternité, au moins pour très très longtemps. Pourtant, assez étrangement, le lieu n'a que peu aiguisé l'inspiration des réalisateurs. Peu de longs-métrages de fiction ont été tournés pendant le Festival ou se déroulent dans son cadre.

Lors de l'annonce de la sélection officielle 2017, un nom est ressorti à deux reprises, celui du stackhanoviste Hong Sangsoo qui sera présent avec ses deux derniers longs-métrages. Le Jour d'après sera présenté en compétition, un autre le sera en séance spéciale avec Isabelle Huppert, qu'il avait déjà dirigée dans In Another Country. La comédienne, interrogée par La Montagne avait présenté ce projet en quelques mots : «un film vite fait bien fait, mais un vrai film, qui s'appelle La Caméra de Claire. Quatre histoires qui s'entrecroisent». Une comédie tournée l'an dernier à Cannes, juste avant et pendant le Festival en toute discrétion et indépendance, comme souvent / toujours chez ce cinéaste que l'on adore retrouver à intervalles (très) réguliers pour des films qui ne cessent de se ressembler et d'être pourtant très différents à chaque fois.

Tourne à Cannes, pourriture de cinéaste !

Pour le trio Alain Chabat / Dominique Farrugia / Chantal Lauby, le Festival de Cannes est «l'événement médiatique que le monde nous envie mais le monde du cinéma est parfois une jongle bien cruelle». Dans La Cité de la peur, une comédie familiale, le film de Les Nuls (désolé, mais pour moi c'est le titre complet), un tueur habillé en ouvrier sidérurgiste, armé d'une faucille et d'un marteau, prend un malin plaisir à occire des projectionnistes (Jean-Pierre Bacri, Eddy Mitchell…). Leur point commun ? Tenter de faire découvrir à un public ébahi mais totalement pas intéressé une série Z fauchée, Red is dead, présenté au marché du film dans l'une des salles des Arcades.

Odile Deray, l'attachée de presse, se réjouit de ces meurtres car soudain les journalistes s'intéressent à ce nanar que personne ne veut voir et qui est représenté uniquement par son acteur idiot, le toujours content Simon Jérémi. Sam Karmann, Palme d'or du court deux ans plus tôt pour Omnibus, apparaît dans un rôle peu gratifiant physiquement mais hilarant. Gérard Darmon alias le commissaire Bialès évoque dans un entretien les conditions de tournage : «On l'a fait en plein mois de juillet, donc pas du tout dans la période festivalière. Recréer cette ambiance de festival… La montée des marches, la Carioca dans le Palais... C'est un souvenir indélébile». Cette citation ne devrait pas en devenir un, désolé.

La course-poursuite d'Alain Chabat / Serge Karamazov est l'un des rares enregistrements cinématographiques de la longue, longue, longue remontée de la Croisette (incomplète ceci dit mais respectons la liberté des artistes au détriment d'une dimension historique honteusement chamboulée) effectuée parfois plusieurs fois par jour par les festivaliers qui vont d'une section à une autre, du Palais du festival où se déroulent, en résumé, les projections officielles (le grand bâtiment dans le dos de Chabat) jusqu'aux salles de la Quinzaine des Réalisateurs et de la Semaine de la Critique à plus de dix minutes de là. Il faut savoir que de nombreux festivaliers pensent à cette séquence en remontant cette longue, longue, longue avenue, partageant hélas certaines souffrances du héros. Et je ne parle pas forcément des mimes.

Cette comédie hilarante aurait mérité une sélection officielle mais hélas, il n'en fut rien. Néanmoins, le film se révèle prophétique. Futur président du Festival de Cannes en remplacement de Gilles Jacob, Pierre Lescure, cofondateur de Canal + et co-artisan de la formation des Nuls, fait une apparition, tout comme le (futur) réalisateur Michel Hazanavicius dix-sept ans avant sa première invitation en compétition avec The Artist. Revenu en 2014 avec The Search, il sera présent une troisième fois déjà cette année avec Le Redoutable dans lequel il se moque, dans le teaser ci-dessous, du Festival de Cannes. «Il faut être complètement con pour aller à Cannes cette année ! Avec tout ce qui se passe en ce moment ! » lance avec verve un personnage. On admirera la jolie formule qui reflète certainement l'opinion de Godard à l'époque (au moins par esprit de contradiction) et de Hazanavicius aujourd'hui, même dans des contextes différents.

Youpi, tournons au Palais des Festivals

1994 toujours. Dans Grosse Fatigue dont il est le réalisateur et l'acteur principal, Michel Blanc voit sa vie de personnalité populaire chamboulée par un sosie parfait à la rancœur agressive. Ce double maléfique s'en prend à des vedettes du cinéma, tentant de violer, au sein même du prestigieux Carlton (où il a récupéré la chambre de Gérard Depardieu), quelques jeunes actrices dont Mathilda May ou la toute jeune et timide Charlotte Gainsbourg. Sur une idée de Bertrand Blier - qui lui avait permis de remporter un prix d'interprétation à Cannes, sacré effet miroir - il signe une charge sarcastique sur la relativité de la notoriété et montre l'envers du décor de façon toute personnelle. En remportant le prix du scénario, Michel Blanc devenait l'un des rares artistes primé sur la Croisette à la fois devant (Tenue de soirée de Bertrand Blier) et derrière la caméra, comme Orson Welles pour citer un autre exemple pas trop écrasant. Cerise sur le gâteau, il relance à lui seul ce Prix qui n'avait pas été attribué depuis dix ans et redevient permanent dès 1996.

Gilles Jacob fait une apparition dans son propre rôle de «big boss» du festival, ce qu'il fera une nouvelle fois dans de Femme Fatale, un thriller de Brian de Palma sorti en 2002, avec Rebecca Romjin Stamos en voleuse de luxe. Tourné en 2001 en plein festival, avec la participation du réalisateur Régis Wargnier et de Sandrine Bonnaire (son actrice de Est/Ouest), le film s'ouvre sur une soirée de gala avec un «braquage» inédit, celui d'une robe de soirée très peu habillée mais d'une valeur près de dix millions de dollars car composée de nombreux diamants. Le joli mannequin interprété par Rie Rasmussen, est délicatement déshabillé dans les toilettes du Festival, sur fond de Boléro de Ravel pour cacher l'aspect bruyant du vol et comme métronome pour les effets de montage d'un maître de la mise en scène. Le film est dans l'ensemble décevant, mais cette partie est assez savoureuse et offre là encore un angle pour le moins inédit sur le Festival malgré la déception que suscite le film dans son ensemble.

En 1982, dans le semi-autobiographique La Mémoire, Youssef Chahine se dévoile à travers son personnage de metteur en scène qui, après une crise cardiaque, se remémore son parcours de cinéaste sur près de trente ans. Il évoque son lien affectueux (et angoissé) avec le festival qui lança sa carrière internationale lorsqu'il présenta Le fils du Nil en 1952 puis Ciel d'enfer en 1954, le cinéaste revivant une scène embarrassante de cette année là. En 1997, il recevra un prix pour l'ensemble de sa carrière des mains de la présidente du jury, Isabelle Adjani.

Dans Un scandale presque parfait de Michael Ritchie l'année suivante, un réalisateur (Keith Carradine) se lance dans une liaison avec la femme (Monica Vitti, révélée par le festival avec L'Avventura) d'un producteur (Raf Vallone) alors que la copie de son film est bloquée par la douane, une anecdote inspirée de la même mésaventure arrivée à George Lucas lorsqu'il présenta THX 1138 à la Quinzaine des Réalisateurs. Des images ont été tournées pendant le festival mais l'essentiel du tournage a eu lieu en septembre, là encore hors saison.

S'ajoutent en bref à cette liste un épisode de Amicalement vôtre, le duo Danny Wilde (Tony Curtis) et Brett Sinclair (Roger Moore) passant notamment devant le vieux palais ; le téléfilm Evening in Byzantium de Jerry London en 1978 dans lequel le festival est investi par des terroristes qui exigent la libération de leurs complices alors qu'un producteur de Hollywood essaie de monter un film sur une invasion terroriste ; Les 1001 Nuits d'Agnès Varda avec une montée des marches pour le Monsieur Cinéma de Michel Piccoli (sa partenaire Julie Gayet deviendra une madame Cinéma en tant que productrice cannoise, notamment de Mimosas et Grave en 2016) ; Festival in Cannes de Henry Jaglom avec Anouk Aimée et Les Vacances de Mr. Bean avec Willem Dafoe en réalisateur qui rencontre le héros maladroit joué par Rowan Atkinson et le dernier, au moins jusqu'au Hong Sangsoo que nous découvrirons au mois de mai, la peu concluante satire Panique à Hollywood de Barry Levinson, que Robert De Niro ne parvient pas à relever.

Des documentaires dont Seduced and Abandoned de James Toback avec Alec Baldwin et surtout plusieurs réalisés par Gilles Jacob lui-même (Une journée particulière avec les 35 réalisateurs de Chacun son cinéma ainsi que trois films de montage : Histoire(s) de festival ; Les Marches et Epreuves de cinéma) se déroulent complètement ou en partie à Cannes, le lieu favorisant les rencontres professionnelles, malgré les emplois du temps serrés des acteurs et réalisateurs. Appel du pied à monsieur Frederick Wiseman : à quand un documentaire fleuve comme il sait si bien le faire sur les coulisses de ce grand barnum du 7e Art avant que n'importe qui ne s'empare du sujet ? Car cela arrivera bien un jour, non ?

À ce propos… Deux films aux titres très proches – que l'auteur de ces lignes n'a pas encore vu (bouh, le vilain) - vont tenter de se faufiler avec un certain opportunisme dans la prochaine actualité cannoise. L'un est un documentaire. Dans Le Goût du tapis rouge, Olivier Servais a filmé des professionnels du cinéma, travailleurs, mannequins, cinéphiles, groupies, artistes de rue, badauds, vendeurs à la sauvette et sans-abris dans l'effervescence de la manifestation. Sortie le 17 mai, jour de l’ouverture officielle. Pour Le Tapis Rouge tout court, c'est un film de Frédéric Baillif et Kantarama Gahigiri, entre documentaire et fiction, sur un groupe de jeunes qui vont tenter d'écrire et de réaliser un film pour s'approcher des marches du palais, des marches du palais, y a une tant belle palme, Lonla, y a une tant belle palme. Oui, c'est ma conclusion…

Pascal LeDuff de Critique Film