Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 1, les débuts

Posté par MpM, le 9 mai 2018, dans Cannes, Festivals, Films, Quinzaine 50.

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.


Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sûr pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilerons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Comment êtes-vous devenu délégué général de la Quinzaine ?

Je dirigeais un ciné-club universitaire à Lille. Ça marchait très bien, j'avais une belle salle en gradins, au CRDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique) qui dépendait de l'université. J'avais fait venir des metteurs en scène, des membres de la fédération française des ciné-clubs. Mon ciné-club commençait à huit heures et demi et pouvait finir à cinq heures du matin. J'obtenais des copies de la Cinémathèque de Bruxelles grâce à son directeur Jacques Ledoux, Henri Langlois m'en prêtait également. Et j'ai fait venir Jacques Doniol Valcroze, Pierre Kast ou Jean-Daniel Pollet [certains des futurs fondateurs de la SRF], ainsi que Claude Miller avec son premier court-métrage. Quelques metteurs en scène étrangers aussi.

Dès que j'avais un peu de temps, je venais trois ou quatre jours à Paris par semaine. Je passais plus de temps à Paris que sur les bancs de l'université ! Je bouffais du film ! De dix heures du matin jusqu'à 18h, les films de l'actualité au Champo - je m'en tapais quatre-cinq, en bouffant juste un sandwich - et ensuite à 18h30 j'étais à la Cinémathèque et j'enchaînais ensuite deux autres séances. Trois films par soir donc, à Chaillot ou rue d'Ulm. Et là j'apercevais Langlois. Je suis arrivé à Paris, je ne connaissais personne, je ne savais pas comment faire. Je l'aborde et je lui demande de m'aider, car je voulais faire du cinéma. Je lui ai dit «C'est à cause de vous ! J'ai pris le virus chez vous, donc vous êtes responsable, il faut m'aider !» Il me dit «très bien, vous êtes mon chauffeur !». Je suis donc devenu son chauffeur, avec ma deux chevaux, et tous les soirs je voyais des films, tous les soirs, je mangeais avec des metteurs en scène qu'il recevait.

J'ai ensuite téléphoné à Pierre Kast en lui disant que je cherchais du travail, comme assistant. Je n'avais jamais vu une caméra de ma vie ! Il me dit d'appeler Doniol qui s'apprête à tourner et m'engage sans me demander si j'avais fait fait des films. Le tournage du film, La Maison des Bories, est retardé. Après l'affaire Langlois puis la fermeture de Cannes, la SRF s'est créée. En novembre, Doniol me propose le poste. L'idée de me confier la Quinzaine venait de Jean-Gabriel Albococco, c'est clair, net et précis. J'ai dit oui, bien sûr ! Je leur ai raconté que je connaissais Cannes par coeur. Ce n'était pas vrai et je ne suis pas certain que Valcroze m'ait cru, car il était trop malin. J'ai eu carte blanche pour sélectionner les films, qui devaient rendre compte de l'air du temps.

Pierre Kast, Louis Malle et Jean-Gabriel Albicocco en mai 68

C'était un désordre indescriptible, cette préparation ! Il a fallu tout improviser mais c'était rigolo. J'étais aidé d'une petite équipe : Jean-Jacques Schakmundès, un ami qui travaillait avec moi à la télévision scolaire ; Chantal Nicole, alors secrétaire de Jean-Gabriel Albicocco et un jeune garçon de 18 ans, raide fou, mais génial. C'était Richard Dembo qui plus tard aura l'oscar du meilleur film étranger avec La Diagonale du fou. On a beaucoup improvisé. Mais la Quinzaine s'est rapidement structurée entre les deux premières éditions. J'ai vite compris comment ça fonctionnait, Cannes. La première année, nous n'avions qu'une affiche-programme, l'année d'après, j'ai fait un petit catalogue ronéotypé que j'ai distribué moi-même dans les casiers de presse.

Quel a été l'accueil critique de cette première édition ?

Il n'y a quasiment pas eu de critique, presque aucun papier, spécialement dans la presse française. Je me souviens que ce n'est qu'au milieu du festival que j'ai vu arriver un critique français. C'était Jean-Louis Bory. Il vient me dire «je fais un effort, je viens dans ton festival». Il était bronzé comme tout ! Je lui dis « tu vois deux films par jour, et tu as bronzé dans les salles de projection ? Ce n'est que maintenant que tu viens voir mes films ? Tu plaisantes ? ». Ils nous boudaient, ne nous prenaient pas au sérieux. Ou alors ils s'en fichaient, ça les embêtait, je ne sais pas. Jean de Baroncelli, le critique du Monde, a écrit «À la Quinzaine, il paraît qu'il y a eu ça d'intéressant, je ne l'ai pas vu, mais on ne peut pas tout voir». Faut pas déconner ! Ce sont les étrangers qui sont venus les premiers.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

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