Les rencontres animées de l’été (2/6) : Gilles Cuvelier, réalisateur de (Fool Time) Job

Posté par MpM, le 27 juillet 2018, dans Courts métrages, Films, Personnalités, célébrités, stars.

A l'occasion de cette pause estivale, Ecran Noir part à la rencontre du cinéma d'animation. Six réalisatrices et réalisateurs de courts métrages parlent de leur travail, de leurs influences et du cinéma en général.


Pour ce deuxième épisode, nous avons posé nos questions à Gilles Cuvelier, réalisateur français révélé en 2005 avec Chahut, présenté au Festival d'Annecy, puis sélectionné à la Semaine de la Critique en 2010 avec son film Love patate, et que l'on retrouve régulièrement aux génériques des films de ses collègues du Studio Train-Train et de la société de Production Papy3D (qu'il a tous deux participé à créer).

Cette année, son dernier film en date (Fool Time) job était notamment en compétition à Clermont-Ferrand (à la fois en sélection nationale et internationale) et à Annecy. Cette fable clinique et noire raconte l'histoire d'un homme contraint d'accepter un travail ambigu et inquiétant pour nourrir sa famille. Sa mise en scène ultra précise et son sens aigu de l'ellipse permettent d'avancer implacablement vers un trouble de plus en plus palpable. L'épure du récit, le choix du noir et blanc et l'actualité brûlante du contexte social du film lui confèrent une dimension quasi prophétique qui n'en est que plus glaçante.

Ecran Noir : Votre film est ancré dans son époque, avec un fond social et politique extrêmement fort. Comment est-il né ?

Gilles Cuvelier : Le film devait au départ être une relecture des Chasses du comte Zaroff. Mais son origine première vient d'un dessin représentant celui qui allait devenir le personnage du film, en train de se déshabiller dans une forêt, face à un casier métallique. J'avais donc ce thème de la chasse à l'homme en tête. Puis le projet a été en pause plusieurs années car je travaille pour beaucoup de réalisateurs entre deux films personnels. Le jour où j'ai repris le scénario, j'ai en grande partie gommé cet aspect premier (la chasse à l'homme) pour y introduire cette observation du monde du travail et consolider le thème principal du film : la domination.

EN : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les choix esthétiques ? Comment se sont-ils faits ?

GC : J'ai assez rapidement choisi le noir et blanc. Mes références pour ce choix sont plutôt les films de Jarmusch en noir et blanc et notamment Down by law, même si au final on a du mal à le déceler. La couleur ne m'apportait que des problèmes pour ce film. Je ne voulais pas distraire le spectateur avec de « belles » ambiances colorées. Par contre, la lumière était primordiale. Pour les personnages, dès le départ je les voulais mi- humains, mi-animaux. Avec leurs becs, ils peuvent rappeler les oiseaux. Le personnage principal n'a pas de bouche, je vois son visage un peu comme un masque. L'image du film est très grouillante, très dense et granuleuse, chose présente dès mes premières esquisses. En général, je fais peu de recherches. J'affine l'aspect du film en le commençant.

EN : L'animation, aux yeux du grand public, ne va pas forcément de pair avec engagement et sujets politiques. Quel atout offre-t-elle, à votre avis, pour traiter de telles thématiques ?

GC : Je pourrais répondre qu’elle offre avant tout un regard décalé. Un pas de côté. Même pour des sujets actuels ou réalistes. Une chanson engagée offre autre chose qu’un article de journal engagé lui aussi. Mais ce côté décalé n’est pas l’apanage de l’animation, la prise de vue réelle en est tout autant capable et souvent bien plus efficace !
En fait c’est le cinéma tout court qui est capable de ça. En tout cas pour quelqu’un comme moi qui fait un cinéma narratif plutôt classique, j’évite au maximum de me poser la question de savoir si l’animation est justifiée ou non, ou si elle apporte quelque chose ou non. Je ne pense jamais à ce que peut apporter ou non l'animation pour mes films. C’est juste mon mode d’expression propre et la façon de fabriquer des films qui me convient le plus.

EN : Quel a été le principal challenge au moment de la réalisation ?

GC : Comme je n’aime pas faire deux fois la même chose, pour ce film, je n’ai pas fait de storyboard mais directement le layout ( la phase juste avant l’animation). J’ai donc construit la mise en scène de façon chronologique et le film s’est monté petit à petit comme ça. Normalement on ne procède pas ainsi mais cela m’a permis d’improviser durant toute la fabrication du film. Et de ne pas m’ennuyer ! J’avais donc le scénario en tête (que je n’ai jamais ouvert durant la fabrication) et j’ajoutais des scènes ou j’en enlevais au gré des besoins du film. Je pense que cette façon de faire a vraiment eu un impact sur la mise en scène. Si le film est si étrange dans son rapport aux ellipses et à la temporalité en général, c’est en grande partie dû à cette méthode peu conventionnelle, je pense.

EN : Quel genre de cinéphile êtes-vous ?

GC : Un vrai gruyère ! Un cinéphile à trous ! Ça va des Feebles de Peter Jackson à Stalker, avec d’énormes lacunes que j’essaie de combler au fur et à mesure des années. Mon enfance et mon adolescence ont été bercées par les films grand public américains des années 80. Et même si je ne fais absolument pas ce genre de films, cela a certainement influencé certaines choses en moi. Mais je voyais aussi des films que je n’aurais jamais dû voir à l’époque. Je pense à Délivrance par exemple, que j’ai dû mater avec mes parents quand j’avais une dizaine d’années, sur le canapé familial. N’appelez pas la police s'il vous plaît !

EN : De quel réalisateur, qu’il soit ou non une référence pour votre travail, admirez-vous les films ?

GC : Le nom qui me vient aujourd'hui est Jim Jarmusch. De plus en plus.

EN : Quel film (d’animation ou non) auriez-vous aimé réaliser ?

GC : Alors là, je ne vais pas faire le malin en vous citant un film d’auteur obscur pour faire bien. J’aurais adoré réaliser un film comme Retour vers le futur, ou Gremlins, ou Ghostbusters... Bref un film de la bande Zemeckis, Reitman, Spielberg, Dante... Des films populaires, malins et ambitieux. Mais je reste sur Retour vers le futur qui synthétise un peu le meilleur de ce cinéma selon moi. Je pense que les tournages de ces films devaient être incroyables.

EN : Comment vous êtes-vous tourné vers le cinéma d’animation ?

GC : Rien que de très banal. Je voulais faire de la BD, puis j’ai opté pour les Arts Appliqués après mon bac scientifique. Après un BTS, la première section post bac publique en animation s’est créée dans mon école, l’Ésaat, et j’ai été pris. Avant cela, ces métiers me paraissaient inaccessibles et je ne voyais pas trop comment m’en approcher. Puis après ce DMA [Diplôme des métiers d'art] et 2 ans aux Gobelins ( pour info : 5000 francs l’année à l’époque, si des étudiants me lisent), j’ai commencé à travailler aux Films du Nord, qui m’ont permis de réaliser mon premier film, Chahut, en 2005. Le déclic pour le court fut une émission sur Arte avec pour thème les films de l’école de la Cambre, dans les années 90, ainsi que l’Oeil du Cyclone sur Canal plus. J’ai par contre détesté mes stages sur de grosses séries animées. Je préférerais changer de métier plutôt que de revivre ça !

EN : Comment vous situez-vous par rapport au long métrage ? Est-ce un format qui vous fait envie ou qui vous semble accessible ?

GC : Je milite pour des longs peu chers ! Et des films plus adultes. L’animation peut coûter moins aujourd’hui et prendre moins de risques financiers pour pouvoir faire des films autres que des films tout public. Sans devoir passer 6 ans à trouver 5 ou 7 millions et multiplier les intervenants et les décideurs qui nuisent souvent à l’intégrité du film. Donc oui, cela me semble accessible. Mais à moi de convaincre les décideurs que c’est possible. Que l'on peut faire autrement.

EN : Comment voyez-vous l’avenir du cinéma d’animation ?

GC : Cela dépend où on se place. Le court a explosé et s'est professionnalisé depuis 15 ans. Le long européen existe de plus en plus ( mais restons réalistes, beaucoup d’échecs au niveau des entrées pour nombre d'entre eux...) Il y a une relocalisation des métiers, on manque d'animateurs par exemple. Artistiquement, le long commence à nous proposer autre chose et c'est bien. Mais ce sont les films des grands studios US qui raflent la mise. L'animation est partout, et pas seulement dans les films. On dit que le milieu de l'animation est fait de creux et de vagues. Je pense qu'on est en haut de l'une de ces vagues justement...


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