Edito: La caravane et les migrants

Posté par redaction, le 6 mai 2016

Dernier week-end avant Cannes (et ironiquement notre une est sur le Lion d'or de Venise, comme une manière de boucler le cycle 2015). L'équipe du festival est déjà sur la Croisette. Les premiers accrédités vont arriver ce week-end. Mais le gros de la migration se fera mardi et mercredi. Une caravane migratoire qui fait chaque année le même trajet, qu'importe s'il pleut ou si le soleil est au rendez-vous.

Cannes est un fantasme de cinéphile: orgie de films matin midi et soir, une grande bouffe (et on en redemande) de cinéma ; fêtes à gogo pour dormir le moins possible et tels des marathoniens mettre notre corps à rude épreuve (et se dire "we dit it!") ; métabolisme défié avec peu de nourriture, beaucoup d'alcool, trop de visages à qui dire bonjour, gérer un planning inhumain ; etc...

Pour nous ce sera notre vingtième voyage. 20 Cannes dans les pattes. On espère encore découvrir des films qui nous marqueront, on rêve toujours de vous enthousiasmer avec les films qui nous plairont, et on saura une fois de plus que c'était "the place to be". En avion, en train, en voiture, on se délocalise chaque année vers la Riviera française, persuadés, à raison, que le meilleur du 7e art nous y donne rendez-vous. Un rendez-vous speed, orgasmique, intense, dont les rares séquelles sont un mal de dos pénible et une fatigue réjouissante.

Edito: Cannes, feel-good fest

Posté par redaction, le 28 avril 2016

Certains se plaindront du trop grand nombre d'habitués, ces fameux "abonnés" de la Compétition cannoise. Très peu de cinéastes en lice pour la Palme d'or monteront les marches pour la première fois et encore moins viendront présenter un film à Cannes pour la première fois (deux pour être exact). 2016 ne sera donc pas une édition originale mais elle peut-être audacieuse. Au moins elle sera prestigieuse. Et même très variée dans ses styles cinématographiques. Une chose est certaine, dans ces 21 films en compétition, et on peut y ajouter l'ensemble de la Sélection officielle (rappelez-vous Mad Max Fury Road et Vice-Versa l'an dernier), une grande partie des films à voir cette année seront à Cannes, comme tous les ans. Ils seront dans les Top 10 et les palmarès: Oscar du meilleur film en langue étrangère, César du meilleur film, Prix Louis-Delluc, ... régulièrement ce sont des films cannois.

Cependant la sélection cannoise cette année, avec ce côté "best-of", d'Almodovar aux Dardenne, de Farhadi à Jarmusch, de Nichols à Winding Refn, est aussi une édition rassurante. Pas besoin de brevets en cinéphilie. La dose de star nécessaire pour la presse people et et les photographes. Et surtout, avec des films allant des vampires à l'animation, du docu au mélo, de la comédie au thriller, Cannes 2016 sera peu politique, a priori, mais assez divertissant.

Thierry Frémaux a très bien compris que l'époque était anxiogène et il démontre avec ses choix que le cinéma reste un art populaire, ce qui ne veut pas dire dénué de qualités cinématographiques. Les cinéastes sont également responsables de cette volonté d'aborder l'homme et son environnement plutôt que de proposer des films frontalement "engagés". La donne aurait été radicalement différente si un Snowden d'Oliver Sone ou le dernier Bonello avaient été sélectionnés. Ce qui ne veut pas dire que ce 69e Festival n'évoquera rien de "politique" : on y verra des films évoquant le racisme, l'humanitaire, le consumérisme, l'individualisme, la dictature, la crise... Mais assurément Cannes a voulu envoyer un message: le cinéma doit rester un plaisir protéiforme et le festival veut être davantage bienveillant avec ses fidèles amoureux du 7e art.

Edito : printemps, pollen et pop-corn

Posté par wyzman, le 21 avril 2016

Tandis que les beaux jours sont de retour, les comédies envahissent nos salles obscures. En effet, après un hiver et un printemps remplis de blockbusters et de drames sérieux, l'heure est désormais aux rires. Et cela avant les pépites qui seront servies directement sous nos yeux lors du 69e Festival de Cannes. Mais en attendant cet événement que l'on suivra pour la vingtième fois, distributeurs et exploitants tentent d'attirer dans les salles entre les deux blockbusters que sont Batman v Superman - L'Aube de la justice et Captain America : Civil War.

Mais rassurez-vous, les fans de blockbusters ne seront pas en reste cette semaine. Tandis que l'on redécouvrait Le Livre de la jungle dans une version en live-action la semaine dernière, c'est aujourd'hui que débarque Le Chasseur et la reine des neiges. Exit Kristen Stewart, Jessica Chastain est dans la place ; tandis que Charlize Theron et Chris Hemsworth continuent de faire le job.

Et pour les autres? Blind Sun, Everybody wants some ou Robinson Crusoé, il y en a pour tous les goûts. Films très accessibles ou plus confidentiels, ceux que l'on aime comme La Saison des femmes ou Mékong Stories on ne risque pas de s'ennuyer niveau ciné. Jeunes ou vieux, ambitieux ou glandeurs, farceurs ou patients, les films de fiction ou documentaire que sont Adopte un veuf, Les malheurs de Sophie et Le potager de mon grand-père vont vous divertir, vous enchanter, ou vous inspirer !

Le printemps est là, le pop-corn n'a pas bougé, le pollen n'est plus très loin et le cinéma demeure encore et toujours l'endroit où il fait bon d'être. Et ça tombe bien ! Alors que la zone C est désormais en vacances, la journée parfaite inclut le plus souvent un passage dans une salle obscure. Surtout depuis qu'UGC a lancé sa carte Illimité pour les jeunes.

Edito: La jungle cannoise

Posté par redaction, le 14 avril 2016

Ça y est. Le compte-à-rebours est lancé pour le 69e Festival de Cannes. Le 11 mai, la planète cinéma se donnera rendez-vous sur la Cote d'Azur. 40000 accrédités (dont 4500 journalistes) et tous ceux qui profitent de l'événement (grandes marques, sociétés d'événementiel, artistes, élus...) débarqueront dans une ville qui a subit des inondations catastrophiques l'automne dernier et qui sera placée en zone de haute sécurité pour cause d'Etat d'urgence. A une époque, il y avait un bateau de la Marine américaine qui surveillait la baie durant le Festival, sans doute pour protéger les citoyens de l'Oncle Sam.

Cannes, c'est une jungle avec toutes les espèces possibles. Ceux qui bronzent et ceux qui ont l'air de vampires à force de passer leur temps dans les salles ou de vivre la nuit. Les exclus (qui ne voient pas les films mais espèrent croiser une star) et les "in" (qui regardent plus souvent leur smartphone que les gens qu'ils percutent sur la Croisette). Les producteurs, exploitants, cinéphiles, critiques, attachés de presse, distributeurs, etc.. qui côtoient les agents, les organisateurs de festivals, les signataires de gros chèques, les employés du festival, les vedettes venues là pour tester leur popularité. La jungle est une immense foire cosmopolite et cacophonique - Cannes ne dort jamais - où chacun essaie de survivre à ce "cinéthon" de 12 jours.

Ecran Noir fêtera son vingtième festival cette année. Et de cette expérience, on tire quelques leçons: un palmarès n'est jamais prévisible; les films les plus attendus sont souvent les plus décevants; les flms dont on ne sait même pas écrire le nom du réalisateur sont souvent les plus excitants; il faut dormir au minimum 4 heures par nuit pour ne pas s'endormir en salle; si on peut voir quelques films à Paris (c'est bon pour le planning), rien ne vaut l'expérience l'enchaînement des projections cannoises (c'est plus stimulant); éviter à tout prix le parcours entre le palais et une section parallèle au moment de la montée des marches; oublier l'idée qu'il y a une actualité voire un monde en dehors de Cannes - sauf quand Strauss-Kahn se fait choper à New York; faire une grosse réserve de café ou de thé; et enfin tout ce qui se passe à Cannes reste à Cannes (même si, avouons-le, à raison de 3 à 5 films par jour, on ne voit pas très bien ce qu'on peut faire de si immoral).

Cannes a ce petit je-ne-sais-quoi qui fait que le Festival est unique. Sa configuration géographique, sa liste de grands noms du cinéma, son mythe et son image "bigger-than-others", ses soirées et ses bars en font un festival pas comme les autres. Dans cette Jungle il s'agit de ne pas perdre son badge, son téléphone, ses lunettes de soleil (ou son parapluie), et son planning de projos. Une fois armés de tout cela, l'accrédité est paré pour affronter la foule, les files d'attente, les serveurs pas forcément sympas, les "Raoul" d'un autre temps que les "moins de 20 ans" n'ont pas connu, les micros qui se tendent à peine le générique de fin terminé (sans nous laisser digérer le film), et la batterie du smartphone qui ne tient pas une journée.

Cannes c'est aussi ça. Une excitation qu'il faut tenir durant 12 jours. Sans débander (certes, quelques uns trichent avec des substances déconseillées). Parfois quelques orgasmes. C'est un plaisir continu. Cette année, le 69 promet d'être torride. Une étreinte mutuelle où l'on promet un Festival bienveillant avec les festivaliers et des festivaliers qui ont envie d'aimer les films projetés. Comme dans le Mépris, Cannes nous demande si on aime ses films. Comme dans Le Mépris, on répond oui (pas toujours, mais quand même assez souvent). Et parfois, on répond qu'on aime ce Festival "totalement, tendrement, tragiquement." Des pieds (qui souffrent) aux yeux et aux oreilles (qui survivent). Il n'y a bien que les fesses qui se reposent.

Edito: L’avenir, quand on a 17 ans

Posté par redaction, le 7 avril 2016

Quand on a 17 ans, on a l'avenir devant soi. Mais il semble que ce soit plus compliqué à imaginer quand on vieillit, que la mort rode. Etrangement, cette semaine, les fantômes hantent les salles de cinéma. Le deuil est ainsi diversement vécu. Jake Gyllenhaal est prêt à tout démolir, avec une certaine jubilation. Tom Hiddleston cherche vainement un anonymat au milieu de gens qu'il ne connaît pas. Kate Dickie et Paul Higgins se sont isolés dans une forêt, se coupant de tout contact avec le reste du monde. Dakota Johnson fuit le paradis factice d'une villa italienne pour retourner chez sa mère. Le peuple argentin refuse qu'on lui retire le corps de son idole défunte, Evita, prête à être embaumée. Et le spectre de Manoel de Oliveira plane dans un film posthume.

Quand on a 17 ans, que son père meurt, on peut toujours lutter: on ne pense qu'à l'amour, aux sentiments, aux sensations, à ce désir prégnant qui nous donne l'impression d'être invincible, capable de toutes les audaces, d'être comme des lions, de passer des nuits debout, de croire que Demain sera toujours meilleur. Il suffit de faire confiance à la vie. Le cinéma, quand il nous renvoie cette envie folle de vivre par procuration des moments que l'on a pu vivre ou, mieux, que l'on aurait aimé vivre, est alors doté d'une force ensorcelante qui réveille en nous le plaisir pervers qui nous conduit dans une zone floue où réalité et rêve se confondent.

Quand on 17 ans, on peut aimer croire aux fantômes ; et on ne sait pas encore qu'ils existent vraiment quand nos proches sont passés de l'autre côté du Styx. On dérive alors sur son Y. En espérant atteindre l'instant X. Le 7e art joue alors de catalyseur et même, parfois, d'embarcation vers ces limbes virtuelles où les personnages fictifs deviennent comme nos amis. On se prend d'empathie ou de compassion pour ces gens qui souffrent de la perte de leur épouse, soeur, fils, père, icône.

"Et si la mélancolie nous gagne infailliblement lorsque nous sommes au bord des eaux, une autre loi de notre nature impressible fait que, sur les montagnes, nos sentiments s'épurent". Quand on a 17 ans, on devrait lire Honoré de Balzac.

Edito: Voyages en rêves

Posté par redaction, le 31 mars 2016

Le cinéma a cette faculté méconnue de nous faire voyager sans impacter notre empreinte carbone (ou presque). Et même si cela incite à sauter dans le premier avion sur le tarmac, on peut, malgré tout, s'offrir pour un ticket de cinéma un voyage immobile vers une destination exotique ou insolite. Cette semaine, les films nous offrent les neiges québécoises, les falaises japonaises, les montagnes de l'Ariège, les champs écossais, les plages thaïlandaises, les forêts irlandaises, les terres portugaises, les villages algériens, les lacs des Balkans... Difficile de résister devant la splendeur de certains et le désir de farniente, de partage, d'isolement aussi.

Chaque semaine, le grand écran nous envoie une carte postale venue d'un ami inconnu. La Havane ou Buenos Aires, les grands territoires vierges des Rocheuses ou les somptueux paysages de Chine, les routes de traverse en France ou les landes abandonnées du côté du Mississippi, on peut faire le tour du monde en un jour.

Cette invitation à la découverte, qui est aussi vieille que le cinéma, est aussi un billet vers l'évasion. Et on en a bien besoin ces derniers temps. Le réel pèse parfois lourdement sur nos épaules. En attendant les beaux jours, en patientant jusqu'aux vacances, et sans (se) dépenser, le cinéma nous emmène explorer ces pays qu'on ne verra peut-être jamais. On ne remerciera jamais assez les directeurs de la photographie qui subliment et magnifient le moindre champ de blé ou les immenses étendues qui délimitent l'horizon. Et qui, par la même occasion, ouvrent nos horizons.

Edito: Mirage d’égalité avec fanfare

Posté par redaction, le 24 mars 2016

L'égalité homme-femme n'est toujours pas pour demain. Même dans un sport comme le tennis, pourtant assez exemplaire sur le sujet, l'égalité salariale entre joueurs et joueuses n'est pas acquise puisque le patron d'un grand tournoi a remis en cause cet équilibre sous prétexte que seul le tennis masculin remplirait les stades (ce qui est faux). Dans le cinéma, le débat se situe non seulement au niveau des salaires (on l'a vu avec la polémique lancée par Jennifer Lawrence l'automne dernier). Mais cela va plus loin: l'industrie est sexiste (comme l'a constaté l'étude de l'Université de San Diego) et a du mal à confier la réalisation d'un film à une femme dès qu'il y a un enjeu économique important, voire à valider des projets où seules des actrices seraient en tête d'affiche (lire notre édito du 14 janvier).

Toute la question est désormais de savoir quelle politique adopter. Certains misent toujours sur le fait que les choix ne peuvent se faire que sur la base du talent. Encore faut-il donner une chance à ce "talent" d'exister. D'autres prônent une politique plus pro-active, de type discrimination positive. Pour atteindre l'égalité, il faudrait déjà arriver à une forme de parité. En amont déjà, dans les écoles et dans les sociétés de production. La discrimination positive a ceci de contrariant qu'elle déstabilise même la notion d'égalité. On choisirait une mauvaise réalisatrice plutôt qu'un bon réalisateur? Mais à l'inverse, pourquoi une réalisatrice ne ferait pas mieux qu'un réalisateur avec un projet identique?

Il est alors intéressant d'observer avec attention les récentes initiatives sur le sujet. Depuis l'an dernier le Festival de Cannes a lancé avec le mécénat de Kering le programme Women in Motion, composé de tables rondes et conférences autour de la place et de la contribution de la femme dans l'industrie du cinéma, en vue de faire évoluer la profession vers une meilleure représentativité. Cette année, Women in Motion lancera aussi son prix le 15 mai.

Il y a trois semaines, a été annoncé le lancement de We Do It Together, société de production à but non lucratif créée par un collectif de stars: Juliette Binoche, Jessica Chastain, Queen Latifah, Ziyi Zhang, Catherine Hardwicke, Marielle Heller, Freida Pinto et Amma Assante. La société de production veut combattre les rôles clichés, sexistes et autres stéréotypes en finançant des projets participant à l'émancipation des femmes: films séries, documentaires. L'argent qui sera gagné sera réinvesti. We Do It Together débutera avec un projets de six courts métrages.

Enfin, l'Office national du film du Canada s'est engagé à investir 50% de son budget de production dans des films réalisés par des femmes.

Comme on le voit, du côté des minorités comme des femmes, les polémiques conduisent les professionnels à ne plus attendre que le cours de l'histoire change les choses. Le pieds sur l'accélérateur, les femmes, mais aussi les minorités ethniques ou sexuelles, ont décidé de ne plus attendre que les "décideurs" fassent évoluer leur mentalité ou leurs préjugés. Les choses bougent, ensemble.

Edito: des films privés de sortie?

Posté par redaction, le 17 mars 2016

C'est une drôle de semaine. Le meilleur film du mois, 99 Homes, Grand prix à Deauville, avec Michael Shannon (qui est aussi à l'affiche de Midnight Special, qui bénéficie de la plus grosse combinaison de copies de la semaine), ne sort pas en salles. Idem pour Black, l'un des meilleurs films belges de ces derniers mois. Et s'il n'y avait que ces deux films directement sortis en "e-cinema" (autrement dit en Vidéo à la Demande)! Sur les 16 sorties de la semaines, 6 n'ont le droit qu'à une ou deux copies sur Paris, dont le fantastico-poétique Evolution, de Lucile Hadzihalilovic, produit par Sylvie Pialat (Les films du Worso, soit L'inconnu du Lac et Timbuktu tout de même). Sur toute la France, le film, prix spécial du jury et prix du jury pour la photo à San Sebastien, n'est diffusé que dans 6 salles.

Trop de films pour peu d'élus

Chaque mercredi, il y a ce jeu de massacre. Trop de nouveautés? Ou une inégalité de traitement dans l'offre? Cinq nouveautés ont le droit à 15 copies sur Paris-Périphérie. Cinq films qui ont donc la chance de pouvoir "exister" réellement. Et si le distributeur n'obtient pas le graal - l'UGC des Halles - autant dire que son film est déjà condamné. C'est le cas d'Evolution qui se retrouve dans un MK2 et au Publicis, mais n'a pas accès aux autres salles de MK2 ni même au Cinéma des cinéastes ou aux réseaux indépendants (Etoile, Les Ecrans de Paris...). Ce n'est pas étonnant. Il faut aussi faire vivre les continuités, leur donner du temps pour exister. Et comme l'exploitant est aussi un commerçant, il doit s'assurer d'avoir quelques titres porteurs. On comprend bien le délicat équilibre. Et on s'étonne presque de la très belle diffusion de The Assassin ou des Délices de Tokyo.

Le e-cinema, second grand écran?

Et ainsi on comprend tout aussi bien que certains films sortent directement en e-cinema. Sortir en salles coûte cher pour un amortissement très périlleux dans un environnement très concurrentiel. Le phénomène n'est pas nouveau et si vous allez sur les plateformes vous découvrirez des films inédits avec Sandra Bullock, Pierce Brosnan et autres vedettes hollywoodiennes. Plutôt que d'opérer une sortie technique, soumise ainsi à la chronologie des médias, autant court-circuiter les circuits de cinéma. A condition que le motif soit justifié. Que Black ne sorte pas, tout comme Made in France il y a moins de deux mois, parce qu'il y a un risque de troubles de l'ordre public ou parce que le film aborde un thème abrasif, ce n'est pas forcément une bonne excuse. Que 99 Homes soit destitué d'une sortie en salles (alors que le distributeur Wild Bunch a sorti Les naufragés qui peine à atteindre les 100000 spectateurs malgré la présence de Daniel Auteuil) et là on s'interroge. On reste perplexe même.

Le cinéma, produit de consommation impulsif ou durable

Patron de Wild Bunch, Vincent Maraval a expliqué les raisons dans "L'Instant M" sur France Inter. Pour lui, le film n'avait pas ses chances en salles. Pour le sortir correctement, il fallait viser les 400000 entrées. Avec une durée de vie moyenne de dix jours, un film doit remplir ses salles au maximum dès les premières séances. Paradoxalement, alors que le cinéma consacre cette consommation "zapping" du 7e art, le "e-cinema" permet de toucher un public moins ciblé et dans la durée. Car, un film sorti en "e-cinema" peut s'offrir des écrans publicitaires à la télévision contrairement à une sortie en salles. Maraval souhaiterait pouvoir sortir un film comme 99 Homes dans des grandes villes et en e-cinema pour le reste de la France, où de toute façon il ne sera pas projeté. La limitation du risque n'explique pas tout, d'autant que ce serait la porte ouverte à une offre cinéma réduite à des films potentiellement grand public.

La VàD, nouvel eldorado?

Pour l'instant, la sortie simultanée en salles et en VàD n'est pas possible. La chronologie des médias reste un sujet explosif. Mais il va bien falloir revoir la règlementation, même si elle s'est assouplie avec le temps, notamment pour lutter contre le piratage. Et quel intérêt de s'abonner à Canal + pour voir un blockbuster déjà disponible à la location en vidéo à la demande? De la même façon, The Screening Room, start up qui propose simultanément à domicile et le jour même de leur sortie en salles, les films en location pour une période de 48h au tarif de 50$ (en plus d'un décodeur anti-piratage d'un coût de 150$), bouleverse la chronologie des écrans aux Etats Unis. Ce nouveau modèle divise les cinéastes et effraie les exploitants.

Où est le partage quand on est chez soi?

On peut toujours arguer que les écrans de télévision sont de plus en plus grand, que de prendre une voiture pour aller au multiplexe ce n'est pas très écologique. Mais attention: la diversité de l'offre est un ingrédient indispensable dans l'eco-système cinématographique. A trop anticiper le goût des spectateurs en choisissant pour lui ce qu'il devrait aimer et ce qu'on lui demandera d'aimer, on court vers une sorte de formatage cinéphilique et même vers une fracture culturelle entre ceux qui auront accès à des films d'auteurs inédits et ceux qui se contenteront des quelques sorties "aptes" à être diffusées en salles. Mais surtout, on oublie que le cinéma reste un art du partage, un véritable art social, qu'on va voir en communauté (seul ou en couple ou en groupe au milieu d'inconnus) et dont on débat dans un café ou sur les réseaux. 99 Homes comme Black comme Evolution sont typiquement trois films qui pouvaient alimenter de belles conversations. A moins que l'avenir ne soit aux projos "collectives" chez soi, avec like et tweet-live sur les réseaux, pop corn bio et bière, et personne à déranger quand il s'agit d'aller aux toilettes. A 50$, avec dix copains/copines, c'est non seulement rentable et en plus convivial.

Edito: éperdument, passionnément, à la folie…

Posté par redaction, le 3 mars 2016

Les César et les Oscars sont passés. L'année 2015 est (presque) soldée. Il reste bien quelques films américains comme Room et Brooklyn qui attendent leur sortie en salles en France. Mais désormais on peut complètement se projeter sur l'année 2016. Sundance et Berlin avaient lancé les premiers films marquants. Les Tuche 2 et Pattaya ont déjà rempli leur contrat au box office. Disney et son Zootopie a prouvé que l'animation était une valeur sûre. Mais le plus gros reste à venir: les blockbusters d'Hollywood, dès mars avec Batman v Superman, et puis bien sûr les films qui seront au Festival de Cannes. Nombreux cannois de 2015 ont été césarisés et oscarisés le week-end dernier.

On s'impatiente des retours de Almodovar, Loach, Kusturica, Hong-jin Na, Tran Anh Hung, Dolan, Jodie Foster, Scorsese, Sean Penn, Winding Refn, Mungiu, Abel et Gordon, etc... Bien sûr il y aura des déceptions, mais, on en est certain, il y aura aussi des élans fougueux qui nous feront aimer des films venus de nulle part ou confirmant un(e) cinéaste émergent(e).

2016 a commencé sur les chapeaux de roue avec une fréquentation à la hausse en France. Le cinéma reste un art populaire, alors que tout, désormais, incite à rester chez soi. Après tout on peut se connecter du monde entier pour voir un film assis sur son canapé ou allongé dans son lit. Mais l'expérience de sortir seul ou accompagné et de partager au même moment des émotions (rires, larmes, peurs) avec un public anonyme reste unique. Rien à voir avec le partage de gifs sur les réseaux sociaux. Rien à voir avec une vidéo de chatons. Allez voir un film, ou un concert, une expo, un spectacle, échanger un livre ou même boire un verre de bon vin peu importe, s'avère encore enrichissant et attirant. Comme le dit un proverbe africain, "un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures.” Et on a besoin de rayures. Et comme pour le zèbre, chaque humain a des rayures différentes.

Edito: Chacun pour soi, Dieu s’en fout

Posté par redaction, le 25 février 2016

Vous imaginez bien que cet édito n'était pas celui qui était prévu. On voulait parler des Ours de Berlin, des César du Châtelet, des Oscars d'Hollywood. Du glam, du gold, du glorious. Il y avait tant à dire. Une Berlinale engagée et activiste. Des César au coeur de polémiques (quoi, certains films français ne sont pas dans le "fameux" coffrets?). Des Oscars accusés de discrimination. Mais bon en attendant le grand soir qui couronnera Leonardo DiCaprio, il y a quelque chose de pourri dans cet hiver. Les décès se succèdent à un rythme effrayant. Dernier tombé pour la Culture, François Dupeyron.

Cinéaste en marge du système, il avait préféré écrire des romans plutôt que d'enchaîner les refus de financement de ses projets cinématographiques. Si ses films portaient toujours une forme d'espérance et de foi en la vie, cette chienne de vie qui nous font des bâtons dans les roues, le réalisateur lui désespérait de voir le monde se fracturer sous ses yeux, les Hommes devenir de plus en plus individualistes. Il en a eu des déceptions. Malgré la reconnaissance (César et grands festivals), François Dupeyron a du contourner un peu le système pour que certains films se fassent et même puissent sortir, à l'instar d'Inguélezi (lire notre entretien avec Marie Payen la comédienne principal du film). Mais après des années de déseouvrement, il avait décidé d'exprimer sa rancoeur sur la place publique au moment de la sortie de Mon âme par toi guérie, en 2013 (lire le texte complet).

"La dernière fois qu’une chaîne publique a mis de l’argent dans un de mes films, c’est en 2003. Ca va faire dix ans qu’on me refuse tout !" Et de tout balancer: le système totalitaire qui dépend de la télévision, cette inculture générale, ce nivellement par le bas, ce formatage global.
"Toutes ces dernières années, j’ai essayé un peu de comprendre, je me suis dit qu’ils avaient peut-être raison, que mes scénarios étaient trop ci, ça. J’ai essayé plusieurs styles, plusieurs genres. Et j’ai compris qu’il n’y a rien à comprendre. J’ai perdu mon temps. Depuis quelques années, la mode est aux fiches de lecture. Je ne sais pas qui lit, des jeunes gens sans doute, pas très bien payés. J’en ai demandé deux, pour deux scénarios, pour voir… Deux fois, j’ai eu droit à « Sujet non traité. » Je n’invente pas, « Sujet non traité ». Etait-ce le même lecteur ? Voilà où on en est. Tu ouvres le coffret des Césars, à part trois ou quatre films, tous les autres se ressemblent. Mais le sujet est traité. Merde, le cinéma, c’est pas ça ! C’est même tout le contraire…" expliquait-il.

Dupeyron ne pensait pas savoir écrire, alors il voulait filmer. "Moi, j’ai découvert la vie avec le cinéma, j’ai découvert les hommes, les femmes" disait-il. "Maintenant, je suis sec, ils ont gagné, mais ils n’auront pas ma peau. (...) Je suis marqué au rouge. « Dupeyron, on aime beaucoup ce qu’il fait, mais pas ça. » C’est le refrain, dès que je l’entends, je crains la suite. Alors, puisqu’on ne veut plus de moi, je me tire. Et personne ne s’en apercevra parce que le monde n’a pas besoin de moi pour tourner, et c’est très bien comme ça."

Nous on aimait bien les films de François Dupeyron, sa manière de capter des personnages qui essayaient de ne pas sombrer, son goût pour les décors et les regards. On se souviendra d'une Deneuve en manteau de fourrure errant la nuit sur une aire d'autoroute comme du visage lumineux et bienveillant de Sabine Azéma au Val de Grâce, du sourire un peu triste de Céline Sallette sous le soleil de la Riviera ou de l'allure charismatique d'Omar Sharif dans les rues de Paris.

Rappelons nous alors la phrase d'Annie Girardot aux César: "Je ne sais pas si j'ai manqué au cinéma français, mais le cinéma français m'a manqué. Follement, éperdument, douloureusement." Espérons que les témoignages d'affection seront autant de preuves d'amour posthume. Car, Dupeyron est là, tout à fait mort.