Quinzaine 50 : horreur, hauts espoirs

Posté par MpM, le 13 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Dans l’inconscient général, et malgré l’évidence de cette réalité - si l’on se base du strict point de vue de la sonorité - « Quinzaine des réalisateurs » ne rime pas forcément avec « Cinéma d’horreur ». Pourtant, si l’on survole rapidement l’interminable liste de films ayant été projetés à la Quinzaine depuis sa première édition en 1970, deux films incontournables nous sautent immédiatement aux yeux : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1975) et Le projet Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez (1999).

Ces deux films importants dans l’Histoire du cinéma horrifique nous ont poussé à entamer un retour chronologique sur presque quarante ans de films d’horreur présentés à la Quinzaine, mais la première constatation est sans appel : la grande majorité des films y ayant été présentés durant les vingt premières années d’existence du Festival sont malheureusement aujourd’hui complètement invisibles.

Minorité invisible (1970-1983)

Pourtant, dès 1970, le cinéma fantastique ou horrifique fait son apparition à la Quinzaine, avec tout d'abord le film Palaver d'Emile Degelin (Belgique), film fantastique flamand ayant pour sujet le racisme, quasiment entièrement tourné en swahili et ayant eu la particularité d'avoir été cadré par un Paul Verhoeven qui n'avait pas encore entamé sa carrière de cinéaste. Mais l'horreur à proprement parler arriverait surtout par le biais de L'araignée d'eau de Jean-Daniel Verhaeghe (France).

1970 – L'araignée d'eau (Jean-Daniel Verhaeghe, France)

Si on ne trouve aujourd’hui de trace sur le Net que de sa sublime affiche et de quelques extraits sur YouTube, le film de Verhaeghe a clairement fait forte impression aux cinéphiles ayant eu la chance de le découvrir, en salles ou en VHS. Se suivant comme un véritable rêve éveillé, toujours sur le fil entre fantasme et réalité, L'araignée d'eau emmène le spectateur le long des dérives mentales d'un écrivain suite à la découverte d'une araignée d'eau capable de matérialiser ses désirs les plus fous. Si le film évoque volontiers l'univers littéraire de Claude Seignolle, il est en réalité adapté d'une nouvelle d'un autre écrivain : le français Marcel Béalu.

Grand film aux accents surréalistes et poétiques, L'araignée d'eau s'offre quelques séquences qui apparaîtront aujourd'hui comme extrêmement en avance sur leur temps, le clou du spectacle et du film s'avérant bien sûr la métamorphose de l'insecte en femme... Réalité ou simple projection de l'esprit de la part du héros ? Le tout s'accompagne de très belles séquences troublantes à base de papillons et de chats, et nous proposera de plus un final assez dingue et inattendu. On espère qu’un éditeur vidéo avisé aura la bonne idée de le sortir un jour de l’oubli !

En 1971, on note la présence dans la sélection d’un film de science-fiction, le très intéressant THX 1138 (George Lucas, États-Unis), mais c’est surtout le français Joël Séria, futur réalisateur des Galettes de Pont-Aven, qui créera l’événement dans le domaine de l'horreur avec son premier film…

1971 – Mais ne nous délivrez pas du mal (Joël Séria, France)

Unique film fantastique de la carrière de Joël Séria, Mais ne nous délivrez pas du mal est une critique explicite de la société française de son époque, et plus particulièrement de la petite bourgeoisie aux mentalités (et aux vies) étriquées ; il fait également figure de véritable pamphlet anticlérical. Le film suit deux jeunes filles de bonne famille, que tout prédestine à une existence sans le moindre problème, mais qui s'avèrent bien décidées à consacrer leur vie à Satan, ainsi qu'au mal sous toutes ses formes. L'ennui du quotidien et le désœuvrement sont probablement à l'origine de cette vocation, de même que l’incommunicabilité entre les générations et un manque de figure paternelle et/ou d'autorité à une époque où, semble dire Séria, les parents sont absents, et les hommes sont « castrés » par leurs femmes ou par les institutions religieuses dans ces petits villages de la France profonde.

Pour autant, Joël Séria ne juge pas ses personnages, faisant même des deux criminelles en herbe deux anti-héroïnes attachantes dans leur refus forcené des conventions et leur quête de liberté, même si cette dernière semble s'épanouir de façon tordue. Exaltées, passionnées par leur rejet en bloc de la société, les  deux jeunes filles semblent toujours fuir en avant, aller droit dans le mur tout en en étant parfaitement conscientes. Inspiré par un fait divers sordide datant de 1954 (l’Affaire Parker-Hulme, qui inspirera également  Peter Jackson pour son Créatures célestes), Joël Séria dessine deux jolis portraits de femmes en devenir, et donne un premier rôle en or à sa complice Jeanne Goupil, qui deviendra son actrice fétiche durant toutes les années 70.

Mais au-delà du portrait très juste de ces deux adolescentes, Mais ne nous délivrez pas du mal s'avère aussi et surtout un film fantastique de première bourre, tirant son étrangeté de son extraordinaire réussite formelle. Visuellement, le film va chercher ses influences du côté des grands films gothiques de la Hammer des années 50/60, mais le tout est adapté à la France : châteaux et demeures bourgeoises aussi grandioses qu'abandonnés, paysages bucoliques au cœur desquels va surgir l'horreur, condamnation sévère (et très emprunte de provocation !) des autorités religieuses... La musique du film, signée Claude Germain et Dominique Ney, est également très réussie, surtout son petit thème entêtant chanté par une voix de femme, digne d'un giallo italien de la même époque.

Mais ne nous délivrez pas du mal fut d'abord totalement interdit par la Commission de censure pour « perversité et sadisme et les formes de destruction morale et mentale qui y sont contenus », puis, grâce à la sélection du film à la Quinzaine des réalisateurs, obtint après quelques coupes une « simple » interdiction aux moins de 18 ans.

En 1972, la sélection de la Quinzaine nous proposera à nouveau un film de science-fiction et un film d'horreur ; comme ça, pas de jaloux. Côté SF, c'est le téléfilm The people de John Korty (États-Unis) qui sera mis sous le feu des projecteurs : produit par Francis Ford Coppola et proposant au casting le sympathique William Shatner, le film met en scène un groupe d'extra-terrestres vivant en communauté et pacifiquement aux côtés des humains dans un petit village américain. Et côté horreur, les curieux auront été confrontés aux visions infernales de Shura (également connu sous le titre Pandemonium) de Toshio Matsumoto, qui proposait un mélange de chanbara et de dérive mentale sanglante, entre cauchemar et réalité.

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Quinzaine 50 : le cinéma expérimental et la Quinzaine

Posté par MpM, le 12 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Scenes from Under Childhood © Stan Brakhage

La Quinzaine des réalisateurs naît d'une rupture, celle qui fit qu'en 1968, Cannes n'eut pas lieu. Dans cette programmation parallèle créée par la Société des réalisateurs de films (SRF), le rejet d'une certaine forme de cinéma sera intégrée par une critique de la représentation et de la narration, par une recherche de nouvelles formes cinématographiques (1).

La distinction opérée par Peter Wollen entre deux types d'avant-garde filmique (2) est utile pour approcher la question du cinéma expérimental à la Quinzaine. Malgré la perméabilité toujours possible entre ces catégories – Wollen cite Deux fois (1968) de Jackie Raynal en exemple –,  il distingue deux courants cinématographiques en Europe dans les années 70 : celui qui s'inspirait du modèle américain des coopératives de distribution, rassemblé autour de la London Film-Makers' Co-op, comprenant par exemple Peter Gidal, Malcolm Le Grice ou Birgit Hein ; le second, plus proche des modèles de production et de distribution du cinéma commercial, qui correspondrait davantage à la notion de cinéma d'auteur, et serait représenté par des cinéastes tels que Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Miklós Jancsó ou Marcel Hanoun (tous ayant été présentés au moins une fois à la Quinzaine). La différence est également d'ordre esthétique : contrairement aux films de la seconde catégorie, les films de la première sont souvent des courts ou moyens métrages non narratifs, s'intéressant avant tout à l'expérimentation formelle.

Ainsi dans la première édition du festival, en 1969, sont présents des films qui maintiennent une certaine forme de narrativité, tout en la subvertissant, en jouant avec elle ou en la réduisant à ses composants les plus élémentaires : c'est la cas d'Acéphale de Patrick Deval, du Cinématographe de Michel Baulez, de Notre Dame des Turcs et de Capricci de Carmelo Bene, ou bien encore de Nocturne 29 de Pere Portabella. Cette rupture avec la narrativité classique s'opère sur un mode lyrique (Bene), humoristique (Baulez), emprunte au théâtre expérimental et aux aspirations communautaires (Deval), ou se rapproche du matérialisme marxiste, imprégné cependant de surréalisme (Portabella).

La pellicule déchirée dans la séquence d'ouverture de Nocturno 29 (1968) de Pere Portabella

Mais la présence du cinéma expérimental, au sens de la seconde avant-garde, se fait plutôt à travers le court métrage (3), et plus spécifiquement encore la section présentée par Progressive Art Productions (P.A.P.) lors des deux premières éditions. P.A.P., dont l'existence fut brève (69-72) reste aujourd'hui encore une initiative peu connue : fondée à Munich en 1969 par Karlheinz et Renate Hein, rejoints plus tard par Dieter Meier, pour promouvoir le cinéma expérimental dans les milieux cinématographiques et artistiques, elle présenta notamment des programmes à Art Basel de 1970 à 72 (4). Leurs deux programmes accueillis par la Quinzaine se composent essentiellement (5) de films américains – ou de cinéastes étrangers résidant aux Etats Unis et liés à l'Anthology Film Archives qui définit un canon filmique qui marquera l'historiographie du cinéma expérimental et fera l'objet de remises en question, en tant que champ majoritaire dans une sphère minoritaire (6) (Stan Brakhage, Paul Sharits, Gregory Markopoulos, Robert Beavers, Takahiko Iimura), autrichiens (Kurt Kren, Otto Muehl), suisses (HHK Schoenherr, Dieter Meier) et allemands (Hans Peter Kochenrath, Wilhelm et Birgit Hein, Fritz André Kracht).

La dimension expérimentale de ces films n'est pas seulement dans leur forme, mais dans le mode de fabrication lui-même : ici c'est la cinéaste qui réalise toute la chaîne de production du film hors de tout fonctionnement industriel, la plupart du temps sans équipe et sans production. Afin de donner quelques exemples de ces films parmi les plus radicaux présentés à la Quinzaine en 69, citons Scenes From Under Childhood de Stan Brakhage, qui prétend représenter une vision pré-natale (7), en rassemblant des séquences abstraites et des images de ses propres enfants sur lesquelles il use de nombreux effets et techniques propres au vocabulaire plastique du cinéma expérimental (surimpression, images en négatif, emploi de la tireuse optique, image anamorphosée) ; ou bien encore N:O:T:H:I:N:G de Paul Sharits, film-flicker (8) coloré, entièrement abstrait, mêlé à quelques motifs figuratifs sporadiques, graphiques (une ampoule se vidant de son liquide) ou photographiques (une chaise qui bascule en arrière), réflexion ironique sur le temps et sur sa décomposition par le film.

Rubans de pellicule (« frozen film frames ») du film N:O:T:H:I:N:G (1968) de Paul Sharits

Hormis l'ouverture sur le cinéma expérimental germanophone impulsée par P.A.P., la sélection  reflète tout de même le canon américain établi par la Filmmakers Cooperative et l'Anthology Film Archive. Le cinéma expérimental est aussi présent hors de cette section, mais ce sont pour la plupart des cinéastes américains ou britanniques (une notable exception serait Shuji Terayama dont quelques courts ont été présentés, et le belge Roland Lethem pour Le vampire de la Cinémathèque) : ainsi ont été montrés des films de Carolee Schneemann, John Latham, Stephen Dwoskin, Michael Snow, Jeff Keen, Gunvor Nelson (suédoise mais habitant aux Etats Unis), Jerome Hill ou Bruce Baillie.

On remarque de même que le cinéma expérimental français (tel qu'il s'est constitué autour de coopératives de distribution – le Collectif Jeune Cinéma ou la Paris Film Coop notamment - ou bien dans des mouvements/collectifs comme le lettrisme ou le situationnisme) est à peu près absent de la Quinzaine (9), hormis les films à tendance plus narrative (ou dysnarrative) que nous avons déjà cités : les films reliés au Groupe Zanzibar (Garrel, Deval, Pommereulle, Serge Bard, Sylvina Moissonnas qui était la mécène du groupe), Le Cinématographe de Baulez, sans compter quelques films aujourd'hui oubliés en apparence plus détachés du narratif (Simplexes de Claude Huhardeaux (10), possiblement 5/7/35 de Jean Mazéas). De nombreux courts français (essentiellement des fictions, avec parfois des documentaires et des films d'animation) présentés à la Quinzaine sont réalisés par d'anciens étudiants de l'IDHEC ou sont parfois des films de promotion (11).

Daniel Pommereulle dans son film Vite (1969)

Peut-être les cinéastes expérimentaux français, poussant leur désir d'indépendance plus loin que celui de la SRF, considéraient encore la Quinzaine comme un cadre trop proche de l'industrie (12) ? Ou bien ces films ne trouvaient-ils pas grâce auprès des programmateurs ? Le Festival international de jeune cinéma de Hyères (1965-83), représenterait davantage un panorama de la création française dans le domaine du cinéma expérimental, notamment dans sa section Cinéma différent à partir de 73, dont l'organisateur, Marcel Mazé, avait fondé en 1971 la coopérative de distribution Collectif Jeune Cinéma, qui reprendra l'esprit du festival des années plus tard, en 1999, toujours sous l'impulsion de Mazé, et qui perdure aujourd'hui.

Dès le milieu des années 70, et ce, malgré la timide tentative de mettre en place une section nommée « En avant ! » entre 2000 et 2002, la présence de films expérimentaux à la Quinzaine se réduit considérablement - de nombreuses éditions ne contiennent même aucun court métrage - jusqu'à devenir véritablement ponctuelle, comme en témoigne la présence épisodique de Peter Tscherkassky (en 2002 pour Cinemascope Trilogy, en 2005 pour Instructions for a Light and Sound Machine et en 2015 pour Exquisite Corpus), qui tranche considérablement avec le reste de la programmation.

L'Arrivée (1998) de Peter Tscherkassky

Boris Monneau

1) Cependant le cinéma expérimental n'était pas tout à fait absent de Cannes avant 69 : notons par exemple le film de José Val del Omar, Fuego en Castilla, qui remporta en 1961 la Mention Spéciale de la Commission technique dans la section des court métrages pour ses recherches sur l'éclairage (« tactilvision »).

2) Peter Wollen, « The Two Avant-Gardes » dans Studio International, novembre-décembre 1975, vol. 190, n°978, p. 171-175.

3) Mais l'intérêt de la Quinzaine à ses débuts est aussi de présenter des long métrages expérimentaux, en l'occurrence deux films se rapprochant du documentaire : Image, Flesh and Voice d'Ed Emshwiller, sorte de film-essai incluant les expérimentations chorégraphiques pour lesquelles le cinéaste est principalement connu, ou encore le road-movie structurel Reason Over Passion de Joyce Wieland, le cinéma structurel étant cette tendance du cinéma expérimental  désignée par le critique P. Adams Sitney, définissant des œuvres se focalisant sur les propriétés élémentaires du dispositif filmique et sur l'exploration de structures fondées sur la mise en question ou en jeu de ces propriétés. Notons aussi le film fleuve Mare's Tail de David Larcher.

4) http://www.fri-art.ch/en/exhibitions/pap-progressive-art-production-1969-1972

5) Il n'y a guère que deux exceptions : Talla du britannique Malcolm Le Grice et Film oder Macht du croate Vlado Kristl, qui résidait en Allemagne.

6) Pour plus de détails sur cette question, voir : http://www.blogsandocs.com/?p=5899

7) Dans son manifeste poétique Metaphors on Vision (1963), Brakhage écrit : « Imaginez un œil qui ne soit plus soumis aux lois artificielles de la perspective, un œil dépourvu des préjugés de la logique compositionnelle, un œil qui ne réponde pas au nom de chaque chose et qui doive connaître chaque objet rencontré dans la vie par une aventure perceptive. Combien de couleurs y-a-t-il dans un champ d'herbe pour le bébé rampant qui ignore le « Vert » ? Combien d'arc-en-ciels peuvent-ils être créés par la lumière pour l'oeil inéduqué ? Imaginez un monde vivant d'objets incompréhensibles et scintillant en une infinie variété de mouvements et d'innombrables gradations de couleur. Imaginez un monde avant « au commencement était le verbe ».

8] « Flicker » signifiant clignotement, il s'agit de films utilisant le photogramme comme unité de composition visuelle : voir aussi Peter Kubelka ou Tony Conrad.

9) Il faut cependant noter que dès 1980 la Quinzaine de présente plus de film français, ceux-ci feront l'objet d'une section à part du festival de Cannes nommée « Perspectives du cinéma français ». Le cinéma français ne revient à la Quinzaine qu'en 1999.

10) D'après le synopsis : « Variations visuelles et musicales sur une structure logico-mathématique : les simplexes ».

11) Georges Albert, aventurier (1970) de Daniel Edinger est décrit de la manière suivante : « Première superproduction réalisée à l’IDHEC (grâce aux bouleversements intervenus à la suite de mai 68), ce film est, dans un style ultra-classique, léché et un peu pompier, une parabole politique sur la chute de De Gaulle et l’avènement de la « nouvelle société ». »

12) Des années plus tard, alors que la Quinzaine serait déjà pleinement intégrée à Cannes, Teo Hernández, cinéaste mexicain vivant à Paris, dira dans son film de 1984 Citron Pressé au Bluebar & Souvenirs/Cannes : « Le festival est fort de ses emblèmes : gloire, argent, politique. Ses drapeaux semblent bien le protéger. Aucun signe extérieur ne saurait désormais le troubler. Ici le cinéma fait partie de l'air du temps. Tout et tous sont à son service. […] Je me promène parmi les images du monde entier. S'agit-il d'un rêve ? Non, c'est un marché. Ici, on vend votre imaginaire. […] A Cannes, l'ancien et le nouveau cohabitent et se réclament. Pérennité et autorité du premier, respect et obéissance du second. La dévotion est le sentiment majeur de la corporation. […] Le cinéma en général est devenu une histoire de famille. Celui qui n'en fait pas partie n'aura pas sa ration. »

13) Malgré la timide tentative de mettre en place une section nommée « En avant ! » entre 2000 et 2002.

Quinzaine 50 – de l’art de la découverte : voyage parmi les premiers films

Posté par MpM, le 11 mai 2018

Dernière née des sections parallèles cannoises, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté - dans une histoire chargée de surprises, de découvertes, de coups de maîtres et de films incontournables.

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Cinéma en liberté. Ce slogan, qui présida à la création de la Quinzaine en 1969, induisait dès le départ l’éclectisme de ses sélections et la nécessaire curiosité de ses responsables, chargés d’aller chercher « à la source » ces films et ces talents qui leur semblaient tant manquer à la compétition officielle. Si les temps ont changé, et que les sections cannoises font désormais toutes la chasse aux premiers films, la Quinzaine peut malgré tout s’enorgueillir d’avoir fait un travail de pionnier en la matière, mêlant sans complexe jeunes réalisateurs et auteurs confirmés depuis ses débuts. En 1969, en effet, étaient notamment sélectionnés Head, premier long métrage de Bob Rafelson, et Pauline s’en va, le premier d’André Téchiné, aux côtés de Calcutta de Louis Malle (déjà palmé d’or) et Une femme douce de Robert Bresson, futur habitué de la compétition officielle. L’année suivante, ce sont les premiers films de Krzystof Zanussi (Structure de cristal) et de Werner Schroeter (Eikka Katappa) qui côtoient en compétition Pierre Granier-Deferre, dont Archipel est le 26e long métrage… Si l’on ausculte les 49 premières éditions de la section, on n’est donc pas étonné de découvrir qu’elle tient la corde au tableau d’honneur de la Caméra d’or avec 15 prix (et 8 mentions spéciales, datant de l’époque où cela était encore autorisé), à égalité avec Un Certain regard (15 prix, mais seulement 2 mentions) et devant la Semaine de la Critique (11 prix, 5 mentions) dont c’est pourtant la vocation première de découvrir de nouveaux cinéastes.

Parmi les films récompensés, citons par exemple Salaam Bombay! de l’Indienne Mira Nair en 1988, Toto le héros de Jaco van Dormael en 1991, Petits arrangements avec les morts de Pascale Ferran en 1994, Un temps pour l’ivresse des chevaux de Bahman Ghobadi en 2000, Année bissextile de Michael Rowe en 2010, Divines de Houda Benyamina  en 2016… mais aussi certains lauréats qui ont été un peu oubliés, comme Desperado city de l'acteur allemand Vadim Glowna (1981) qui a ensuite beaucoup tourné pour la télévision, et notamment la série policière allemande Le renard, ou Slam de Marc Levin, couronné en 1998. La petite dernière des sections parallèles a en effet su parfois choisir des œuvres « ovni », ou restées exceptionnelles dans la carrière de leur réalisateur. On pense notamment au premier et unique long métrage de Barbara Loden, Wanda, véritable miracle cinématographique, sélectionné en 1971, ou Renaldo and Clara, un long métrage de 3h52, signé Bob Dylan (1978), réunissant entre autres Allen Ginsberg, Harry Dean Stanton, Joan Baez et Roberta Flack, et qui restera le seul du chanteur. Mais elle a aussi indéniablement eu du flair pour révéler des cinéastes devenus incontournables, à Cannes comme ailleurs, à l’image de George Lucas (THX 1138 en 1971), Jim Jarmusch (Stranger than paradise en 1984), Michael Haneke (Le 7e continent en 1989), Jafar Panahi (Le ballon blanc en 1995), Naomi Kawase (Suzaku en 1997), Abderrahmane Sissako (La vie sur terre en 1998), Lee Chang-dong (Peppermint candy en 2000), Carlos Reygadas (Japon en 2002), Alain Guiraudie (Pas de repos pour les braves en 2003) ou encore Xavier Dolan (J'ai tué ma mère en 2009).

On peut aussi s’amuser à reconnaître des tendances au fil des éditions. La Quinzaine est par exemple réputée pour avoir montré les premiers films de nombreux acteurs américains passés derrière la caméra, comme Sean Penn (The indian runner, 1991), Tim Robbins (Bob Roberts, 1992), John Turturro (Mac, 1992, récompensé d’une Caméra d’or), Steve Buscemi (Trees lounge, 1996), Angelica Huston (Agnes Browne, 1999) ou encore Ethan Hawke (Chelsea Walls, 2001). Elle a également été à la pointe de la « Nouvelle vague roumaine » en sélectionnant Cristi Puiu en 2001 avec Marfa si banii (Le matos et la thune), Cristian Mungiu en 2002 avec Occident et Corneliu Porumboiu en 2006 avec 12:08 à l’Est de Bucarest. Citons enfin tout azimut des films et des auteurs qui ont marqué l’histoire de la Quinzaine à des degrés divers : Virgin suicides de Sofia Coppola (1999), Voyages d’Emmanuel Finkiel (1999), Haut les cœur de Sólveig Anspach (1999), Le bleu des villes de Stéphane Brizé (toujours 1999, décidément une excellente année), Billy Elliott de Stephen Daldry (2000), Les heures du jour de Jaime Rosales (2003), Tarnation de Jonathan Caouette (2004), Douches froides d’Antony Cordier (2005), Tout est pardonné de Mia Hansen Love (2007), Control de Anton Corbijn (2007), Caramel de Nadine Labaki (2007), Daniel et Ana de Michel Franco (2009)…

Sans oublier les années les plus récentes, durant lesquelles la Quinzaine a su miser sur une nouvelle génération de cinéastes comme Katell Quillévéré (Un poison violent, 2010), Alice Rohrwacher (Corpo celeste, 2011), Marcela Said (L’été des poissons volants, 2013), Antonin Peretjatko (La fille du 14 juillet, 2013), Damien Chazelle (Whiplash, 2014), Chloé Zhao (Les chansons que mes frères m’ont apprises, 2015)… et quelques films-phare tels que Les combattants de Thomas Cailley (2014), Mustang de Deniz Gamze Ergüven (2015), Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Galienne (2013) ou Ernest et Célestine de Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier (2012). Cette année, deux premiers longs métrages sont une fois encore de la partie : Carmen y Lola de Arantxa Echevarria et Joueurs de Marie Monge. Le jeu continue, le plaisir de la découverte aussi. En attendant de savoir ce que deviendront ces deux nouvelles réalisatrices, concluons cette promenade dans les premiers longs métrages mis en lumière par la Quinzaine avec une sélection très resserrée de 5 films (un par décennie) qui ont marqué leur époque, l’histoire de la quinzaine et celle du cinéma.

Les années 70 : THX 1138 de George Lucas (1971)

On ne présente plus le chef d’œuvre de SF qu’est THX 1138. AU XXVe siècle, les êtres humains vivent dans un monde souterrain régi par des règles très strictes. Tous les individus portent des numéros de matricule, sont vêtus de la même manière, et passent leur existence sous le regard implacable des caméras de surveillance. Pour eux, la routine se décompose en tranquillisants (administrés de force), boulot (rébarbatif) et dodo (artificiel). Dans cette société totalitaire et coercitive, THX 1138 et LUH 3417 commettent l’irréparable : ils s’aiment et ont une relation sexuelle pourtant formellement interdite. Impossible de ne pas penser à George Orwell et à 1984 à la vision de cette dystopie cruelle où les êtres humains ne sont plus que les rouages abêtis d’une société où les machines (et donc la technique) ont pris le dessus. A l’opposée de la plus célèbre des sagas interplanétaires imaginées par Lucas moins de 10 ans plus tard, THX 1138 brille par son minimalisme et son épure (ah, ces décors uniformément blancs où se perdent les personnages…), et par une narration quasi inexistante.  Le cinéaste y flirte avec le cinéma expérimental tout en proposant une version déformée et terrifiante de notre propre société accro aux programmes télé et aux psychotropes.

Les années 80 : Stranger than paradise de Jim Jarmusch (1984)

Le premier long métrage de Jim Jarmusch (qui est en réalité le deuxième, après son film de fin d’études Permanent Vacation), est resté dans les mémoires comme celui qui lança le cinéma indépendant américain. Difficile d’en raconter l’histoire, comme le confesse Jim Jarmusch lui-même : "il est plus facile de parler du style du film que de « ce qui s’y passe » ou de « quoi ça parle »." Essayons quand même : Eva, 16 ans, quitte la Hongrie et retrouve son cousin Willie, installé depuis 10 ans aux Etats-Unis. Ensemble, et flanqués d’Eddie, le copain de Willie, ils partent à la découverte de la Floride, prétendu paradis qui cristallise en lui les derniers espoirs des personnages. L’image en noir et blanc est précise, les cadres travaillés et fixes, le ton ironique et pince-sans-rire. Jim Jarmusch, sous l’influence de Ozu, propose une œuvre singulière et dense qui aligne les saynètes irrésistibles. « Je voulais faire un film très réaliste au niveau du jeu des acteurs et des lieux de tournage, sans trop attirer l’attention sur le fait que le récit est situé au présent » explique le cinéaste. Banco, le film marqua toute une génération de cinéphiles, et rafla par la même occasion une très logique Caméra d’or.

Les années 90 : Le ballon blanc de Jafar Panahi (1995)

Jafar Panahi est devenu un tel symbole de la résistance face à l’oppression et la censure qu’il faut faire un véritable effort d’imagination pour se le représenter à Cannes il y a plus de vingt ans, présentant son premier film à la Quinzaine des réalisateurs. Il s’agissait alors du Ballon blanc, l’histoire de Razieh, une petite fille qui veut acheter le plus beau poisson rouge pour la nouvelle année. Mais elle ne cesse d’égarer le billet que lui a confié sa mère. Sa quête pour le récupérer sera l’occasion de croiser un soldat qui arrive de la frontière afghane, un tailleur originaire d'une région proche de l'Azerbaïdjan, une vieille dame d'origine polonaise, un vendeur de ballons afghan… Comme dans le vrai-faux Taxi conduit par le cinéaste vingt ans plus tard, c’est le monde qui défile ainsi sous les yeux de la petite fille, et lui apporte quelques leçons de vie. A commencer par la nécessité d’aller se faire sa propre idée sur le monde qui nous entoure ! Avec Abbas Kiarostami au scénario, et Pahani à la réalisation, Le ballon blanc s’inscrit alors dans la lignée d’un cinéma iranien qui dit beaucoup avec très peu. Là encore, les différents jurys ne s’y trompèrent pas qui lui décernèrent, outre une caméra d’or, le prix de la presse internationale et celui de la confédération des cinémas d’art et d’essai.

Les années 2000 : J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009)

Un cinéaste est né : Xavier Dolan, vingt ans, conquiert la planète cinéma avec un seul film, le portrait fulgurant, plus fantasmé qu’autobiographique, d’un adolescent qui ne supporte plus sa mère. Entouré de ceux qui deviendront ses comédiens fétiches (Anne Dorval, Suzanne Clément, Niels Schneider…), le cinéaste tient lui-même le rôle principal, et signe l’un des films les plus impressionnants de l’édition cannoise 2009. Cette chronique intime et cruelle, audacieuse et référencée, déborde de style mais aussi d’émotion. Mère et fils semblent fonctionner comme un vieux couple en roue libre qui se débat en vain face à l’impossibilité de se quitter. Le regard de Xavier Dolan est déjà acéré, sa mise en scène aussi. La Quinzaine peut se vanter d’avoir découvert le cinéaste le plus talentueux de sa génération, qui deviendra le parfait « abonné » cannois.

Les années 2010 : Mustang de Deniz Gamze Ergüven (2015)

C’est en apnée qu’on traverse le premier film de Deniz Gamze Ergüven, ancienne de la Fémis, qui nous entraîne dans le quasi huis clos d’une maison qui deviendra peu à peu une prison, une salle de torture et un tombeau. Ses cinq héroïnes, cinq sœurs adolescentes soumises à l’autorité étouffante de leur oncle, s’y retrouvent en effet confinées de plus en plus étroitement, à mesure que les murs sont littéralement rehaussés autour d’elles. Comme une parfaite métaphore de la Turquie conservatrice du président Erdogan pour qui les femmes devraient se consacrer à la maternité, et donc en gros, rester à la maison. La croisette toute entière a frémi devant cette tragédie en forme d’hymne à la liberté et à la résistance, et Mustang sera choisi pour représenter la France dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger. Nominé, le film échoue (derrière Le fils de Saul de Laszlo Nemes) mais sera plus chanceux aux César avec celui du meilleur premier film et du meilleur scénario original (co-écrit avec Alice Winocour). Joli coup pour la Quinzaine qui, une fois de plus, a déniché le film dont le monde parle.

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 3, la sélection officielle

Posté par redaction, le 11 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

L'arrivée de la quinzaine a permis de faire rapidement évoluer la programmation de la sélection officielle ?

Non, ça a bien pris trois ou quatre ans pour voir les premiers effets. J'ai montré quatre films de Werner Herzog avant le triomphe de Aguirre. On savait alors que le prochain serait en compétition s'il y en avait un ! J'ai montré cinq films de Nagisa Oshima jusqu'à ce que L'Empire des sens soit un tel succès que l'année d'après, il s'est retrouvé en compétition avec L'empire de la passion.

Avec le temps, ça a évolué et d'un seul coup le festival a pris conscience qu'il aurait dû accepter les réformes qu'on demandait ! Car aujourd'hui, il les a acceptées ! On leur disait de ne pas se laisser imposer les films par les pays ! Forcément il y a toujours des vétos des gouvernements ! On avait bien vu qu'il avait fallu retirer Viridiana sur protestation de l'Espagne. Choisissez vous-même, prenez votre liberté ! Et puis assumez ! À l'époque on disait l'URSS présente… Aujourd'hui, c'est c'est «le festival présente». C'est toute la différence, elle est énorme. Parce qu'on PEUT refuser. Et puis le festival était affolé parce que quand ils ne prenaient pas un film brésilien pendant deux ou trois ans par exemple, ils se disaient que les brésiliens n'achèteraient plus de films français. Les producteurs français leur disaient «débrouillez-vous mais prenez-en un» ! Les sections parallèles ont été créées aussi pour changer ça.

Maurice Bessy a été nommé par Robert Favre Le Bret qui, de délégué est devenu président parce qu'il était fatigué et que sa santé n'était plus très bonne. Bessy avait dirigé la revue Cinémonde et s'est dit, ce n'est pas possible, il y a trop de papiers sur la quinzaine, genre c'est lui qui invitait les journalistes et moi qui les détournais pour couvrir la quinzaine. Ça les foutait dans des rages absolument épouvantables ! La Quinzaine, c'est un coucou qui a fait ses nids dans les branches d'un arbre qui existait avant. Bessy a eu l'idée non pas de créer une section mais trois sections pour couler la quinzaine. Il a créé Les Yeux Fertiles (consacré à des œuvres dites théâtrales), Le Passé Composé (des œuvres d'histoire) et Un Certain Regard, mais moi je n'ai jamais compris les distinctions. Le résultat des courses c'est qu'il a absorbé trente ou quarante films sur les trois sections, tout ça pour m'assécher. Puis, il a été viré, Gilles Jacob est arrivé et il a tout regroupé en une seule section, Un Certain Regard que j'appelais au début, en me marrant, «Incertain Regard»,  c'est facile ! Ça ne lui faisait pas vraiment plaisir, je crois ! Et puis il a eu l'idée de rajouter la mention sélection officielle, c'est l'antichambre de la compétition, soi-disant. En vérité, ça servait de capsule de décompression diplomatique. Quand Bessy ne prenait pas en compétition un film soviétique, il en mettait un dans une des trois sections, en leur disant qu'ils étaient quand même à Cannes. Quand Gilles Jacob est arrivé, les choses ont changé. Lui avait du goût quand même. Je savais que dès qu'un premier film aurait du succès, le deuxième du même réalisateur serait en compétition. C'est ce qui est arrivé avec Spike Lee ou Jim Jarmusch, par exemple.

J'ai toujours dit premier servi, la compétition. Je vois en Allemagne Au fil du temps de Wim Wenders, je suis tellement bouleversé que je lui envoie une belle lettre pour lui dire que je le prends à la Quinzaine. Trois semaines après, il me dit qu'il est pris en compétition. Je trouve ça bien. Tant mieux, le film a marché. Mais par contre, dès que c'était pour Un Certain Regard ou une autre section parallèle, là, pour moi, chacun est à égalité. Évidemment ça ne plaisait pas à Jacob donc il faisait des pressions. Moi je considérais que c'était des sections marginales, même UCR. Qu'on l'ait baptisée officielle ne veut rien dire pour moi. Et donc là c'était coup pour coup, au plus malin. Des fois je prenais l'avion, je passais deux heures à convaincre de me donner le film que je visais. Des fois ça marchait, des fois ça ne marchait pas. Très vite aussi, les producteurs et les distributeurs faisaient du chantage. Paulo Branco qui faisait trois, quatre films par an, avait un Manoel de Oliveira et disait si tu prends un deuxième film (Monteiro par exemple) à la Quinzaine, je ne mettrai pas le Oliveira en compétition. Le Val Abraham a fait un triomphe chez nous et ensuite Oliveira était pris automatiquement à l'officielle.

J'ai montré deux films des frères Taviani : Saint Michel avait un coq et Allonsanfan. Je vais les voir pour un troisième, j'étais devenu très ami avec eux, et ils me montrent leur nouveau film mais me disent «écoute on te le montre, mais on ne te le donnera pas». Je leur demande pourquoi et me disent qu'il sera en compétition à Cannes. Le festival ne l'a pas vu encore, je suis le premier à le voir (c'est eux qui me l'ont dit). Ils me disent «oui, mais on est sur qu'il le prendra». Maurice Bessy  a donc pris Padre, Padrone. Il aurait pu être ridicule s'il ne l'avait pas pris ! Il faut comprendre quelque chose. Au fur et à mesure que la critique a commencé à suivre la Quinzaine, d'un seul coup elle disait « ah j'ai vu un truc formidable à la Quinzaine, pourquoi il n'était pas en compétition, alors qu'hier j'ai vu en compétition un truc qui n'était pas bien». C'était insupportable pour le festival, du poil à gratter et ils pouvaient avoir l'air ridicules.

Imaginons un film refusé par la compétition puis par moi, par exemple. Il se retrouve ensuite à Venise. Personne ne saura qu'il a été refusé à Cannes, ils ne vont pas le dire. Moi, on n'a jamais su quand j'étais ridicule. Je savais ce qu'ils avaient loupé mais eux n'ont jamais su ce que j'ai loupé. Moi je le sais par contre ce que j'ai loupé ! Quand on a voulu me faire un hommage pour les trente ans de la quinzaine, j'ai dit « oui, d'accord, mais je prends tous les films que j'ai voulu avoir et que je n'ai pas pu avoir, et puis ceux que j'ai ratés. Comme ça, je complète mes trente ans. Ils n'ont pas voulu. Ce qu'ils voulaient c'était montrer les succès de la Quinzaine. Du coup, je ne l'ai pas fait, l'hommage je n'en ai rien à foutre. Ce qui m'intéresse, c'est de combler et de comprendre pourquoi j'ai raté tel film à ce moment là alors que je l'avais vu mais pas pris. Je ne parle pas de ceux que j'ai pris et que je n'aurais pas du prendre. Ça, il faut les assumer une fois que vous les avez pris. Mais j'aurais trouvé rigolo de compléter, quoi.

Qu'avez-vous raté par exemple ?

Le film de Wim Wenders, Alice dans les villes, je l'ai vu mais je ne l'ai pas pris. Et je m'en suis beaucoup voulu. Après coup. Mais trop tard. Ce n'est pas une science, vous savez, donc il faut un réseau de correspondants et essayer d'avoir un peu de goût. Le goût, ce n'est pas un truc qui se mesure, il n'y a pas de règles. Vous l'avez ou vous ne l'avez pas. Moi j'étais un fou de cinéma et dès que j'aimais quelque chose, je le prenais. Je disais toujours aux réalisateurs – je ne m'adressais qu'à eux, pas aux producteurs ou à peine – donnez-moi votre film, puisque je veux en parler, le faire partager à mes amis. Je n'ai jamais pris des films que je n'aimais pas.

Jamais vous ne vous êtes dit «je n'aime pas vraiment ce film, mais je lui trouve de l'intérêt et donc je le programme ?»

Non, jamais. Je ne suis pas critique. Quand je refusais un film, je ne faisais aucun retour critique, ni négatif ni positif. Je disais «je n'aime pas assez, donc je ne prends pas. Il y a d'autres festivals, essayez avec eux». Mais quand j'aimais beaucoup, je téléphonais dix fois s'il fallait. Les réalisateurs étaient sensibles au fait que je leur parle de leurs films. Des producteurs de la race des Pierre Braunberger ou Anatole Dauman produisaient des films pas uniquement en espérant ne pas perdre d'argent mais aussi par amour du cinéma. Ils me faisaient une confiance absolue car je défendais leurs films.

Avec le temps, le processus de sélection a évolué ? Vous restiez sur l'idée de ne prendre que des films que vous aimiez ou vous faisiez attention à l'équilibre des origines géographiques ?

On ne décide pas d'une ligne éditoriale. Elle s'impose à vous. Les films, les sujets, c'est l'air du temps. Le dosage, du genre il faut que j'ai tant d'asiatiques ou d'africains, ça ne m'intéressait pas. Je n'ai jamais fait attention à ça. Je n'ai toujours pris que des films que j'aimais et que je pouvais défendre. De ce point de vue là, je n'ai jamais été diplomate. J'allais dans un pays, je me tapais vingt, trente films, je les regroupais à Munich, à Vienne, à Rome et je ne prenais que ce que j'aimais. À partir du moment où vous essayez d'être prudent, ce n'est pas bien. Ce n'est pas comme ça que ça doit se faire.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Quinzaine 50 – une histoire en affiches

Posté par MpM, le 10 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Ce n’est pas anodin, une affiche. Chaque année, c’est un peu elle qui donne le ton de la nouvelle édition, tout en restant dans l’identité visuelle générale de la section. La Quinzaine, comme la sélection officielle, a ainsi connu différentes périodes, tantôt très référencées, tantôt plus abstraites, qui racontent à leur manière l’histoire de cette branche parallèle du festival de Cannes qui a toujours cherché la singularité.

Dès 1969, l’affiche de la première édition donne le ton. Ici, ce sont les films et leurs auteurs qui sont à l’honneur, et ils s’étalent en blanc sur fond rouge, donnant immanquablement l’envie de les déchiffrer un à un. La formule de la Quinzaine, « Cinéma en liberté », apparaît quant à elle tout en haut, sans que l’on sache s’il s’agit d’une mise en garde, d’un cri de ralliement ou d’une menace.

En 1970, elle aura disparu, remplacée sobrement par la mention « Festival de Cannes 1970 » (qui ne figurait pas la première année) au-dessus de quelques photogrammes célèbres de l’Entrée du train en gare de la Ciotat. Les frères Lumière sont ainsi convoqués en parrains bienveillants de cette jeune section pleine d’enthousiasme. Ils seront de retour l’année suivante, avant de céder (logiquement) la place à Georges Méliès et à une déclinaison de l’image restée célèbre du Voyage dans la Lune, lorsque la capsule se plante dans l’œil du satellite. Plusieurs variantes suivront jusqu'en 1975.

Le cinéma, d’une manière générale, aura toujours une place primordiale sur les affiches de la Quinzaine : une façade de cinéma (le Star) en 1978, un écran éclairé (sur la plage) en 1979, une sorte d’homme-caméra (ou projecteur ?) en 1981, le diptyque 83-84, avec une femme gravissant les marches rouges, puis à l’intérieur du cinéma, ou encore une scène de film en ombre chinoise en 1991. Sans oublier les hommages explicites, d’Henri Langlois en 1977 (quelques mois seulement après sa mort) à Robert Bresson en 2008 (il avait été sélectionné en 1969 avec Une femme douce, en 1971 avec Quatre nuits d’un rêveur, et en 1997 avec Le diable, probablement en 1977), en passant par Maurice Pialat (l’année de sa mort, en 2003).

Les films s’affichent parfois eux-aussi, comme en 1993, qui nous fait voyager de L’Empire des Sens à THX 1138, de Stranger than Paradise à Mean streets, ou en 1998, avec à nouveau L’Empire des sens et Mean Streets, mais aussi Salaam bombay, Aguirre, la colère de Dieu, Mais ne nous délivrez pas du mal ou encore Les silences du Palais. En 2009, ce sont Albert Serra (réalisateur de Honor de cavalleria, Le Chant des oiseaux) et Lolita Chammah (actrice vue dans Les Bureaux de Dieu), puis, en 2011, des pictogrammes qui représentent à nouveau des films passés par la Quinzaine (ou non), une idée de Frédéric Boyer, le délégué général de l’époque).

Plus hasardeux, la mer et la ville de Cannes se sont parfois invitées de manière un peu brutale sur l’affiche. On pense aux éditions 85 à 88 puis 94-95, 99-2000. En 1986, ce phare au milieu de la mer nous rappelle par exemple que la Quinzaine sert de guide aux cinéphiles perdus dans la nuit.

Ces dernières années, sous la houlette notamment du concepteur graphique Michel Welfringer, la Quinzaine s’est fait une spécialité d’affiches sobres et dépouillées, souvent en noir et blanc, qui racontent une histoire en plus de frapper l’imagination par leur force esthétique. En 2014, on découvre un homme qui plonge dans l’écran, ou pénètre dans un monde sombre et hostile, au choix des interprétations. En 2016, c’est l’écho d’une rencontre forcément cinématographique entre un homme et une femme dont il ne reste que des lambeaux d’affiche. En 2017, place au rêve !

Et cette année, place aux femmes, avec cette joueuse de base-ball immortalisée par William Klein, et qui devient le symbole de toutes les femmes (réalisatrices et personnages) qui ont contribué à faire le Quinzaine. Ce qui place cette 50e édition sous les meilleurs auspices, et nous réconcilie quelque peu, il faut le dire, avec l’esthétique kitsch des premières années.

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 2, la première année

Posté par redaction, le 10 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Vous souvenez-vous de tous les films de la première année ?

Oui, et il y a à boire et à manger. Il y a deux ou trois trucs que j'ai pris parce que c'était dans l'air du temps. Dans mon souvenir, Acéphale a très mal vieilli, c'était déjà maladroit à l'époque mais plutôt sympa quand même. C'est un film du groupe Zanzibar [dont faisait également partie Philippe Garrel ou Pierre Clémenti]. D'autres ont été des vrais chocs et ça a été ça, l'impact de la Quinzaine. Les choix étaient si conventionnels en sélection officielle ! Il n'y avait que la Semaine de la Critique comme section originale avec sept premiers ou deuxièmes sur quinze jours. À côté, il n'y avait que la compétition et rien d'autre. À l'époque, les pays désignaient les films qui allaient en compétition. Il y avait des rapports de force diplomatiques ou politiques. Pas question de ne pas prendre tous les ans ou tous les deux ans un film soviétique et à défaut, au moins un film issu du bloc de l'Est. Et ils nous envoyaient Sergueï Bondartchouk [NDLR : son Guerre et Paix est d'ailleurs programmé à Cannes classics cette année] ou Sergueï Guerassimov. Et pas Otar Iosseliani alors qu'il avait déjà commencé à tourner et que la Géorgie faisait partie du bloc soviétique. Non, pas l'avant-garde, pas ce qui était vivant, mais des films académiques. Pour les films français, c'était un comité soi-disant, mais en réalité c'était Edmond Tenoudji, un producteur qui avait créé la Fédération Internationale des producteurs de films qui envoyait Les Feux de la Chandeleur qu'il avait produit pour représenter la France en compétition. On facilitait les copains !

Malgré le nombre de films présentés la première année, avez-vous quand même effectué un travail de défrichage ?

J'avais remarqué une chose, d'une certaine manière c'est Henri Langlois qui m'avait appris ça, il vaut mieux qu'un film soit recommandé par un créateur que par la critique. Je m'explique : lorsqu'on demandait à Picasso ce qu'il pensait de beaucoup de peintres, souvent il ne disait rien. «Mais Matisse alors là… même moi je n'arriverais pas à le faire !» C'est le plus beau compliment qu'il puisse lui faire. Quand un artiste est quasiment jaloux de l'autre. Donc j'ai commencé à téléphoner à tous les réalisateurs connus et on avait un carnet d'adresses formidable grâce à l'affaire Henri Langlois. Les metteurs en scène s'étaient mobilisés pour le défendre quand il a été viré. J'avais gardé leurs numéros et j'appelais en demandant ce qui se passe d'intéressant, s'ils avaient des trucs à recommander. Et quand on me signalait quelque chose, j'essayais de les faire venir et voilà ! La qualité d'un festival dépend de son réseau d'espionnage en amont, si j'ose dire, ou de correspondants. Ensuite, vous faites vos voyages en fonction de ce qu'ils vous disent. Ça vaut la peine d'y aller et d'en voir beaucoup. La deuxième année, je suis allé en Allemagne avec Alain Cavalier à Munich. Et j'ai ramené Werner Schroeter, Werner Herzog, Fassbinder…

Fassbinder n'avait jamais été montré en France ?

Jamais. La première quinzaine, j'ai montré deux films d'Oshima. Personne ne le connaissait non plus. Personne. Tout le monde connaissait Akira Kurosawa, mais il avait 20 ans de plus. On ne s'était pas aperçu qu'il y avait un nouveau cinéma japonais qui commençait avec quand même un très grand. J'ai ramené Susan Sontag parce que mes copains m'ont dit que son premier film est formidable. J'avais rencontré un producteur québécois, copain et coproducteur d'Oshima au Japon. Il m'a parlé de lui mais aussi de Carmelo Bene, un copain à lui dont j'ai pris deux films, Notre-Dame-Des-Turcs et Capricci. C'était l'enfant terrible du théâtre, un metteur en scène provocateur, qui s'emparait de Shakespeare et le mettait en scène de façon moderne. Il scandalisait tout le monde ! Quand j'ai vu les deux films, c'était quelque chose de nouveau, ni du théâtre ni du cinéma, mais quelque chose entre les deux qui se voulait une sorte d'art total.

Comme j'avais été une fois déjà à New-York, Langlois avait dit « vous savez, je vous conseille d'aller voir Jonas Mekas ». Je suis allé le voir, il tenait une sorte de cinémathèque à New-York et j'ai découvert grâce à lui le cinéma underground et expérimental. J'ai ramené Stan Brakhage, Gregory Markopoulos et d'autres encore.

Werner Herzog me dit un jour : «Pierre-Henri, je viens de voir 40 minutes d'un film sur la table de montage, je pense que ça va être très bien, essayez de le voir et prenez le !». Je vois le film, aux Etats-Unis, et Werner avait raison. C'est formidable et je le prends. Mais le distributeur américain, la Warner, s'y oppose car c'était un film de science-fiction, et la science-fiction ça marchait pas. Alors j'ai appelé le producteur, et c'était Francis Ford Coppola. C'était THX 1138 de George Lucas ! Il m'a dit je vous le donne, et il était fier !

Avoir beaucoup de films la première année a été une chance pour montrer un large éventail de cinéastes sans vous sentir limité ?

Ça a fait un choc et ce qui s'est passé. Je n'avais jamais été à Cannes, je ne connaissais pas le festival, je ne savais même pas qu'il y avait des dossiers de presse. Les deux premiers films que j'ai annoncés étaient bloqués en douane. Je ne savais pas qu'il fallait souscrire des D18, pour une admission temporaire. Même si Cannes bénéficiait d'un statut d'extra territorialité en termes de censure, il fallait quand même que les films puissent rentrer. Les deux premiers que j'ai annoncés n'étaient pas là. La veille au soir, Fausto Canell, dont j'avais pris un court-métrage (Hemingway) est arrivé avec deux copies de films, recommandés par le conseiller à l'Ambassade de Cuba. J'ai remplacé les deux films bloqués par deux chefs d'oeuvre. [voir le texte sur la première année].

C'est arrivé souvent ce genre de hasard, des films que vous pensez avoir et que finalement vous n'avez pas eu et des choses qui sont arrivées un peu à la dernière minute ?

Beaucoup de choses sont arrivées à la dernière minute. Une fois même le festival avait déjà commencé. Hugo Santiago est arrivé avec la copie de son film, Invasion. Il connaissait la France, avait fait des études de musique au conservatoire de Rome et était francophile à mort. Son film, un chef d'oeuvre absolu, était écrit par Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares, rien de moins. On loue une salle de cinéma et il nous le montre à minuit. On lui a dit aussitôt qu'on l'intégrait ! Un cadeau du ciel !

Vous faisiez comment pour visionner les films ?

Je les voyais au cinéma Le Ranelagh le matin ou dans des salles de projection au Club 70 rue Lauriston ou plus tard au 33 des Champs Elysées dans la même salle de projection qu'utilisait l'officielle ! Ce qui me permettait de surveiller tout le monde et de voir tous les films qu'ils voyaient !

Avec le temps le processus de sélection a évolué ? Vous restiez sur l'idée de prendre que des films que vous aimiez ? Vous faisiez attention à l'équilibre des origines ?

On ne décide pas d'une ligné éditoriale. Elle s'impose à vous. Les films, les sujets, c'est l'air du temps. Le dosage, il faut que j'ai tant d'asiatiques ou d'africains, ça ne m'intéressait pas. Je n'ai jamais fait attention à ça. Je découvrais après, bon ben voilà. Je n'ai toujours pris que des films que j'aimais parce que je pouvais les défendre. De ce point de vue là, je n'ai jamais été diplomate. J'allais dans un pays, je me tapais vingt, trente films, je les regroupais à Munich, à Vienne, à Rome mais je ne prenais que ce que j'aimais. À partir du moment où vous essayez d'être prudent, c'est pas bien. Ce n'est pas comme ça que ça doit se faire.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Quinzaine 50 : entretien avec Edouard Waintrop, délégué général

Posté par redaction, le 9 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

À l'occasion de l'anniversaire de la Quinzaine des Réalisateurs, rencontre avec son délégué général, Edouard Waintrop, qui quittera ses fonctions après sa septième édition en tant que sélectionneur. Merci à lui pour cet entretien.

Quelle image aviez-vous de la Quinzaine avant d'en devenir le sélectionneur ?

Avant tout celle des premières années. Je me suis intéressé au cinéma à l'adolescence alors que la Quinzaine naissait. Du coup j'ai découvert La Première charge à la machette de Manuel Octavio Gomez, le film d'ouverture de cette première édition, sorti à Paris quelques semaines après son passage à Cannes. Les cinq premières années, celles dont parle le livre de Bruno Icher [La Quinzaine des réalisateurs - Les jeunes années 1967-1975], je les ai vécues pleinement comme cinéphile. J'avais un attachement sentimental très fort à la Quinzaine. C'était ma maison. En tout cas, c'est là où j'ai été formé.

À l'époque c'était simple, il y avait plein de nouveaux noms qui apparaissaient. J'ai été élevé à Ford, Hawks et consorts. Et tout d'un coup, on découvrait Glauber Rocha, Paulo Cezar Saraceni, Nelson Pereira dos Santos, Marco Bellochio avec Les Mains dans les poches, Alain Tanner avec Charles mort ou vif [Semaine de la Critique en 1969] puis avec La Salamandre, Ken Loach très vite aussi avec Kes et Family Life, Werner Herzog, Werner Schroeter, c'était impressionnant, Zanussi chez les polonais encore… On découvrait des nouveaux cinéastes tout le temps, tout le temps ! On voyait bien que les choses bougeaient. Le mouvement était général. Il y avait une effervescence dans le cinéma, mais aussi dans la politique et dans le monde en général. La quinzaine a chevauché ces deux effervescences.

Bruno Icher évoque dans son livre la façon dont les choses se sont mises en place, des fois n'importe comment. À la fin quand même le résultat fut positif. Ça a réussi à se faire alors que ça n'aurait pas du marcher, grâce à un élan incroyable qui n'existe plus aujourd'hui. Et ce n'est pas de notre faute seulement. C'est la réalité de la société qui a encore beaucoup plus séparé les gens. Le cinéma n'a plus l'importance en 2018 qu'il avait en 1969. À l'époque je me souviens, quand on allait au cinéma, c'était un acte presque militant. Quand on allait voir un film de Glauber Rocha, c'était aussi pour changer le monde.

D'autres films de cette période vous ont marqué ?

Lucia de Humberto Solas, Wanda de Barbara Loden, THX 11 38 de George Lucas, Mean Streets de Martin Scorsese, Aguirre la colère de Dieu de Werner Herzog, La Pendaison de Nagisa Oshima… C'est ce cinéma-là qui m'a complètement formé entre 69 et 75. Je suis allé pour la première fois en 1976 au Festival de Cannes. J'ai suivi la Quinzaine mais aussi des films de la compétition que j'aime beaucoup dont Au fil du temps de Wim Wenders avec Rudiger Vogler et Hanns Zischler. Le film m'avait d'autant plus impressionné qu'à l'époque j'étais encore un peu germanophone. J'avais fait allemand en première langue. La problématique de la séparation de l'Allemagne en deux était pour moi très forte, donc cette histoire de «camion cinéma» qui suit la ligne de frontière entre les deux Allemagne, j'ai trouvé ça très beau, très triste. J'aimais vraiment beaucoup ce film. Mais celui qui m'a le plus estomaqué, c'est quand même Taxi Driver qui a eu la Palme. Mais le fond pour moi, c'était la Quinzaine.

Vous pouvez évoquer le moment où vous avez candidaté au poste de délégué général ? Quelle vision vouliez-vous donner de la Quinzaine et est-ce que cela a évolué ?

Mon idée à l'époque était de faire de la Quinzaine le rendez-vous de tous les cinéastes et de retrouver l'âme des premières quinzaines. Ça s'est révélé totalement impossible ! À ce niveau là, j'ai abdiqué. Sur le reste, je fais béatement confiance à mon goût et à mon équipe. Je n'ai pris que des gens qui n'avaient ni la même éducation ni les mêmes goûts que moi - pour ce que j'en savais - et n'étaient pas de la même génération. Je pensais que de ce frottement de silex contraires naîtrait une étincelle et qu'on ferait des bonnes sélections. Je ne connaissais absolument pas les trois quarts d'entre eux et ça s'est très bien passé pendant sept ans. Je suis quand même assez sûr de moi, même de mes erreurs - car ça fait partie de la vie - pour des fois n'en faire qu'à ma tête. Mais toujours en les écoutant. La seule chose qui m'intéresse, c'est d'entendre l'avis des autres, surtout ceux avec lesquels je ne suis pas d'accord. Moi je suis plutôt de gauche et anarchisant, mais j'adore lire Le Figaro. Ça ne m'intéresse pas de lire des gens qui ont les mêmes avis que moi, les expriment mal et ensuite ne m'apportent rien parce qu'on est d'accord. Je lis un journal pour me faire réfléchir donc il vaut mieux que ce soit des avis que je ne partage pas.

Avec vos équipes, même si vous disiez assumer vos choix et vos erreurs, ils vous ont aussi poussé à accepter certains films ?

Oui, bien sur, sans ça, il n'y a pas de jeu. Ils m'ont convaincu, des fois sur des films importants. Et sur lesquels j'avais des réserves et qui se sont révélés être de gros succès.

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Quinzaine 50 : un Carrosse pour les réalisateurs

Posté par redaction, le 9 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Depuis 2002, la Société des Réalisateurs de Films remet un prix spécial en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. Un prix nommé Carrosse d’or, en hommage au film de Jean Renoir avec Anna Magnani. Si la statuette en bronze représente des personnages typiques de la Comedia dell’arte, c’est bel et bien aux cinéastes que le trophée est remis. À travers le Carrosse d’or, les membres de la SRF veulent « rendre hommage à un cinéaste qui a marqué l’histoire du cinéma, par son audace, son exigence et son intransigeance dans la mise en scène ».

L’occasion, dans le cadre de notre dossier consacré aux 50 ans d’une sélection parallèle souvent aussi intéressante que l’officielle, d’un petit récapitulatif dans l'ordre chronologique des différents récipiendaires. Rappelons que sur les 16 – 17 dès ce mercredi – lauréats du Carrosse d’or, on ne trouve que trois femmes, reflet d’une profession encore très déséquilibrée. Ainsi, lors de conférences qui étaient dédiée au sujet pendant le Festival de l’année dernière, la productrice Claudia Ossard et Isabella Rossellini rapportaient que 25% des cinéastes en France étaient des femmes. Un pourcentage certes bas, mais qui reste un des plus haut à l’international. La SRF a pris soin de récompenser des auteurs de régions cinématographiques variées, de l'Europe à l'Afrique en passant par l'Asie et l'Océanie et l'Amérique du Nord. Bientôt un représentant du cinéma latino-américain ?

2002 - Jacques Rozier


« L’enfant terrible de la Nouvelle Vague » est le premier à recevoir un Carrosse d’or. Une belle reconnaissance, pour un cinéaste qui s’est affirmé dès ses débuts par sa volonté de tourner sans aucun impératif de temps – ni de scénario. Son premier long-métrage, Adieu Philippine, consacré lors de la première édition de la Semaine de la Critique (1962), symbolise peut-être à lui seul sa filmographie. Inspiré par le néoréalisme italien, Rozier est parti tourner en Corse dans des régions inaccessibles en voiture, a pris 12 mois pour en faire le montage, et a dû reconstituer les dialogues, improvisés, après avoir perdu les bandes sonores. Seuls quatre autres longs-métrages suivront en 40 ans, mais en parallèle de nombreuses réalisations pour la télévision. Il a participé à la Quinzaine avec Du Côté d’Orouet en 1971.

2003 - Clint Eastwood

Clint Eastwood qui succède à Jacques Rozier : une belle preuve de la volonté d’éclectisme de la SRF en remettant son Carrosse d’or ! Est-ce bien nécessaire de présenter l’octogénaire ? Acteur dans plus de quatre-vingts longs-métrages, réalisateur de bientôt quarante, Eastwood fait partie de ces monstres classiques qui ne s’arrêtent plus de tourner. Malgré sa longue carrière, la reconnaissance critique arrive tardivement, en 1992 : Impitoyable marque un tournant, mais 25 ans plus tard Clint semble toujours aussi en forme …

2004 - Nanni Moretti

Comme d’autres lauréats du Carrosse d’or (Werner Herzog, Alain Cavalier, Jafar Panahi), Nanni Moretti adore se mettre en scène – ce qu’il fait d’ailleurs dans chacun de ses longs-métrages. Tant et si bien que le personnage fictionnel, exubérant, tend à se confondre avec le réel : alors jury au Festival de 1997, il se bat pour qu’Abbas Kiarostami reparte avec une Palme d’or ex-aequo, ce qui vaut à la présidente d’alors, Isabelle Adjani, de le qualifier de Machiavel. Mais il faut dire qu’avec des œuvres aussi personnelles que Journal Intime ou Aprile, difficile de ne pas s’y attacher ! Et bien qu’il soit l’auteur de nombreuses comédies ironiques, c’est avec le bouleversant La Chambre du fils qu’il reçoit la Palme d’or en 2001.

2005 – Ousmane Sembene

Ousmane Sembène a un parcours passionnant. Il s’est imposé comme le plus célèbre des cinéastes sénégalais, et n’a eu cesse de prendre parti sur des questions politiques et sociales de son pays. Tirailleur sénégalais pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’installe clandestinement en France dès 1946 : adhérent à la CGT et au PCF, docker à Marseille, il va militer contre les guerres coloniales, tout en publiant des romans dans lesquels transparait son engagement. Lors de l’indépendance de ce qui devient bientôt le Sénégal, en 1960, il rentre dans son pays natal et réfléchit à un moyen de célébrer l’Afrique nouvellement indépendante – ce qu’il met en pratique en allant étudier le cinéma à Moscou !

Sa charge politique apparaît dès son premier long-métrage, La Noire de … (1966), premier film entièrement africain de l’Histoire. Célébré en Europe, mais aussi en Afrique où il participe à des Festivals et montre ses films dans des villages sans salles de cinéma, il va cependant devoir affronter plusieurs fois la censure. Une censure sénégalaise, notamment pour la critique tant du catholicisme que de l’Islam dans Ceddo (passé à la Quinzaine en 1977, tout comme Emitai l'avait déjà été en 1972). Mais aussi une censure française, Camp de Thiaroye (1988) étant pratiquement invisible en France, où il ne sort qu’en 1998 – le fait relaté, l’exécution de tirailleurs sénégalais par l’armée française, étant peu glorieux.

2006 - David Cronenberg

Né à Toronto, David Cronenberg commence le cinéma de manière underground dans les années 60 avec des courts-métrages expérimentaux, puis à télévision au début des années 70. S’il se fait remarquer dans cette même décennie avec des films à petit budget mêlant S.-F. et horreur (Frissons, Rage, Chromosome 3), il devient véritablement connu dans les années 80. Des films tels que Scanners, Faux-semblant, ou bien sûr La Mouche vont ainsi permettre à un large public d’associer son nom à une esthétique quelque peu malsaine, fusionnant éléments organiques et mécaniques. La reconnaissance cannoise est assez tardive, mais conséquente : il est ainsi en 1999 président du jury, et certains de ses films seront ensuite présentés en compétition. Et bien que récemment, A dangerous mind, Cosmopolis ou Maps to the stars délaissent l’esthétique citée précédemment, il n’en demeure pas moins un cinéaste fortement psychanalytique, que les cerveaux explosent ou non !

2007 - Alain Cavalier


Après quelques films chargés politiquement et formellement assez « classiques » dans les années 1960, Alain Cavalier se tourne vers un style qui va être de plus en plus épuré. Il se rapproche inexorablement du documentaire, et l’arrivée des caméras vidéo ressemble pour lui à une consécration. Dès le début des années 2000 il ne fait pratiquement plus que des films seuls, avec rarement plus d’une paire d’acteurs, et une caméra DV.

2008 - Jim Jarmusch


Jim Jarmusch commence avec succès sa filmographie. Son « premier film », Stranger than paradise (tourné après son film de fin d'études Permanent vacation), a été découvert à la Quinzaine et y a obtenu la caméra d’or en 1984. Son histoire d’amour avec le Festival continue jusqu’à nos jours, trois de ses films récents ayant été présentés en compétition officielle. Comment caractériser son cinéma ? Peut-être par l’atmosphère hors du temps qui s’en diffuse. Ses personnages dénotent avec leur environnement, comme Forest Whitaker en samouraï du New-jersey dans Ghost dog, les vampires mélancoliques d’Only lovers left alive, ou encore Paterson qui rythme ses journées monotones par des poèmes. Au final, Jarmusch c’est un peu le mélange d’un dandysme lointain cousin de Wes Anderson et d’un blues électrique à la Nick Cave.

2009 : Naomi Kawase


Naomi Kawase n’a réalisé que cinq films lorsqu’elle reçoit, en 2009, le Carrosse d’or – mais elle a remporté le Grand Prix à Cannes deux ans plus tôt, pour La Forêt de Mogari. En 1997, elle recevait déjà la Caméra d'or pour Suzaku, découvert à la Quinzaine. En lui remettant le prix, la SRF et la Quinzaine souligne l’importance d’avoir des cinéastes femmes, surtout au Japon.

Ainsi, la réalisatrice expliquait en 2001 : « Dans l'industrie cinématographique japonaise, réaliser des films est considéré comme quelque chose dont il faut se défausser, ou qu'il faut faire en souffrant – vous êtes supposés perdre les nécessités basiques de la vie au passage. Cette condition, poursuivre un rêve, sans s'économiser, est quelque chose qui serait pardonné à un homme, mais pas à une femme. Cette sorte d'intolérance de la vieille génération est toujours apparente au Japon et c'est toujours une grande barrière à dépasser. » (interview de Naomi Kawase à Rotterdam, citée chez Première).

Et si Naomi Kawase n’a peut-être pas (encore ?) marqué l’Histoire du cinéma, elle s’inscrit tout de même dans celle du Festival du Cannes : présente en compétition en 2011, 2014 et 2017 pour respectivement Hanezu, l'esprit des montagnes , Still the water et Vers la Lumière, elle est aussi membre du jury en 2013 et présidente de la Cinéfondation en 2016 !

2010 - Agnès Varda


Agnès Varda est une des rares femmes ayant participé à la Nouvelle Vague. S’illustrant autant dans les long-métrages de fiction (Cléo de 5 à 7, L’une chante l’autre pas …) que dans les documentaires, comme le récent Visages Villages, elle reçoit depuis le début des années 2000 pléthores de récompenses. C’est donc, entres autres, à une légion d’honneur et un César d’honneur que succède le Carrosse d’or qui lui est remis en 2010.

2011 – Jafar Panahi


Jafar Panahi est peut-être la figure la plus représentative du cinéaste engagé. On peut voir en lui l’héritier d’Abbas Kiarostami, qui a signé le scénario de son Ballon d’or (Quinzaine 1995, Caméra d’Or) et dont il a été l’assistant. Les films de Jafar Panahi ne sont pas de simples brûlots politiques : la critique de la société iranienne, omniprésente, se fait à travers des histoires humaines qui se veulent universelles. Chaque nouveau film de Panahi va avec son lot de complication : dès Le Cercle, en 2000, dont la censure interdit l’exploitation – et fait de même avec des films qui suivent.

En 2009, le cinéaste est arrêté avec sa femme et sa fille pour avoir manifesté, et un film en cours de tournage est annulé par jugement. Incarcéré en 2010, il est libéré après le versement d’une lourde caution, il est menacé de six ans de prison – ce qui se transforme en obligation de rester en résidence surveillée. S’il peut aujourd’hui se déplacer dans le pays (son nouveau film, présenté cette année à Cannes, est d’ailleurs un road-movie), il ne peut le quitter, sous peine de ne pas pouvoir y revenir. Il n'était donc pas présent en 2011 au moment de recevoir le carrosse d'or.

Et si le gouvernement lui a interdit de réaliser des films, il continue pour autant de tourner, se mettant en scène dans ce qu’il présente comme n’étant pas de la fiction – comme dans Taxi Téhéran, pourtant mis en scène avec brio ! La fiction réside peut-être dans l’aventure qui entoure ses films : Ceci n’est pas un film, au titre évocateur, est ainsi parvenu clandestinement au Festival de Cannes, au moyen d’une clé USB cachée dans un gâteau !

2012 - Nuri Bilge Ceylan

Figure clé du cinéma turc actuel, adepte de Tchecov et d’un cinéma contemplatif, Nuri Bilge Ceylan fait partie des habitués du Festival. A l’instar de Jane Campion, son premier court-métrage remporte la palme dédiée au format en 1995, et hormis son premier film (Nuages de mai, 1998), la totalité de ses longs-métrages est présentée en compétition, glanant au passage pas moins de deux Grand Prix du Jury (Uzak et Il était une fois en Anatolie), un Prix de la mise-en-scène (Les Trois Singes), jusqu’à la Palme d’Or pour Winter Sleep.

Sa présence systématique est sûrement à attribuer au fait qu’il constitue un des uniques représentants du cinéma de son pays à l’international ; un pays que sa filmographie nous permet d’admirer sous de multiples facettes. Et si ses films ne sont pas forcément des brûlots politiques, il ne reste pas moins critique envers les dirigeants turcs, dédiant sa palme d’or à « la jeunesse de Turquie, et à ceux d'entre eux qui sont morts au cours de l'année passée [durant des manifestations contre le parti au pouvoir] ».

2013 : Jane Campion

Après deux succès d’estime, le troisième film de la néozélandaise Jane Campion va lui faire une place sur la scène internationale. Avec La leçon de Piano (1993), elle devient ainsi la première – et pour l’instant la seule – femme à recevoir la Palme d’or. La filmographie de Jane Campion est d’ailleurs elle aussi liée au Festival de Cannes : son tout premier court-métrage, An exercise in Discipline – Peel obtient ainsi la palme d’or du court-métrage en 1982 ! En lui remettant le Carrosse d’Or en 2013, la Quinzaine des Réalisateurs semble anticiper sa présidence du jury cannois l’année suivante. Depuis quatre ans, elle s’illustre cependant plus sur petit écran que sur grand, avec la série prisée  Top of the lake.

2014 - Alain Resnais

Alain Resnais s’affirme comme un des plus grands réalisateurs français dès son premier film (dans les faits, son second, mais le tout premier a été perdu) : Hiroshima mon amour, en 1959. A la vingtaine de long-métrages qui suivent, il ne faut pas omettre une trentaine de courts-métrages, dont de nombreux documentaires tels que le poignant Nuit et brouillard. N’oublions pas non plus qu’il s’affirme très tôt en tant que défenseur de la bande-dessinée, à une époque ou le 9e art n’était pas pris au sérieux (grand ami de Stan Lee, il s’est d’ailleurs de nombreuse fois penché sur une adaptation de Spider-man !). Le carrosse d’or qui lui est dédié en 2014 est posthume, venant couronner une œuvre s’étalant sur près de soixante-dix ans …

2015 - Jia Zhang-ke


Le Chinois Jia Zhang-ke, auteur de 12 films en 20 ans, est un cinéaste éminemment politique. Il attribue d’ailleurs son envie de faire du cinéma à un événement marquant de la Chine contemporaine : participant aux larges manifestations de 1989, au nom de valeurs égalitaire et libertaires, il est marqué par la sanglante répression de la place Tian’anmen (qui aurait fait jusqu’à 10 000 morts, et d’innombrables arrestations). Son premier film, Xiao Wu artisan pickpocket (1997) étant sélectionné à Berlin, les autorités lui reprochent d’avoir « influencé gravement les échanges culturels normaux entre la Chine et le monde » (interview publiée dans Libération : https://goo.gl/gRD5xY).

Ses films suivants seront ainsi l’occasion de bras de fer avec la censure ; en cas de potentielle interdiction en Chine, il n’hésite cependant pas à tourner quand même, et à diffuser de manière « underground » - un adjectif parfois accolé à son statut de cinéaste. Heureusement pour lui comme pour nous autres spectateurs, le censure diminue à partir de la libéralisation de la Chine en 2003, bien qu’encore présente. Quoiqu’il en soit, on aura l’occasion de voir cette année en compétition son nouveau film, Les Eternels – et on s’en languit !

2016 - Aki Kaurismaki


Journaliste de formation et cinéphage par passion, le Finlandais cynique a annoncé avoir pris sa retraite après L’autre côté de l’espoir (2017) – même si on connait la propension des cinéastes à sortir de leur retraite. Au finale, ce sont près de vingt films qui forment une filmographie, dont trois trilogies : une du prolétariat, une de la Finlande et celle inachevée, des migrants. Il a été invité à deux reprises à la Quinzaine, avec Shadows in Paradise en 1987 et Tiens ton foulard, Tatiana en 1994.

2017 - Werner Herzog


Non seulement Werner Herzog aime se mettre en scène, à l’instar des cinéastes précédemment cités, mais en plus il crée une véritable légende autour de lui. Au fil de son épaisse filmographie, on retrouve ainsi autant des documentaires que des films de fictions, deux faces totalement complémentaires. Ainsi d’un côté, « dans la vraie vie », il se met en scène au bord de volcans prêts à rentrer en irruption, ou au sommet de monts enneigés, quand il n’est pas directement filmé en train de cuisiner puis de manger sa botte.

Le côté fictionnel est tout aussi impressionnant, pour citer deux de ses films les plus célèbres : dans Aguirre et la colère de Dieu, il part tourner en pleine Amazonie, tandis que pour Fitzcarraldo il fait grimper un bateau sur une colline. Tout un programme donc, Herzog semblant répondre à l’adage Fordien : « écrire l’Histoire, imprimer la légende ». Sa reconnaissance internationale est intimement liée à la Quinzaine : il est venu une fois par an, de 1970 à 1973, avec Les Nains aussi ont commencé petits, Fata Morgana, Pays du silence et de l’obscurité et enfin Aguirre.

Et tout à l'heure, Martin Scorsese rejoindra ce prestigieux club.

Nicolas Santal de Critique-Film

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 1, les débuts

Posté par MpM, le 9 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sûr pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilerons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Comment êtes-vous devenu délégué général de la Quinzaine ?

Je dirigeais un ciné-club universitaire à Lille. Ça marchait très bien, j'avais une belle salle en gradins, au CRDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique) qui dépendait de l'université. J'avais fait venir des metteurs en scène, des membres de la fédération française des ciné-clubs. Mon ciné-club commençait à huit heures et demi et pouvait finir à cinq heures du matin. J'obtenais des copies de la Cinémathèque de Bruxelles grâce à son directeur Jacques Ledoux, Henri Langlois m'en prêtait également. Et j'ai fait venir Jacques Doniol Valcroze, Pierre Kast ou Jean-Daniel Pollet [certains des futurs fondateurs de la SRF], ainsi que Claude Miller avec son premier court-métrage. Quelques metteurs en scène étrangers aussi.

Dès que j'avais un peu de temps, je venais trois ou quatre jours à Paris par semaine. Je passais plus de temps à Paris que sur les bancs de l'université ! Je bouffais du film ! De dix heures du matin jusqu'à 18h, les films de l'actualité au Champo - je m'en tapais quatre-cinq, en bouffant juste un sandwich - et ensuite à 18h30 j'étais à la Cinémathèque et j'enchaînais ensuite deux autres séances. Trois films par soir donc, à Chaillot ou rue d'Ulm. Et là j'apercevais Langlois. Je suis arrivé à Paris, je ne connaissais personne, je ne savais pas comment faire. Je l'aborde et je lui demande de m'aider, car je voulais faire du cinéma. Je lui ai dit «C'est à cause de vous ! J'ai pris le virus chez vous, donc vous êtes responsable, il faut m'aider !» Il me dit «très bien, vous êtes mon chauffeur !». Je suis donc devenu son chauffeur, avec ma deux chevaux, et tous les soirs je voyais des films, tous les soirs, je mangeais avec des metteurs en scène qu'il recevait.

J'ai ensuite téléphoné à Pierre Kast en lui disant que je cherchais du travail, comme assistant. Je n'avais jamais vu une caméra de ma vie ! Il me dit d'appeler Doniol qui s'apprête à tourner et m'engage sans me demander si j'avais fait fait des films. Le tournage du film, La Maison des Bories, est retardé. Après l'affaire Langlois puis la fermeture de Cannes, la SRF s'est créée. En novembre, Doniol me propose le poste. L'idée de me confier la Quinzaine venait de Jean-Gabriel Albococco, c'est clair, net et précis. J'ai dit oui, bien sûr ! Je leur ai raconté que je connaissais Cannes par coeur. Ce n'était pas vrai et je ne suis pas certain que Valcroze m'ait cru, car il était trop malin. J'ai eu carte blanche pour sélectionner les films, qui devaient rendre compte de l'air du temps.

Pierre Kast, Louis Malle et Jean-Gabriel Albicocco en mai 68

C'était un désordre indescriptible, cette préparation ! Il a fallu tout improviser mais c'était rigolo. J'étais aidé d'une petite équipe : Jean-Jacques Schakmundès, un ami qui travaillait avec moi à la télévision scolaire ; Chantal Nicole, alors secrétaire de Jean-Gabriel Albicocco et un jeune garçon de 18 ans, raide fou, mais génial. C'était Richard Dembo qui plus tard aura l'oscar du meilleur film étranger avec La Diagonale du fou. On a beaucoup improvisé. Mais la Quinzaine s'est rapidement structurée entre les deux premières éditions. J'ai vite compris comment ça fonctionnait, Cannes. La première année, nous n'avions qu'une affiche-programme, l'année d'après, j'ai fait un petit catalogue ronéotypé que j'ai distribué moi-même dans les casiers de presse.

Quel a été l'accueil critique de cette première édition ?

Il n'y a quasiment pas eu de critique, presque aucun papier, spécialement dans la presse française. Je me souviens que ce n'est qu'au milieu du festival que j'ai vu arriver un critique français. C'était Jean-Louis Bory. Il vient me dire «je fais un effort, je viens dans ton festival». Il était bronzé comme tout ! Je lui dis « tu vois deux films par jour, et tu as bronzé dans les salles de projection ? Ce n'est que maintenant que tu viens voir mes films ? Tu plaisantes ? ». Ils nous boudaient, ne nous prenaient pas au sérieux. Ou alors ils s'en fichaient, ça les embêtait, je ne sais pas. Jean de Baroncelli, le critique du Monde, a écrit «À la Quinzaine, il paraît qu'il y a eu ça d'intéressant, je ne l'ai pas vu, mais on ne peut pas tout voir». Faut pas déconner ! Ce sont les étrangers qui sont venus les premiers.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Quinzaine 50 : voyage dans la première édition

Posté par redaction, le 8 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Les sélections des trois premières années de la Quinzaine ont dépassé à chaque fois allègrement les 50 longs-métrages. Michel Ciment, déjà présent en 1969, partage ses réserves |dans Positif numéro 107, été 1969] sur cet embouteillage dans un des rares textes de la presse cinéma à l'époque évoquant la première Quinzaine :

«Monsieur Favre Le Bret [alors président du festival] – dans le souci de renouveler sa formule, avait donné plus d'écho à la Semaine de la Critique et encouragé la Société des Réalisateurs de Films à organiser pour la première fois leur propre festival non stop (ou presque) dans un cinéma de la ville. Quelques uns des «saboteurs» de l'an dernier avaient fait amende honorable, parlaient de malentendu, tentaient de se mettre au mieux avec les notables locaux. D'autres entreprenaient cette manifestation parallèle qui avait le mérite de faire découvrir certains films peu connus ou même inconnus. Elle montrait d'une part que la SRF aidait les jeunes réalisateurs, leur fournissait une salle dont la location est coûteuse. Monsieur Favre-Lebret de son côte neutralisait d'éventuels adversaires : chacun y trouvait son compte, sous les couleurs du libéralisme. Il n'est pas sûr que cette initiative ait répondu vraiment à ses buts. Elle n'a pas manqué d'être à son tour une sélection […] alors que son originalité aurait pu être de tout montrer. Mais cette sélection n'a pas empêché la quinzaine d'encombrer un peu plus encore un programme pléthorique (plus de 400 films!). Ne gagnant ni sur le terrain de l'efficacité (comme la Semaine de la Critique qui réussit à imposer la sortie de films et trouve des échos dans la presse), ni sur celui de la doctrine (abolition du choix, présentation libre de tout produit), la Quinzaine de la SRF a certes réussi à montrer beaucoup de films gratuitement à un public nombreux, mais l'écho ne s'en est pas hélas répercuté […]».

Certes, l'écho dans la presse fut léger et certains films ont sombré dans l'oubli (ce qui arrive encore de nos jours) mais cette première édition fut néanmoins un succès, en nombres de spectateurs et dans son rôle dans l'évolution du Festival. Il y a clairement un avant et un après Quinzaine. Les films réunis par Pierre-Henri Deleau témoignent d'une vitalité de courants, de styles et de régions cinématographiques, avec des nouvelles exaltantes venues du Japon, du Brésil, de l'Italie, du Canada, de l'Est, sans oublier la France. La Cinémathèque Française a récemment proposé un fac-similé quasi intégral de la première Quinzaine. Sur les 66 longs présentés en mai 69, 57 étaient à voir ou revoir, accompagnés de seulement 4 des 42 courts-métrages vus à l'époque. Retour sur quelques unes de ces pépites.

Le hasard fait parfois bien les choses

Pour sa toute première programmation à Cannes, Pierre-Henri Deleau, premier délégué général de la quinzaine, a été la victime dans un premier temps de son manque d'expérience. Faute d'avoir signé leur formulaire de visa temporaire d'exploitation, il se retrouve dépouillé de ses deux films d'ouverture, bloqués à l'aéroport. La chance le rattrape vite, un certain Fausto Canel dont le court-métrage Hemingway est présenté à la Quinzaine, vient le voir à la demande de l'ambassadeur de Cuba. Il lui offre sur un plateau d'argent deux films de son pays.

Ce qui aurait pu être un cadeau empoisonné devient un miracle. La Première charge à la machette de Manuel Octavio Gómez est un moment de cinéma comme on voyait alors très peu, malgré les points communs sur la forme avec La Bataille de Culloden de Peter Watkins, tourné en 1964. Les deux films ont en commun d'être mis en scène comme des reportages, caméra à l'épaule, en son direct, avec interviews des protagonistes des deux bords, comme si la caméra avait été effectivement présente sur les champs de bataille pour témoigner de deux conflits bien différents, l'un datant de 1746 et situé en Angleterre, l'autre de la seconde moitié du XIXe siècle. Le procédé du reportage sur le vif facilite l'immersion et l'identification au-delà de ce qui aurait pu n'être qu'un gadget de mise en scène.

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