Le jeu vidéo, ultime conquête du cinéma?

Posté par vincy, le 28 août 2009

princeofpersiapic2.jpgDans Ultimate Game, qui sort mercredi 2 septembre sur les écrans français, un créateur de jeux invente des logiciels si puissants que ce sont de vrais humains qui sont contrôlés par les joueurs, à travers des nanotechnologies implantées dans le cerveau des « personnages ». Society ressemble ainsi furieusement aux Sims. Quant à Slayers il démontre avec quel cynisme on s’amuse de l’ultraviolence. Si le film, en soi, est trop binaire pour que la satire soit profonde, il s’interroge avec pertinence sur la surenchère du jeu vidéo dans nos sociétés, le rapport du consommateur avec l’interactivité et le virtuel. Le premier tiers du film n’est qu’un jeu vidéo réalisé pour le cinéma : sans joy-stick. Et c’est là que le spectateur est frustré, là où le joueur se serait éclaté. Le jeu vidéo est une menace plus grande pour le cinéma que le piratage. Les cinéastes en ont bien conscience. Tous les plus beaux et spectaculaires effets numériques ne remplaceront pas un jeu interactif où le joueur est l’acteur principal. En termes de sensations, le jeu sera toujours plus fort que le film, même si le cinéma reste le plus beau vecteur d’émotions.

Les critiques désastreuses autour de ce type d’adaptations ont freiné les inspirations

Courrier International
fait sa couverture avec le phénomène des jeux vidéo qui désormais s’adressent à tous les sexes et tous les âges. Le Los Angeles Times note qu’après la grande vogue des adaptations de bande dessinées, la mode est aux transpositions de jeux vidéo sur grand écran. Ce n’est pas vraiment nouveau, mais jusqu’à présent il s’agissait de séries B. Ainsi la trilogie des Resident Evil, avec Milla Jovovich, a cumulé 377 millions de $ dans le monde. Silent Hill (100 millions de $ dans le monde), Hitman (100 millions de $ dans le monde aussi), Mortal Kombat (122 millions de $), Doom (54 millions de $), Street Figther (100 millions de $) peuvent être classés dans la catégorie navets. Gros succès en jeux, Super Mario Bros ou encore Wing Commander ont été d’énormes fiascos au cinéma… La plupart dépasse rarement les frontières japonaises et finissent en imports ou en vidéo en occident. Beaucoup ont été réservés pour le petit écran, souvent formatés en séries animées. On aurait pu croire que les cartons de Tomb Raider (430 millions de $ dans le monde en deux épisodes) allaient entraîner une vogue du genre. Mais les critiques désastreuses autour de ce type d’adaptations ont freiné les inspirations.

Artistiquement, seul Final Fantasy : The Spirits Within (à peine 85 millions de $) est regardable.Il semblerait qu’Hollywood veule désormais y mettre les moyens. Après Max Payne (86 millions de $ au BO mondial), les studios commencent à réinvestir dans le secteur. On va ainsi revoir un Mortal Kombat en 2010. Tekken finira sans doute dans les rayons DVD assez rapidement après sa sortie en salles. Cependant Spy Hunter, Clock Tower, Driver, Splinter Cell, Halo sont déjà en pré-production. Les Sims pourraient envahir les salles d’ici 3-4 ans.Aucun Myst à l’horizon ni de Space Invaders. Pas de Quake, de Donkey Kong, ou de Grand Theft Auto. Mais World of Warcraft est attendu pour 2011, réalisé par Sam Raimi lui-même. On change de niveau. Lara Croft serait de retour, sans Jolie, en 2012.

Inventer le spectacle du XXIe siècle
Surtout, Walt Disney et Jerry Bruckheimer (Benjamin Gates, Pirates des Caraïbes, Armageddon, « Cold Case ») ont produit l’adaptation du jeu vidéo d’Ubisoft, Prince of Persia. Tourné principalement au Maroc durant l’été 2008, il sortira dans les salles en mai 2010. Réalisé par Mike Newell (Harry Potter 3, 4 mariages et un enterrement), il met en vedette Jake Gyllenhaal. Autant dire qu’il s’agit du premier blockbuster calibré pour être un succès mondial au cinéma, et pas une simple extension de jeu vidéo pour le samedi soir.

Si Prince of Persia encaisse les dollars, on peut imaginer les studios se jeter sur tous les jeux vidéos de ce style. D’autant que la jeune génération de cinéastes a baigné dans ces jeux. Le divertissement leur est familier. Il s’agit même pour certains d’une source d’inspiration, comme peut l’être la peinture, la photographie ou le cinéma étranger. Les réalisateurs pourront même s’amuser à imaginer et réaliser des jeux comme on fait appel à des comédiens célèbres pour incarner des personnages. Il est fort probable qu’un film puisse être le départ d’une histoire qui se déclinera en jeu vidéo, ou l’inverse : que la conclusion d’un jeu soit un film de cinéma. Le 7e Art a encore une petite lognueur d'avance avec la technologie 3D. mais elle sera de courte durée, puisque le relief arrivera assez vite sur les écrans d'ordinateur et de télévision. Il est dans ce cas assez logique que le Comic Con de San Diego soit devenu un lieu incontournable pour les Jackson, Spielberg, Cameron et autres Verbinski. BD, jeux vidéos et cinéma s’allient désormais pour inventer le spectacle du XXIe siècle.

Le documentaire politique n’est pas un acteur mais un révélateur

Posté par vincy, le 21 juillet 2009

rogeretmoi.jpgDans le Courrier International du 16 juillet, il est évoqué le nouveau film de Michael Moore, à venir sur les écrans cet automne (voir actualité du 11 juillet dernier), Capitalism : A Love Story. Titre évidemment ironique. 20 ans après son premier documentaire, Roger et moi, Moore ne peut que constater d’avoir su mettre en scène avant les autres les excès et les périls du Capitalisme, comme unique dogme économique (et même idéologique). Le résultat parle de lui-même Cette ville de Flint, déjà défigurée par la crise industrielle et notamment sa dépendance à l’égard de l’automobile, est aujourd’hui tant sinistrée (lire l’article de David Streitfeld traduit du New York Times) qu’elle envisage de raser des quartiers entiers et de les convertir en espaces verts.

Dans Newsweek, le documentariste James Scurlock lance que « Michael Moore a connu un immense succès sous George W. Bush mais ses documentaires n’ont jamais été suivis d’effets. » Et de justifier sa pique en citant Bowling for Columbine qui n’a jamais conduit l’Amérique à se passer des armes à feu. Mais Scurlock est de mauvaise foi en prenant ce genre d’arguments. Qu’il juge Moore comme un « justicier d’opérette » ou qu’il considère ses films comme « simplistes », c’est son droit. Sicko et même Farhenheit 9/11 ne sont pas exempts de défauts ni sur le fond ni sur la forme. Mais combien de documentaires ont réellement eut un impact sur la vie réelle, sur l’action politique ?

Dans le domaine des fictions, hormis, peut-être, récemment Indigènes et la honte infligée à la République Française concernant ses vétérans africains, peu de films ont réellement eut un impact immédiat sur notre société. Considérons le nombre de films plaidant contre la peine de mort aux Etats-Unis et admirons leur splendide échec à avoir convaincu la majorité des Américains… Souvenez-vous en France du documentaire acclamé, et contreversé, Le cauchemar de Darwin : combien de consommateurs regardent la provenance de leur poisson surgelé ?

Pourtant, fictions comme documentaires ont une utilité. Que les documentaires flirtent avec le divertissement ou que les fictions s’imprègnent de réalité, peu importe. Ils éveillent les consciences, ovurent des portes, attisent la curiosité, révèlent des faits ou des situations révoltantes ou oubliées. C’est là leur limite. Mais aussi le prix de leur liberté artistique et intellectuelle. Les réalisateurs restent en effet des artistes, engagés, impliqués dans leur époque ou leur société. Mais des artistes. Ce ne sont pas des juges, des politiciens, ou encore des militants associatifs. Ils ne servent qu’à éclairer ce que nos civilisations laissent dans l’ombre ou souhaitent cacher, ou tout simplement ne voient pas. Aux autres d’agir.

R&sonn@nces

Posté par vincy, le 3 juillet 2009

Ce n’était pas dans la rubrique cinéma. Il s’agissait juste de la une de Courrier International. « Iran : Pourquoi la révolution n’a pas eu lieu (pas encore) ». Quel rapport avec le 7e Art ? Il faut revenir au festival de Cannes. Ouverture de la sélection Un certain regard par le film Les chats persans, de Bahman Ghobadi. Le film recevra un prix spécial par le jury.

Bahman Ghobadi, Caméra d’or en 2000 pour Un temps pour l’ivresse des chevaux, est un des cinéastes les plus représentatifs de la Nouvelle vague du cinéma iranien, celle qui délaisse les allégories poétiques pour privilégier un regard plus social et réaliste. Dans un entretien à Télérama, il s’explique sur ce style plus radical. « J’ai laissé de côté les considérations esthétiques, raconte Ghobadi. Il était temps de foncer et de montrer la société iranienne. Le cinéma iranien s’est trop affadi ces dernières années en essayant de composer avec la censure. On avait peur de faire des films. Les techniciens et les acteurs refusaient de tourner si on n’avait pas d’autorisation gouvernementale. Tout est contrôlé, alors que le pays bouge et que les sujets de films sont innombrables. C’est pour ça que dès qu’on m’a suggéré de faire un film sur les musiciens, je me suis lancé. Dans la clandestinité. »

Ghobadi, primé dans de nombreux festivals du monde entier avec ces cinq longs métrages, n’est pas le bienvenu dans son propre pays. Ses films ne sont pas autorisés par les autorités islamiques. Dans Les chats persans, il démontre, avec une scène qui fait rire jaune l’absurdité du discours des Censeurs.

Si le film, en tant qu’œuvre cinématographique, subit son scénario puzzle, il devient, en tant qu’œuvre politique, une fiction documentaire incontournable. Les récents événements en Iran montrent à quel point la tragédie des Chats persans résonne avec justesse. Dans ce film, la musique « underground », du punk au hip-hop en passant par le rock alternatif, est souvent interdite sous le seul prétexte que ces chants persans sont en anglais. Cette jeunesse iranienne, en écho à la jeunesse chinoise évoquée par Lou Ye dans son film sur la répression de Tian An Men, résiste déjà à sa manière : soirées, concerts, chansons… et l’exil quand tout devient insupportable, quand les séjours en prison se multiplient. A peine remis de a dépression nerveuse, Bahman Ghobadi vient lui-même d’être arrêté et incarcéré avant d’être libéré, tandis qu’il revenait, à ses risques, dans son pays (voir actualité du 11 juin).

Finalement le film de Ghobadi montrait déjà les raisons de la colère iranienne, les moyens de sa résistance (Internet, le bouche à oreille…), l’aspiration à s’exprimer librement comme objectif fondamentaliste. L’arrestation du réalisateur prouvait par la même occasion que le régime iranien ne supportait pas cette liberté de parole. Le résultat est évidemment l’inverse de ce qu’ils souhaitaient. Ces tyrans prouvent qu’il est légitime de se battre contre une tel dictat, qu’ils répriment aveuglément toute opposition.

 Les Occidentaux, pour un coût raisonnable, celui d’une place de cinéma, peuvent ainsi afficher leur solidarité en allant voir (et écouter) le mélancolique film de Ghobadi. En France, il faudra attendre le 23 décembre. Drôle de date, si lointaine alors que les événements sont si proches. Car, d’ici là, l’Iran aura peut-être versé beaucoup trop de sang. Ils découvriront un Iran moderne, jeune, musical mais, hélas, désenchanté.

Langage du monde

Posté par vincy, le 19 juin 2009

Fausta a reçu le prestigieux Ours d’or au dernier Festival de Berlin, une consécration inédite pour un film péruvien. Peu importe si l’on est séduit par la sensibilité de l’œuvre ou si l’auteurisme un peu appuyé de la mise en scène peut agacer, le film a deux qualités qui méritent à elles-seules le détour. L’une d’elle est très bien décrite par Francisco Miro Quesada, avec son article paru dans El Comercio, le 17 juin dernier. Il s’agit de la description de ce Pérou précaire, cette pauvreté palpable dans chacun des plans. Une « réalité sociale » qui, grâce au cinéma, nous est révélée à des milliers de kilomètres de là.

La seconde vertu se situe dans l’arrière-plan de cette histoire où la langue et les traditions Quechuas hantent cinématographiquement ce film en pleine compassion avec cette minorité. Ce Pérou méconnu, où les fantômes du Sentier Lumineux ne sont jamais loin, nous ait dévoilés à travers le regard d’une jeune femme introvertie, sauvage, peureuse, mutique, prisonnière de son héritage culturel. On observe un village fermé sur ses rites et ses codes mais aussi une villa cossue cloisonnée au cœur de la ville. Passant de l’un à l’autre, elle va s’émanciper. Cet épanouissement va la libérer de ses angoisses vécues ou transmises. Et, plus encore que la misère de ce pays, ce qui nous touche c’est bien cet affranchissement du passé et des douleurs.

Un hymne à l’ouverture qui contraste tant avec les craintes actuelles qui conduisent à une forme d’ethnocentrisme. C’est sans doute cela qui a été apprécié par le jury cosmopolite de Berlin.

Chercher le trait d’union

Posté par vincy, le 28 mai 2009

Le Time du 4 mai évoque le passage réussi d’Eric Cantona, des terrains de football aux toiles du grand écran. Producteur et acteur de Looking For Eric, le plus récent film de Ken Loach, l’artiste, selon le journal britannique, est désormais respecté par l’élite culturelle française, après avoir été longuement méprisé.
Pourtant, ce n’est pas ça qui me surprend le plus. Que Cantona soit désormais un « héros en son pays » importe peu. Les Français aime les outsiders, les excentriques, les anticonformistes. Il est un peu tout ça. En fait, le Time souligne en creux que la France n’a jamais aimé Cantona le footballeur, contrairement aux Anglais, qui, eux, se soucient peu de sa carrière artistique. Mais que l’on soit supporteur du Manchester United ou fan du comédien, tous devraient s’entendre sur son rôle dans Looking for Eric. Il y est à la fois l’incarnation de son mythe sportif et le personnage fictif, imaginaire même, d’un homme désœuvré. Ce double jeu est un double je. Cantona l’acteur tend un miroir à Eric le King.
Ce ne sont pas seulement les Français qui redécouvrent Cantona à travers un film de Ken Loach, cinéaste chéri du public hexagonal. Le transfert sportif est devenu cinématographique. Une icône « frenchy » dans un film typiquement « british ». Malgré la francophobie présumée chez les britanniques, Cantona est une star pour les habitants de Manchester. Preuve qu’on peut dépasser les préjugés, pas seulement culturels mais aussi humains, à travers l’art : celui de faire une passe, de marquer un but, ou de s’imiter avec talent.
Car au-delà de ça, la comédie de Ken Loach est le prototype même de l’entente cordiale entre la France et la Grande-Bretagne. Un hymne à la solidarité profondément européen, avant d’être gauchiste. Le fait que l’anglais Loach mette en lumière le français Cantona est l’exemple parfait d’une collaboration créative transfrontalière : ils sont tous les deux producteurs du film, et ont l’un pour l’autre une admiration sincère.
 

Looking for Eric démontre bien que les étiquettes, et notamment les nationalités, n’ont plus d’importance. Loach réussit surtout le tour de force d’abattre les cloisons entre les classes sociales des deux côtés de la Manche. Si bien que les couches populaires de Manchester et les élites culturelles françaises se retrouvent à aimer le même film, en communion. Il a d’ailleurs reçu le prix du jury œcuménique à Cannes.