Berlin 2012 : pronostics et favoris

Posté par MpM, le 17 février 2012

A quelques heures de la proclamation du palmarès,  la compétition de cette 62e édition du Festival de Berlin semble encore très ouverte.  Sur les 18 films en lice, voici un petit panorama subjectif de ceux qui ont une chance d'avoir retenu l'attention du jury présidé par Mike Leigh.

Barbara de Christian Petzold

Le chouchou de la critique internationale, qui lui décerne une note moyenne de 3,3 étoiles (sur un maximum de 4). A titre de comparaison, l'an dernier, Une séparation d'Asghar Faradi avait obtenu 3,6 avant de recevoir l'Ours d'or. Barbara pourrait avoir séduit Mike Leigh par sa manière de revenir sur l'époque de la guerre froide en Allemagne de l'Est. En revanche, le prix d'interprétation pour Nina Hoss est à exclure, elle l'a déjà reçu pour Yella du même réalisateur en 2007.

César doit mourir de Paolo et Vittorio Taviani

L'adaptation par les frères Taviani d'une pièce de Shakespeare avec des détenus d'un quartier de haute sécurité a tout pour être un candidat sérieux pour un Grand prix : humanité, réflexion politique et intelligence de mise en scène. On lui souhaite un Ours d'or, mais un Ours d'argent ou un Prix de mise en scène ne seraient pas déshonorant.

Just the wind de Bence Fliegauf

Cette oeuvre hongroise naturaliste à la limite du documentaire revient sur les exactions dont furent victimes plusieurs familles de Roms à la fin des années 2000. La banalité du quotidien filmé par Fliegauf contraste avec le sentiment d'urgence de sa mise en scène, qui semble vouloir capter chaque personnage dans ses moindres détails. La tension due au contexte social et le choix d'une caméra systématiquement à l'épaule créent une ambiance anxyogène qui implique totalement le spectateur. Un bon choix pour un prix à la fois cinématographique et engagé.

Postcards from the zoo d'Edwin

Probablement l'un des films les plus atypiques de cette Berlinale, qui propose des instantanés de vie dans un zoo devenu microscosme aux codes et aux rituels bien à part. La solitude de l'héroïne, son incapacité à être touchée par les autres,  sont comme des métaphores de l'époque contemporaine. Avec un regard décalé, oscillant entre humour et mélancolie, le jeune réalisateur indonésien poursuit dans l'invention d'un style et d'une écriture cinématographiques. Le Prix Alfred-Bauer de l'innovation (du nom du premier directeur de la Berlinale) serait parfaitement justifié.

Meteora de Spiros Stathoulopoulos

Un conte lumineux et sensible sur le combat entre spirituel et sensuel, mêlant splendides plans en prise de vue réelle et séquences animées jouant sur l'esthétique des icônes religieuses. La simplicité de l'intrigue et son traitement épuré contrastent avec la démesure des paysages, qui renvoient chacun à sa propre perception du monde, et de la place que l'être humain doit y tenir.

A moi seule de Frédéric Videau

La relation complexe et ambigüe entre une jeune fille et l'homme qui l'a séquestrée pendant huit ans a pu séduire le jury par sa manière d'éviter toute scène choc ou toute explication facile. Le jury pourrait également avoir été sensible aux prestations de la jeune Agathe Bonitzer et de celui qui lui fait face, Reda Kateb.

Aujourd'hui d'Alain Gomis

La dernière journée, presque gaie et sereine, d'un homme qui sait qu'il va mourir, diffuse une philosophie tranquille à laquelle le jury pourrait ne pas avoir été indifférent. Un prix secondaire (contribution artistique, prix Alfred Bauer) serait le bienvenu.

Jayne Mansfield's car de Billy Bob Thornton

Cette famille dysfonctionnelle qui implose pour mieux se recomposer donne une image si juste et si vivante de l'Amérique des années 60, traumatisée par la guerre et engluée dans ses contradictions, que le casting en entier (Billy Bob Thornton, Robert Duvall, John Hurt, Kevin Bacon...) mériterait une distinction. Un prix du scénario serait également une bonne option.

Rebelle de Kim Nguyen

Un sujet grave ne fait pas toujours un bon film, mais Kim Nguyen parvient à donner à l'histoire de cette jeune fille enrôlée de force dans une armée rebelle une douceur et une sobriété qui en renforcent intelligemment la force dramatique sans pour autant virer au tire-larmes. L'héroïne (Rachel Mwanza) est bien sûr en lice pour un prix d'interprétation, mais le film pourrait créer la surprise en remportant un prix plus "élevé", comme scénario ou mise en scène.

Berlin 2012 : en compétition, la France indignée, sequestrée, déracinée

Posté par MpM, le 10 février 2012

En plus de s'être ouverte avec un film français (Les adieux à la reine de Benoit Jacquot), la Berlinale propose tout au cours de sa 62e édition de nombreux films venus de l'hexagone ou tournés en coproduction. C'est ainsi que dès le premier jour, les festivaliers pouvaient découvrir Elles de Malgorzata Szumowska sorti en France courant janvier, Indignados de Tony Gatlif, A moi seule de Frédéric Videau et Aujourd'hui d'Alain Gomis (une coproduction franco-sénégalaise).

Le nouveau film de Tony Gatlif, qui sortira le 7 mars, est une adaptation libre de l'essai Indignez-vous de Stéphane Hessel. Mêlant fiction et réalité, le cinéaste a filmé les mouvements de révolte qui ont éclaté en Europe en 2011 notamment à Paris, Madrid et Athènes. De ces images d'actualité, il tire des séquences bigarrées, joyeuses et pleines d'espoir. Mais il les alterne avec le parcours difficile de Betty, immigrée sans papiers ballotée de Grèce en France puis en Espagne. C'est à travers son regard tour à tour incrédule, horrifié ou émerveillé que l'on découvre ces pays riches en pleine crise. Les matelas posés à même le sol, les campements de fortune, les tentes sous le métro aérien... Mais aussi la solidarité avec le peuple tunisien, la communion des cortèges,  la bienveillance croisée au détour d'une rue. C'est un instantané contrasté d'une époque où les raisons de s'indigner ne manquent pas et où un basculement se produit du ras-le-bol individuel vers l'action collective.  Sa forme de poème filmé, et son intrigue réduite à peu de choses, a peut-être rebuté une partie des spectateurs berlinois, mais il a immanquablement conquis les autres.

A moi seule de Frédéric Videau (en salles le 4 avril) aborde un autre thème de société à travers le retour à la liberté de Gaëlle, presque 18 ans, qui avait été enlevée et séquestrée pendant une dizaine d'années. Alternant scènes de "réadaptation" et flashback sur les années de captivité, le film dépeint avec justesse la relation ambiguë qui unit la victime et son kidnappeur. Il montre aussi la quasi impossibilité pour la jeune fille de reprendre le cours d'une vie "normale". Une œuvre dense et sensible qui serait le pendant plus lumineux, moins aride, du Michael de Markus Schleinzer (sur un pédophile et sa jeune victime).  Sélectionné en compétition, il pourrait valoir un prix d'interprétation à l'actrice Agathe Bonitzer, à la fois sobre, pudique et d'une immense intensité.

Enfin, Aujourd'hui d'Alain Gomis se base sur une légende sénégalaise : parfois, on peut savoir à certains signes mystérieux qu'un homme va mourir. C'est le cas de Satché, jeune homme pourtant dans la force de l'âge, qui est revenu au pays après un séjour en Amérique. On l'accompagne tout au long de sa dernière journée, alors qu'il essaie de renouer avec différentes parties de sa vie pour les abandonner avec moins de regret. Très étonnamment, Aujourd'hui est un film gai et serein, un conte plus moderne qu'on ne le croit, et qui dit plein de choses à la fois du Sénégal dont on découvre les rues bondées et bigarrées, et de notre époque. On sent en effet dans l'histoire de Satché un message qui va à contre-courant des principes qui guident nos contemporains : vitesse, optimisation du temps, combat pour repousser ses limites... Là, on voit un homme se détacher simplement de ce que fut son existence et observer avec un regard mi-indifférent, mi-atterré,  l'effet de sa mort imminente sur les autres.

Avec ces différents films, les festivaliers ont pu découvrir un cinéma français à la fois riche en thématiques actuelles et soucieux de s'associer aux talents et aux histoires du monde entier. Moins nombriliste et tourné vers lui-même que ne le veut la légende, il s'intègre ainsi à la perfection dans la thématique générale de cette 62e édition, résolument tournée vers les bouleversements de notre société et la manière dont ils affectent les peuples du monde entier.