[Hayao Miyazaki / Ghibli] Le « Maître » au coeur d’une polémique politique

Posté par vincy, le 24 juillet 2013

kaze tachinu the wind rises miyazaki

La sortie de Kaze Tachinu (The Wind Rises) a été un succès au box office ce week-end au Japon. Pourtant, Hayao Miyazaki, vétéran de l'animation vénéré en son pays, a fait des vagues. Dans un entretien au journal du Studio Ghibli, le sien donc, Neppu, il a évoqué les femmes de réconfort, ces coréennes et autres femmes asiatiques (de 20 000 à 200 000 selon les estimations) qui ont été enlevées puis asservies pour devenir des prostituées destinées au militaires japonais.

Selon Miyazaki, le Japon n'en a pas fait assez pour réparer ce mal. Aussitôt, en plein week-end électoral (qui a donné la victoire aux conservateurs-nationalistes du Premier ministre), les réactions ont fusé. Le réalisateur a été taxé d''anti-Japonais'. Rien que ça.

C'est d'ailleurs ironique que certains Japonais s'offusquent des propos d'un artiste qui, comme l'écrivain Murakami, a toujours véhiculé des valeurs pacifistes et écologiques. C'est d'autant plus paradoxal dans ce cas que le nouveau dessin animé de Miyazaki ressuscite le héros de la seconde guerre mondiale Jiro Horikoshi, concepteur des avions de combats Mitsubishi A6M Zero.

Opposition politique

Mais le dessin animé est apparu pour certains comme une trahison à l'Histoire japonaise. Ses propos sur les femmes de réconfort n'ont pas arrangé les choses : "C'est une question de fierté pour un pays, il est nécessaire de demander pardon proprement et de payer pour les réparations." Les "ianfu", ces femmes de confort regroupées spécifiquement à des fins de prostitutions, n'ont toujours pas été dédommagées. Les politiciens Japonais et même l'Empereur se sont souvent publiquement excusés pour les crimes commis durant les guerre. Mais pour les femmes bafouées, et leurs descendants, le Japon a sous-évalué les montants. Pire l'actuel Premier ministre, Shinzo Abe, qui aime surfer sur les valeurs patriotiques et rêve que le Japon se remilitarise, avait déclaré en 2007 : "Le fait est qu'il n'y a pas de preuve qu'il y avait eu usage de contrainte." Au nom de l'honneur du pays, le révisionnisme est de mise, alors que les USA réclament que le Japon reconnaisse "formellement", en  s'excusant et en acceptant "sa responsabilité historique d'une façon claire et sans équivoque pour la contrainte employée par ses militaires afin de forcer des femmes à l'esclavage sexuel pendant la guerre."

Autant dire que les Japonais ne sont pas encore prêts à s'amender. Dans la même interview, Miyazaki évoque aussi les disputes territoriales sur certaines îles avec les voisins coréens et chinois, menaçant la paix dans la région. Il propose même que ces îlots soient gérés conjointement par les pays qui les réclament! De quoi énerver le parti au pouvoir qui en a fait un enjeu stratégique, politique et diplomatique. Mais Miyazaki se situe ailleurs : du côté de ceux qui ne veulent pas voir une guerre éclater de nouveau. A 72 ans, né en plein conflit mondial, ayant grandit dans l'après Hiroshima (et Nagazaki), le Maître continue de vouloir réconcilier les Japonais avec leur histoire et leur environnement. Et certains, d'ailleurs, l'acclament pour ses prises de position. Mais ils sont rares et beaucoup lui ordonnent de s'arrêter et de se contenter de réaliser des films...

Hier : Kaze Tachinu, son nouveau dessin animé séduit le Japon
Demain : Les projets du Studio Ghibli

Sean Ellis (Metro Manila) : du rififi aux Philippines

Posté par vincy, le 17 juillet 2013

sean ellisLors de l'entretien (à paraître ce week-end sur EcranNoir.fr) que nous a accordé Sean Ellis (Cashback, The Broken) à l'occasion de la sortie de l'excellent thriller social Metro Manila, prix du public à Sundance cette année, le cinéaste a avoué que son film de braquage préféré était sans doute Du Rififi chez les hommes, de Jules Dassin (1955). Pas fan particulièrement de ces nombreuses productions où le casse sert de prétexte à un divertissement, il a pourtant réalisé un film qui en reprend tous les codes.

C'est en allant aux Philippines pour les vacances qu'il a en a eu l'idée. Il a assisté en direct à un braquage d'un convoi de fonds en plein Manille. "Les voyages m'inspirent et je recherche toujours d'autres couleurs. Cashback était un film français même s'il ne se déroulait pas en France, et The Broken a des allures de film nordique". De là à émerger l'idée, vite stimulée par l'envie de filmer une histoire de "chantage". "Ce qui fait une grande histoire, ce sont les personnages, particulièrement quand ceux-ci veulent absolument quelque chose. Le public aime ça. Après mes deux premiers films, j'avais besoin de temps [5 ans, ndlr] pour trouver un projet qui m'implique vraiment."

C'est ainsi qu'il s'imagine un polar, avec l'équation à résoudre : "le crime paie ou le crime ne paie pas? La solution était inhérente au personnage principal, Oscar, un paysan, intègre et digne. Il ne faut pas que le public soit floué ni trahir l'intention de départ" nous confie-t-il.

Autoproduit, le film s'est adapté à son environnement. "Les permis n'ont pas été facile à décrocher : pour la scène où Oscar va chercher l'argent dans la banque, il a fallu la tourner en caméra cachée, en une prise. Et puis la météo n'aidait pas, avec la chaleur tropicale. A partir de ces obstacles, j'ai essayé de les contourner en m'adaptant à l'esthétique locale. Je ne voulais pas faire un thriller "international" comme Jason Bourne. J'ai toujours évoqué Metro Manila comme un petit film philippin, avec un budget de film asiatique."

Ellis avoue même avoir du réécrire son scénario au fil des trois semaines de pré-production pour gommer les incohérences. "Je cherchais une certaine authenticité. Par exemple, j'ai découvert qu'il n'y avait pas de train entre la province d'où venait la famille et Manille. Il y a 16 heures de route! Mais comme on m'avait dit que c'était la plus belle région du pays, j'en ai fait un élément crucial pour le film : l'exode est dur et long et il traduit leur désespoir." De nombreux éléments du scénario ont ainsi été modifiés, adaptés. Jusqu'à ce récit inséré dans le film où un jeune homme, acculé par le manque d'argent, braque les passagers d'un avion, en vol, et saute en parachute avec son butin : "C'est une histoire vraie qu'on m'a raconté là bas. J'ai "googelisé" et j'ai pu vérifier l'aspect absurde de ce fait divers : je ne pouvais pas ne pas le filmer."

A Rouen, 18e Regards sur le cinéma du monde

Posté par MpM, le 24 janvier 2013

Si l'on aime le cinéma, c'est aussi pour la faculté qu'il a de nous amener à la découverte de nouvelles contrées, de paysages inconnus, et de sociétés fascinantes. Quoi de mieux, pour rassasier cette faim d'ailleurs, qu'un festival qui ouvrirait une fenêtre sur le monde à travers une sélection plus particulièrement focalisée sur la culture des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ?!

A Rouen, le Festival "Regards sur le cinéma du monde" propose chaque année depuis près de vingt ans une manifestation qui met à l'honneur ces cinématographies trop souvent confidentielles, tout en les confrontant à des œuvres géographiquement plus proches de nous.

Ainsi, pour l'édition 2013 qui se tient du 25 janvier au 2 février, la compétition de longs métrages réunit des films venus notamment des Philippines (Busong d'Auraeus Solito, remarqué à Cannes), du Brésil (Historias de Julie Murat, un joli conte sur le choc des cultures et des générations, primé lors du Festival Cinélatino de Toulouse), de Hongrie (Just the wind de Bence Flieghauf, quasi documentaire ultra naturaliste sur les exactions dont furent victimes plusieurs familles de Roms à la fin des années 2000, plébiscité à Berlin) et d'Algérie (Le Repenti de Merzac Allouache, récompensé à Cannes, à Chicago et à Angoulême). De quoi visiter du pays tout en réfléchissant aux problématiques propres à chacun, ou au contraire universelles.

Hors compétition, les festivaliers pourront (re)découvrir des oeuvres fortes venues elles-aussi de tous les continents, comme le singulier Aujourd'hui d'Alain Gomis (Sénégal), sur la dernière journée d'un homme qui va mourir, ou L’Autre rive de Giorgo Ovashvili (Géorgie), sur les conséquences de la guerre civile. En parallèle, la section documentaire regorge elle-aussi de nombreuses propositions de cinéma, dont on retiendra l'un des coups de coeur récents d'Ecran Noir : Le sommeil d'or de David Chou.

En tout, ce sont ainsi plus de quarante films qui seront présentés. Ils seront accompagnés tout au long des dix jours par des rencontres, des débats, des concerts, des soirées... en présence de nombreuses personnalités du cinéma mondial. Un partenariat en construction avec l'Université de Santa Fe permettra par ailleurs à plusieurs représentants du cinéma américain indépendant de venir partager leur expérience. Forte de tous ces événements, la 18e édition du festival s'annonce aussi captivante d'un point de vue cinématographique que riche en rencontres et échanges.

_____________

18e Regards sur le cinéma du monde
Du 25 janvier au 2 février 2013
Informations et programme sur le site du festival

Deauville Asia 2012 : le prix Action Asia attribué à Wu Xia

Posté par kristofy, le 12 mars 2012

Depuis 2004, le Festival Asiatique de Deauville s’est attaché (en plus de la compétition officielle) au genre "film d’action" au sens large (polar, combats, guerre…) avec la compétition Action Asia.

Jusque-là, le jury "Action asia" comptait dans ses rangs des personnalités réputées pour leur proximité avec les films d’action (Xavier Gens, Jan Kounen, Marc Caro, Eric Serra, Franck Vestiel, Fred Cavayé, Cut Killer …), et presque chaque année, c’est naturellement le film le plus spectaculaire et le plus novateur qui s’imposait comme lauréat : Ong-Bak de Prachya Pinkaew, Arahan de Ryoo Seung-wan, A bittersweet life de Kim Jee-woon, Dog bite dog de Cheang Soi, The chaser de Na Hong-jin...

Toutefois, cette année, le jury Action Asia composé d'Isabelle Nanty, Arié Elmaleh, Didier Long, Fabienne Babe et Bruno Wolkowitch a choisi Wu Xia de Peter Ho-Sun Chan qui n’est pas tellement original, aux dépends du film favori The Raid de l’Indonésien Gareth Huw Evans qui sera parmi les films les plus frappants de l’année...

Retour sur une sélection Action Asia 2012 qui se partage entre grands noms qui déçoivent quelque peu et premières œuvres plutôt impressionnantes.

Dans les espoirs déçus, il y a les combats dérivés du kung-fu :

Wu Xia (déjà découvert à Cannes) de Peter Ho-Sun Chan avec Donnie Yen, avec une histoire calquée sur History of violence de David Cronenberg, n’offre jamais les étincelles que l’on pouvait attendre de la réunion de ses deux experts en film d’action. Le duo avait d'ailleurs déjà collaboré ensemble sur Bodyguards and Assassins (d’ailleurs sélectionné à Deauville en 2010). Au regard des productions respectives de Peter Ho-Sun Chan et de Donnie Yen, Wu Xia apparaît comme un film mineur de leur filmographie.

De la même façon, The sorcerer and the white snake avec Jet Li est un film assez convenu de fantasy, où un moine va tenter d’empêcher les conséquences néfastes d’une romance entre un démon-serpent ayant l’apparence d’une femme et un humain. Force est de constater que les effets spéciaux modernes ne se conjuguent pas très bien avec ce style de récit tombé un peu en désuétude...


The sword identity de Xu Haogeng évoque deux guerriers au sabre non-conventionnel défiés par les gardiens des traditions de quatre écoles de kung-fu sur le thème ‘les arts martiaux et les arts militaires sont deux choses différentes’. The sword identity ne propose aucun enjeu et le film peine à trouver son identité…

Les films de guerre ont fait meilleure impression avec un savoir-faire indéniable pour les batailles :

War of the arrows fait s’affronter les coréens Joseon et leurs ennemis de Mandchourie en 1636. Ces derniers déportent un groupe de prisonniers dont une femme tout juste mariée, dont le frère est un archer particulièrement adroit à l’arc qui va les contrecarrer. C’est un film de divertissement spectaculaire avec beaucoup de qualités (des poursuites, des duels, de la romance…) mais pas assez d’originalité au vu des nombreuses productions coréennes de ce type...

Le taïwanais Wei Te-Sheng fait quant à lui très fort avec une (très) longue épopée guerrière qui tient autant de Braveheart que de Avatar : il s’agit du soulèvement de tribus de Taïwan en 1930 contre l’occupant japonais. Warriors of the rainbow – Seediq Bale est un film d’action qui parle de résistance face à un pays colonisateur, thème très fédérateur. Ici, une tirade contre les ‘bienfaits civilisateurs’ des japonais fait écho aux différentes brimades subies par les autochtones qui sont obligés de travailler dur à déplacer des rondins d’arbre.

Ceux qui étaient considérés comme des sauvages vont se révolter contre les japonais, et quelque 300 guerriers insaisissables vont mettre en déroute les armées du Soleil Levant. Les japonais organisent leur riposte avec des bombes quand les tribus avec leurs flèches se préparent au sacrifice… Warriors of the rainbow – Seediq Bale est une grande épopée guerrière inspirée d’évènements réels avec beaucoup de séquences épiques. Ce film de Wei Te-Sheng est devenu l'un des plus gros succès taïwanais (il est sorti en 2 parties, le film dure 4h30), il devrait nous arriver directement en dvd (en version réduite de 2h35) à l’automne 2012.

Le grand favori était le film The Raid, et la première projection a fait applaudir plusieurs fois le public habituellement très silencieux. Un groupe de policiers se lance à l’assaut de l’immeuble réputé intouchable d’un trafiquant de drogue. Ils sont une petite vingtaine à investir les lieux défendus par une centaine de résidents organisés et armés… Les policiers se retrouvent bloqués et encerclés dans un piège où à chaque étage des tueurs ont pour mission de les éliminer. Des exécutions brutales en guise d’introduction indiquent que The Raid sera plutôt brutal, puis il y aura une succession de combats violents avec beaucoup de ‘pencak silat’ (art martial indonésien).

The Raid aligne les séquences de bravoure (par exemple un policier avec une matraque seul dans un couloir contre une quinzaine de tueurs armés de machettes) où le côté "bourrin" des combats est contrebalancé par la réalisation de l’ensemble très fluide. La force de The Raid est d’assumer de façon volontaire son côté film d’exploitation avec beaucoup de combats sauvages et une mise en scène digne des meilleurs polars. Le réalisateur Gareth Huw Evans a réussi à réaliser le genre de film que de nombreux réalisateurs d’action fantasmaient de faire, nul doute que The Raid va devenir une nouvelle référence.

Deauville Asia 2012 : la compétition est ouverte

Posté par kristofy, le 8 mars 2012

Le 14e Festival Asiatique de Deauville se déroule jusqu'au 11 mars, avec la venue de deux invités prestigieux : le Thaïlandais Pen-Ek Ratanaruang, qui présentera son nouveau film Headshot, et le Japonais Kiyoshi Kurosawa, à qui est rendu un hommage, et qui reviendra sur sa carrière lors d’une masterclass.

Les fidèles de Deauville vont regretter la réduction du nombre de projections (il y a une salle en moins) et la presque disparition de la section Panorama qui faisait pourtant découvrir quantités de nouveaux films en avant-première.

Restent la compétition officielle et la compétition Action Asia, soit une quinzaine de films très variés venus d'Iran, de Chine, du Japon, de Corée du Sud, de Thaïlande, des Philippines...

Le président du jury est Elia Suleiman et il est entouré des actrices Dominique Blanc, Isild Le Besco, Corinne Masiero, l’acteur Tahar Rahim, le musicien Alex Beaupain, le scénariste Gilles Taurand, et des réalisateurs Jean-Pierre Limosin, Olivier Ducastel et Jacques Martineau.

La cérémonie d’ouverture a tout d'abord été le moment d’une pensée particulière pour les Japonais victimes il y a tout juste un an d’un terrible séisme aux conséquences tragiques.

Ensuite, les festivaliers ont pu découvrir le film d’ouverture, qui ouvre également la compétition : The sun-Beaten path du chinois Sonthar Gyal (notre photo), qui est une première réalisation.

On y découvre un jeune homme aux cheveux hirsutes qui marche sur la route en refusant obstinément d’être emmené par les véhicules qui y roulent. Un vieil homme veut l’accompagner à pied sur son chemin mais, très vite, on comprend que cette errance est une pénitence pour le jeune homme qui se sent responsable de la mort de sa mère…

La compétition compte plusieurs autres premiers films mais aussi d’autres déjà attendus comme 11 flowers de Wang Xioshuai ou Himizu de Sono Sion.

Vesoul 2012 : retour sur le palmarès qui couronne August drizzle

Posté par redaction, le 22 février 2012

Après une semaine de compétition, de rencontres et de découvertes en tous genres, la 18e édition du festival des cinémas d'Asie de Vesoul (FICA) s'est achevée mardi soir avec l'annonce du palmarès et la projection en avant-première du nouveau film de Wang Quan'An, Apart together. Le jury international présidé par Atiq Rahimi, et réunissant Ermerk Chinarbaev, Nestor O. Jardin et Latika Padgaonkar, a choisi de remettre le Cyclo d'or 2012 au Sri-lankais Aruna Jayawardana pour August drizzle, également couronné du prix NETPAC.

Le film se déroule dans la campagne sri-lankaise où le soleil assèche toute chose. On y suit la vie d'une femme dans son activité d'entrepreneur de pompes funèbres, reprise après la mort de son père. Rejetée par la communauté de son village du fait de cette profession habituellement masculine, l'héroïne tente de mener à bien le projet de construction d'un crématorium, utile pour le village mais qui risque de ruiner son concurrent. Sous un aspect physique peu charmeur, la jeune femme rêve malgré tout d'amour, de mariage, d'enfants... même si le destin en a décidé autrement.

August drizzle se caractérise par des images pas du tout racoleuses, et au contraire belles dans leur capacité à nous montrer la dure réalité quotidienne de cette communauté. Et puis il y a cette femme dont on s'écarte, qui abandonne un à un ses rêves de bonheur personnel, mais si forte dans la poursuite de son projet, et qui a su émouvoir et séduire public et jurés.

Le Grand prix du jury international va lui à Dance town de Jeon Kyu-hwan (Corée), qui surprend par son observation du genre d’accueil que peut offrir la Corée du Sud à une réfugiée de Corée du Nord. La jeune femme est observée et guidée de manière assez pressante quand elle n’est pas surveillée de manière oppressante. Le réalisateur Jeon Kyu-hwan propose un film à l’aspect moins cinématographique que son précédent (Animal Town, déjà présenté à Vesoul, qui avait fait une très favorable impression), comme si l’esthétique de l’image était diminuée par la dureté de son contenu. On y voit surtout une grande ville qui n’intègre pas vraiment une personne étrangère, ni même ses habitants quand ils sont très âgés ou handicapés. Ces solitudes qui se croisent parfois ne semblent jamais entrevoir la perspective d'une amélioration de leur sort. A noter que le film a également convaincu le jury INALCO, qui lui décerne son prix coup de cœur.

Le jury international a également choisi de distinguer Le temps dure longtemps de ?zcan Alper et Nino de Loy Arcenas. Si le premier tranchait incontestablement sur le reste de la compétition, par ses qualités cinématographiques et la force de son propos (les génocides kurdes et arméniens), on peut en revanche être plus surpris par le succès du second (qui a également reçu le coup de coeur Guimet), mélo familial formaté à l'esthétique de série télévisée.

Final Whistle de Niki Karimi (photo de droite) récolte quant à lui trois prix mérités (Prix Emile Guimet, Prix INALCO et Prix du jury lycéen). Le film débute avec une réalité qui nous est familière (l'actrice/réalisatrice Niki Karimi qui travaille sur un film) comme pour nous faire croire à la réalité du scénario : une femme est prête à vendre un de ses organes dans l’espoir de réunir assez d’argent pour éviter que sa mère ne soit condamnée à mort.

Dans le film on se déplace beaucoup d’un endroit à un autre et souvent en voiture, la caméra est toujours en mouvement pour suivre les personnages et en même temps pour placer le spectateur en position de témoin. Bien qu’il s’agisse d’une fiction on est alors happé par une impression de réel, et on va découvrir progressivement le drame qui a eu lieu. L'occasion de partager avec le spectateur plusieurs questions sur la justice ou les droits des femmes en Iran.

Return ticket de Teng Yung-Shing (mention spéciale NETPAC), sur des ouvrières chinoises qui aspirent à retourner dans leur ville natale pour le Nouvel An,  et Khalifah de Nurman Hakim (prix du public), qui aborde la question de l'intégrisme religieux en Indonésie, se partagent les autres récompenses de la compétition long métrage tandis que Les origines de la pomme de Catherine Peix (prix du public) et Parvaz, l'envol de Reza d' Ali Badri (prix du jury jeunes) sont distingués dans la compétition documentaire.

Une partie des films primés seront repris comme chaque année à l'auditorium du Musée des Arts Asiatiques Guimet de Paris du 18 au 20 avril 2012. Et pour la prochaine édition du FICA, il faudra attendre la semaine du 5 au 12 février 2013.

______________________

Le palmarès complet

Cyclo d'or
August drizzle de Aruna Jayawardana (Sri Lanka)

Grand Prix du Jury International
Dance town de Jeon Kyu-hwan (Corée)

Mentions spéciales :
- Nino de Loy Arcenas (Philippines)
- Le temps dure longtemps de ?zcan Alper (Turquie)

Prix du Jury NETPAC
August drizzle de Aruna Jayawardana (Sri Lanka)

Mention spéciale NETPAC
Return ticket de Teng Yung-Shing (Taïwan/Chine)

Prix Emile Guimet
Final whistle de Niki Karimi (Iran)

Coup de cœur Guimet
Nino de Loy Arcenas (Philippines)

Prix INALCO
Final whistle de Niki Karimi (Iran)

Coup de cœur INALCO
Dance town de Jeon Kyu-hwan (Corée)

Prix du public long métrage de fiction
Khalifah de Nurman Hakim (Indonésie)

Prix du Jury Lycéens
Final whistle de Niki Karimi (Iran)

Prix du public du film documentaire
Les origines de la pomme de Catherine Peix (Kazakhstan-France).

Prix Jury Jeunes
Parvaz, l'envol de Reza d' Ali Badri (Iran-France)

Crédit photos : Michel Mollaret

Vesoul 2012 : trois questions au cinéaste taïwanais Teng Yung-shing

Posté par MpM, le 21 février 2012

En lice pour le Cyclo d'or 2012, Return ticket du cinéaste taïwanais Teng Yung-shing raconte l'existence d'ouvrières chinoises de la province d'Anhui, venues travailler à Shanghai, et impatientes de retourner dans leur village natal pour célébrer le Nouvel An. Une histoire typiquement continentale, donc, pourtant produite par le spécialiste de l'identité taïwanaise, le maître Hou Hsiao-Hsien.

Ecran Noir : Contrairement aux films taïwanais que l'on a l'habitude de voir en France, Return ticket ne traite pas directement de Taïwan et de son identité, mais d'une situation typiquement chinoise. Est-ce parce que vous trouvez que le cinéma taïwanais est trop tourné vers lui-même et son histoire ?

Teng Yung-shing : C'est naturel que les cinéastes parlent de l'endroit d'où ils viennent et où ils vivent. Mais pour moi, ce qui compte n'est pas tant l'endroit que les gens. Il se trouve que j'habite à Shanghai depuis six ans, donc l'histoire du film est celle des gens autour de moi.

EN : Quel a été le cheminement du film ?

TYS : Tous les personnages que l'on voit, ce sont des femmes un peu âgées qui habitent autour de chez moi. J'ai donc voulu faire un documentaire sur elles. Plein d'histoires ont surgi. A partir de ces expériences vécues, on a commencé à bâtir une histoire. A part les trois personnages principaux, les autres acteurs sont d'ailleurs des gens du quartier ! En tant que cinéaste, je n'avais pas envie d'utiliser ma propre vie. Pour moi, le plus important était d'aborder la question du retour, du fait de rentrer chez soi. Mais ce qui m'entourait est naturellement entré dans le film.

EN : Le film a une esthétique spéciale, avec des teintes bleutées, des images peu éclairées, et une ambiance sonore presque joyeuse...

TYS : J'ai fait ce choix esthétique avant tout pour des raisons réalistes. Ces femmes gagnent très peu d'argent donc elles n'allument qu'une seule lampe, ce qui donne ces teintes sombres. En revanche, la musique est plus légère car même si les personnages ont une vie difficile, elles sont heureuses. Je voulais éviter d'avoir une position trop misérabiliste et au contraire dédramatiser la situation.

Vesoul 2012 : rencontre avec Tran Anh Hung

Posté par kristofy, le 19 février 2012

Le FICA de Vesoul s’attache à mieux faire découvrir le cinéma des pays francophones d’Asie, et cette année, c’est le réalisateur franco-vietnamien Tran Anh Hung (ci-contre, et ci-dessous avec le réalisateur japonais Kore-Eda)  qui est invité. Dès son premier film, Tran Anh Hung s'est fait connaître et surtout reconnaître pas seulement comme un nouveau talent à suivre mais déjà comme un cinéaste qui va compter.

L’odeur de la papaye verte reçoit le prix de la Caméra d’or au festival de Cannes en 1993 et le César de la meilleure première œuvre, et il concourt à l’Oscar du meilleur film étranger. En 1995, son second film Cyclo gagne le Lion d’or au festival de Venise, en 2000 il est de retour à Cannes avec A la verticale de l’été, et en 2010 de nouveau à Venise pour La ballade de l’impossible.

Ce sont ces quatre films que Vesoul a programmés, une initiative d’ailleurs très appréciée par le public car chaque séance affichant complète, il a fallu en organiser des supplémentaires.

EN : Dans L’odeur de la papaye verte on est plongé dans le Vietnam pourtant le film n’a pas été tourné là-bas mais en studio en France, pour quelle raison ?

TAH : Le tournage en studio, c’est une erreur que nous avons faite, mais heureusement on a réussi à restituer parfaitement le Vietnam. En fait c’était mon premier film mais aussi le premier de mon producteur ce qui fait qu’on manquait un peu d’expérience, on manquait aussi d’un manque de connaissance du Vietnam.

On avait pensé à recréer le décor, on a commencé à raser un endroit pour poser une chape de béton où construire dessus. Seulement on n’avait pas anticipé l’extrême lenteur du Vietnam, et on s’est rendu compte que si on continuait à cette vitesse là alors le tournage ne pourrait pas commencer avant la saison des pluies, ce qui serait catastrophique. Le décor je le voulais en extérieur là-bas et pas en studio pour hériter de la lumière naturelle et de la végétation, mais vraiment ça ne pouvait pas être possible.

EN : Le film suivant Cyclo est tourné lui sur place au Vietnam, et il a gagné le Lion d’or au festival de Venise. Pourtant il y a eu des soucis de censure de la part de Vietnam, d’où vient ce décalage d’appréciation ?

TAH : En fait le Vietnam a vu le film comme quelque chose qui pouvait abîmer l’image de leur pays, voilà. Ils ont considéré que Cyclo noircit la société vietnamienne. Le film a eu de belles critiques de journalistes occidentaux, avec dedans cet aspect du banditisme, et ça n’a pas plu à la censure idéologique du Vietnam, il y a eu quelques reproches. Mais c’était le moment où les dvd piratés au Vietnam sont apparus, et le film existait normalement dans les bacs des magasins vidéo.

EN : Pour adapter en film un roman aussi dense que La ballade de l’impossible de Murakami Haruki comment se fait le choix des passages à supprimer ou à écourter ?

TAH : Ce sont des choses qui se font naturellement. Je me suis donné comme ligne directrice le développement de la psychologie du personnage Watanabe et je voulais que le spectateur soit le plus proche possible de ça. Je voulais que le spectateur puisse être dans la tête et dans le cœur de Watanabe. Tout ce qui pouvait distraire ou emmener le spectateur loin de cette ligne, je le supprimais du livre.

EN : Vous travaillez sur plusieurs projets de nouveaux films dans différentes langues, mais le prochain serait un retour en France ?

TAH : Oui, mon prochain film sera français, je ne peux pas dire grand-chose dessus encore sauf qu’il s’agit de l’adaptation d’un livre absolument magnifique. Quand je l’ai lu, c’est devenu tellement évident que je devais en faire un film, il n’y a eu aucun obstacle pour que je l’adapte. J’espère accélérer mon rythme de travail, pour ne pas espacer de trop d’années mon dernier film et le prochain. Il y aura comme un retour aux sources car ça sera aussi les retrouvailles avec mon producteur historique des trois films vietnamiens, et je pense que les choses iront plus vite.

EN : Le FICA de Vesoul a choisi de présenter vos films presque comme une forme de rétrospective, quand vous regardez en arrière, quel sentiment avez-vous ?

TAH : Ce n’est pas un secret, j’ai commencé par refuser tout d’abord. Pour moi l’œuvre est comme un corps qui n’a pas encore toutes ses jambes ni tout ses bras, j’ai trouvé que c’était un peu tôt. Quand je suis ici, je suis content de rencontrer le public de Vesoul autour de ces films, ils affichent complet, ce qui me surprend et me fait très plaisir, mais je pense que j’ai encore quelques films à donner pour que le panorama soit assez complet pour un vrai corps avec tout ses membres.

Lire l'intégralité de l'interview

Crédit photo : Michel Mollaret

Vesoul 2012 : Regard sur le cinéma kazakh avec Ermek Chinarbaev

Posté par kristofy, le 18 février 2012

Le Kazakhstan semble doublement loin, à la fois  géographiquement et cinématographiquement. Si le cinéma kazakh est méconnu faute, la plupart du temps, d’arriver jusqu’à nous, le FICA, lui, n’hésite pas aller le chercher depuis déjà plusieurs éditions.

Cette année, Vesoul propose ainsi un Regard sur le cinéma du Kazakhstan avec près d’une vingtaine de film. Le plus ancien date de 1938, il s’agit de Amangueldy de Moisei Levin qui, bien qu'il ait été initié par les soviétiques, est considéré comme le film dramatique fondateur du cinéma kazakh avant Les chants d’Abai de Pesni Abaya. Vesoul programme aussi deux films de Abdulla Karsakbaev dont On m’appelle Koja (prix spécial du jury à Cannes en 1967), deux films de Chaken Aïmanov, plusieurs films qui évoquent la guerre et d’autres qui témoignent de la vitalité de la Nouvelle Vague kazakh.

Cette année le jury de la compétition présidé par Atiq Rahimi (documentariste et romancier, prix Goncourt 2008) compte dans ses rangs le cinéaste kazakh Ermek Chinarbev, lui-même auréolé d’un beau palmarès : La Vengeance était au festival de Cannes en 1989, Ma vie sur le bicorne a gagné le Léopard d’or au festival de Locarno en 1993. Son film Lettres à un ange resté inédit en France est présenté cette année en première à Vesoul, ce qui a été l’occasion d’un débat avec les spectateurs à propos du cheminement de sa création.

Lettres à un ange est une histoire à tiroirs rythmée par différentes ‘lettres’ vidéo (sur la danse, l’amitié, l’argent, l’amour, la famille…) de l’héroïne. Celle-ci raconte différentes versions (aussi bien pour elles que pour les spectateurs) de ses différentes relations amoureuses avant un drame lourd de conséquences. La narration tout comme la forte impression laissée par l’actrice Aiganym Sadykova amène le spectateur à se demander si cette femme est un monstre ou pas.

Le réalisateur Ermek Chinarbev revient sur cette création si particulière : « J’ai commencé il y a quelques années à rêver d’une femme très belle qui raconterait différentes petites histoires sur elle, en plusieurs langues et dans plusieurs pays. C’était devenu nécessaire de la voir sur un écran pour qu’elle existe, mais c’est difficile de faire un film. Un jour, j’ai raconté ça à une femme qui m’a recontactée une année après pour parler de la production de ce projet, je ne sais pas pourquoi mais on a fait ce film. Pour trouver l’actrice j’ai auditionné deux fois Aiganym Sadykova sans être persuadé qu’elle était le personnage, mais à une troisième audition avec un partenaire homme, alors là ça m’est paru évident. Sur le tournage elle a d’ailleurs manipulé en quelque sorte les trois autres acteurs, et ils sont devenu tout les trois amoureux d’elle. Je pense tout le temps à cette femme du film. A la question ‘est-elle un monstre?’, on me fait à chaque fois des réponses différentes. Même John Malkovitch a voulu m’expliquer le film. Je me pose moi-même toujours cette question, d’ailleurs, j’y pense tout le temps. »

Crédit photo : Michel Mollaret

Vesoul 2012 : Dance Town, avec Oh Seong-tae, a ouvert la compétition

Posté par kristofy, le 18 février 2012

Le 18ème Festival international des cinémas d'Asie (FICA) de Vesoul, ce sont aussi des films en avant-première en compétition pour le Cyclo d’or. Cette compétition a débuté avec un réalisateur coréen encore inconnu en France mais déjà bien connu des festivaliers de Vesoul : Jeon Kyu-hwan qui avait été récompensé ici en 2010 pour Animal Town. Son dernier film était au festival de Berlin et il tourne déjà en ce moment son prochain film !

Il s’était lancé dans un trilogie explorant le thème de la ville, et c’est le troisième, Dance Town, qui a donc ouvert la compétition 2012. La particularité de ces trois films est que dans chaque histoire on retrouve dans un rôle différent l’acteur Oh Seong-tae. Ce dernier imagine d'ailleurs que Jeon Kyu-hwan voit en lui comme un alter-ego à multiples facettes... Venu spécialement à Vesoul, il s’est prêté aux questions-réponses avec les spectateurs.
Dance Town nous fait suivre l’arrivée en Corée du Sud d’une femme qui a fui la Corée du Nord. Pour éviter arrestation et exécution, pour motif de possession de produits étrangers interdits, son mari a réussi à la faire s’échapper. Elle se retrouve alors seule à Séoul sans nouvelles de son mari bloqué au Nord, elle devient une réfugiée qui doit s’adapter à une nouvelle vie…
Le réalisateur Jeon Kyu-hwan voulait moins parler de la relation entre les deux pays de Corée que de l’arrivée d’un étranger dans une grande ville. Ses trois films (Mozart Town, Animal Town, et maintenant Dance Town) s’attachent à la vie dans une grande ville avec le point de vue d’une personne qui y est étrangère. Pour ce qui est d’une personne nord-coréenne réfugiée, celle-ci est d’abord interrogée et aussi surveillée un moment pour deux raisons, d’abord la crainte d’une intrusion d’un agent espion de Corée du Nord et aussi pour le cas ou le réfugié aurait des difficulté à s’adapter à la vie sud-coréenne.

"Le nombre de réfugiés augmente de plus en plus, et leur arrivée n’est pas toujours la bienvenue parfois à cause de quelques jalousies puisque le gouvernement les aide en leur fournissant un logement", explique Oh Seong-tae. "En majorité, les Coréens espèrent une réunification des deux pays ennemis. Le cinéaste lui ne souhaite pas que Dance Town soit vu comme un film politique, il s’agit d’abord d’un personnage d’une femme de Corée du Nord réfugiée en Corée du Sud à Séoul. Si l’histoire se passait dans une autre ville, ça aurait été un autre genre d’étranger. Son sujet, comme dans ses premiers films, est la ville racontée par des gens en souffrance."

Crédits photos : Kristofy et Michel Mollaret