Agathe Cléry : quelle représentation pour les Noirs au cinéma ?

Posté par MpM, le 2 décembre 2008

Agathe Cléry - valérie LemercierMercredi sort sur les écrans le film Agathe Cléry d’Etienne Chatiliez où un personnage de femme raciste interprété par Valérie Lemercier devient noir du jour au lendemain. Si la campagne d’affiches a recouvert les espaces publicitaires et la bande-annonce envahi les cinémas (quoique sans rien dévoiler de plus), le film, lui, n’a été montré qu'à des médias acquis d'avance comme Canal + ou le JDD. Difficile, donc, de se faire une idée du résultat : dénonciation édifiante ou prétexte à comédie lourdingue ? A défaut, son sujet donne néanmoins envie de réfléchir à la représentation des noirs au cinéma et plus généralement dans les médias, d’autant que la question est perpétuellement d’actualité. La semaine dernière, le Club Averroes (observateur de la diversité dans les médias) dressait ainsi un état des lieux accablant de la représentation des minorités pour la période 2007-2008, dénonçant notamment "l’immobilisme" dont font principalement preuve les chaînes de télévision. Quant aux disciplines artistiques, la situation est si peu encourageante que le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) annonçait il y a quelques mois la création des "Trophées du monde noir", les Césaire, chargés de mettre en lumière des artistes issus des cultures afro-caribéennes de la littérature, de la musique et du cinéma.

Et c’est vrai, les "minorités visibles" sont tellement absentes des écrans qu’on se souvient encore tous du battage médiatique ayant accompagné la nomination du journaliste Harry Roselmack à la présentation du journal de 20h sur TF1. Ce qui n’aurait dû être qu’un choix évident récompensant une carrière réussie s’est mué en acte politique quasi héroïque prétexte à ne parler que de la couleur du présentateur et jamais de son travail. François Dupeyron raconte d’ailleurs que c’est cet événement qui lui a donné envie de tourner un film avec des personnages noirs. Résultat, au moment de la recherche de financement, le scénario a été rejeté par toutes les télévisions : une famille noire à 20h30, ça n’intéresse personne. Aide-toi, le ciel t’aidera a beau être tout sauf communautaire, il continue lui-aussi à être perçu presque uniquement à travers le prisme de la couleur de peau de ses interprètes…

Il y a peu, une autre anecdote du même style nous frappait. La cinéaste Cristina Comencini a réalisé une comédie très directe sur le racisme en Italie, Bianco e nero. Il y est Aissa Maiganotamment beaucoup tourné en dérision le racisme qui s’ignore, fourbe et rampant. Son interprète principale, la divine Aïssa Maïga, y interprète une jeune femme d’origine sénégalaise travaillant dans une ambassade et mariée à un intellectuel africain. Elle est magnifique et élégante, les plus grands créateurs devraient se battre pour l’habiller… et aucune d’eux n’a souhaité le faire. "Pour nos deux protagonistes noirs, nous n’avons trouvé aucun sponsor", confirme la réalisatrice. "Dans tous les films importants, les principaux interprètes sont habillés par les grandes marques, chaussettes et chaussures comprises. Pour eux, rien…"

Des exemples parmi d’autres de l’hypocrisie régnant dans l’univers de la représentation par excellence, celui du 7e art. Difficile ensuite de s’étonner que le cinéma compte si peu d’acteurs "issus de la diversité" et que chacun d’entre eux ait vite tendance à être considéré comme un porte-parole de sa communauté. Immanquablement, on pense au personnage interprété par Robert Downey jr dans Tonnerre sous les tropiques : un acteur de grand renom ayant subi une opération pour devenir noir le temps d’un rôle… et qui soudainement se met à parler au nom de tous les Noirs d’Amérique ! C’est pourquoi on souhaite bien du plaisir à Valérie Lemercier grimée en femme de couleur… Il ne reste plus qu’à espérer très sincèrement qu’Agathe Cléry soit réussi et parvienne à secouer les consciences pour que, dans un avenir pas trop lointain, une vraie actrice noire obtienne le premier rôle dans un film très médiatique affiché dans tous les couloirs du métro parisien.

On se souvient que Romuald et Juliette, comédie "bicolore" de Coline Serreau, affichait Daniel Auteuil mais pas Firmine Richard sur ces mêmes espaces publicitaires...

Villerupt 2008 : portraits de l’Italie contemporaine

Posté par MpM, le 7 novembre 2008

comencini_bianco-e-nero.jpgParfois, en festival, on se demande si l’on prend tant le pouls de la cinématographie d’un pays que de sa société. Un peu des deux probablement, tant les films présentés ont tendance à dresser un catalogue plus ou moins exhaustifs des maux d’une nation. La compétition du Festival de cinéma italien de Villerupt, ou tout au moins ce que l’on en a vu jusque là, ne semble pas faire exception. Emigration, racisme, exploitation, chômage, politique, mafia… on serait tenté de dire que les ingrédients ne varient pas beaucoup. Mais ce qui indubitablement change, c’est le ton utilisé. Ni misérabiliste, nous emmenant vers le mélodrame social, ni si alambiqué que tout devient mystérieusement allégorique et obscur. Au contraire, et comme pour contrebalancer l’énormité de leur sujet, les réalisateurs choisissent la voie de la légèreté, voire de l’humour le plus débridé, et affrontent les questions frontalement, quitte à mettre les pieds dans le plat. Au moins sont-ils conscients qu’une thématique ne suffit pas et font-ils l’effort de raconter des histoires illustrant leurs préoccupations, et ne servant pas seulement de prétexte.

Ainsi le destin de Gaetano (La terramadre de Nello La Marca) qui vit sur la côte sud de la Sicile où, chaque jour, on retrouve échoués les corps de clandestins dont les embarcations de fortune ont fait naufrage. Il observe incrédule ses compatriotes malmener les malheureux survivants et en même temps rêver à l’Allemagne, pays de cocagne où bien des hommes du village s’exilent pour échapper à la pauvreté. Curieusement, Gaetano semble être le seul à faire le lien entre ces fantômes rejetés par la mer et celui qu’il pourrait devenir en Allemagne. A tous les arguments matériels qu’on lui oppose, il ne peut que répondre, parlant des réfugiés : "et eux, qui sait ce qu’on leur avait promis ?" Mais Gaetano est face à un choix impossible : exploiter plus misérable que lui sur sa terre natale, ou devenir à son tour l’exploité sur une terre étrangère. Le film, lui, ne tranche pas, mais quoi que ce soit avec un style maniéré et un sérieux manque de subtilité, il a le mérite de poser les questions qui mettent chacun devant ses responsabilités.

SOS terriens en détresse

Question subtilité, peut-être que Cristina Comencini (photo) pourra repasser elle-aussi. Dans Bianco e nero, une fable sur le racisme qui s’ignore, ses personnages commettent en effet tous les impairs possibles avec la meilleure volonté du monde. A trop vouloir dénoncer l’hypocrisie ambiante, la cinéaste a bien dû mal à éviter les bons sentiments… Au moins pousse-t-elle la réflexion un cran plus loin que d’habitude. Sa cible n’est pas tant les racistes virulents, ceux qui ne tolèrent aucune différence et veulent "renvoyer tous les étrangers chez eux", que ceux, probablement plus insidieux et plus nombreux, qui veulent à tout prix se donner bonne conscience et ne parviennent pas à envisager simplement l’altérité.

Une scène illustre merveilleusement ce racisme inconscient : invitée à une fête d’anniversaire, une petite fille noire vole une poupée. Et les parents de la fillette spoliée de trouver à leur invité indélicate toutes les excuses du monde, et de finir par lui donner la poupée. "Vous faites seulement ça parce qu’elle est noire", s’insurge (à raison) leur fille… Le tableau que dresse Cristina Comencini de la coexistence entre Blancs et Noirs fait froid dans le dos : deux univers parallèles qui ne peuvent ni se mêler, ni se comprendre, et dont la rencontre réveille pas mal de tabous.

On est tout aussi horrifié par la vision que Tutta la vita davanti de Paolo Virzi donne du travail en centre d’appels : embrigadement, lavage de cerveau, exploitation et manipulation éhontés, le tout en musique et avec sourire réglementaire. Le réalisateur croque à merveille cet univers aseptisé et décérébrant auquel il ne fait pas de cadeau. C’est presque systématiquement hilarant, et suffisamment bien vu pour démonter intelligemment le mécanisme du travail précaire et son corolaire : la lutte sociale souvent pleine de bonnes intentions, mais incapable de prendre en compte tous les paramètres, notamment humains. Là encore, le réalisateur ne livre pas de réponses, et même son message d’espoir est ténu. Certes, la petite Lara deviendra peut-être philosophe grâce aux sacrifices consentis par sa précaire de mère… mais qui sait si, comme l’héroïne, thésarde que personne ne peut embaucher, elle ne devra pas se rabattre sur le premier boulot humiliant venu ?