Les années Jajacobbi : Cannes 1993

Posté par vincy, le 21 mai 2014

holly hunter la leçon de pianoUn nouveau monde

Le début des années 90 avaient marqué le grand retour du cinéma américain au palmarès avec la Palme d'or pour David Lynch puis pour les Frères Coen. Et même quand Bille August l'emporte contre toute logique sur James Ivory en 1992, c'est bien l'arrivée de Reservoir Dogs de Quentin Tarantino et la montée des marches e Sharon Stone pour Basic Instinct qui ont affolé les festivaliers.

Pourtant, 1993 marquera un changement de cap cinéphilique. Une double Palme d'or (une fois de plus) et une caméra d'or sont décernées à trois cinéastes du bout du monde, tous issus de la zone Asie-Pacifique. La néo-zélandaise Jane Campion est la première femme à être "palmée" (et la seule à ce jour) avec sa magnifique, érotique et mélancolique Leçon de Piano. Chen Kaige est le premier chinois à être "palmé" (et le seul à ce jour) avec sa fresque fascinante et ambivalente Adieu ma concubine. Enfin, Tran Anh Hung est le premier cinéaste vietnamien à recevoir un prix de première importance dans un grand festival international avec la Caméra d’or pour son enivrant film L’odeur de la papaye verte.

Le cinéma du Pacifique fait ainsi une razzia sur la Croisette, au moment où Venise et Berlin couronnent également Zhang Yimou, Xie Fei, Ang Lee, Hou Hsiao-hsien et Tsai Ming Liang avec Ours et Lion d'or.

Bien sûr 1993 n'est pas une année uniquement orientée vers le soleil levant. C'est même une année très française et Cannes s'offre les deux plus grandes actrices du cinéma hexagonal. Trois mois après sa nominations aux Oscars pour Indochine, Catherine Deneuve fait l’ouverture pour la troisième fois depuis 1984 avec Ma saison préférée, où elle a l'un de ses plus beaux rôles. En clôture, Isabelle Adjani fait son retour sur les grands écrans après 5 ans de silence avec le très médiocre Toxic Affair. On retient davantage son naturel à faire le clown, alors qu'on attendait une tragédienne. Gilles Jacob aurait sans doute préferé Jurassic Park, mais le studio a refusé le risque d’une mauvaise critique qui tuerait la sortie américaine du film. Toujours cette méfiance hollywoodienne, qui va durer encore une petite dizaine d'années.

1993 c'est aussi l'année où la cérémonie d’ouverture est retransmise pour la première fois en direct sur Canal +. Sur le fronton du bunker, s’installe une fresque de Guy Peellaert, consacrée aux grands cinéastes. On en oublierait presque que cette édition est celle de tous les grands écarts : Abel Ferrara et Renny Harlin, Joel Schumacher et les Taviani, Hou Hsiao-hsien et Wim Wenders, Raoul Peck et Alain Cavalier, Roger Planchon et Akira Kurosawa, Mike Leigh et Kenneth Branagh (avec une comédie shakespearienne au casting cinq étoiles, Beaucoup de bruit pour rien), Ken Loach (ah! Raining Stones!) et Peter Greenaway.

Car 1993 fut surtout du pain béni pour les télévisions, qui continuent de distordre chaque année un peu plus l'image de festival du 7e art. Les Nuls qui ont profité d’une soirée du Tout-Cannes au Palm Beach pour se lancer dans l’aventure cinématographique de leur film La cité de la peur. Valérie Lemercier débarque en perruque, manteau de fourrure et robe rouge. La consolation viendra des salles : les deux Palmes d'or seront des succès publics. N'en déplaise aux Guignols qui se moquent chaque jour de cinéastes au nom inconnus et de films "intellectuels" sous titrés.