Les années Jajacobbi : Cannes 1994 et 1995

Posté par vincy, le 22 mai 2014

uma thurman john travolta pulp fictionLes enfants terribles

1994 et 1995 confirment l'émergence de nouveaux grands cinéastes et la confirmation d'autres "nés' à Cannes sous l'ère de Gilles Jacob. Ainsi Quentin Tarantino avec son cultissime Pulp Fiction et Emir Kusturica avec son controversé Underground empochent la Palme d'or ces deux années. Kusturica, après Coppola et August, rentre dans le club des double palmés. Côté Caméra d'or, Pascale Ferran (Petits arrangements avec les morts) et Jafar Panahi (Le Ballon blanc) sont révélés et reconnus dès leur premier film.

Durant ces années, le nombre de journalistes venus des Etats-Unis augmente considérablement. Le succès du cinéma indépendant américain a compensé l'absence de stars hollywoodiennes. Avec Clint Eastwood en président du jury en 94, le phénomène s'amplifie : Cannes devient la poche de résistance à un cinéma formaté, industriel. Pourtant, l'invasion US n'aura pas lieu, même si l'on retient le triomphe de Tarantino, l'enfant de Cannes. D'abord, parce que, pour la première fois, la présidence du jury a une double tête : Catherine Deneuve accepte la vice-présidence. Le tandem qu'elle forme avec Eastwood affole les paparazzis. Et ils décerneront ensemble une Palme d'or unanime à Pulp Fiction. "(C’est un) film moderne, gonflé, audacieux, d’une belle virtuosité, et il y a une vraie jubilation du cinéma. Tarantino, en plus d’être un grand metteur en scène, aime beaucoup les acteurs. J’ai beaucoup défendu Journal Intime de Moretti" expliquait à l'époque Deneuve.

Ensuite, les sélections de Jacob durant ces deux années font aussi la part belle à quelques uns des meilleurs films de la décennie et parfois les meilleurs films de leurs auteurs : Journal intime de Nanni Moretti, Exotica de Atom Egoyan, La Reine Margot de Patrice Chéreau, Soleil trompeur de Nikita Mikhalkov, Trois couleurs : Rouge de Krzysztof Kieslowski, Au travers des oliviers d'Abbas Kiarostami, Dead Man de Jim Jarmusch, Ed Wood de Tim Burton, Kids de Larry Clark, La cité des enfants perdus de Jeunet et Caro, La haine de Mathieu Kassovitz, Land and Freedom de Ken Loach, Le regard d'Ulysse de Théo Angelopoulos, N'oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, The Usual Suspects de Bryan Singer, les Roseaux sauvages d'André Téchiné, Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard...

Mais avant tout, le délire n'est plus tabou. Priscilla folle du désert, Grosse fatigue, Desperado, Serial Mom (inoubliable Kathleen Turner chez John Waters), Le grand saut, Prête à tout font rire les festivaliers. On parle désormais de cinémania. Et dans les sous-sols du Palais, les nababs ont fait place aux business-men, agents et avocats. Les Miramax, New Line, Ciby 2000, Studio Canal+ et autres Channel 4 font monter les enchères. Le marché prend une importance de plus en plus grande, loin du palmarès et des avis des critiques, snobant parfois ce cinéma qui préfère la poésie ou l'actualité au pur divertissement.

Bien sûr, il y a des loupés. Quatre mariages et un enterrement a failli être de la sélection officielle. Almodovar n'est toujours pas présent sur la Croisette. On s'enchante avec Vanessa Paradis qui reprend le Tourbillon de la vie (Jules et Jim) en hommage à Jeanne Moreau (pour la deuxième fois présidente du jury en 1995). Et on se désole de voir Pamela Anderson, starlette de la télé, attirer davantage l'attention des médias que quelques grands réalisateurs.

Télé américaine + Vanessa Paradis = Johnny Depp. Avec Ed Wood et Dead Man, le comédien incarne parfaitement ces années cannoises : une star au service de films singuliers, hors des sentiers battus. Pour une fois, la starlette est un homme.