La Rochelle 2012 : « Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée »

Posté par Martin, le 3 juillet 2012

A propos de La Ruée vers l’or de Charles Chaplin.

Notre petit vagabond préféré marche le long d’une falaise. Sa démarche chaloupée manque de le faire tomber à chaque pas quand derrière lui sort par une grotte un ours qui se met à le suivre. Il avance sans le voir ; quand il se retourne l’ours vient juste d’entrer dans une nouvelle grotte. C’est la première scène du film. Dans ce jeu de portes ouvertes, d’apparition et de disparition, il y a déjà tout La Ruée vers l’or (1925), et peut-être même tout Chaplin : la vie est une question d’espace vital, et le cinéma une recherche de cadre.

En particulier dans ce film, ce questionnement s’incarne avec la porte, porte ni ouverte ni fermée des grottes, mais surtout porte de la cabane qui froid oblige, doit rester fermée. Dans le premier morceau de bravoure du film, Charlot se réfugie dans une cabane dont le propriétaire ne tarde pas à revenir : Black Larson ne veut pas de lui et ouvre la porte pour le faire sortir. Poliment, le Vagabond sort mais le vent le repousse à l’intérieur inlassablement. Il a alors l’idée d’ouvrir la deuxième porte, créant un courant d’air qui pousse Black Larson hors de la cabane. Comme toujours chez Chaplin, la scène dure pour faire jaillir tout le miel comique de cet espace fermé qui est à la fois un cadre fermé de cinéma (le jeu sur les lignes dans la cabane) et une scène de théâtre (il vire l’autre acteur de scène et prend ainsi le premier rôle).

Fait écho à cette scène, un autre grand moment quand Charlot et son ami Big Jim s’endorment dans la cabane qui se déplace pendant la nuit jusqu’au bord d’une falaise. Tout le suspense et le comique indissociables viennent cette fois du rapport entre l’intérieur et l’extérieur. Le plan d’ensemble de la cabane au bord de tomber, vue de dehors, succède au plan d’intérieur montrant les deux personnages inconscients du danger qu’ils courent, jouer à faire basculer leur habitacle. Une fois complètement oblique, retenue par une corde, au bord de sombrer, la cabane devient un espace nouveau : les portes deviennent un aller simple vers la mort ou vers la vie. Les lignes verticales et horizontales sont chamboulées, et les personnages doivent trouver un nouveau moyen d’ouvrir la porte en haut qu’ils souhaitent voir fermer en bas. Il y a quelque chose de régressif et même d’anal dans ce comique : la cabane devient un corps humain recrachant ses habitants ; la nourriture est d'ailleurs l’enjeu de l’intrigue (Charlot faisant bouillir ses chaussures, devenant un poulet aux yeux de Big Jim, ou inventant avec ses fourchettes la fameuse danse des petits pains).

L’ouverture de la porte, c’est donc dans La Ruée vers l’or la constitution d’un espace comique : l’espace clos est l’occasion de la destruction d’un espace (cf. Le Cirque et l’espace scénique que Charlot détruit malgré lui, mais ici aussi le saloon) ; la porte ouverte oblige l’espace donc le personnage à une transformation constante. Tout le film pose donc cette question très simple : comment s’adapter à un espace en perpétuelle transformation ? La question tragique de la survie et le pouvoir comique sont ici plus qu’intiment liés : ils sont le deux portes d’un même espace.

Arras 2011 : carte blanche à Fiona Gordon et Dominique Abel

Posté par MpM, le 6 novembre 2011

dominique abel et fiona gordon

Le Arras Film Festival offre cette année une carte blanche au duo lunaire et fantaisiste formé par Fiona Gordon et Dominique Abel. L'occasion pour les deux clowns-réalisateurs de montrer leurs trois longs métrages (coréalisés avec Bruno Romy) : L'iceberg, Rumba et La fée, mais surtout de dévoiler une partie de leur univers burlesque au travers de films dont ils se sentent proches. Sont ainsi présentés Oeil pour oeil (Laurel et Hardy), Les lumières de la ville (Charlie Chaplin), Le soupirant (Pierre Etaix) et Sacré Graal ! (Monty Python).

"On avait fait une liste plus longue, précise Dominique Abel. Mais ce sont souvent des films introuvables. On avait notamment proposé Whisky de Pablo Stoll et Juan Pablo Rebella, Tampopo de J?z? Itami et un film que l'on met à chaque fois et que personne ne trouve jamais, Qui chante là-bas de Slobodan Sijan."

Gus van Sant, Hal Hartley et Aki Kaurismäki font également partie de leurs références. "On adore Kaurismäki. Pour nous, c'est un des très grands.  Quelqu'un qu'on admire. Mais je ne suis pas sûr que ça rentre vraiment dans le burlesque..."

De toute façon, le duo avoue n'avoir jamais été capable de hiérarchiser. Chaplin, Keaton, Tati, Etaix, Linder, Méliès... "Lorsque je les ai découverts, se souvient Dominique Abel, j'ai eu l'impression qu'ils me connaissaient de l'intérieur, qu'ils avaient tout compris de la vie. Je me suis dit : ouf, je ne suis pas tout seul !"

De Laurel et Hardy, ils vantent la lenteur et le respect. "Ils se donnent des claques, mais entre chaque claque, ils se rhabillent l'un l'autre, remettent leurs chapeaux", note Fiona Gordon. "Et puis ils prennent leur temps. Je trouve ça très joli cette forme de lenteur", complète Dominique Abel.

Chaplin les fascine par son mélange de gags et d'humanisme. "Il enrichit le film [Les lumières de la ville] d'un discours politique : regardez, je veux travailler, mais il n'y a rien pour moi. Avec cela, il ajoute du mélodrame. Tandis que Pierre Etaux est plus un personnage de dandy. C'est un personnage riche qui fait rire ! C'est du burlesque nouveau, différent", explique Dominique Abel.

Les deux acteurs revendiquent également une envie de défendre les "moins nobles" par rapport aux "intellos" acclamés partout. "Ce n'est pas toujours dans le raffinement que se trouve le génie", souligne Fiona Gordon. "Le génie peut être complétement bordélique. Regardez les Monty Python. Leur côté bordélique nous plait. Chez eux, rien n'est sacré. Or il y a de la grandeur dans cette irrévérence. "

L’instant vintage : La restauration donne une seconde vie aux films

Posté par Benjamin, le 30 octobre 2011

Ce n’est que dans les années 1930 que des personnalités du cinéma telles qu’Henri Langlois se sont mobilisées pour sauver les richesses du cinéma muet. Les cinémathèques à travers le monde se sont créées (la Cinémathèque française, en 1936, fut l’une des dernières, bien après l’Allemagne, le Royaume Uni ou les Etats-Unis) pour, d’une part, stocker ces films, et d’autre part, les projeter et leur donner une seconde naissance.

Car après tout, le but de la conservation et de la restauration est d’apporter un regard nouveau sur une œuvre plus ou moins datée. Lorsque le festival de Cannes organise la projection du Guépard, d’Orange mécanique ou même du Sauvage en version restaurée, il soumet ces films au jugement du temps. Ont-ils passablement vieilli ? Ont-ils au contraire gardé (ou amplifié) la force qu’ils possédaient à leur sortie ? Sont-ils toujours des classiques que le temps n’effleure même pas ?

La restauration met les films à l’épreuve. C’est un second jugement, un second regard car, dans l’art comme dans toutes choses, il faut souvent y regarder à deux fois. Combien de films ont été massacrés lors de leur sortie pour être auréolée 20 ans plus tard (Citizen Kane en est un parfait exemple). Mais aussi combien de films subissent le sort inverse ? Ils sont, lors de leur première diffusion, jugée, perçue comme une œuvre agréable et ils souffrent cruellement aujourd’hui des années qui leur sont passées dessus. Et ce film qui était alors autrefois un succès n’est plus que le témoin de cette époque résolue. On le regarde en souriant. Ces défauts deviennent comiques mais il ne faut pas le jeter ou le détruire pour autant. Et la restauration, grâce aux recherches des restaurateurs, permet enfin de découvrir des versions inédites de chefs d’œuvres, comme Metropolis pour ne citer que lui qui a gagné près de 30 minutes (pas inutiles) de métrage !

Les films restaurés sont aussi un musée des souvenirs, ils revêtent un costume qu’on ne leur connaissait pas. Par exemple, un film que l’on juge mauvais peut avoir un intérêt historique, être le témoin privilégié, la transmission vers la postérité d’une ville, d’un métier, d’un trait d’époque qui n’existe plus. Le film se pare d’une valeur historique et/ou sociologique. Il nous informe également sur une façon de faire du cinéma qui n’est certainement plus la même aujourd'hui. La version restaurée inédite du Voyage dans la lune de Méliès, coloriée au pochoir, nous apprend que le cinéma en couleur existait dès les années 1900 mais qu’il fallait pour cela que les artisans du cinéma peignent à la main chaque carré de pellicule !

Grâce à la restauration, c’est aussi le jugement critique qui peut être mis de côté pour ne faire ressortir que le simple plaisir de voir un film un brin provocateur pour son époque, un cartoon des premiers temps ou les premières actualités filmées. Le cinéma est un œil braqué sur le monde. Il a mille fonction mais toujours le même objectif : divertir. La critique perd alors un peu de son sens (éclairer le spectateur) pour ne devenir qu'un reflet déformant, souvent valorisant.

En restaurant les tout premiers films de Chaplin, Losbter Films, la Cinémathèque de Bologne et le British Film Institute donnent à voir la naissance pour ne pas dire la création de Charlot ! Ce n’est pas rien. Ces films de 1914 nous offrent une connaissance plus approfondie de ce qu’était le cinéma burlesque à cette époque, de la position de Chaplin et de son développement artistique en une seule année. Mais aussi de précieuses informations sur les techniques de réalisation, de montage, de production, etc. Il y a une foule de détails dans ces films ! Un spectateur lambda appréciera les gags un peu grossiers et le rythme haletant de ces comédies Keystone.

Serge Bromberg, célèbre restaurateur admiré de tous, désire que le spectateur regarde ses films avec son âme d’enfant. La restauration doit aussi ramener cela : le simple et pur plaisir du spectateur qui se prélasse devant un film, et peu importe sa date de production tant qu'il reste une copie, même abîmée. Car après tout, il n’y a que la contemplation qui compte.

Il ne faut pas oublier ce conseil d’Henri Langlois : « tout conserver ! » Pour cela Ecran Noir a décidé de consacrer une rubrique dédiée à ces films "vintage" sur son blog. En parler comme on parle des autres films. Ce n'est pas seulement faire revivre le patrimoine, c'est aussi le rendre indispensable à nos mémoires.

Car, malheureusement, la place manque pour la conservation et la restauration ne rapporte pas d’argent, malgré les re-sorties en salles souvent réussies et des DVD bien soignés. La VOD/VàD reste un modèle économique à suivre pour rentabiliser les coûts.

Elle n’est nourrie que par le temps et la passion de certains cinéphiles. Si vous trouvez un film chez vous, chez votre voisin, une pépite ou une pellicule, quelque chose qui pourrait être intéressant, n’hésitez pas à le signaler car il peut être sauvé et diffusé au plus grand nombre. Ces films sont comme les trésor des pirates enfouis : la quête devient inestimable...

Le musée Chaplin encore à l’état de projet (très coûteux)

Posté par Benjamin, le 25 février 2011

34 ans après sa mort, Charlie Chaplin continue de faire l’actualité. Mais comme chacun le sait, la légende ne meurt jamais et Charlot demeure une figure mondialement connue du cinéma. Si dernièrement, il est revenu sur le devant la scène avec la sortie du coffret DVD La naissance de Charlot qui permet de (re)découvrir ses tout premiers films, aujourd’hui c’est un tout autre sujet qui fait parler de lui.

Cela fait maintenant presque 10 ans que le projet est lancé : un musée, entièrement consacré à l’œuvre de Chaplin, devrait voir le jour dans la dernière demeure du géant, c'est-à-dire à Corsier en Suisse. Le manoir Chaplin, où il résidait depuis 1952 après s'être exilé des États-Unis, a été choisi pour accueillir le musée qui, selon l’architecte Philippe Meylan et la scénographe Yves Durand recevra 300 000 visiteurs environ par an et sera un pôle touristique pour la Suisse.

Seulement voilà, depuis le temps que le projet est sur les rails, peu de choses ont été accomplies et beaucoup de difficultés ont été rencontrées. Le budget au fil des années a plus ou moins explosé, passant de 19 millions d’euros en 2002 à 26,6 en 2007 pour finalement atteindre les 45,6 millions en 2011. Cette hausse monumentale fait peur aux investisseurs et certains quittent le navire, à commencer par les quatre communes qui, en 2008, s’étaient engagées à financer le projet.

Pour résumé, le manoir Chaplin appartient aujourd’hui à deux milliardaires : Gérard Lopez et Éric Lux, le musée serait donc financé par des fonds privés. Seulement les deux hommes sont peu appréciés, soupçonnés d’avoir de mauvaises intentions et d’avoir des fréquentations avec la mafia russe.

Mais Philippe Meylan tient à rassurer tout le monde et à disperser les rumeurs. Le musée est toujours d’actualité et plus prometteur que jamais. Il annonce un lieu résolument moderne qui fera intervenir l’œuvre entière de Chaplin, des décors animés ou encore des effets spéciaux et de la 3D. Par contre, le musée ne sera pourvu d’aucune archive photo ou filmique qui appartiennent pour la première au musée de l’Élysée à Lausanne et pour la seconde à la Cinémathèque de Bologne.

Même si le projet du musée semble ambitieux, les créateurs semblent avancer seuls, sans le soutien par exemple de l’Association Chaplin ou des cinémathèques. Verra-t-il le jour ? Rencontrera-t-il un franc succès ? Il y a encore beaucoup de points d’interrogation autour de ce musée qui n’a pas encore posé sa première pierre.

Les 100 plus beaux films du cinéma au Reflet Médicis

Posté par vincy, le 18 novembre 2008

citizenkane.jpgLe critique Claude-Jean Philippe a initié cette programmation insolite intitulée Les 100 plus beaux films du cinéma. Ainsi, cent personnalités du 7e Art - scénaristes, critiques, cinéastes, producteurs, ... - ont désigné leur Top 100.

Du 17 novembre 2008 au 6 juillet 2009, le cinéma parisien Le Reflet Médicis diffusera deux à trois de ces classiques en version originale.

Ouvrant avec Lola de Jacques Demy, le festival enchaînera evc Citizen Kane, La règle du jeu, Mulholland Drive, Les temps modernes, Les 400 coups, Parle avec elle, La mort aux trousses...

Parmi les cinéastes plusieurs fois cités, et donc projetés, on notera la présence de Federico Fellini, Kenji Mizogushi, Jean Renoir, Alfred Hitchcock, Vincente Minelli, Charlie Chaplin, Max Ophuls, Jean-Luc Godard, Jacques Tati, Howard Hawks et Francis Ford Coppola. L'absence de films venus d'Amérique latine, d'Afrique ou même de Chine, montre cependant que le patrimoine cinématographique se concentre autour de cinq grandes cinéphilies : Etats-Unis, Russie, Italie, France et Japon.

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Au Reflet Médicis
3-5, rue Champollion 75005 Paris

Tout le programme
Tarifs. Plein : 8 euros 90, réduit : 6 euros 80, scolaire : 4 euros 30, matinée : 5 euros 90 ; Tarif réduit pour étudiants, chômeurs, + de 60 ans et familles nombreuses, du lundi au vendredi jusqu’à 17h30, - de 18 ans et carte imagin’R, tous les jours.
Cartes Les Ecrans de Paris, UGC illimité et Le Pass acceptées.

AFI (9). La comédie romantique : une affaire de couples

Posté par vincy, le 4 juillet 2008

citylights.jpgIl n’y a pas d’hommes sans la femme. Les duos font la force de ce genre. Et aucun ne revient deux fois. On croise ainsi Katharine Hepburn aux côtés de Spencer Tracy (Madame porte la culotte, 7e) ou de Cary Grant (Indiscrétions, 5e), Meg Ryan avec Billy Crystal (Quand Harry rencontre Sally, 6e) et Tom Hanks (Nuits blanches à Seattle, 10e). Deux princesses de la comédies romantiques qui ne nous dupent pas : aucune Julia Roberts, même pas une Marilyn Monroe. Ne pas insérer dans la liste Certains l’aiment chaud, et tout le classement est discrédité. Nuits blanches à Seattle ? Harold et Maude ? Films d’une époque, ils ont mal vieillis et n’ont pas leur place comparés à un Billy Wilder. Heureusement, pour calmer notre colère, il y a Woody Allen et Diane Keaton (Annie Hall, 2e), Clark Gable et Claudette Colbert (New York-Miami, 3e) , Audrey Hepburn et Gregory Peck (Vacances romaines, 4e) et même Cher et Nicolas Cage (Moonstruck, 8e). Au dessus de tous ces films, trône Charlie Chaplin et ses Lumières de la ville. Mais là encore, point de Buster Keaton ni de Stanley Donen, autres anges facétieux qui savaient faire succomber les cœurs.

Notre avis : Chaplin en héros de la comédie romantique, davantage que Capra ou Hawks, cela laisse dubitatif malgré des grands films et à cause d’autres surévalués.

Prochain épisode : les drames judiciaires s’offrent les quatre fantastiques