Edito: Canal confidentiel

Posté par redaction, le 6 juillet 2017

C'est paradoxal l'information. Enfin la communication. Canal Plus essaye de survivre. Non pas que le groupe soit menacé d'extinction mais les affaires ne vont plus aussi bien. Entre l'arrivée de Netflix, qui séduit par son bas tarif, l'excécrable saison télévisuelle de ses émissions en clair, les sanctions à répétition contre son produit phare sur C8, la désastreuse image véhiculée par son patron et qui a terni trente ans de gloire cathodique, Canal Plus n'a plus l'esprit cool, hype, glam d'avant.

Les projets ne manquent pas pour revitaliser l'ancienne star que le monde nous enviait. A commencer par un lifting de Dailymotion, une nouvelle politique tarifaire, des partenariats stratégiques pour être mieux diffusé. Et puis, Maxime Saada, directeur général du groupe, demande à travers une interview que la chronologie des médias soit adaptée à l'époque.

"Notre demande principale, c'est que l'on ramène le délai actuel de diffusion des films sur Canal+ de dix mois à six mois après la sortie en salles. Au moment où les Netflix et Amazon prennent des positions dominantes, cette mesure nous paraitraît un geste fort. Nous voudrions également que les acteurs vertueux du PAF, qui payent leurs impôts en France, qui respectent les quotas, bénéficient d'avancées notables. Et que les moins vertueux (c'est-à-dire les Netflix, iTunes, SFR…) en soient écartés. Au nom de l'équité. Il y a enfin un autre dossier que nous allons mettre sur la table du nouveau gouvernement, c'est celui du piratage. La France est championne du monde dans le domaine. La perte pour le seul groupe Canal+ est de 500.000 abonnés! Il existe pourtant des parades efficaces, qui ont fait leur preuve en Allemagne et au Portugal, où chaque fraudeur identifié est mis à l'amende. Nous réclamons un dispositif législatif à l'identique. Sachez qu'un grand succès comme Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu a été piraté 4,2 millions de fois avant d'être diffusé sur notre antenne. C'est inadmissible" explique-t-il dans le JDD.

Canal Plus a des atouts pour faire pression: sa part dans le financement du cinéma français et dans la création de fictions.

Malheureusement, le message est brouillé depuis deux jours. Canal Plus voulait frapper les esprits (du PAF). C'est surtout l'esprit Canal qui a frappé en plein pif.  Neuf sociétés de gestion de droits d'auteur ont décidé de poursuivre le groupe pour "défaut de paiement des auteurs", une décision unilatérale prise par le big boss Vincent Bolloré. Canal+ a cessé tous paiements de droits d’auteurs depuis le 4e trimestre 2016, afin de faire des économies.

La ministre de la Culture a rappelé que Canal - premier financeur du cinéma et l’un des principaux financeurs de la production audiovisuelle - joue "un rôle particulier dans l’écosystème de la création française". Soulignant: "En conséquence, aucune stratégie de réduction des coûts, fût-elle justifiée par la volonté d’améliorer la situation financière, ne saurait exonérer une entreprise des obligations qui découlent de ses contrats avec les sociétés d’auteurs".

Cette politique qui touche les auteurs, toujours les moins bien lotis dans les devis ou le paiement des factures, est incompréhensible. Surtout quand le groupe cherche à vouloir modifier la chronologie des médias ou vouloir faire pression sur le gouvernement pour la lutte contre le piratage. Ainsi, le message de Maxime Saada s'est perdu dans le brouillard crypté des déclarations sans portée car l'urgence est ailleurs, et en clair: Canal Plus risque gros à ne pas rémunérer les centaines d'auteurs qui nourrissent son antenne. On peut toujours se plaindre qu'un Apple, Netflix ou Amazon ne soient pas "vertueux". Encore faut-il être vraiment vertueux soi-même.

Claude Lelouch: « Netflix est un peu ce que fait Emmanuel Macron en politique »

Posté par vincy, le 27 juin 2017

Il n'y a pas que les cinéastes américains ou asiatiques qui sont attirés par le cash de Netflix. Dans un entretien au JDD dimanche dernier, Claude Lelouch va à rebrousse-poils de la profession en France. Pour lui, Netflix "est un peu ce que fait Emmanuel Macron en politique", précisant sa pensée: "Il a balayé les préjugés pour aller chercher les bonnes idées là où elles sont, à droite comme à gauche. Alors, si la plus belle histoire du monde est mise en scène par un gars produit par Netflix ou Amazon, il faut la voir." "D'autant que le pouvoir financier de ces plateformes est colossal»." ajoute-t-il.

"En l'occurrence, on ne peut pas dire non à la nouveauté" estime le réalisateur, qui produit ses films depuis ses débuts, jusqu'à parfois les distribuer lui-même.

Le cinéma "ne peut plus se permettre de se prendre pour une star"

Il va assez loin dans son raisonnement, constatant l'état désastreux du marché pour les films d'auteur et la difficulté à produire/financer des films non formatés. "Aujourd'hui, ce qui pourrait sauver Fellini ou Antonioni, c'est Netflix. Je le pense vraiment, explique le réalisateur Claude Lelouch.

C'est d'ailleurs ce qui est intéressant de la part du cinéaste multi-récompensé. Sa quête d'indépendance l'a conduit à être totalement libre, dépendant essentiellement et financièrement des recettes de ses succès comme de ses flops. En moyenne, un Lelouch (il y en pas loin de 50) c'est un million d'entrées en France (avec 6 films au dessus des 2 millions de spectateurs).

Le changement, c'est maintenant?

Lui qui n'est pas abonné à la plateforme, reconnaît qu'il doit "batailler pour trouver les financements" de son prochain film, après le bide de Chacun sa vie en mars (qui faisait suite à Un + Une en 2015, son plus gros succès depuis 1996). Pour Lelouch, le cinéma "doit aller chercher de l'argent ailleurs que dans les structures actuelles. Il ne peut plus se permettre de se prendre pour une star." Il n'exclut pas de travailler pour Netflix, avec plaisir: "Si je travaille en toute liberté" précise-t-il.

En clair, Claude Lelouch, 79 ans, patron des Films 13, Palme d'or, Oscar du meilleur scénario et Golden Globes du meilleur film étranger, pense qu'il est temps de changer. "La chronologie des médias est démodée" affirme-t-il et, comme toujours un peu provocateur à l'égard de ses pairs (est-ce pour ça que Lelouch n'a jamais été césarisé même pour l'honneur?), il trouve "formidable" que le festival de Cannes sélectionne deux films ne sortant pas en salles.

Edito: Netflix, le réveil de la force

Posté par redaction, le 8 juin 2017

Il est évident que Netflix transforme le paysage cinématographique. On peut se désoler de voir que de grands cinéastes et de bons films ne soient jamais diffusés en salles. Mais après tout, cela fait longtemps que la télévision a attiré les Scorsese, Spielberg et autres Soderbergh pour produire/réaliser des séries. Et n'oublions pas le pionnier, Hitchcock. A Cannes, le débat a envahit la Croisette, au point, parfois, d'en oublier la qualité des films sélectionnés.

Est-ce si révolutionnaire que de vouloir produire des films exclusifs pour fidéliser ses abonnés et en attirer de nouveaux? HBO l'a déjà fait. Canal +, de par sa convention avec l'Etat, s'arroge le droit d'être la première fenêtre de diffusion après le passage en salles et en location vidéo. C'est de bonne guerre. Ce qui choquerait avec Netflix, c'est l'impossibilité de voir Okja, War Machine ou The Meyerowitz Stories au cinéma.  Bizarrement, on ne se pose pas la question pour toutes les séries B qui débarquent directement en vidéo à la demande (e-cinéma, c'est plus chic), sans passer par la case salles. Ces films en e-cinéma ont le droit à des projections presse. Netflix fera sans doute de même prochainement, afin d'accentuer la visibilité de ses productions "starisées".

Le débat autour de la diffusion n'est pas que français et l'intérêt pour Netflix n'est pas réservé qu'aux professionnels américains.

Ainsi, hier, Naomi Kawase s'est dite prête à travailler avec Netflix: "Si une firme comme Netflix ou toute autre société de production étrangère a des moyens pour travailler avec une réalisatrice qui a acquis une réputation internationale, ce peut être une façon pour moi d'exprimer librement ce que je veux", ajoutant qu'elle ne regretterait pas "une telle occasion" qui est, selon elle "plutôt comme un défi à relever". Pour les auteurs, les plateformes de SVàD sont une véritable aubaine alors que le marché art et essai se contracte en nombre de spectateurs dans le monde entier et que les financements sont de plus en plus difficiles à trouver pour des scénarios originaux.

La réalisatrice japonaise a commencé à réfléchir à cette possibilité quand son confrère sud-coréen Bong Joon-ho, dont Okja, en compétition à Cannes et financé par Netflix (50M$), s'est réjoui de la liberté créative qu'il a eu. "Il dit que Netflix lui donne tout l'argent dont il a besoin et n'intervient pas", explique Kawase, rappelant que le cinéma d'auteur japonais est plus que fragile et focalisé sur les productions populaires, souvent adaptées de mangas, romans ou séries TV. Hirokazu Kore-eda ne dit pas autre chose: "Plus de réalisateurs vont à l'avenir vouloir travailler avec Netflix ou Amazon. S'il reste comme il est, tout le secteur va couler." Plutôt que de constater le déclin du cinéma d'auteur japonais, les cinéastes se tournent vers l'étranger pour financer leurs œuvres.

De l'autre coté de la mer du Japon, le cinéma est florissant en Corée du sud. Il sait se protéger, se financer, s'exporter. En Corée du sud (mais aussi aux Etats-Unis et au Royaume Uni), Okja bénéficie même d'une exception: le droit d'être sorti en salles. Mais, comme pour la France, les professionnels ont décidé de se rebeller contre Netflix, producteur et diffuseur du film. Une grande chaîne sud-coréenne de salles de cinéma, CGV, premier réseau du pays avec 1000 écrans, a annoncé qu'elle ne diffuserait pas ce film très attendu si Netflix le mettait en ligne simultanément sur sa plateforme. Il y a deux ans, la suite de Tigre et Dragon avait suscité la même réaction de la part des circuits américains, qui avaient boycotté le film.

Le problème Netflix est ailleurs

Dans l'histoire, ce sont les spectateurs qui sont pris en otage: soit ils ne peuvent pas voir le film en salles, soit ils sont contraints de s'abonner à la plateforme. Cela peut faire le beau jeu des pirates. Toujours est-il qu'il va falloir rapidement revoir la chronologie des médias. Après tout, en tant que producteur, Netflix a le droit de choisir sa stratégie de distribution, quitte à exclure définitivement la salle de cinéma dans un premier temps (le cinéma serait alors une sorte de deuxième fenêtre, après le streaming exclusif). Pour le cinéphile comme le cinéaste, le "produit" reste un film de cinéma. Qu'on le voit chez soi, en salle, dans un festival ou à bord d'un avion, ça ne change pas grand chose, hormis la sensation, le plaisir que l'on peut éprouver selon le lieu (sous la couette, avec un public, avec les artistes, ou pour combler l'ennui).

Mais avant de se focaliser sur ce combat multi-supports (que les médias ont depuis longtemps intégré), peut-être faut-il mieux se concentrer sur le vrai problème qu'induit la force des plateformes de type Netflix. Il serait beaucoup plus judicieux d'obliger ces géants américains à payer leurs impôts dans le pays où ils sont diffusés, en fonction du chiffre d'affaires dégagé par leurs abonnements locaux. Car ce n'est pas tant le modèle économique d'un Netflix qui pose problème (en effet, s'ils investissent dans des films, on ne peut être que ravis). Mais c'est bien le contournement des règles fiscales et la distorsion de concurrence par rapport aux producteurs-diffuseurs nationaux qui pénaliseront à terme l'industrie cinématographique de pays comme la France, la Corée du sud ou l'Argentine, dont les éco-systèmes ont permis depuis des années de résister à l'hégémonie culturelle américaine.

Ce n'est pas simplement défendre notre exception culturelle que de réclamer des droits et des devoirs à un géant transnational au-dessus des Lois, mais il s'agit bien de protéger notre modèle culturel, qui passe par une solidarité fiscale. Canal + a l'obligation de financer des productions françaises. Pour toucher des aides du CNC, il faut être installé en France. Il n'y a aucune raison que Netflix profite du marché français sans contreparties bénéficiant à tout le secteur.

Cannes 2017 : 10 questions (im)pertinentes pour faire le bilan

Posté par kristofy, le 31 mai 2017

Le 70ème Festival de Cannes est terminé officiellement, mais en réalité il va continuer durant quelques mois encore sous une autre forme au rythme des sorties de films en salles de cinéma. Pourquoi la Palme d'or à The Square et pas à 120 battements pas minute ? Que s'est-il est passé avec Okja et Netflix ? Et du côté des films de Lynne Ramsay et de Sofia Coppola ? On s'est déjà posé 10 questions (im)pertinentes, avec des réponses possibles. Avec des si on referait le monde... alors refaisons Cannes.

1 - Pourquoi Okja de Bong Joon-ho ne figure pas au palmarès ?

En ouverture de festival, Pedro Almodovar a été questionné en tant que président du jury à propos d'une éventuelle Palme d'or à un film distribué par Netflix. Il a fait une déclaration qui a été comprise comme une exclusion de deux films en compétition (Okja et The Meyerowitz Stories) pour la récompense suprême : « Ce serait un énorme paradoxe que la Palme d'or ou un autre prix à un film ne puisse pas être vu en salles, il ne faut pas que cette nouvelle plate-forme se substitue au fait d'aller voir des films en salles... » (il ne faut pas découvrir un film sur un écran plus petit que sa chaise... lire aussi notre actualité du 19 mai). A savoir qu'il y aurait eu recadrage pour une correction diplomatique dès le lendemain : «Ni moi ni aucun des membres de mon jury ne ferons de distinction entre les deux films Netflix et les autres en compétition. Nous sommes ici pour juger les dix-neuf longs métrages sélectionnés sur le plan artistique... ». Reste que Bong Joon-ho est l'un des plus grands réalisateurs de sa génération et que son film Okja était l'un des meilleurs de la sélection cette année. Alors l'ignorer en dit long sur la capacité à juger un film populaire et divertissant, tout en étant porté par un message politique (coucou les jurés du festival de Cannes 2006 qui ont oublié dans leur palmarès Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro).

2 - Quel est le vrai problème avec Netflix ?

En France il y a diverses règlementations liées à la chronologie des médias, avec un délais pour un film entre son exploitation en salles de cinéma et sa diffusion en VàD sur internet. Le système est plutôt vertueux en France. Le cinéma français est en partie financé via le CNC avec un pourcentage prélevé sur chaque ticket de cinéma vendu. Les plateformes de VàD sont soumises à un impôt sur leurs revenus (comme toute entreprise). Netflix diffuse des films en France sans vraiment être taxé - le problème de l'évasion fiscale est d'ailleurs un macro-problème européen puisque des sociétés géantes de par leurs bénéfices minimisent leur imposition au maximum (dont Amazon qui distribue aussi des films, dont L'Oréal partenaire du festival de Cannes, dont Renault, autre partenaire, qui a installé son siège au Pays-Bas...).
Pedro Almodovar (et son frère producteur Agustin Almodovar) connait bien le sujet pour avoir été impliqué en avril 2016 dans le scandale des 'Panama papers' avec un compte offshore, au point d'arrêter la promotion de son film Julieta en Espagne (lire notre actualité du 12 avril 2016). Cela ne l'a pas empêché d'ailleurs de venir présenter Julieta ensuite en mai à Cannes.
Netflix, dont on ne conteste absolument pas la qualité des productions, loin de là, c'est avant tout un problème d'argent : les impôts d'une part, le financement du cinéma d'autre part. Ce n'est donc pas simplement un souci de chronologie des médias.

3 - Un film Netflix peut-il sortir en salles de cinéma ?

Netflix est, selon certains films et certaines séries, co-producteur et/ou diffuseur. Quand Netflix achète un titre pour le diffuser dans le monde via sa plateforme on dit alors qu'il s'agit d'un "film Netflix". Ainsi le film Message from the King réalisé aux Etats-Unis par le belge Fabrice Du Welz est un film Netflix qui est donc diffusé via Netflix, mais un accord a été trouvé avec la société de distribution The Jokers pour la France qui aura été l'un des rares pays à sortir ce film en salles de cinéma, c'était le 10 mai bien avant le débat à Cannes... Okja sortira en salles le 28 juin en Corée du Sud. Quant à The Meyerowitz Stories, s'il veut concourir aux Oscars, il devra au moins être diffusé à Los Angeles sur grand écran. Preuve que quand Netflix veut, Netflix peut. En France, il semblerait qu'aucun accord n'ait été trouvé avec des distributeurs. Mais il s'agirait plutôt d'un manque de volonté de la part de la plateforme. Dans cette histoire, c'est le spectateur qui est perdant. Il va falloir revoir la Loi. Pour l'instant, seul Arte a réussi à contourner le problème avec des films comme Carole Matthieu ou I am not your Negro, les diffusant en exclusivité durant 7 jours sur sa chaîne en "replay" après une diffusion en prime-time, avant de les rendre disponible pour une sortie en salles. D'un côté un million de téléspectateurs ont vu le documentaire de Raoul Peck. De l'autre, il n'a été vu que par 31000 spectateurs en salles.

4 - Quel est l'enjeu pour Okja?

Pour Okja de Bong Joon-ho, c'est bien plus compliqué que pour un (télé)film avec Isabelle Adjani. Ce film est considéré comme une poule aux œufs d'or par Netflix, qui attend un retour sur investissement après l'avoir financé à hauteur de 50 millions de dollars ! Il faut savoir que le film précédent du réalisateur Snowpiercer, le Transperceneige avait été exploité aux Etats-Unis par the Weinstein Company en VàD avec succès, c'était même un record de bénéfices de l'année en vidéo à la demande. Snowpiercer, le Transperceneige est devenu un 'gamechanger' pour l'industry : distribuer ce film en VàD a coûté moins cher et a rapporté plus d'argent que via un circuit de salles de cinéma (nuançons: les Weinstein avait massacré au montage la version cinéma aux USA)...
Il faut se souvenir que en France cette expérience de produire un film et de maximiser les recettes sans passer par les salles avait déjà eu lieu. Wild Bunch l'avait expérimenté en 2014 avec Welcome to New-York de Abel Ferrara avec Gérard Depardieu, tout en profitant de Cannes pour son lancement (mais lors de projections hors sélections cannoises, lire aussi notre actualité du 4 mai 2014).

Okja est produit et diffusé par Netflix, mais ce film est aussi coproduit par Plan B, la société de production de Brad Pitt, dont le dernier film, War Machine n'est visible que sur Netflix. Plan B produit donc des films dans lesquels Brad Pitt est acteur bien entendu mais aussi quantité de films d'auteur qui ont été récompensés aux Oscars, comme il y a quelques mois Moonlight, mais aussi The big short: Le casse du siècle ou 12 years a slave... Plan B a eu aussi des films sélectionnés en compétition au Festival de Cannes comme en 2012 Cogan: killing them softly, et avant en 2011 The Tree of life de Terrence Malick qui a obtenu la Palme d'or. En dehors du débat Netflix, Okja de Bong Joon-ho avait bien évidement toute sa place en compétition à Cannes.

5 - Comment juger de la qualité de la sélection des films en compétition ?

Environ 1500 longs métrages ont été vus par le comité de la sélection officielle, et 19 films ont été retenus en compétition, le tout sous la responsabilité de Thierry Frémaux. Il a d'ailleurs publié un livre à ce sujet (Sélection officielle, journal) où il indique notamment avoir refusé le dernier film de Emir Kusturica pourtant déjà double-palmé d'or et avoir avertit Sean Penn qu'il fallait mieux revoir le montage de son The last face (hué l'année dernière)... Certains films ne sont pas achevés lors de leur sélection, d'autres revoient leur montage après les projections cannoises.

Cannes se doit d'être dans une certaine mesure fidèle à "ses" auteurs, les fameux "abonnés" comme Michael Haneke, Naomi Kawase, Andreï Zviaguintsev, Sergei Loznitsa, Hong Sang-soo... (et bien entendu Pedro Almodovar, au détriment de tout autre réalisateur espagnol), tout en étant une vitrine du meilleur du cinéma international. Difficile donc de figurer en compétition pour un premier film (même si ça a été le cas). Généralement, il y a une sorte de parcours fléché, qui va d'un premier film en section parallèle, à une sélection à Un certain regard puis un passage en compétition. Il arrive aussi que des fidèles et même des palmés, à l'instar de Kawase ou Cantet ou même Van Sant, soient retenus à Un certain regard et pas en compétition.

Si la sélection ressemble parfois à du name-dropping Thierry Frémaux le premier sait bien que les films choisis sont de qualité inégale. Certains décèlent un indice de faiblesse quand le film "monte les marches" en pleine après midi (cette année ce fut le cas avec Wonderstruck de Todd Haynes, Le jour d'après de Hong Sang-soo, Rodin de Jacques Doillon, Une femme douce de Sergei Loznitsa, tous ignorés du palmarès). Chaque année on se dit rétrospectivement que tel film ne méritait pas la compétition et aurait été mieux dans la sélection Un Certain Regard, et inversement. Ainsi Jeune Femme le premier film français de Leonor Seraille était à découvrir à Un Certain Regard et a d'ailleurs remporté le prix de la Caméra d'or. Mais comme on le constate dans les tableaux d'étoiles des divers critiques de la presse écrite mondiale, tous les goûts sont dans la nature. Et une chose est sûre: la moitié de la compétition, comme chaque année, fera l'événement lors des palmarès de fin d'année et des sorties en salles (il suffit de voir tous les prix récoltés par Toni Erdmann alors que le film n'a pas reçu un seul prix au palmarès cannois).

6 - Quelle place pour les femmes réalisatrices ?

La question revient chaque année: il faudrait plus de femmes en compétition. Mais doit-on se soucier qui est derrière la caméra quand on doit sélectionner la crème du cinéma? Michel Ciment nous confiait lors de cette 70e édition qu'il s'agissait d'un faux procès: combien de chefs d'œuvre réalisés par une femme ont été oubliés sur la Croisette ? Le problème est en amont: dans l'accès à la réalisation pour les cinéastes femmes. Pas dans une sélection qui choisi en fonction des films qu'on lui propose. L'actrice Jessica Chastain membre du jury a déclaré après le palmarès: « Il y a des exceptions, mais pour la majeure partie j'ai été surprise par la représentation des personnages féminins à l'écran, cette vision des femmes à l'écran est assez perturbante pour être honnête ». Névrosée, soumise, battue, violée, trompée, victime, absente, abusée: on ne peut pas dire que les personnages féminins étaient radieux cette année. La réalisatrice allemande Maren Ade a ajouté: « Nous n’avons pas primé des femmes parce que ce sont des femmes, mais il est vrai que c’est la première fois que le prix de la mise en scène est remis à une femme » (en fait c'est la deuxième fois: en 1961, la russe Ioulia Solntseva était entrée dans l'Histoire en étant la première réalisatrice primée) et par l’actrice chinoise Fan Bing Bing « très heureuse d’avoir remis le prix à Sofia Coppola qui a fait un travail remarquable ».

On aime vraiment beaucoup les films de Sofia Coppola, mais son dernier Les Proies n'est pas son film le plus fort : ce remake de Don Siegel d'après un roman écrit par un homme ((lire notre décryptage sur le sujet) et où les personnages féminins se perdent dans la jalousie jusqu'à préméditer torture et meurtre est même un peu le contraire de l'intention féministe affichée. Donner un prix de mise en scène à Sofia Coppola parce que ce serait une femme, si c'est le cas, c'est aussi troublant que si Naomi Kawase avait été palmée pour Vers la lumière, moins convaincant que le sublime Still the Water (ignoré par le jury à l'époque). Et quitte à faire du féminisme, alors Lynne Ramsey méritait une Palme d'or pour You Were Never really Here, l'un des rares chocs du Festival. La britannique est repartie avec un prix du scénario ex-aequo. Dommage que Jessica Chastain, Maren Ade et Fan Bing Bing n'aient pas vu Jeune Femme de Leonor Seraille (où d'ailleurs dans l'équipe technique il y avait quasiment que des femmes cheffe de poste à l'image, au montage, au son...)...

7) Pourquoi la réalisatrice Lynne Ramsay n'a pas eu le prix de mise en scène ou la Palme d'or ?

Le prix de mise en scène au remake Les Proies de Sofia Coppola est une hérésie, surtout que plus de la moitié des cinéastes en compétition méritait davantage ce prix (de Hong Sang-soo aux frères Safdie). Au fait, et pourquoi ce prix de mise en scène n'a pas été à Lynne Ramsay qui, avec son You were never really her, était largement plus justifié ? Il y a une explication : le règlement actuel du festival n'autorise plus que ce prix de la mise en scène puisse être cumulé avec un autre prix. Et comme le jury voulait pour ce film remettre le prix du meilleur acteur à Joaquin Phoenix, alors il a cité Lynne Ramsay ailleurs dans le palmarès avec un prix ex-aequo du scénario. Ce qui d'ailleurs est assez cocasse vu le scénario minimaliste du film : "un tueur à gages au grand-coeur sensible va protéger une jeune fille victime d'une élite pourrie" (soit la même trame dont se sert Luc Besson pour produire Léon, Le baiser mortel du dragon, Le Transporteur, Hitman, Taken...). Ici, évidemment, c'est brillant, percutant, audacieux. C'est bien grâce à sa direction d'acteur, sa réalisation, son jeu avec le hors-champs, son sens du montage, que le film se distingue des autres.

8 - Pourquoi les marches avaient un air de déjà-vu ?

On constate depuis quelques années un autre groupe de fidèles: les acteurs et actrices. Quand il y a au générique Isabelle Huppert, Marion Cotillard, Juliette Binoche, Vincent Lindon, Nicole Kidman, Robert Pattinson, Kirsten Stewart, Tilda Swinton ou encore Jessica Chastain, la probabilité d'être à Cannes augmente. Il y a un "casting" Cannes. Des acteurs qui choisissent les bons auteurs ou des auteurs qui préfèrent la sécurité d'un comédien ou d'une comédienne renomé(e) dans le circuit art et essai? Reste que cette concentration ne favorise pas l'excitation. Voir quatre fois Kidman, aussi bonne soit-elle et aussi judicieux soient ses choix, ou Huppert (l'an dernier) en douze jours, ça frôle l'overdose. Retrouver Cotillard tous les ans sur les marches depuis quelques festivals, ça lasse un peu. Il manque de la fraîcheur, de la nouveauté, du jamais vu à Cannes. D'où le "hot buzz" autour de Will Smith cette année ou de Julia Roberts l'année dernière. En compétition au 70e Festival, ce sont finalement les jeunes qui ont apporté cet oxygène (Okja, 120 BPM, Wonderstruck, ...) et ce sont deux acteurs plus rares à Cannes qui ont emporté le prix d'interprétation: Diane Kruger (pour la deuxième fois en compétition sur 6 films en sélection officielle) et Joaquin Phoenix, qui n'avait pas eu de films en compétition depuis quatre ans (et qui l'a toujours été avec James Gray jusque là).

9 - C'est quoi un bon film de minuit ?

L'année dernière on a été gâtés avec la Corée du Sud et Dernier train pour Busan, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut considérer le polar coréen comme un réservoir où trouver des films de minuit. Pourtant ce fut encore le cas en 2017 avec The Villainess et The Merciless, certes plaisants, parfois jouissifs, mais sans plus. Quitte à mettre un film d'action coréen en séance de minuit il aurait mieux valu choisir par exemple The Battleship Island de Ryoo Seung-wan en avant-première (sortie en juillet en Corée). Si d'autres années les séances de minuit ont été inoubliables avec L'armée des morts de Zack Snyder ou Jusqu'en enfer de Sam Raimi, ce n'est pas seulement parce que il y avait des zombies ou des démons : c'est parce que c'était avant tout des bons films, qui nous font revivre un genre de cinéma qu'on a découvert bien plus jeune (et différent de certains films trop longs de 2h20 avec des plans fixes...). Le mot-clé pour une séance de minuit c'est 'divertissement', une séance de minuit ça doit être un peu festif comme par exemple avec la venue l'année dernière de Mel Gibson pour Blood Father ou carrément sulfureux comme Love de Gaspar Noé. On aurait bien voulu une séance de minuit idéale avec le film Baby Driver réalisé par Edgar Wright en sa présence avec sa bande d'acteurs (Ansel Elgort, Lily James, Jamie Foxx, Kevin Spacey, Jon Hamm...) qui va sortir en juillet. Malheureusement, cette année, les films hors-compétition ou séances spéciales étaient avant tout des (bons) documentaires, trois films d'auteurs grand public plutôt ratés (Miike, Cameron Mitchell, Polanski) et des formats singuliers (série TV, Réalité virtuelle). Pas l'ombre d'un blockbuster hollywoodien, pour la première fois depuis très longtemps.

10 - Et si le festival de Cannes interdisait qu'un film en compétition sorte en salles durant le festival ?

Rodin de Jacques Doillon est sorti en salles le 24 mai, L'amant double de François Ozon est sorti en salles le 26 mai : ces films qui étaient en compétition officielle furent donc visibles dans n'importe quel cinéma en même temps (voir même avant) que la projection officielle de Cannes. C'est le cas chaque année pour certains titres. Le règlement actuel impose que le film en compétition ne soit pas sorti avant dans un autre pays que le sien (ainsi les Almodovar sortent souvent en avril, même s'ils sont à Cannes en mai).

Pour le cinéma français, depuis Cyrano, en salles deux mois avant sa sélection cannoise, les films peuvent, au mieux, sortir le même jour que sa montée des marches. Ce qui est surprenant c'est que la plupart des distributeurs ont cessé de sortir un film cannois pendant Cannes. A une époque, durant le Festival, plusieurs films essayaient de profiter du buzz de la Croisette et de son exposition médiatique maximale pour séduire les spectateurs. Il s'avère que c'était assez contre-productif. D'une part, le distributeur et l'attaché de presse frôlaient le burn-out entre la présence cannoise et la sortie du film. Ensuite, pour peu que le film ait été mal reçu par la presse à Cannes, cela le plombait.

Généralement, désormais, les films cannois sortent entre la mi-août et le début de l'hiver. Il y a plusieurs avantages. La presse peut revoir à la hausse son évaluation du film avec le temps. En sortant plus tard, il revient à la mémoire des professionnels quand il s'agit de voter pour les césar, Oscars & co. Cela permet aussi d'installer une attente sur certains films, notamment quand ils figurent au palmarès. Enfin, il y a plus de spectateurs adeptes de films art et essai en octobre et décembre dans les cinémas qu'entre mai et juillet, où les productions hollywoodiennes dominent les écrans.

La moindre des choses seraient au moins d'attendre la fin du festival et un éventuel prix au palmarès. On sent bien que Cannes ne sert que de vitrine promotionnelle. Le Festival a déjà pris des mesures en 2018 pour qu'un film Netflix ne soit pas en compétition sans la possibilité d'une sortie en salles en France (ce qui laisse une porte ouverte à une sélection de prestige hors-compétition...). Il faudrait aussi contraindre les films en compétition à ne pas sortir durant le Festival. Chiche ?

Edito: la guerre des écrans

Posté par vincy, le 15 décembre 2016

Manchester by the Sea, de loin l'un des meilleurs films américains de ces derniers mois est distribué aux Etats-Unis par Roadside Attractions et Amazon Studios. Amazon Studios a aussi dans son escarcelle six films cannois - The Neon Demon, Cafe Society, Le client, Paterson, Gimme Danger, Mademoiselle. Autant dire qu'il pèse désormais dans le paysage cinématographique américain et même pour les prochains Oscars. Une révolution ? En tout cas un bouleversement. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter. Le groupe de Jeff Bezos a lancé cette semaine son service de streaming, Amazon Prime Video, dans plus de 200 pays, y compris la France, le Canada et la Belgique. Outre les séries du studio, comme Mozart in the Jungle et Transparent, les séries de Woody Allen et David O'Russell à venir, les abonnés auront aussi accès à des films en téléchargement.

Après Netflix, c'est donc un nouveau concurrent qui se lance pour des groupes comme Canal + décidément à l'étroit dans son pré-carré européen quand ses concurrents américains visent la planète. Le cinéma à domicile devient une pépite aux œufs d'or que les groupes se disputent à coup de créations originales stimulantes et d'exclusivités. La vidéo à la demande cartonne en France. Sur les 9 premiers mois de l'année, le marché à atteint les 230M€, soit une hausse de21,5% par rapport à la même période l'année précédente. La diversité de l'offre est en grande partie l'une des raisons de ce succès. MyTF1VOD, Orange, Netflix, CanalPlay et France TV Pluzz VàD sont devenues des "nouvelles chaînes" aussi classiques que les autres.

A Hollywood, les studios demandent évidemment un changement de la chronologie des médias. Et oui, le débat est international. Les studios considérant que l'essentiel de leurs recettes en salles sont générées dans les trois premiers week-ends, réclament une sortie en VàD quasiment un mois après la sortie en salle. C'est un faux problème. Les cinéastes ne veulent pas abandonner la projection au cinéma. L'enjeu est en fait ailleurs: le nombre de sorties, pléthorique, la durée de vie d'un film dans les salles, de plus en plus courte, une exploitation et une distribution art et essai toujours plus vulnérables. Il faut laisser le temps à certains films de s'installer et ne pas tout miser sur les premières séances du mercredi. Il faut permettre aux cinémas de garder des films et de gérer leurs projections en fonction de leur clientèle. Il faut arrêter d'inonder le marché en le concentrant sur quelques sorties.

C'est d'autant plus urgent qu'il est nécessaire de fidéliser les spectateurs. Si la fréquentation est bonne en France, notamment grâce aux cartes d'abonnements, si un tarif spécial a été créé pour les enfants (en rognant sur les marges des distributeurs au passage), rien n'est gagné. Tout le monde a pu constater l'inflation du prix du billet de cinéma pour quelqu'un qui ne bénéficie d'aucune réduction et qui y va aux heures pleines. Il est moins cher de s'abonner un mois à Netflix ou Amazon pour un mois que d'aller voir un film au cinéma le dimanche soir. Bien évidemment, rien ne remplace l'expérience d'une salle, la communion avec le public.

Cependant, avec des écrans toujours plus grands, des rétroprojecteurs HD, le "home cinéma" est un sérieux rival. Et il ne faudrait pas que la salle de ciné devienne un opéra, avec ses places coûteuses, réservé à un certain type de production spectaculaire. La taille de l'écran n'est pas ce qui compte: un film à petit budget qui produit de l'émotion a toute sa place dans une salle obscure. Au même titre qu'un space-opera intergalactique.

Edito: De retour sur le front

Posté par redaction, le 10 novembre 2016

Il y a 18 nouveautés dans les salles cette semaine. 8 d'entre elles n'ont même pas atteint les 1000 spectateurs hier, dont le dernier Wim Wenders. Seulement un tiers dépasse les 50 spectateurs par copies. Le massacre est régulier, semaine après semaine. Et on peut s'en désoler. Surtout qu'il faut ajouter désormais les sorties en vidéo à la demande.

Depuis des années, on nous parle de bousculer la fameuse "chronologie des médias". Rappelons ce que c'est: sortie prioritaire en salles. 4 mois après, possibilité de le diffuser en VàD et DVD. Dix mois après la sortie en salles, diffusion possible sur Canal +. Un an et demi après la sortie en salle, premier passage en clair à la télévision ou deuxième passage sur une chaîne payante.

Canal +, principal argentier privé du cinéma français et qui a quelques difficultés financières, voudrait changer tout cela en proposant que la chaîne cryptée puisse passer les films six mois après leur sortie sur grand écran au lieu de 10 mois. Et ainsi de suite: tout avancer de 4 mois. Le film pourrait être disponible partout en VOD en achat ou en location, sauf sur les plates-formes de vidéo par abonnement comme Netflix, pendant la fenêtre d'exploitation de Canal+ (soit aujourd'hui de 10 mois à 22 mois après la sortie).

Pourquoi pas. On pourrait expérimenter le procédé et connaître après une période test l'impact sur les salles. Pour certains films, qui ne rencontrent pas leur public en salles, on pourrait même accélérer la diffusion sur le petit écran.

Protéger la salle mais ne pas désavantager le plus gros financier du cinéma français

Mais si Canal + pourrait y gagner pour dynamiser son offre de "contenus" à ses abonnés, rien ne dit que le cinéma y gagnera. D'autant que le nouveau modèle économique de la chaîne, qui essaie de limiter le nombre de désabonnements et de reconquérir les consommateurs, va avoir un sérieux impact sur les productions de films. En baissant le prix de son abonnement, son chiffre d'affaires risque de baisser lui aussi, et donc sa contribution au cinéma français (12,5% de son C.A.) suivra. Du côté de Canal +, on assure que cette contribution ne baissera pas mais qu'il faut déterminer un nouveau mode de calcul. Les syndicats de producteurs aimeraient déjà que la chaîne garantissent durant quelques années cette manne financière dont ils ne peuvent pas de passer.

Il va falloir s'adapter. Canal + est désormais concurrencé et la vidéo à la demande bouleverse les habitudes des cinéphiles. Amazon, Netflix etc ont des ambitions cinématographiques. Sans compter que le cinéma n'est plus le produit d'appel principal pour les abonnés de Canal.

De nouveaux acteurs sortent du bois. Après Orange, logiquement SFR se dit prêt à financer le cinéma français. Mais, là encore, à condition que la chronologie des médias évoluent. Et pour les acteurs des télécoms, n'ont pas le même calendrier que Canal. Une chose est certaine: tout le monde a envie de faire bouger les choses et personne n'a intérêt à ce que les télévisions, qui financent, et les salles, qui permettent de déterminer le succès d'un film, ne soient perdants.

En attendant de trouver une solution, tout le monde est sur le front. Non pas pour déclencher une guerre cette fois-ci, mais bien pour sauver le soldat Canal.

Adjani se lance dans la course aux César

Posté par vincy, le 17 octobre 2016

Ce n'est pas étonnant. On le pressentait déjà en juillet. Carole Matthieu, téléfilm prévu pour Arte et présenté au festival du Film francophone d’Angoulême et au festival de la Fiction TV de La Rochelle, sortira en salles. Arte le diffusera le 18 novembre tandis que le film sera visible au cinéma le 7 décembre (chez Paradis films).

C'est la même stratégie que pour La journée de la jupe, dont le carton d'audience historique sur Arte, avait conduit à une sortie au cinéma. En mars 2009, le téléfilm avait séduit 2,5 millions de téléspectateurs (près de 10% d'audience) avant d'attirer 150000 spectateurs dans les salles. Mais cette sortie cinéma avait surtout permis à Isabelle Adjani de pouvoir concourir aux César et de gagner son cinquième trophée de la meilleure actrice.

Et c'est bien l'objectif. Au Film français, Olivier Wotling, directeur de l’unité Fiction chez Arte, a précisé qu'“Isabelle Adjani a fait part à la production de son souhait de voir Carole Matthieu sortir en salle, pour être présente au rendez-vous des César." Arte n'était pas opposé à ce dispositif "à condition que cette arrivée en salle soit faite dans le respect de nos contrats, c’est-à-dire sans modifier notre dispositif d’exploitation tel que prévu." Arte, cependant, s'exonère de sa responsabilité concernant la distribution en salles puisque la chaîne rappelle que "pour que ce type d’œuvre sorte en salle, il faut suivre une procédure d’agrément au CNC." La demande n’a pas été encore effectuée selon la chaîne TV ou n'a pas encore reçu l'agrément favorable.

Un sixième César?

Rappelons qu'en 2009, La Journée de la jupe avait provoqué une grosse polémique, bousculant la chronologie des médias. Le téléfilm avait d'abord été présenté sur la chaîne qui avait prévu deux pré-diffusions. Or la seconde diffusion a été supprimée ainsi que tous les moyens de diffusion ordinairement utilisés par la chaîne sur le web. La chaine, en concertation avec les producteurs et exploitants de salle, avait décidé de différer ces rediffusions pour que le film puisse rencontrer son public au cinéma. La stratégie n'avait pas été convaincante mais Adjani a réussi, l'année suivante, son OPA sur les César en battant les trois excellentes Dominique Blanc (L'Autre), Sandrine Kiberlain (Mademoiselle Chambon) et Kristin Scott-Thomas (Partir).

Cette année, le match opposera Adjani à l'autre Isabelle (Huppert dans Elle). La bataille s'annonce "poids lourds" avec les possibles nominations de Marion Cotillard (Mal de pierres), Adèle Haenel (Les Ogres ou La fille inconnue), Sandrine Kiberlain (Quand on a 17 ans), Virginie Efira (Victoria) ou encore Marina Foïs (Irréprochable).

Amazon veut produire jusqu’à 12 films par an

Posté par vincy, le 25 janvier 2015

Amazon ne commande pas seulement des séries à de grands cinéastes - Woody Allen (lire notre actualité du 18 janvier 2015), Steven Soderbergh, Marc Forster, David Gordon Green - pour son Service de Vidéo à la Demande (Amazon Prime Instant Video). Le géant américain a décidé de se lancer à l'assaut du grand écran en voulant produire des films pour les salles, à l'instar de Netflix qui a déjà contractualisé une suite à Tigre et Dragon, quatre films d'Adam Sandler (lire notre actualité du 2 octobre 2014) et hier à Sundance un "deal" avec les frères réalisateurs Jay et Mark Duplass (The Bronze). Petite particularité: Amazon Studios souhaiterait exploiter en ligne ces films moins de deux mois après leur sortie (contre 4 à 12 mois aujourd'hui). Autant dire que la chronologie des médias est sérieusement bousculé. En France, ce serait inapplicable (voir aussi Changer la chronologie des médias pour résister à Netflix?). Aux USA, ce n'est pas forcément plus simple: rien ne dit que les salles de cinéma accepteront de diffuser un film condamné à ne rester à l'affiche que quelques semaines. Ainsi les plus grandes chaînes américaines ont déjà affirmé qu'elles refuseraient de montrer Tigre et Dragon 2 puisque Netflix diffusera le film simultanément en SVàD.

Le site marchand, qui édite déjà des livres et produit des séries, souhaite sortir jusqu'à 12 films par an. Amazon Studios explique sa stratégie dans un communiqué : "Alors qu'un film arrive aujourd'hui sur les services de VàD entre 39 et 52 semaines après son exploitation dans les cinémas, les films Amazon seront visibles, aux États-Unis, sur le Prime Instant Video entre 4 et 8 semaines après la salle."

La société a engagé Ted Hope pour prendre la tête d'Amazon Original Movies. L'ancien patron de Good Machine (qui distribua tous les premiers films de Ang Lee jusqu'en 2005, mais aussi Dancer in the Dark, Happiness, Adaptation...) et de This is That (21 grammes, Eternal Sunshine of the Spotless Mind, The American, Martha Marcy May Marlene) va devoir aller chercher "des projets à scénario original, issus de cinéastes confirmés et de futurs talents."

Amazing Studios veut lancer ces projets dès cette année et mise sur des films aux budgets modestes - de 5 à 25 millions de $.

Bill Murray et Jessica Chastain en exclusivité sur Netflix

Posté par vincy, le 25 octobre 2014

bill murray st vincent

Netflix va diffuser en exclusivité St. Vincent et The Disappearance of Eleanor Rigby, deux productions The Weinstein Company. De quoi bouleverser nos habitudes de cinéphiles: nul ne sait si un jour ces deux films seront visibles sur le grand écran. Une chose est certaine, désormais, le petit écran est devenu la première fenêtre. Warner Bros va ainsi diffuser Tammy, la dernière comédie avec Melissa McCarthy, exclusivement en vidéo à la demande.
L'encombrement des sorties en salles et la concentration du public autour de quelques succès le mercredi oblige à revoir la stratégie de certains distributeurs ou producteurs.

Ce n'est pas la première fois que cette stratégie est appliquée. Mais Netflix frappe fort avec deux films indépendants américains dotés de castings qui auraient pu permettre une sortie en salles décente.

St. Vincent, troisième prix du public au Festival international du film de Toronto est réalisé par Théodore Melfi. Le film raconte l’histoire d’un vétéran de guerre alcoolique et joueur (Bill Murray) embauché par sa voisine, mère célibataire, Maggie (Melissa McCarthy), pour garder son fils de 12 ans. 

St. Vincent es disponible sur Netflix en France depuis hier, simultanément à sa date de sa sortie dans les salles aux Etats-Unis. Le film n'a aucune date de sortie prévue en salles en France.

Sélectionné à Un Certain Regard au Festival de Cannes en mai dernier, The Disappearance of Eleanor Rigby est une trilogie - Him, Her et Them - écrite et réalisée par Ned Benson. La trilogie est l’histoire d’un couple de jeunes mariés New-Yorkais, Connor Ludlow (James McAvoy) et Eleanor Rigby (Jessica Chastain) qui se retrouvent confrontés à un changement de vie. Him retranscrit cette relation vécue par Connor ; Her présente la vision d’Eleanor et Them propose le regard croisé de ce couple. Ces trois films seront disponibles en France sur Netflix, à partir du 1er novembre. Là encore, aucune date de sortie sur les écrans n'était programmée.

Les petites ambitions cinématographiques de Netflix

Posté par vincy, le 2 octobre 2014

michelle yeoh tigre et dragon

Netflix s'est fait connaître avec les séries (House of Cards). Mais la société américaine a aussi des ambitions dans le cinéma. En annonçant à deux jours d'intervalle deux partenariats exlcusifs de production cinématographique, le "leader mondial de la TV en streaming" (50 millions d'utilisateurs selon ses propres chiffres) affiche ses velléités.

Netflix proposera ainsi le 28 août 2015 la suite de Tigre et Dragon ( Crouching Tiger Hidden Dragon 2: The Green Destiny). Le film sortira en simultané dans les salles IMAX et sur le petit écran, dans tous les pays où le service est présent. Modérons le coup d'éclat : en France, avec la règlementation sur la chronologie des médias, une sortie simultanée en SVàD et sur grand écran est impossible - il ne sera donc disponible qu'en SVàD; et aux Etats-Unis, deux grands circuits de salles (Regal et Cinemark) ont déjà refusé de sortir le film dans leurs salles Imax s'il sort en même temps en SVàD.

Le film, produit par Miramax, est réalisé par Yuen Wo-ping et seule Michelle Yeoh reprend du service dans un casting où l'on retrouve Harry Shum Jr. et Donnie Yen.

Ensuite, ce matin, Netflix a envoyé un communiqué indiquant qu'elle diffusera quatre films produits et interprétés par Adam Sandler, l'un des comédiens les plus populaires aux Etats-Unis (même si son étoile pâlit au box office ces dernières années). Ils seront destinés exclusivement aux utilisateurs de Netflix. "Quand on m'a proposé de faire quatre films, j'ai tout de suite dit oui parce que Netflix c'est trop de la balle! En avant le streaming!" a lancé Adam Sandler. En dehors de Copains pour toujours et de sa suite, Sandler a surtout connu d'importantes déconvenues au box office. Son dernier film Blended n'ayant rapporté que 46M$ et Crazy Dad à peine 37M$. Pour Sandler, c'est une manière de reconquérir son public, plus apte à s'amuser de ses frasques en vidéo le samedi soir. Pour Netflix, c'est l'assurance de proposer des comédies populaires.

Mais pas de quoi faire bondir les utilisateurs français, public ingrat qui n'a jamais vraiment été séduit par l'humour de Sandler.

Loin d'être encore une menace pour ses concurrents français

Ce n'est pas encore avec ces deux premières annonces que Netflix va jouer les perturbateurs dans l'industrie du cinéma - tout comme il n'a pas encore révolutionné l'industrie des programmes pour la télé et internet. Pas de quoi faire peur non plus, en France, au contributeur historique du cinéma français, Canal +. Et quand bien même, Netflix France annoncerait de telles ambitions, il faudrait que la société se plie aux règles de la concurrence et interviennent sur plusieurs films locaux par an.

En s'installant au Luxembourg, comme Apple et Amazon, Netflix y gagne fiscalement et financièrement, c'est certain, et s'enlève de nombreuses contraintes juridiques, c'est évident. Mais le groupe doit contribuer au financement de la production audiovisuelle française en devant verser 2% de son chiffre d'affaires en France au Centre national du cinéma et de l'image. Et Netflix devra payer la TVA à partir du 1er janvier sur ses recettes françaises. En revanche, il ne peut solliciter aucune aide à la production.

Pour l'instant Netflix échappe à l'impôt français sur les sociétés, à l'obligation de signalétique d'âge et aux quotas (60% de contenus européens et 40% de contenus français dans son catalogue). Il ne doit pas non plus s'assurer que 12% de ses recettes proviennent de visionnage de programmes français.

La solution pour remédier à cette distorsion de concurrence ne peut venir que de la nouvelle Commission européenne, qui doit poursuivre le travail de la précédente en obligeant tout diffuseur à respecter les règles du pays auxquels sont destinés les contenus. Si un contenu est diffusé ou consommé en France, le groupe devra respecter les lois françaises.

Même la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, s'est résolue à ce principe. Jusque là, cette spécialiste du numérique avait, diplomatiquement, chercher à ne pas de fâcher avec les multinationales du Net.

"C'est une situation qui ne doit pas se régler en vilipendant les sociétés qui font ce choix, puisque c'est un choix de rationalité économique", mais en "faisant en sorte qu'on harmonise les conditions fiscales au niveau européen", avait-elle déclaré il y a un mois. Elle va désormais plus loin : "L'avantage concurrentiel qu'ils en retirent doit par conséquent être neutralisé", désignant Netflix, débarqué en France le 15 septembre, sans jamais le citer.

En deux semaines, le réseau français compterait plus de 100 000 utilisateurs en France (Canal + en revendique près de 10 millions et son service de SVàD CanalPlay environ 500 000). Le chiffre peut paraître impressionnant : mais n'oublions pas que l'offre est gratuite pour le premier mois d'abonnement. Reste à savoir combien de téléphages paieront entre 8 et 12 euros par mois pour voir les films et séries de Netflix.