Vesoul 2014 : trois questions à l’actrice Eugene Domingo

Posté par kristofy, le 20 février 2014

Eugene DomingoEugene Domingo, l'une des actrices les plus populaires des Philippines, avait fait le voyage jusqu'à Vesoul pour accompagner la rétrospective consacrée au cinéma de son pays lors de la 20e édition du Festival international des Cinémas d'Asie.

Cette habituée des comédies alterne grosses productions comme Here comes the bride de Chris Martinez et films indépendants comme The woman in the septik tank de Marlon Rivera, tous deux d'énormes succès au box office local, qui figuraient dans la sélection du FICA 2014. Elle a également joué dans des films plus dramatiques ou sociaux comme 100 de Chris Martinez, primé à Vesoul en 2009, ou John John de Brillante Mendoza.

Au cours d'une rencontre chaleureuse et décontractée, Eugene Domingo nous a parlé du cinéma philippin, populaire comme indépendant, et de ses choix en tant qu'actrice.

Ecran Noir : Pour le public français qui n’a pas la chance d’être familier du cinéma philippin et qui ne vous connaît pas encore comme actrice, quels films faudrait-il voir pour vous découvrir ?
Eugene DomingoEugene Domingo : Oh, pas seulement moi… Justement, ce film ici à Vesoul, Woman in the septik tank, pourrait être le premier film à voir pour me voir jouer mais aussi pour découvrir un aspect des films indépendants aux Philippines en ce moment. On y voit des jeunes cinéastes qui essaient de faire un film en visant une sélection en festival de cinéma pour être remarqués.

En plus, dans l’histoire, ils veulent engager l'actrice Eugene Domingo, donc je joue une parodie de moi-même. Ils pensent qu’en montrant le pire de la pauvreté, ils pourraient gagner un prix... Cela vient d’une observation faite à un moment où le circuit des festivals choisissait toujours des films avec des pauvres dans des bidonvilles… En tant qu’actrice, je trouve important de garder un équilibre entre films commerciaux ou projets à la télévision qui me font vivre et des films indépendants qui manquent d’argent, et pour lesquels je suis prête à m’engager pour le plaisir. Un film indépendant parle de choses plus substantielles à propos de notre pays.

EN : Est-ce que le film Woman in the septik tank est plus une critique du cinéma philippin (avec ses jeunes réalisateurs qui veulent se faire remarquer plus que raconter une histoire) ou une critique des festivals internationaux (qui recherchent des films à thèmes misérabilistes) ?
Eugene Domingo : Parfois la vie here comes the brideest encore plus étrange que dans une fiction. Je crois que Chris Martinez le scénariste et Marlon Rivera le réalisateur, qui sont aussi les producteurs, ont eu l’idée de ce film en se souvenant qu’il y a quelques années, au festival du film d'Osaka, ils ont présenté le film 100, à propos d’une femme atteinte d’un cancer. Or, quelqu’un dans le public leur a demandé pourquoi cette femme semblait riche et non pauvre…

Alors ils se sont demandés si les festivals ne montraient que des films philippins à propos de pauvreté ! Woman in the septik tank est une satire de cette idée que montrer un film avec de la pauvreté a beaucoup plus de chances de gagner un prix dans un festival. C’est une parodie des jeunes réalisateur ambitieux qui pensent exploiter la misère des gens pour intégrer le circuit des festivals internationaux.

EN : Vesoul fait découvrir Woman in the septik tank, film indépendant à très petit budget et la comédie Here comes the Bride, film commercial à gros budget…
woman in the septik tankEugene Domingo : Here comes the Bride a été produit par une grosse compagnie, avec un important budget pour les décors et les acteurs et beaucoup plus de jours de tournages. Ils espéraient une longue exploitation du film en salles pendant plus d’un mois. Pour gagner beaucoup d’argent, avoir beaucoup de moyens ça aide, et Here comes the Bride a été un gros succès. Woman in the septik tank a été produit avec une bourse obtenue du festival Cinemalaya (environ 10 000 dollars) et ne devait être montré aux Philippines que dans le cadre de ce festival spécialisé en films indépendants.

Ce qui s’est passé, c’est qu'après avoir été montré là-bas, le film a ensuite été acheté par un distributeur important qui voulait le placer dans les salles de cinéma commercial. A ce jour, c’est devenu le film indépendant qui a gagné le plus d’argent. On a eu de la chance. La qualité du film est une chose, mais il faut aussi bien en faire la promotion.

Le public va toujours voir en priorité les films commerciaux, les comédies romantiques et les films d’horreur. Les jeunes et les étudiants sont un peu plus ouverts aux films indépendants. C’est très important pour nous qu’un festival comme Vesoul organise ce genre de rétrospective des films philippins, quand je rentrerai à Manille je n’arrêterai pas d’en parler.

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Portraits d'Eugene Domingo : Michel Mollaret

Vesoul 2014 : cinq films pour s’initier au cinéma philippin

Posté par MpM, le 15 février 2014

Non, le cinéma philippin, ce n'est pas seulement Brillante Mendoza ! En mettant ce pays à l'honneur pour son 20e anniversaire, le Festival international des Cinémas d'Asie de Vesoul a eu envie de montrer des œuvres marquantes, mais souvent méconnues en France, qui donnent un aperçu des différentes facettes de la cinématographie philippine.

Parmi la vingtaine de films présentés, cinq ont particulièrement retenus notre attention (nous avons volontairement exclu Brillante Mendoza de ce florilège, mais on ne peut bien sûr que conseiller Kinatay, John John et surtout le magnifique Lola) :

C'est ainsi que nous vivons de Eddie Romero (1976)

En suivant le parcours initiatique de Kulas, jeune homme simple et naïf qui a le chic pour toujours se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment, le film retrace une époque charnière dans la conquête d'indépendance des Philippines et dans la création d'une identité commune.

Une chronique douce-amère qui vaut toutefois plus pour son éclairage historique souvent ironique que pour l'histoire d'amour un peu mièvre du personnage principal avec une actrice arriviste.

The bet collector de Jeffrey Jeturian (2006)

Une plongée caméra à l'épaule dans le quotidien d'une collecteuse de paris qui fait partie des nombreux rouages d'une économie parallèle illégale mais parfaitement organisée.

Jeffrey Jeturian lorgne du côté du cinéma documentaire et dresse un portrait touchant de son héroïne tout en décortiquant un système, basé à la fois sur l'exploitation de la misère et sur la corruption, qui s'auto-entretient à l'infini. 

Here come the bride de Chris Martinez (2010)

Énorme succès du box-office philippin, cette comédie populaire à gros budget raconte comment cinq personnes échangent accidentellement leurs apparences physiques. Basé sur le comique de situation (un vieil homme retrouve la jeunesse dans la peau d'un bel homme, un travesti vit son rêve en se retrouvant avec un corps de femme...), le film joue à fond la carte des stéréotypes sexuels, sociaux et culturels. Déjanté, oui, mais très sagement, et avec un petit fond de morale qui explique probablement le plébiscite public.

The woman in septik tank de Marlon Rivera (2011)

Pour être invités dans les plus grands festivals internationaux, un cinéaste débutant et son producteur imaginent une histoire sordide de mère pauvre contrainte de vendre l'un de ses enfants à un pédophile. On les voit imaginer différentes variantes du film (même sous forme de comédie musicale), visiter un bidonville avec émerveillement et s'énerver face à un concurent qui revient de la Mostra de Venise.

Un regard acerbe sur la tendance opportuniste d'un certain cinéma indépendant philippin mais aussi sur la soif de misérabilisme des grands festivals occidentaux. Et, accessoirement, le plus gros succès à ce jour d'un film philippin issu du circuit indépendant.

Posas de Lawrence Fajardo (2012)

Un jeune pickpocket arrêté par la police fait l'expérience du circuit judiciaire philippin : pressions, passage à tabac, chantage, jugement hâtif, manipulation, extorsion, etc. Une dénonciation coup de point de la corruption de certaines branches de la police qui tentent de s'approprier le profit des petits délinquants au détriment de toute notion de justice ou de droit.

Vesoul 2014 : Regard sur le cinéma philippin

Posté par kristofy, le 14 février 2014

Les Philippines sont depuis quelques années un nouveau centre incontournable du cinéma asiatique : c'est là-bas que ça bouge. D'ailleurs, le réalisateur britannique Sean Ellis y a retrouvé l’inspiration et y a tourné son film Metro Manilla, qui raconte la mise en place d’un hold-up sophistiqué avec un regard naturaliste sur le pays perçu à travers les yeux d’un paysan de la campagne qui découvre les trafics de la grande ville.

Un des premiers cinéastes philippins dont les films ont été vus en France par le biais d’une sélection au Festival de Cannes est Lino Brocka dont justement le film Maynila évoquait les attraits factices d’une mégapole à travers le destin d’un jeune pêcheur immigré.

Ce film, qui vient d’être restauré (et programmé à Vesoul), est un exemple de la richesse du cinéma philippin malheureusement méconnu. Une partie du patrimoine cinématographique est d’ailleurs disparue, par exemple le réalisateur Gerardo de Leon (décédé en 1981) a tourné environ 75 films mais seulement une vingtaine ont été sauvegardés.

Le pays a été longtemps sous la coupe d’étrangers (colons espagnols, puis domination japonaise, puis occupation américaine) qui ont fait circuler leurs propres films mais le cinéma philippin national s’est tout de même développé. En 1919, c’est Dalagang Bukid de Jose Nepomuceno, le premier film produit par un philippin ; puis en 1930 Ang Aswang est le premier film parlant. Dans les années 50, on produisait beaucoup de films et le pays était un grand exportateur dans toute l’Asie du sud-est.

Lamberto V. Avellana (1915-1991) a réalisé une cinquantaine de films, Genghis Khan du réalisateur Laurent Condé est le premier film philippin à être présenté dans un festival étranger (à la Mostra de Venise en 1952). Puis durant les années 60, le nombre de films produits a décliné ainsi que leur qualité.

Un second âge d’or arrive avec les années 70 et plusieurs cinéastes qui vont devenir incontournables. Vesoul va en faire découvrir quelques-uns : Lino Brocka (Maynila), Eddie Romero (C’est ainsi que nous vivons), Ishmael Bernal (Miracle), Marilou Díaz-Abaya (Karnal)… Les films se font l’écho du sévère régime politique du moment, avec dans les histoires la pauvreté du peuple et des injustices.

Peu à peu, le public va préférer le divertissement avec des mélos amoureux ou des films d’horreur médiocres, mais aussi des films-copies de succès occidentaux comme James Bond en version fauchée. Au tournant des années 70 va apparaître Jose Gosienfago qui va populariser les films "pito-pito" (sept jours de tournage, sept jours de post-production) avec notamment Bomba star en 1980 à caractère érotique (dans les années 60, il y a eu quantité de films de genre ‘bomba’ avec comme argument de vente beaucoup de femmes dénudées), puis en 1999 Jeffrey Jeturian réalise Fetch A Pail of Water en 21 jours (préparation, tournage, montage) où encore une fois le côté sexe permet d’évoquer plus largement la société (une jeune femme des quartiers pauvres laisse son riche employeur abuser d’elle). Le développement des outils numériques (et des petites caméras peu chères) va par la suite permettre à beaucoup de cinéastes de faire de plus en plus de films en peu de temps : de nombreux films sont tournés en une dizaine de jours.

Désormais, c’est le réalisateur Brillante Mendoza qui apparaît comme le chef de file du cinéma philippin. Ses films ont presque tous été sélectionnés et primés dans les festivals majeurs en Europe, comme Le Masseur (2005, Locarno), John John (2007, Cannes), Tirador (2007, Toronto), Serbis (2008, Cannes), Lola (2009, Venise), Kinatay (2009, Cannes, prix de la mise en scène), Captive (2012, avec Isabelle Huppert, Berlin).... Ils sont également sortis en salles en France et sont disponibles en dvd. Et c’est justement Brillante Mendoza qui est le président du jury de ce 20e FICA. Vesoul va projeter 5 de ses films dont son avant-dernier film Thy womb (2013, présenté à Venise) resté encore inédit, et en avant-première son tout nouveau film Sapi.

Vesoul montre aussi les nouveaux cinéastes qui comptent aux Philippines  à travers un panel de films comme The Bet collector (2006) de Jefrey Jeturian, Independencia de Raya Martin (2009), Manila Skies (2012) de Raymond Red (ainsi que son court-métrage Anino palme d’or en 2000),  Busong (2011) de Aureus Solito, Posas de Lawrence Fajardo (2012), The story of Mabuti (2013) de Mes de Guzman, Death March (2013, sélectionné à Cannes) de Adolfo Alix Jr, Here comes the bride (2010) et The woman in septik tank (2011) en présence de la star Eugene Domingo.

En tout, ce Regard sur le cinéma philippin rassemble plus d’une vingtaine de films couvrant la période 1975-2013 et dont la plupart sont inédits ou en avant-première française. A noter que, pour ce qui est des films en compétition, on retrouve la nouvelle figure montante des Philippines, depuis son premier film Baby factory (le quotidien d’une maternité à travers différentes mamans, infirmières, bébés), le réalisateur Edouardo Roy Jr (34 ans), qui est invité à Vesoul pour son second film Quick change (sélectionné au festival de Berlin en ce moment) où il sera question de transsexuels et de trafic illégal de produits de chirurgie esthétique…

Depuis une dizaine d’années, il y a un nouvel âge d’or du cinéma philippin, et c’est le FICA de Vesoul qui en expose ses multiples facettes.