Cannes 2015: le nouveau film de Miguel Gomes à la Quinzaine des réalisateurs

Posté par MpM, le 19 avril 2015

Les Mille et une nuits, le nouveau film de Miguel Gomes (Tabou), a été sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs. Absent de la Sélection officielle révélée jeudi par Thierry Frémaux, il rejoint les films de Philippe Garrel et Arnaud Desplechin dans la liste des films qui seront présentés à la Quinzaine, dont la sélection complète sera révélée mardi.

«Les Mille et une nuits, le film, ou plutôt les trois merveilleux films de Miguel Gomes, seront programmés à la Quinzaine des Réalisateurs. Cette superbe série inspirée par les histoires racontées par Schéhérazade et des événements survenus dans le Portugal des années 2013 et 2014, pays alors soumis à une politique niant toute justice sociale, rythmera notre programmation. Chaque film mis en scène avec une fantaisie débridée et une grande liberté aura sa journée» a déclaré hier Edouard Waintrop, Délégué général de la section parallèle cannoise.

As mil e uma noites (Les Mille et une nuits) est un récit en trois tomes du portugais Miguel Gomes: Volume 1, o inquieto (l'inquiet) ; Volume 2, o desolado (le désolé) ; Volume 3, o encantado (l'enchanté). Le projet avait été annoncé lors du Festival de Cannes 2013.

Dans un pays d'Europe en crise, le Portugal, un réalisateur se propose d'écrire des fictions inspirées de la misérable réalité dans laquelle il est pris. Mais incapable de trouver un sens à son travail, il s'échappe lâchement et donne sa place à la belle Schéhérazade. Il lui faudra bien du courage et de l'esprit pour ne pas ennuyer le Roi avec les tristes histoires de ce pays ! Alors qu'au fil des nuits l'inquiétude laisse place à la désolation et la désolation à l'enchantement, elle organise ses récits en trois volumes. Elle commence ainsi : « Ô Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays parmi les pays...»

Le casting rassemble Crista Alfaiate, Dinarte Branco, Carloto Cotta, Adriano Luz, Rogério Samora, Maria Rueff, Cristina Carvalhal, Luisa Cruz, Américo Silva, Diogo Dória, Bruno Bravo, Tiago Fagulha et Teresa Madruga.

Le film est une coproduction française (Agat Films, Arte, Shellac), allemande et portugaise.

Manoel de Oliveira (1908-2015) éteint la lumière

Posté par vincy, le 2 avril 2015

manoel de oliveira

Il était le doyen du cinéma mondial et sans aucun doute le plus grand cinéaste portugais. Manoel de Oliveira, né en 1908 à Porto, est décédé, selon le producteur Luis Urbano, citant des sources familiales. Il avait 106 ans.

Le réalisateur a reçu tous les honneurs au cours de sa vie: une Berlinale Camera en 2009, une Palme d'or d'honneur à Cannes en 2008, un prix honorifique aux European Film Awards en 2007, un Lion d'or d'honneur à Venise en 2004 et un Léopard d'or d'honneur à Locarno en 1994.

"Si l'on me demande pourquoi je fais du cinéma, je pense aussitôt : pourquoi ne pas me demander si je respire ?" avouait Manoel de Oliveira dans Libération en 1987.

Il a réalisé plus de cinquante longs métrages et documentaires, commençant sa carrière en 1931, alors que le cinéma ne parlait pas. Dans sa jeunesse, il aimait Charlie Chaplin et Max Linder. Athlète, il d'abord brillé en course automobile avant de devenir acteur, notamment dans A Canção de Lisboa, le premier film parlant portugais, en 1933. Son premier film Douro, faina fluvial, un court métrage documentaire muet, est tourné entre 1927 à 1929, et sort en 1931.

Loin des stérotypes

De là naîtra son style, naturaliste, réaliste et poétique, imprégné de ses références littéraires, soumis à un romantisme exacerbé. La mise en scène s'épurera au fil des ans, jusqu'à devenir presque théâtrale parfois. Oliveira aimait se concentrer sur les comédiens et les mots dans un cadre parfois complètement immobile, comme pour souligner avec intensité le moindre geste, le moindre mouvement.

Il appréciait les amours frustrés, maniait davantage l'humour en personne que dans ses films, et si le désespoir emplissait souvent ses personnages, sa caméra l'étreignait avec une certaine sensualité, souvent un peu distante, toujours élégante, jouant sur les clairs obscurs. Loin des images formatées, il voulait offrir une vision décalée, parfois nostalgique, du monde.

Il y avait aussi dans ses films une forme de mysticisme. Mais surtout ses créations étaient souvent basées sur des oppositions, des contrastes et un anachronisme assumé pour servir une critique sociale de la société.

Evincé par la dictature

Cette dénonciation intellectuelle lui a valu quelques ennuis. En 1963, avec son court-métrage La Chasse, il réalise une oeuvre avec « des intentions cachées touchant la dictature ». La dictature ne s'y est pas trompée et l'empêche de filmer jusqu'en 1971.

Ainsi, le contexte politique et le manque d'infrastructures dans le Portugal de Salazar le tiennent éloigné des caméras.

En quatre décennies, il n'aura tourné que cinq longs métrages, entre Aniki Bóbó en 1942 et Amour de perdition en 1979. A partir des années 80, dans un pays désormais démocratique et européen, sa filmographie va s'étoffer rapidement, et dans les années 90 il tournera un film tous les ans, avec, souvent, des têtes d'affiches internationales comme Catherine Deneuve ou John Malkovich.

Le cinéma c'est la vie

Parmi ses films les plus marquants, il y a Les Cannibales (1988), Non, ou la vaine gloire de commander (1990), La Divine Comédie (1991), Val Abraham (1993), Le Couvent (1995), La Lettre (1999), Je rentre à la maison (2001, son plus grand succès en France), Le Principe de l'incertitude (2002) et L'Étrange Affaire Angélica (2010). Il sort sont dernier livre en 2012, Gebo et l'Ombre. Et il continuait de préparer
L'Eglise du diable.

Son dernier court-métrage est sorti en décembre 2014 à Lisbonne. Le Vieux du Restelo avait été tourné à Porto puis présenté à la Mostra de Venise. Décrit par son auteur comme « une réflexion sur l'humanité », ce court-métrage s'inspire notamment d'un personnage du poème épique "Les Lusiades", de Luis de Camoes à l'époque des grandes découvertes maritimes des navigateurs portugais.

Infatigable explorateur, il n'a jamais cessé de chercher des histoires, souvent dans les livres ou dans son voisinage direct. Il ne voulait pas s'arrêter: « Cesser de travailler, c'est mourir. Si on m'enlève le cinéma, je meurs ». Le cinéma, art immatériel et aussi vivant que l'humain, n'est pas mort parce que Manoel de Oliveira n'est plus, mais il perd l'un de ses grands maîtres.

Cannes 2014 – les prétendants : une multitude de candidats européens

Posté par vincy, le 5 avril 2014

Bent Hamer 1001 grammes

Thierry Frémaux prépare sa sélection officielle du 67e Festival de Cannes. Il ne s'agit pas de faire des pronostics - vains - mais plutôt de repérer les films potentiels. Certains seront en compétition, d'autres recalés, d'autres encore à Un certain regard, et parfois dans les sélections parallèles. Passage en revue. Année européenne politiquement, elle pourrait aussi l'être cinématographiquement. Les plus grands noms sont au rendez-vous. Avec un contingent massif venu du Royaume Uni, de Scandinavie, de Hongrie et d'Italie. Des pays souvent gâtés par Cannes. Reste aussi quelques auteurs majeurs venus d'ailleurs : Russie, Turquie, Allemagne, Autriche, ...

Fatih Akin, The Cut. Avec Tahar Rahim, George Georgiou, Akin Gazi. L'ovni du Festival? Film muet façon Chaplin croisé à un Western style Sergio Leone, ce film annoncé comme philosophique suit un père de famille dans son tour du monde, à la recherche de ses enfants disparus lors de la première guerre mondiale. Une occasion pour célébrer le centenaire de la Grande guerre?

Roy AnderssonA Pigeon Sat on a Branch Reflecting on Existence. Avec Holger Andersson, Nisse Vestblom. Prix du jury avec Chansons du deuxième étage en 2000, le cinéaste suédois est très attendu avec son humour absurde. Le film est annoncé comme l'ultime épisode de sa trilogie, dont le deuxième film était Nous, les vivants en 2007..

Jonas Alexander ArnbyWhen Animals Dream. Avec Lars Mikkelsen, Jakob Oftebro, Sonja Richter. La séance de minuit parfaite? Un film d'horreur avec une adolescente solitaire qui vit avec sa mère en chaise roulante sur une île. Ce premier film pourrait être très convoité par les sélections parallèles. Arnby a longtemps travaillé avec Lars Von Trier.

Susanne BierSerena. Avec Jennifer Lawrence, Bradley Cooper, Rhys Ifans. Ce drame familial en Caroline du Nord durant les années 30 serait l'occasion de croiser le couple chéri de David O. Russell sur la Côte d'Azur. Susanne Bier peut aussi présenter un film qui n'a rien d'hollywoodien puisqu'elle vient d'achever En Chance til (Une deuxième chance).

John Boorman, Queen and Country. Avec David Thewlis, Tamsin Egerton, Caleb Landry Jones. Cette suite du film Hope and Glory (1987) est l'histoire d'un anglais qui a grandit dans une Londres bombarédée durant la seconde guerre mondiale avant de devoir s'engager lui-même dans un conflit, en Corée. Boorman a reçu le prix de la mise en scène à Cannes il y a 16 ans avec The General.

Nuri Bilge CeylanWinter Sleep (Sommeil d'hiver). Avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbag. Deux grand prix et un prix de la mise en scène, le Turc Ceylan part avec de bonnes dispositions. Son film est terminé, patientant tranquillement pour être montré sur la Croisette. On ne connait rien de l'histoire, si ce n'est qu'elle se déroule en Cappadoce.

Jean-Pierre et Luc Dardenne, Deux jours, une nuit. Avec Marion Cotillard, Olivier Gourmet, Catherine Salée. On voit mal les frères belges, deux Palmes d'or au compteur, primés à chacun de leurs films en compétition à Cannes, être absents. Pour le symbole, il serait amusant de ne pas les sélectionner. Mais cette éventualité est peu probable : le film est prêt, Cotillard est une star et le sujet très social. On l'annonce même "grand public".

- Sauld Dibb, Suite française. Avec Margot Robbie, Michelle Williams, Ruth Wilson, Kristin Scott-Thomas, Matthias Schoenaerts, Lambert Wilson, Sam Riley. L'adaptation du roman d'Irène Némirovsky sous les Palmiers? cela dépendra beaucoup de la stratégie de Harvey Weinstein en vue de la campagne pour les Oscars qu'il prépare pour ce film. Cannes, Venise, Toronto? Où faire l'avant-première mondiale? L'histoire est celle d'une villageoise française qui tombe amoureuse d'un soldat allemand durant les premières années de l'Occupation.

- Andrea Di Stefano, Paradise Lost. Avec Josh Hutcherson, Benicio Del Toro, Brady Corbet. Premier film réalisé par le comédien italien, ce thriller romantique a sûrement plus de chances d'aller à Venise. Tout se passe en Colombie, où un jeune surfeur rencontre la femme de ses rêves, puis l'oncle de celle-ci, Pablo Escobar.

Andreas DresenAls wir träumten (Pendant que nous rêvons). Avec Ruby O. Fee, Joel Basman, Peter Schneider. Grand prix à Berlin en 2002, Prix un Certain regard en 2011 avec Pour lui, c'est l'un des cinéastes allemands à surveiller. Ce film, adaptation du roman de Clemens Meyer, est la chronique de jeunes amis juste avant la chute du mur de Berlin.

Stephen Frears, Lance Armstrong. Avec Ben Foster, Chris O'Dowd, Dustin Hoffman, Guillaume Canet. Un film biographique (avec ceux de Leigh et Loach, ça commence à devenir une tendance du cinéma britannique) sur le cycliste américain, multiple champion du Tour de France avant une tombée aux enfers suite aux accusations de dopage. Frears n'a pas été en compétition depuis 18 ans. Et il a surtout envoyé ses meilleurs films à Venise.

- Jean-Luc Godard, Adieu au langage. Avec Kamel Abdeli, Dimitri Basil, Zoé Bruneau. A 84 ans, le Maître hélvétique reste l'un des réalisateurs les plus courtisés par les grands festivals. Godard a déjà été cinq fois en compétition. Cette fiction a été tournée avec lenteur, deux jours par semaine pendant deux ans. Film en 3D, il se concentre sur deux couples dans deux espace-temps différents, avec le langage comme lien (territoire?) commun entre les Hommes.

- Szabolcs Hajdu, Mirage. Avec Isaach De Bankolé, Razvan Vasilescu, Orsolya Török-Illyés. Issu de la jeune génération de cinéastes hongrois, Hajdu propose avec ce film l'histoire d'un joueur de football africain qui commet un crime dans une petite ville hongroise et qui doit fuir. Il trouve refuge dans une ferme, qui est, en fait, un camp d'esclave moderne.

Bent Hamer1001 grammes (photo). Avec Ane Dahl Torp, Laurent Stocker, Hildegun Riise, Didier Flamand, Per Christian Ellefsen. Le film est déjà calé pour une sortie le 24 décembre en France. Hamer a imaginé qu'une scientifique norvégienne, Marie, en séminaire à Paris (sur le poids réel du kilo), elle mesure sa vie, ses déceptions et ses amours, qui pèsent finalement peu sur la balance. Rappelons que trois de ses récents films étaient à Cannes :  La nouvelle vie de Monsieur Horten à Un certain regard en 2007, Factotum et Kitchen Stories à la Quinzaine des réalisateurs, respectivement en 2005 et 2003.

- Jessica Hausner, Amour fou. Avec Christian Friedel, Birte Schnoeink, Stephan Grossmann. Après Lourdes, remarqué à Venise, la cinéaste autrichienne, repérée à la Cinéfondation il y a 15 ans, s'est inspiré de la vie de l'écrivain et dramaturge Heinrich von Kleist (Le Prince de Hombourg, Michael Koohlhaas), qui a finit ses jours en se suicidant avec son compagnon.

- Duane Hopkins, Bypass. Avec George MacKay, Benjamin Dilloway, Donald Sumpter, Charlotte Spencer. 5 ans après Better Things, le cinéaste revient avec un thriller, tourné dans la région de Norfolk, dont le héros est un jeune homme malade.

Dagur KariFusi (Rocketman). Avec Margrét Helga Jóhannsdóttir, Sigurjón Kjartansson, Ilmur Kristjánsdóttir. Un peu d'Islande sous les Palmiers? Le film suit un quadra qui ne sort pas de l'enfance et vit toujours chez sa mère. Mais l'arrivée d'une jeune femme va bouleverser sa routine.

- Panos Koutras, Xenia. Film en suspens. Les financements manquent pour cette histoire de deux frères qui recherchent leur père afin d'obtenir la nationalité grecque. Homosexualité, mafia, extrême-droite, immigration clandestine, crise économique : Koutras raconte la Grèce d'aujourd'hui. Reste que tout était presque terminé quand le gouvernement grec a décidé de geler les aides au cinéma.

Emir KusturicaOn the Milky Road. Avec Monica Bellucci, Natasa Ninkovic. Un double palmé, ça revient régulièrement. Cette fois-ci Kusturica a concocté un drame sentimental serbo-bosniaque avec une femme qui perd son mari la veille de son mariage.

Ken Loach, Jimmy’s Hall. Avec Barry Ward, Simone Kirby, Andrew Scott. 3 Prix du jury, une Palme d'or, on voit mal Ken Loach ne pas revenir en compétition. D'autant qu'il a annoncé sa retraite après ce film, un biopic sur leader communiste irlandais James Gralton.

Mike Leigh, Mr. Turner. Avec Timothy Spall, Lesley Manville, Roger Ashton-Griffiths. Parmi l'énorme contingent britannique, Leigh fait figure d'incontournable. Pas seulement parce qu'il a déjà reçu une Palme d'or, un prix de la mise en scène et présidé le jury de la Compétition. Mais bien parce qu'il s'attaque à un monument avec ce biopic sur le peintre anglais le plus célèbre du monde, J.M.W. Turner.

Kristian LevringThe Salvation. Avec Eva Green, Mads Mikkelsen, Jeffrey Dean Morgan. Un Western danois en anglais. Dans l'Amérique des années 1870, un homme tranquille tue le meurtrier qui a massacré sa famille. Il déclenche à la fois la colère d'un chef de gang et la peur des habitants de sa ville.

- Mario Martone, Il giovane favoloso. Avec Anna Mouglalis, Elio Germano, Isabella Ragonese. Un biopic sur la vie de Giacomo Leopardi, considéré comme le plus grand poète italien du XIXe siècle.

- Nanni Moretti, Mia Madre. Avec aussi John Turturro, Margherita Buy. Le film est déjà calé pour une sortie française le 17 décembre. Sera-t-il prêt à temps pour Cannes? Moretti est un des abonnés à la compétition mais le tournage de ce film partiellement autobiographique est à peine terminé.

Kornel MundruczoFehér isten (White God). Avec Zsófia Psotta, Sándor Zsótér, Lili Horváth. 6 ans après Delta, prix de la Critique à Cannes, le cinéaste hongrois, pourrait revenir avec un film qualifié d'aventure sentimentale. Une jeune fille se voit retirer son chien par son père. Elle décide de fuguer pour le retrouver.

- Gyula Nemes, Zero. Avec Udo Kier, Tamás Joó, Krisztián Kovács. Autre proposition hongroise qui pourrait atterrir dans une sélection parallèle : ici, l'histoire d'un jeune trentenaire se lance dans l’apiculture forestière. Mais ses abeilles sont chassées à cause d'un relais de relais de téléphonie mobile tout proche. Un film écologique dans la lignée des Erin Brokovitch.

- Claudio Noce, La foresta di ghiacciao. Avec Emir Kusturica, Adriano Giannini, Kseniya Rappoport. Deuxième film du jeune réalisateur italien qu'on verrait aussi à Venise. Il s'agit d'un thriller où les problèmes d'une centrale électrique révèlent une série de mystères qui hantent la région.

Ruben ÖstlundTourist. Avec Lisa Loven Kongsli, Johannes Kuhnke. Devenu un habitué de Cannes, après une sélection à Un certain regard et une autre à la Quinzaine des réalisateurs, le suédois Östlund pourrait faire son retour avec ce drame qui prend place dans les Alpes françaises. Une famille suédoise va affronter les conséquences d'une avalanche qui s'abat sur eux.

- György Pálfi, Free Fall. Avec Piroska Molnar, Reka Tenki, Zsolt Nagy. 8 ans après Taxidermie (Un certain regard), 2 ans après le grandiose Final Cut (hors compétition), le réalisateur hongrois va encore nous intriguer cette année avec l'histoire d'une femme qui saute du haut d'un immeuble : au fil des étages, le spectateur découvrira la vie des résidents... Reste à savoir si ce film tourné cet hiver sera prêt.

Christian PetzoldPhoenix. Avec Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Michael Maertens. Barbara avait enthousiasmé le festival de Berlin il y a deux ans. Et le cinéma allemand est rarement présent à Cannes. Ce serait aussi l'opportunité de voir Nina Hoss, star outre-Rhin. Cette fois-ci, le cinéaste nous plonge dans l'après seconde guerre mondiale, avec une femme qui a survécu à la Shoah. Présumée morte, elle revient chez elle avec une nouvelle identité afin de savoir si son mari l'a bien trahie.

- Alice Rohrwacher, Le meraviglie. Avec Monica Bellucci, Alba Rohrwacher, Margarete Tiesel. Trois ans après Corpo Celeste à la Quinzaine des réalisateurs, la cinéaste italienne reviendra-t-elle sur la Riviera? Ou son film ira-t-il à Locarno, à Venise? Dans cette fiction, Gelsomina, 14 ans, vit au sein d'une famille gentiment dysfonctionnelle. L’arrivée de Martin, un jeune criminel allemand en programme de réhabilitation, va tout dérégler.

- Michaël R. Roskam, The Drop. Avec Tom Hardy, Noomi Rapace, James Gandolfini. Difficile d'imaginer projet plus attirant. Le dernier film avec le Sporano. Le nouveau film du réalisateur de Bullhead. Et en bonus, l'adaptation d'une nouvelle de Dennis Lehane (Mystic River, Shutter Island). Dans ce polar, un barman de Brooklyn qui travaille dans l'enseigne de son cousin, spécialisée dans le recel d'argent liquide obtenu illégalement, est au coeur d'un braquage qui tourne mal et mettra les deux hommes en danger face à des mafieux décidés à récupérer leur butin.

- João Salaviza, Montanha. Avec David Mourato, Maria João Pinho, Ema Araújo, Margarida Fernandes. Palme d'or du court métrage il y a 5 ans et Ours d'or du court métrage il y a 2 ans, le cinéaste portugais pourrait désormais briguer la Caméra d'or avec ce premier long métrage. Durant un été brûlant à Lisbonne. Bruno, 14 ans, est dans l'attente de la mort imminente de son grand-père mais refuse de lui rendre visite, de peur de le perdre. Mónica, la mère de Bruno, passe ses nuits à l'hôpital. Le vide que laisse déjà son grand-père oblige Bruno à devenir l'homme de la maison, alors qu'il n'est pas prêt à passer à la vie adulte.

- Ulrich Seidl, In the Basement. Un docufiction sur ce qui se cache dans les caves autrichiennes. Seidl est un régulier du Festival et une présence en séance spéciale ne paraitrait pas incongrue : il développe ce projet depuis 5 ans.

- Peter Strickland, The Duke of Burgundy. Avec Sidse Babett Knudsen, Monica Swinn, Chiara D'Anna. Une femme étudie les papillons et teste les limites de sa liaison amoureuse (et la patience de son amoureux). Deux ans après l'acclamé Berberian Sound Studio, le britannique pourrait (enfin) faire ses débuts sur la Croisette.

Liv UllmannMiss Julie. Avec Jessica Chastain, Colin Farrell, Samnatha Morton. La muse de Bergman reviendra-t-elle pour la deuxième fois en compétition, 14 ans après Infidèle? Le film se déroule durant l'été 1890. Une jeune femme aristocrate tente de séduire le valet de son père. Il s'agit de l'adaptation de la célèbre pièce d'August Strindberg.

Thomas Vinterberg, Far From the Madding Crowd. Avec Carey Mulligan, Juno Temple, Michael Sheen, Matthias Schoenaerts. Prix de l'Europe à Cannes l'an dernier pour ce projet, Vinterberg reviendra-t-il à Cannes, deux ans après La chasse? Cette adaptation du roman de Thomas Hardy est le portrait d'une femme qui entretient des relations avec trois hommes différents.

- Lars Von Trier, Nymphomaniac vol II director's cut. Il n'est plus persona non grata depuis cet automne. Le cinéaste danois pourrait donc venir présenter hors-compétition le second volet, en version longue, de ce diptyque qui n'a pas trouvé son public en salles en version courte. Le premier film avait été présenté à la dernière Berlinale.

- Wim Wenders, Everything will be fine. Avec Rachel McAdams, James Franco, Charlotte Gainsbourg. On voit mal la Palme d'or de Paris, Texas ne pas revenir à Cannes avec sa première fiction depuis Rendez-vous à Palerme en 2008 (et déjà en compétition). L'histoire d'un écrivain, Tomas, qui, après une dispute conjugale, s'en va faire un tour de la ville et tue accidentellement un gamin.

Michael Winterbottom, The Face of an Angel. Avec Kate Beckinsale, Daniel Brühl, Cara Delevingne. Pas sûr que le film soit terminé dans les temps. Et face à l'invasion de cinéastes britanniques, Winterbottom ne semble pas favori. L'histoire tourne autour du procès d'Amanda Knox à travers le regard d'un journaliste et d'un documentariste.

Andreï ZvyagintsevLeviathan. Avec Vladimir Vdovichenkov, Elena Lyadova, Aleksey Serebryakov. Un Lion d'or, un prix du jury Un certain regard : Zvyagintsev est l'un des cinéastes russes les plus respectés depuis une quinzaine d'années. Son nouveau film est une histoire d'amour dans une partie isolée du pays, une transposition moderne du Livre de Job.

Tabou : un film poétique, un livre théorique, une polémique politique

Posté par vincy, le 5 décembre 2012

Tabou est d'abord un film. Il sort en salles aujourd'hui. Tout comme le livre, publié par Independencia éditons, Au pied du Mont Tabou, série d'entretiens entre le cinéaste, le chef opérateur, l'ingénieur du son, le producteur et Cyril Neyrat. Trois jours à Lisbonne pour revenir en théorie sur une oeuvre véritablement originale, entre fantasme et désenchantement. Un poème en noir et blanc qui hante durablement. Réalisé par le portugais Miguel Gomes, le film a reçu deux prix à Berlin (Fipresci et prix Alfred Bauer), deux à Las Palmas (prix du public et de la mise en scène) et deux autres à Paris Cinéma (dont le coup de coeur du jury). Il est assurément l'un des événements de l'année dans le cinéma d'art et d'essai.

Tabou est pourtant l'arbre qui cache un désert. Dans une tribune éditée dans le quotidien Publico en janvier dernier, le cinéaste et son producteur, Luis Urbano, ont rappelé l'apocalypse qui menaçait le cinéma portugais. Le texte traduit est diffusé sur le site du distributeur français, Shellac. "Depuis 2006 et le film En avant jeunesse de Pedro Costa, présenté en compétition officielle au festival de Cannes, aucun film portugais n'avait figuré en section compétitive long métrage d'un des trois festivals les plus importants du monde." Rappelant que le film a été financé par l'Etat portugais dans le contexte d'une loi du cinéma qui comprend le financement des films nationaux et d'une cinémathèque, en tant que bien public et patrimoine du pays, "la nouvelle de la présence de Tabou à Berlin nous arrive au moment-même où le nouveau Secrétaire d'Etat à la Culture (SEC) annonce une coupe de 100% pour le cinéma. Cela signifie qu'en 2012, il n'y aura aucun programme d'aide de l'ICA à la production cinématographique, à la distribution et à l'exploitation. Trajectoire interrompue pour le cinéma portugais. L'austérité ne suffit pas à expliquer une coupe de 100%."

Le texte oppose logiquement la vision d'un cinéma libre et artistiquement ambitieux, sélectionné dans les grands festivals, propageant la culture lusophone (et citons ainsi Manoel de Oliveira, Fernando Lopes, Paulo Rocha, João César Monteiro, Pedro Costa, Teresa Villaverde, João Pedro Rodrigues...) à une vision politique d'un cinéma commercial, rentable, industriel, dont les commanditaires seraient les financiers et les exploitants.

Depuis, au printemps, le président de l'ICA (l'équivalent du CNC) José Pedro Ribeiro et sa directrice adjointe ont démissionné, faute de disposer des moyens nécessaires pour réaliser leur mission. La nouvelle Loi du cinéma tardait alors à être votée et l'Institut n'a plus de trésorerie. La loi a finalement été adoptée le 6 juillet. La principale modification introduite par cette loi concerne le modèle de financement du secteur. Elle vise à accroître les sources de financement, y compris par la participation directe des radiodiffuseurs télévisuels. Plus précisément, la loi a été écrite pour renflouer les caisses de l'ICA : l'Institut sera financé non seulement par la publicité à la télévision comme auparavant, mais également par de nouvelles taxes provenant d'autres opérateurs de contenus audiovisuels. Des mesures plutôt bien perçues par les professionnels du cinéma. Mais ces opérateurs rejettent cette taxe, ce qui devrait décaler à 2014 les premiers financements.

Actuellement la Culture est en crise dans un pays subissant de plein fouet l'austérité. La TVA sur les billets de cinéma a plus que doublé en passant de 6 à 13%. Une mesure violemment critiquée au moment où les portugais n'ont plus les moyens d'aller au cinéma.

Depuis le début de l'année, les subventions de l'ICA se sont brusquement arrêtées. L'institut n'a pas les fonds nécessaires pour financer les copies et l'année à venir est incertaine. De nombreux producteurs attendent les aides promises depuis deux ans et plusieurs projets sont suspendus.

Locarno 2012 : Léopard d’or pour le cinéaste français Jean-Claude Brisseau

Posté par vincy, le 12 août 2012

La poésie et le mystère du film de Jean-Claude Brisseau aura séduit le jury de Locarno. Depuis Peau d'homme cœur de bête de Hélène Angel en 1999, aucun cinéaste français n'avait remporté le Léopard d'or du Festival International du Film de Locarno. Brisseau est le 10e réalisateur de l'Hexagone a remporté ce prix. A 68 ans, cet autotodidacte en marge du cinéma national, porte un cinéma mêlant réalisme et fantastique, s'intéressant à la fracture sociale, et sa violence, aux femmes (et leur plaisir), au désir (et sa transgression). La fille de nulle part n'échappe pas à ces thématiques. Brisseau, dont la personnalité sulfureuse l'a conduit dans les tribunaux pour harcèlement sexuel, s'intéresse de plus en plus aux phénomènes paranormaux, qu'il insère dans ses scénarios. Le réalisateur de Noce blanche (qui révéla Vanessa Paradis en actrice) et De Bruit de Fureur remporte ici son prix le prestigieux.

Le jury de la Compétition internationale a livré un palmarès éclectique et cosmopolite. Une comédie américaine pour le prix du jury, un cinéaste chinois sous pression du pouvoir de son pays pour le prix du meilleur réalisateur, son actrice pour le prix d'interprétation féminine, un acteur autrichien pour celui d'interprétation masculine, ...

Notons que Ying Liang, prix du meilleur réalisateur, est actuellement l'objet de harcèlement de la part du gouvernement chinois qui a fait pression depuis des mois pour qu'il abandonne son projet. Le film est une transposition d'un fait divers sur un procès expédié et une exécution sans appel d'un homme accusé d'avoir poignardé des policiers. Le cinéastes est contraint de s'installer à Hong Kong.

Enfin du côté de la Piazza Grande, le prix du public est revenu à la cinéaste britannique Cate Shortland (Sommersault, 2004) pour Lore. L'histoire se déroule en 1945 à la fin de la guerre : un groupe d’enfants, dont les parents, des SS nazis, sont sous la garde des Alliés, s’apprête à traverser l’Allemagne dévastée pour retrouver leur grand-mère à près de 900 kilomètres au Nord.

Et les critiques du magazine professionnel Variety ont remis leur prix à un film français, présenté à la Quinzaine des réalisateurs cette année à Cannes, Camille redouble de Noémie Lvovsky. Le prix est attribué au film qui se distingue à la fois par ses qualités artistiques et par son potentiel pour une sortie en salles.

Compétition internationale

Léopard d'or : La fille de nulle part, Jean-Claude Brisseau, France
Prix spécial du jury : Somebody Up There Likes Me, Bob Byington, USA
Léopard du meilleur réalisateur : Ying Liang pour When Night Falls (Wo Hai You Hua Yao Shuo), Chine/Corée du sud
Prix d'interprétation féminine : An Nai pour When Night Falls (Wo Hai You Hua Yao Shuo), Chine/Corée du sud
Prix d'interprétation masculine : Walter Saabel pour Der Glanz des Tages (The Shine of Day), Autriche
Mention spéciale : le personnage Candy dans le film A Ultima Vez que Vi Macau, "dont la présence puissante malgré son absence résonne auprès du jury comme la représentation de l'immense courage du cinéma portugais à une époque où les faillites des gouvernements et des systèmes sociaux menacent les arts cinématographiques du monde."

Cinéastes du présent

Léopard d'or Cinéastes du présent - Prix George Foundation : Inori, Pedro Gonzaleez-Rubio, Japon
Prix du meilleur réalisateur en devenir : Joel Potrykus pour Ape, USA
Prix spécial du jury Ciné + Cinéastes du présent : Not in Tel Aviv, Nony Geffen, israël
Mention spéciale : Tectonics, Peter Bo Rappmund, USA

Premiers films

Léopard d'or de la meilleure première oeuvre : Memories Look at Me (Ji Yi Wang Zhe Wo), Song Fang, Chine
Mention spéciale : Ape, Joel Potrykus, USA

Piazza Grande

Prix du Public UBS : Lore, Cate Shortland, Royaume Uni/Allemagne
Prix Variety Piazza Grande : Camille redouble, Noémie Lvovsky, France

Paris Cinéma 2012 : A Simple Life et Tabou plébiscités

Posté par vincy, le 10 juillet 2012

Le 10e Festival Paris Cinéma s'achève avec la traditionnelle remise des prix. La soirée de clôture, au MK2 Bibliothèque, a été introduite par Bruno Julliard, nommé Adjoint du maire de Paris en charge de la culture le matin même. Le jeune élu (31 ans), spécialiste des questions d'éducation au Parti Socialiste, avait abandonné le Conseil de Paris pour honorer de sa présence la manifestation lancée par Bertrand Delanoë et Christophe Girard, son prédécesseur à ce poste, et qui, chaque année, prend de l'ampleur.

La présidente Charlotte Rampling a joué la Madame Loyale, appelant les remettants et décrivant les films primés.

Deux d'entre eux se détachent dans le palmarès : le film hong-kongais A Simple Life, d'Ann Hui et le film portugais Tabou de Miguel Gomes ont été cités deux fois chacun durant la soirée.

A Simple Life, multi-primé en Asie, s'était fait remarqué par le prix d'interprétation féminine à Venise l'an dernier. Le film sera diffusé cet après midi à 17h au MK2 Bibliothèque. N'ayant toujours pas de distributeur en France, il n'y a pas de date de sortie prévu.

Tabou avait notamment reçu le prix de la critique internationale au dernier festival de Berlin. Le film sera diffusé cet après midi à 21h au MK2 Bibliothèque.

Le palmarès

Prix du public : A Simple Life, d'Ann Hui (Chine/Hong Kong).

Prix du jury (Laetitia Masson, Emilie Simon, Alice Belaïdi, Yves Simon, Louis-Do de Lencquesaing et Julien Dokhan) : Just The Wind, de Bence Fliegauf (Hongrie). Sortie en mars 2013 (Sophie Dulac distribution). Le film avait reçu le Grand prix du jury au dernier Festival de Berlin.

Coup de coeur du jury : Tabou, de Miguel Gomes (Portugal). Sortie le 5 décembre 2012 (Shellac).

Prix Numéricable : Rebelle, de Kim Nguyen (Canada). Sortie le 21 novembre 2012 (Happiness).

Prix des étudiants : A Simple Life, d'Ann Hui (Chine/Hong Kong).

Prix des blogueurs et du web : Tabou, de Miguel Gomes (Portugal). Sortie le 5 décembre 2012 (Shellac).

Coup de coeur des blogueurs et du web : Our Homeland, de Yang Yonghi (Japon).

La Rochelle 2012 : Joao Canijo, ou la tragédie lusitanienne

Posté par Martin, le 6 juillet 2012

Le festival de La Rochelle aime le cinéma portugais. Cette année, il rendait hommage à deux réalisateurs contemporains : Miguel Gomes (dont le dernier film Tabou sort le 5 décembre en salle) et Joao Canijo. Penchons-nous sur l’œuvre foisonnante du second.

Dans toute son œuvre, Canijo mêle une structure et des personnages de tragédie à un contexte très contemporain, celui d’un Portugal pauvre. Ce geste donne naissance à des films uniques à la fois par leur noirceur et par leur ampleur. Canijo n’hésite pas à adapter au monde contemporain la Electre d’Euripide (Mal née, 2007), et, dès Chaussures noires (1998), le cinéaste réinvente le film noir américain pour en faire une tragédie : une femme veut faire tuer son mari par son amant. L’intrigue rappelle celle du Facteur sonne toujours deux fois, dont il serait une version crasseuse, filmée à même la boue. L’utilisation de la vidéo est pour beaucoup dans cette impression, mais c’est aussi une façon de donner aux acteurs une présence physique paradoxale : ce sont à la fois de purs masques, souvent grotesques – les coiffures et couleurs changeantes de l’héroïne – et des corps modernes, dénudés avec une certaine crudité. Ou plus exactement : des corps d’aujourd’hui dans des rôles tragiques atemporels.

C’est surtout la mise en scène de Canijo qui élève ses personnages dans la tragédie. Dès que deux personnages sont dans le même espace, ils se heurtent et se détruisent physiquement : mère et fille, mari et femme, femme et amant, femme et policier... Sur ces corps cherchant l’amour, plane la mort. La vengeresse Dalila ne fait-elle pas l’amour avec son amant sur le lieu même où son mari vient d’être violemment abattu ? Les sangs se mêlent dans un lit ou à même le sol : la tragédie dit bel et bien toute l’horreur de ce monde. Il faut voir comment il filme les visages dans Chaussures noires qui est un vrai film fétichiste. Bien sûr, les objets entrent dans l’intrigue comme autant de signes (le bijou qui cause la perte du héros, les chaussures qui trahissent l’héroïne), mais ce sont essentiellement les visages qui jouent ici le rôle de fétiches. Car le grain vidéo leur donne une aura sale, et quand deux visages sont filmés dans le même plan, les peaux se dévorent littéralement l’une l’autre. Le dernier plan du film ne montre pas autre chose : deux visages – deux masques, donc – se rapprochent l’un de l’autre dans une terreur sans nom.

Si Chaussures noires trouve des accents comiques dans l’outrance (les références à Almodovar), le dernier film en date de Canijo creuse le filon tragique sans ironie aucune : Liens du sang (2011) est son film le plus abouti, reprenant et transcendant toute son œuvre. D’abord, la structure devient chorale, mêlant habilement plusieurs histoires : une mère essaie de séparer sa fille de son amant marié (on comprend assez vite que c’est le propre père de la fille qu’elle n’a jamais connu) tandis qu’une femme (la sœur de la mère) aide son neveu à payer sa dette (on comprend assez vite qu’elle va se prostituer pour lui). Le déroulement du récit se joue de façon attendue, destin oblige, mais ce sont des scènes et de leur traitement que naît la surprise. Car les deux intrigues ont lieu, non seulement en même temps, mais aussi dans les mêmes plans : ainsi le cadre de l’appartement emprisonne au premier plan (ou droite cadre) un duo pendant que l’autre se déchire à l’arrière plan (ou gauche cadre). Dans l’appartement du dealer, quand le jeune fils vient lui dire l’échec de sa mission, ou bien des petites filles mangent d’un côté du cadre, ou bien la télévision diffuse un film pornographique : deux idées s’opposent toujours dans un même espace. Ce morcellement de l’image se double d’un travail sur le son qui fait se répondre les conversations. Les deux intrigues, archétypales prises séparément, deviennent passionnantes ensemble, transcendées par le style de Canijo. C’est que, plus encore que pour ses autres films, le cinéaste place les acteurs au cœur de son travail : Liens de sang est né d’un an de répétition avec eux. Ainsi les personnages semblent, pour la première fois véritablement, avoir une chance d’échapper à leur destin tragique.

Le film est le magnifique portrait d’une famille unie, parfois même trop unie : la mère avoue préférer coucher près de sa fille de 22 ans que de dormir avec son compagnon, tandis que la tante ne cesse de soigner son neveu, de le caresser, jusqu’à finir nue dans ses bras. Mais c’est moins la tentation de l’inceste qui est ici questionnée que le rapport des liens du sang qui est mis en valeur. Le titre original Sangue do meu sangue (« sang de mon sang ») dessine bien ce double rapport de continuité et de dévoration. La cellule familiale, fermée sur elle-même, dans un tout petit espace, devient l’allégorie du mal-être d’un pays. Mais cette souffrance à vif ne serait rien si les personnages n’étaient pas autant aimés : c’est tout le talent de Canijo d’aller aussi loin dans la noirceur pour capter la lumière de ses personnages, de les plonger dans la réalité la plus crue pour les sauver telles les figures d’une tragédie universelle.

Un prix Louis-Delluc pour l’étrange Mister Ruiz et ses Mystères de Lisbonne

Posté par vincy, le 18 décembre 2010

On attendait Des Hommes et des Dieux, voire en outsider le Polanski, The Ghost-Writer, mais les jurés du prix Louis-Delluc (créé en 1937) ont opté pour un choix plus radical. Le plus étonnant fut sans doute que les trois favoris du jury n'était aucun des deux films précités puisque Claire Denis (White Material) et Olivier Assayas (Carlos, version longue) faisaient davantage hésiter les votants.

Plus en phase avec l'esprit de cette récompense élitiste, prestigieuse, qui valorise aussi bien un film pour sa dimension artistique qu'un cinéaste pour son parcours artistique, le Delluc est allé à  un film hors-normes par sa durée (4h30), un cinéaste transfrontalier mais intègre depuis 40 ans avec ses choix (risqués) cinématographiques : Mystères de Lisbonne, de Raoul Ruiz. Lui qui adapta Proust, offrit des thrillers psychanalytiques et symbolistes, des histoires étranges où les objets ont autant d'importance que des comédiens, voit ici son oeuvre sacralisée avec un film pour le moins singulier, sélectionné aux Festivals de Toronto, de New York, de Vienne, de Vancouver, de Londres, de Turin et de São Paulo.

"Un rendez-vous d'amour"

A peine 25 000 entrées presque deux mois après sa sortie : l'adaptation du roman portugais de Camilo Castelo Branco (qui sera édité en mars chez Michel Lafon, avec une préface de Raoul Ruiz) dans une Lisbonne du 19è siècle n'a touché qu'une poignée de cinéphiles, courageux, prêts à affronter l'équivalent de deux à trois films en une séance.  Le chilien Ruiz, 69 ans, n'était pas là pour recevoir le "Goncourt du cinéma", car il met en scène actuellement une pièce de théâtre. C'est donc le producteur Paulo Branco qui a reçu le prix des mains du président du jury, Gilles Jacob (qui l'a sélectionné quatre fois en sélection officielle à Cannes).

Tout le monde a donc relayé les éléments de langage du jour : "risque", "audace", "juste". Rebecca Zklotowski, primée par le Prix Louis-Delluc du premier film pour Belle-Epine, en remerciant les jurés, a quelque part mieux résumé le contraste entre cette attente du public insatisfaite (son film a aussi échoué au box office) et cet amour des critiques pour des films "à la marge" : "Quand on fait un film, on doute de tout, on a peur de ne pas être aimée... Quand la critique vous regarde, c'est une grande chance et comme un rendez-vous d'amour".

Mystères de Lisbonne (avec son budget plus que modeste de 1,5 millions d'euros) a reçu un accueil critique très favorable de la part de la presse écrite (Ecran Noir s'incluant dans le concert de louanges). Il fut snobé par les télévisions (pas assez grand public), remarqué par les radios publiques. Mais, avec une combinaison de salles trop faibles, il ne pouvait pas faire de miracle, étant réduit à trois séances par jour.

Paulo Branco (en photo avec Ruiz), un de ces rares producteurs qui méritent encore le titre, avait pris l'initiative en envoyant à son compère Ruiz la trilogie romancée. Le cinéaste est enthousiaste mais il ne veut pas répéter l'horreur de l'adaptation du Temps retrouvé, dix ans plus tôt, et considère qu'il s'agit d'un projet davantage destiné pour le petit écran, avec une vingtaine d'heures au compteur. Il demande, cependant, au scénariste Carlos Saboga (par ailleurs le traducteur de la future édition française du livre) de rendre le projet plus adapté au format du cinéma. Ce qui exige un remodelage complet.

"Chaque jour était une conquête."

Comme pour le Carlos, d'Assayas, le projet est alors présenté sous deux formats : le cinéma et la télévision (en une série de six épisodes, à découvrir l'an prochain). Ruiz est d'ailleurs assez excité à l'idée d'expérimenter le deuxième genre. Évidemment on retrouve dans cette production, tout ce que son style apprécie : une absence de construction classique en terme de narration, une éviction de conflits centraux et de déterminisme (le film ne va nulle part et ne s'axe sur rien), une forte nécessité de plans séquence pour donner de l'ampleur et de l'atmosphère à des troubles intimes, et ces mélanges de chronologie qu'il affectionne tant et qui rendent les repères temporels confus.

Cet ancien assistant réalisateur de télénovelas chiliennes trouve ici son aboutissement avec un soap opéra cinématographique, mais autrement plus profond par sa dimension épique et littéraire.

Surtout Ruiz a souvent cru que ce serait son dernier film, qu'il bouclerait la boucle. Il a du subir une greffe du foie durant les quatre mois de tournage (il y a un an), incertain de survivre à une telle opération. Il avoue qu'il mis dans chacun de ses plans "quelque chose d'inéluctable", un "dramatisme", lié au sentiment que "chaque jour était une conquête."

On est presque heureux que le Delluc ne lui soit pas remis de façon posthume. Et avouons-le, si le prix n'aura pas un énorme impact sur le film, ni sur le public, il a le mérite de contribuer à la reconnaissance d'un certain cinéma, entre métissage et ambition, originalité et diversité. Mais il prouve, aussi, que ce cinéma là, indispensable à la variété du 7e art, tend à se "muséifier", subissant les lois d'une industrie de plus en plus dominante, et peu défendue par une cinéphilie de moins en moins résistante.

En ce sens, il y a bien un sentiment d'inéluctabilité, un dramatisme à souligner. Chaque film de ce type est une conquête.

Le cinéma portugais succombe aux biopics

Posté par vincy, le 17 juin 2008

Les USA ont Tina et Ray, les Anglais ont Joy Division, les Français, Piaf ou Gainsbarre... C'est au tour du Portugal de vouloir mettre en avant sa légende vocale et ses 20 millions de disques vendus : Amàlia Rodrigues. Déjà transformée en comédie musicale (un million de spectateurs au Portugal), la vie de la chanteuse de fado, la Callas de la saudade, aura droit à sa destinée cinématographique.

La production associera son détenteur de droits du catalogue musical, la télévision publique et un producteur indépendant. Le film devrait être le plus cher du cinéma portugais avec un budget de 3 millions d'euros. Réalisé par Carlos Coelho da Silva, à qui ont doit la bonne adaptation locale du Crime du père Amaro (le plus grand hit portugais à date), le film devrait être prêt l'an prochain et séduire la diaspora portugaise du monde entier.

L'enjeu de l'interprétation revient à l'actrice Sandra Barata Belo, jeune comédienne de 29 ans.