Enfin en DVD : Con la pata quebrada, où comment le cinéma retranscrit à l’écran la place de la femme dans la société

Posté par MpM, le 5 mai 2015

Sorti en juin 2014, Con la pata quebrada est un film de montage racontant l'histoire de l’Espagne, et surtout la manière dont on y considère les femmes depuis le premier tiers du XXe siècle, à travers le cinéma espagnol de la période. En 180 extraits, le réalisateur Diego Galan dévoile ainsi une société machiste, conformiste et violente qui entend confiner la femme à un rôle purement domestique et décoratif.

Après une jolie carrière en festivals (Sélection Cannes Classics, Prix Platino du meilleur documentaire, Prix cineHorizontes...) et en salles, le film est désormais disponible en DVD, avec notamment parmi les bonus un entretien avec le réalisateur et un dossier pédagogique destiné au jeune public.

A l'heure où l'on parle beaucoup de la place de la femme dans le cinéma (devant ou derrière la caméra, au scénario ou au maquillage, à la tête de blockbusters ou de films à petit budget, etc.), il est bon de rappeler que le traitement des personnages féminins à l'écran fait déjà beaucoup pour la défense (ou non) de l'égalité des sexes. Con la pata quebrada propose ainsi une plongée fascinante dans un cinéma qui transpire le sexisme et l'indifférence, voire l'hostilité envers les combats égalitaires. Il invite naturellement à se pencher sur le cinéma français, américain, asiatique, etc. contemporain, et à en tirer les conclusions qui s'imposent.

Grand angle – Con la pata quebrada : grandeur et décadence de la femme espagnole

Posté par MpM, le 12 juillet 2013

Présenté dans la section Cannes Classic du Festival de Cannes 2013, puis dans le cadre du 6e festival Différent ! , Con la pata quebrada de Diego Galan est un film de montage qui interroge la place de la femme dans la société et le cinéma espagnols des années 30 à nos jours.

con la pata quebradaA l’origine, il y a un dicton espagnol plutôt imagé : "La mujer casada y honesta, con la pata quebrada y en casa", littéralement : "Femme mariée et honnête a la jambe cassée et reste au foyer." Une vision de la "place" de la femme qui dépasse, de loin, le gentillet "retourne à tes fourneaux" de la langue française.

Partant de ce constat, Diego Galan, critique de cinéma, écrivain, réalisateur, mais aussi ancien directeur du festival de San Sebastian, a eu la facétieuse idée de raconter une histoire de l’Espagne, et de la manière dont on y considère les femmes depuis le premier tiers du XXe siècle, en se basant uniquement sur des extraits de 180 films espagnols.

Si l’on considère qu’un film est toujours, quelle que soit l’histoire qu’il raconte, le reflet de l’époque à laquelle il est tourné, quoi de plus passionnant que se pencher sur la cinématographie d’un pays et d’y trouver des échos de son évolution et de sa mentalité ? Diego Galan réalise ainsi un travail de montage minutieux et pertinent qui brosse chronologiquement et thématiquement le portrait de la femme espagnole telle qu’elle fut fantasmée au cours des quatre-vingt dernières années.

A quoi sert la femme ? A rien

con la pata quebradaSans surprise, il s’agit d’une femme rangée, modeste et docile dont l’existence est tout entière consacrée au bien-être de son mari et de ses enfants. Un des extraits du préambule donne immédiatement le ton : en 1957, El batallon de la sombras de Manuel Mur Oti présente un homme bien habillé qui déclame nonchalamment face caméra : "A quoi sert la femme ? A rien. Absolument à rien. Elle coud nos boutons, cuisine, nous déclare absents quand un créancier se présente. Bon, il faut bien se distraire. Ah, elle nous met au monde. Tout à fait ! Tout comme elle nous met des cravates importables." Un cynisme volontairement provocateur, qui en dit long sur le regard porté par l’Espagne franquiste sur sa composante féminine. Car ce sont bien la guerre civile et la victoire de Franco qui vont changer la donne pour la femme espagnole.

Au début des années 30, au moment de la 2e République, les femmes avaient accédé à un vrai statut social en obtenant le droit de vote et celui de travailler sans l’autorisation de leurs époux, tandis que le divorce et même l’avortement (dans certaines régions) étaient légalisés. Les films de l’époque montrent des ouvrières joyeuses et épanouies qui trouvent le bonheur dans leur travail. En même temps, les prémices de la libération sexuelle permettent des scènes relativement osées, comme dans Nuestro culpable de Fernando Mignoni (1937), où des femmes de toutes conditions font des avances explicites à un homme emprisonné. C’est l’avènement de la femme moderne.

Morale irréprochable et mariage en ligne de mire

con la pata quebradaMais après la victoire de Franco, un formidable retour de bâton frappe les femmes qui sont "libérées" du travail et renvoyées manu militari dans leurs foyers. Le cinéma s’en fait l’écho à travers des personnages de patriotes entièrement dévouées à leur pays, des héroïnes incarnant la femme espagnole idéale, catholique, modeste, et à la morale irréprochable. Pour elles, le mariage est le seul destin logique. Dans El arte de casarse (un titre qui ne s’invente pas) de Jorge Feliu (1966), la blonde héroïne veut ainsi se marier "avec n’importe qui", à condition "qu’on [l']aime un peu".

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