Au bout de la nuit : sombre perdition

Posté par geoffroy, le 24 juin 2008

streetkings_keanureeves.jpgSynopsis: Tom Ludlow est le meilleur détective de l'Ad Vice, unité spécialisée de la Police de Los Angeles. Son supérieur, le capitaine Wander, ferme les yeux sur ses procédés souvent "hors normes" et le protège lors de l'enquête interne menée par le capitaine Biggs. Accusé à tort du meurtre d'un collègue, Ludlow doit lutter seul contre le système corrompu pour prouver son innocence.

Notre avis: La caution d’un grand nom au scénario – James Ellroy en l’occurrence – n’est pas toujours synonyme de qualité et encore moins de réussite. Référence avouée à la situation des flics de Los Angeles peu après les émeutes de 1992 qui firent 32 morts, Au bout de la nuit actualise une réalité sociale toujours aussi tendue et tente vainement d’investir des thématiques fortes comme la corruption policière, le fonctionnement du LAPD (Los Angeles Police Departement) et ses unités d’élite, le maintien de l’ordre et les tensions entre flics. Louable dans l’intention, inexistant à l’image.

Le réalisateur David Ayer (antérieurement scénariste de polars cyniques) est incapable de structurer un polar subtil faisant l’état des lieux d’une police à bout de souffle dépassée par des évènements extérieurs de plus en plus violents. Pire, il ne creuse pour ainsi dire jamais dans cette quête jusqu’au-boutiste d’un flic, Tom Ludlow (Keanu Reeves, plutôt bon), détruit aux méthodes expéditives. Polar noir gonflé à la mauvaise testostérone, Street Kings – titre anglais bien plus révélateur – survole tous ses enjeux pour devenir une vulgaire démonstration de force où l’épate se veut le fondement cinématographique d’une narration poussive. En clair, David Ayer en met plein la vue mais oublie en cours de route d’ancrer ses personnages dans une fonction et une psychologie qui auraient apporté ce brin de substance qui fait cruellement défaut au film. C’est un peu comme s’il suffisait de flinguer, de corrompre, de boire ou sniffer pour réaliser un film tendu et fort sur les violences urbaines, la corruption des institutions et les différentes formes de dépendances. Un peu plus de sinuosité n’aurait pas fait de mal à cet archétype mal dégrossi de film noir trop linéaire dans son traitement et son regard critique.

Cette direction scénaristique enferme l’immersion de Tom Ludlow dans la caricature et lisse jusqu’à l’os des axes de lecture pourtant pertinents. Rapports hiérarchiques, relation à la rue, démêlé avec les "bœufs carottes" made in USA ne sont ni magnifiés, ni développés, ni en interaction. Le film ne nous apprend rien sur l’institution que l’on ne sache déjà, tout en verrouillant son récit sur le mode esbroufe et révélations sans consistance. Il suffit de voir la psychologie du personnage interprété par Forest Whitaker pour en être assuré. L’emphase est telle qu’il frise à chaque plan le ridicule. A force de persévérance, il fini par le trouver à la fin du métrage dans un climax aussi absurde que grossier. Ne parlons pas de ce dernier plan saugrenu digne d’un film de super héros à la "Spider-Man" (sic).

David Ayer accouche sans nul doute d’un film basique assez bien photographié où le anti-héros devient un peu vengeur, un peu sauveur, un peu manipulé, mais seule réponse aux problèmes de corruption et de violences urbaines. La déraison l’emporte sur la cohérence et la violence engendrant la violence, la police de Los Angeles se voit dans l’obligation d’y répondre par la violence. Le monde est ainsi fait et Keanu Reeves étant Keanu Reeves, il aura le dernier mot et l’honneur sauf. Un conseil. Si vous voulez voir – ou revoir – un vrai grand film sur la corruption policière, faites un détour chez Mister Serpico.