La Rochelle 2012 : la ronde des femmes

Posté par Martin, le 4 juillet 2012

A propos de Montparnasse 19 de Jacques Becker (1958).

Tous les ans, le Festival de La Rochelle rend hommage à un acteur ou une actrice. Cette année fut l’occasion de revoir quelques pépites de la carrière d’Anouk Aimé. Le film de Jacques Becker, où elle est l’une des femmes qui gravitent autour du peintre Modigliani (Gérard Philipe), lui offre un second rôle lumineux.

Ce qui frappe chez un grand metteur en scène, c’est comment il parvient à faire exister les personnages secondaires. Le personnage principal est un faisceau qui éclaire le monde et permet la rencontre avec les autres. Autour de Modigliani, on trouve trois femmes : celle du passé, Rosalie, patronne de restaurant (Léa Padovani), celle qu’il quitte, Béatrice, une riche étrangère (Lilli Palmer), et celle qu’il rencontre, la douce Jeanne, peintre, modèle et femme fidèle (Anouk Aimé donc). Dans deux scènes remarquables, le passage de relais a lieu. La première montre Rosalie qui cherche Modigliani dans le bar-restaurant de Béatrice : un échange succinct a lieu entre les deux femmes, chacune de son côté du bar. D’un côté, celle qui a fait de son métier de servir des verres, de l’autre celle qui, dit-on, a plongé Modi dans l’alcool… Elles se regardent à peine, séparés par la ligne du bar qui est d’abord une ligne sociale. La seconde scène, plus cruelle encore, a lieu dans l’ascenseur d’un hôtel de luxe où le peintre, avec Jeanne, a échoué à vendre ses toiles et croise Béatrice avec un homme riche et âgé. L’espace clos et étroit permet à Béatrice de se retourner, mais à peine : tous sont face caméra et Béatrice parle de Jeanne derrière elle comme si elle n’était pas là. La scène se termine par un signe de complicité de la riche femme jalouse vers Modi, puis, dans une ellipse audacieuse, Jeanne sort de l’ascenseur sans un mot passant, floue, devant le peintre net. Ce que filme admirablement Becker à ce moment-là, c’est le regard perdu d’un homme qui vient de voir la femme qu’il aime se faire humilier devant lui et à cause de lui.

Les femmes se déploient autour du peintre suivant une chorégraphie finement menée. Le film n’est pas pour rien dédié à Max Ophüls : il y a quelque chose d’une Ronde dans Montparnasse 19. De façon dialectique, les femmes tournent autour de Modigliani, mais c’est aussi lui qui pivote autour d’elles nous permettant d’appréhender l’idée de la femme. On pourrait dire de même de l’alcool et des tableaux. Les verres se multiplient de lieu en lieu, se vident, se remplissent et se ressemblent, tandis qu’avec les tableaux une subtile ronde a lieu jusqu’au terrible plan final – un acheteur véreux (Lino Ventura) met un à un les tableaux contre un mur en un mouvement frénétique de vautour dévorant sa proie. La scène la plus moderne se situe cependant un peu avant cela, dans le fameux hôtel de luxe, juste avant la scène de l’ascenseur : là, un ami de Modi a réussi à lui obtenir un rendez-vous avec un riche collectionneur américain sur le départ. Tout va très vite, l’épouse montre les bijoux qu’elle a achetés, les employés passent faisant les bagages et Modi reste assis, prostré sur un canapé, en attendant un éventuel achat. Quand il ouvre la bouche pour parler de Van Gogh, il est coupé par l’épouse qui crie qu’ils sont en retard. Quand enfin il est écouté, l’Américain lui propose d’étaler sous ses yeux tous ses tableaux et de faire de l’un d’entre eux l’effigie d’une marque de parfum : « la Vague bleue ». La vulgarité transperce alors le peintre sur place, mais cette scène déjà forte ne serait rien si la mise en scène ne venait y apporter un regard supplémentaire : le peintre humilié n’est pas seul, il est assis entre ses deux étoiles, son fidèle ami d’un côté, Jeanne de l’autre. C’est donc, une fois encore, moins une humiliation qui est filmée que le regard porté sur cette humiliation. En filmant ainsi l’empathie elle-même, Becker dessine un miroir parfait pour le spectateur. C’est peut-être aussi cela un grand metteur en scène : celui qui parvient à faire du spectateur un personnage de son film.

Le dilemme des récompenses posthumes

Posté par vincy, le 25 janvier 2009

ledger_williams_oscarsHeath Ledger dans la catégorie second rôle masculin aux Oscars, Guillaume Depardieu en lice pour le César du meilleur acteur... deux comédiens "cultes" cités de manière posthume. Ce n'est pas une première.

Peter Finch avait été récompensé par un Oscar du meilleur acteur en 1977. Sa veuve était venue chercher la statuette. De nombreux artistes - le scénariste Sidney Howard, le chef opérateur Conrad Hall, le musicien Bernard Herrmann - ont reçu des nominations posthumes aux Oscars. Edward G. Robinson et Audrey Hepburn ont même été primés par un Oscar humanitaire quelques mois après leur décès. Le cas le plus connu est évidemment James Dean, décédé en 1955 et cité aux Oscars de 1956 et 1957.

Les César ne sont pas en reste. Jean Gabin fut césarisé d'honneur en 1987, après sa mort. De même Gérard Philipe en 1990, en guise d'hommage. Serge Gainsbourg fut primé en 1996 pour la musique d'Elisa, et Geoffrey Unsworth ne pu jamais recevoir son César pour la photo de Tess en 1980.

Le dilemme est double : la récompense est-elle un hommage déguisé et donc fausse-t-elle l'intention du collège électoral? Qui peut s'approprier dignement un tel prix? Si, par exemple, Cassel, archi-favori, perd contre Guillaume Depardieu, n'y verra-t-on pas un subterfuge?

Pour Heath Ledger, il semble que les producteurs ont déjà tout prévu. L'ex-compagne de l'acteur, l'actrice Michelle Williams, et leur fille, Matilda, pourraient monter sur scène s'il gagne l'Oscar. Pour Michelle Williams, la victoire serait d'autant plus amère, qu'elle figurait parmi les favorites dans la catégorie actrice pour sa performance dans Wendy and Lucy. Elle n'a finalement pas été nommée.

On voit mal Christopher Nolan, le réalisateur du film pour lequel il est cité, Batman The Dark Knight, aller chercher l'Oscar. Lui a été clairement snobbé par l'Académie, alors que nombreux sont ceux qui considèrent ce Batman comme l'un des meilleurs films de l'année.

D'autres solutions s'offent aux producteurs : les parents de l'acteur, Christian Bale ou le producteur du film.

Aux César, si Guillaume Depardieu l'emporte sur Vincent Cassel, le clan Depardieu devrait faire l'affaire. Le père, la mère, la soeur. Mais la tradition française, qui déteste tant l'émotion pré-fabriquée, est de convier sur scène, en cas d'absence, le réalisateur, Pierre Schöller, ou le producteur du film (Géraldine Michelot). Le problème se posera surtout s'il ne gagne pas : comment ne pas faire doublon en cas de victoire, ne pas le passer sous silence en cas de défaite? La grande classe serait que Carax, Salvadori et Rivette viennent juste parler de lui...

Que ce soit le 22 février aux Oscars ou le 27 février aux César, cette année, les soirées glamour seront hantées par des fantômes.