La belle jeunesse de Jaime Rosales clot le 7e festival Différent

Posté par MpM, le 27 juin 2014

different 2014Après une semaine placée sous le signe du cinéma espagnol indépendant et singulier, le Festival Différent s'est achevé le 24 juin avec une soirée parcourue par la thématique des nouvelles technologies et de la place qu'elles ont désormais dans notre vie quotidienne.

Dans 10 000 km de Carlos Marques-Marcet, un jeune couple doit vivre les affres de la séparation géographique. Elle part travailler en Californie tandis que lui reste travailler à Barcelone. Le film raconte la relation houleuse qu'ils entretiennent à distance à travers l'écran de leurs ordinateur et smartphone.

Hormis l'originalité formelle de proposer des images filmées à la webcam (mais on a depuis découvert la séquence époustouflante de rupture par Skype filmée par Pascale Ferran dans Bird people, qui fait un usage encore plus âpre de l'interface informatique dans la communication de couple), le film aligne sur un ton de comédie insouciante les passages obligés de la comédie romantique : conversations enjouées et drôles, puis disputes, tentation de séparation, infidélité, réconciliation... Rien de révolutionnaire, mais un regard léger et tendre sur notre époque et ses petits travers.

Dans Hermosa juventud (La belle jeunesse), Jaime Rosales suit quant à lui un couple de jeunes Espagnols pris dans les filets terribles de la crise économique. S'ils sont au départ insouciants et joyeux, la naissance de leur fille les amène peu à peu à repenser leurs priorités. Ils s'aperçoivent alors que quelle que soit leur bonne volonté, il n'existe pour eux aucun moyen de s'en sortir.

Le film mêle prises de vue en 16mm et images numériques prises sur le vif par les protagonistes avec leurs téléphones portables. Plusieurs ellipses temporelles (notamment la grossesse de la jeune femme) sont ainsi représentées par le défilement de photos et de messages sur un écran de smartphone. Une manière pour Jaime Rosales de porter un regard critique sur la perte de repères des jeunes générations, qui ne sont plus capables selon lui de faire la différence entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas, puisque tout figure sur le même plan dans leurs téléphones.

A l'exception de cette théorie étonnamment simpliste, le film est un portrait convaincant et saisissant d'une Espagne en proie au chômage et à une violence sociale qui se répercute dans toutes les couches de la société.

"Le point de départ du film", explique le réalisateur, révélé dans les années 2000 par Las horas del dias et La soledad,  "c'est mon besoin de comprendre les jeunes qui vivent en Espagne. J'avais envie de faire un portrait de cette jeunesse actuelle. Par ailleurs, j'avais envie de changer de direction dans mon œuvre, de faire quelque chose avec un langage plus ouvert, plus dirigé vers les autres et moins vers-moi-même. " Pour cela, il a créé une équipe de jeunes techniciens et de jeunes comédiens, et c'est à partir de leurs témoignages et propositions qu'il a écrit une partie du contenu du film.

Les conversations entre amis (où il est question des centaines de CV déposés sans succès, ou des rêves simples d'avoir sa petite camionnette à soi ou de passer son permis) ont également été improvisées. Cela donne un aperçu glaçant de la réalité espagnole contemporaine, sans jamais tomber dans le film purement social ou misérabiliste. Ceux que montre Jaime Rosales ne sont pas les enfants des familles les plus défavorisées, mais la jeunesse d'une classe moyenne en pleine paupérisation. Lorsque l'on voit Natalia envisager d'aller travailler en Allemagne (Eldorado européen à ses yeux), quitte à laisser sa fille en arrière, on ne peut s'empêcher de songer aux jeunes femmes d'Asie du Sud-Est qui viennent en France pour garder les enfants des autres pour pouvoir nourrir les leurs, restés dans leur pays.

Même s'il s'en défend, le propos de Jaime Rosales semblent ainsi au final bien pessimiste, montrant une génération sacrifiée et une société où l'absence d'espoir conduit à un déchainement de violence symbolique mais aussi physique et sexuelle. Un tableau d'autant plus sombre qu'il est filmé avec une grande douceur, presque sans à-coup et même parfois avec légèreté. A l'image des personnages du film qui semblaient avoir toute la vie devant eux, le spectateur ne peut alors qu'être saisi par l'inexorable chute qui les entraîne au fond du gouffre.

Focus sur un cinéma espagnol audacieux et singulier avec le 7e Festival Différent

Posté par MpM, le 18 juin 2014

different 2014Tout au long de l'année, l'association Espagnolas en Paris met à l'honneur le cinéma espagnol en proposant des films inédits ou en avant-première et des rencontres entre le public et les professionnels. Depuis 2008, le festival Différent ! permet de compléter cette programmation au long cours par une véritable fête du cinéma ibérique qui fait la part belle aux films indépendants, singuliers et tout simplement "différents".

Au programme, 16 films (longs et courts métrages, fictions, documentaires) réunis pour la première fois en un lieu unique, le très beau cinéma Louxor, mais aussi un hommage (à l'acteur catalan Eduard Fernández), une exposition (Fronteras, qui réunit des photographies d'Alain Coiffier et des poèmes en prose d'Inès Montés), deux rendez-vous professionnels et la venue de 26 invités au total.

C'est l'excellent documentaire Con la pata quebrada de Diego Galan qui ouvre le bal dès ce soir à 19h. Ce film de montage explore le cinéma espagnol des années 30 à nos jours pour en tirer une réflexion passionnante sur  l'évolution de la place de la femme dans la société espagnole au cours du XXe siècle. Il sera précédé d'un extrait présenté en avant-première mondiale du film collectif Yo decido / El tren de la libertad dans lequel une soixantaine de cinéastes espagnoles s'expriment autour du mouvement de protestation contre la reforme restrictive de la loi sur l'avortement. Suivra ensuite La herida de Fernando Franco, récompensé à San Sebastian et Cinespana en 2013, et qui a valu un Goya de la meilleure actrice à Marian Álvarez.

Une première soirée extrêmement riche, à l'image du reste du festival, qui présentera notamment Canibal de Manuel Martín Cuenca, également récompensé à San Sebastian, En ningún lugar, Don Luis Buñuel de Laurence Garret, le regard très personnel et poétique d’une jeune cinéaste française sur Luis Bunuel et son imaginaire, ou encore Hermosa juventud de Jaime Rosales, sélectionné dans la section Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes.

La convivialité sera également au rendez-vous avec des dégustations de produits espagnols, des rencontres avec les différentes équipes de films et une soirée spéciale "Fête de la musique" le 21 juin.

Dans un paysage européen morose où le cinéma espagnol s'est imposé ces dernières années comme l'un des plus singuliers et audacieux, en perpétuelle évolution, il est donc chaudement recommandé aux cinéphiles et aux curieux de profiter de cette nouvelle édition de Différent ! pour faire le plein d'un autre cinéma, comme une salutaire bouffée d'oxygène cinématographique.

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Différent !
Du 18 au 24 juin 2014
Cinéma Le Louxor
170 Boulevard de Magenta
75010 Paris

Informations et programme sur le site de la manifestation