Dinard / PIFFF 2016 : Rencontre avec la réalisatrice de « Prevenge » Alice Lowe

Posté par kristofy, le 6 décembre 2016

Le film Prevenge a été présenté en compétition durant le 27e édition du Festival de Dinard en octobre. Ce premier long métrage avec un humour noir particulièrement féroce montre une femme enceinte qui suit les conseils de son fœtus pour aller tuer différentes personnes sont elle veut se venger...
On croise les doigts pour une sortie du film prochainement en France, mais déjà pour les parisiens une bonne nouvelle : Prevenge est en compétition au PIFFF, le Paris International Fantastic Film Festival qui commence aujourd'hui (pour s'achever le 11 décembre) septembre au Max Linder Panorama : rendez-vous à la projection samedi 10 décembre à 19h30.

En attendant, nous avions rencontré sa réalisatrice et actrice Alice Lowe à Dinard avec son bébé dans les bras :

Ecran Noir : Après le film Touristes ou vous étiez à la fois scénariste et actrice, pour Prevenge vous êtes à la fois scénariste actrice et aussi la réalisatrice, qu’est ce qui vous a inciter à passer derrière la caméra cette fois ?
Alice Lowe : Après la belle expérience qu'a été Touristes j'ai eu envie de réaliser moi-même un film, mettre en scène c’est en fait un désir que j’avais au fond de moi depuis longtemps. Après Touristes j’avais un projet de film que je voulais faire mais ça prenait beaucoup trop de temps à se mettre en place niveau production, c’était un gros projet et donc ce n'était pas facile de trouver le budget vu que je n’avais pas vraiment d’expérience significative comme réalisatrice, à part un court-métrage. Alors il y a eu un autre projet plus simple et moins risqué au niveau du financement où j’ai pu disposer d’un petit budget avec lequel je pouvais faire ce que je voulais : et c’est devenu Prevenge. J’ai voulu proposer le scénario à un autre réalisateur qui m’a répondu que c’était trop sombre pour lui qui faisait plutôt des comédies romantiques. Il a adoré le script mais il m’a dit qu’il ne saurait pas le mettre en image et qu’il fallait que ça soit moi qui le réalise, que j’étais la meilleure personne pour en faire un bon film. A ce moment-là ce n’était pas mon projet de le réaliser parce que j’étais enceinte, j’avais beaucoup de choses à gérer et je pensais que c’était idiot de me rajouter ça en plus. C’était pourtant évident que le réaliser était la bonne décision. J’étais tellement prête depuis longtemps à réaliser un film que je pouvais faire n’importe quel film, et surtout celui-là vu le contenu de l’histoire. Comme c’était un petit budget on pouvait éventuellement se permettre de stopper le tournage une journée si j’étais malade, ou on pouvait reporter si mon bébé arrivait plus tôt que prévu. Finalement le tournage a été prévu au moment vers mon septième mois de grossesse, j’ai tourné le film en 11 jours et tout c’est très bien passé.

"Il va y avoir du sang!"

EN : Il y a plusieurs scènes de violence graphique dans le film : comment trouver l’équilibre entre montrer un peu de sang, beaucoup de sang, vraiment beaucoup de sang, est-ce que vous vous êtes fixé des limites pour les images violentes ?
Alice Lowe : Comme c’était un petit budget j’avais une complète liberté, et donc aucune limite au niveau de la violence. J’aurais voulu encore plus de scènes sanglantes d’une certaines manière mais on n’avait pas le temps. Préparer le sang et les blessures ça prend environ 2 heures, tout a été fait pour de vrai devant la caméra avec quelques pompes de faux sang et du maquillage, bref les effets spéciaux sanglants on les a fait en direct. Pour certains plans j’ai trouvé que ça ne faisait pas assez et pour que ça fasse plus il y a eu après un petit peu de post-production avec des effets numériques, mais très peu. Je ne me suis fixée aucune limite, d’ailleurs être enceinte c’est aussi à propos de ça : il va y avoir du sang! Souvent au cinéma un accouchement c’est quelqu’un qui attend dans une autre pièce et on entend des cris mais on ne voit rien, je voulais qu’on voit du sang pour ce moment. Le film se devait presque de montrer du sang pour les différentes victimes, il s’agit d’exprimer qu’une grossesse est quelque chose de dangereux. Une grossesse ce n’est pas quelque chose de doux et mignon avec des fleurs, c’est quelque chose qui transforme le corps. La grossesse c’est la destruction d’une identité et en même temps la création d’une nouvelle identité, et c'est ça que je voulais montrer de manière drôle et à la fois effrayante.

EN : Prevenge a été sélectionné à Dinard parmi les films en compétition, alors que ce type de film est souvent catalogué en séance spéciale ou en séance de minuit ?
Alice Lowe : C’est un formidable honneur d’être en compétition à Dinard, c’est valorisant d’être pris au sérieux. J'adore les films de genre comme l'horreur ou le fantastique et ça ne me dérange pas d’être programmée en séance nocturne, mais c'est bien aussi d'être en compétition avec des films qui n'ont rien à voir. Déjà Prevenge avait été choisi par la Semaine de la Critique à Venise. Nous étions ravis. Je crois que le festival de Dinard est très ouvert à promouvoir autant des comédies que des nouveau auteurs. Dinard semble très en avant-garde d’une certaine manière. Je suis très surprise des réactions des festivaliers : ici le public est très curieux et avide de nouvelles expériences cinématographiques. Quand j'ai appris que j'étais dans la compétition, ça a été: 'ouah vraiment ? oh, c'est fabuleux'. Vous savez c’est un premier film fait en onze jours avec un petit budget, alors on n’imagine pas être en compétition avec d’autres projets qui ont eu des budgets bien plus gros et des acteurs plus connus. C’est très flatteur pour ma première réalisation, une belle surprise.

"Ça serait dommage que le film soit découvert sur Netflix et en vidéo à la demande, je sais que c’est une possibilité mais je veux qu’il soit vu dans une salle de cinéma."

EN : Si quelqu’un vous dit que Prevenge est un des films favoris pour une récompense ?
Alice Lowe : C’est très gentil ça. On a une expression en Angleterre qui dit 'don't count your chickens before they're hatch' (ndr équivalent chez nous de 'ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué'). Tout ce qui se passe depuis que ce film est terminé est une surprise, chaque fois que l’on reçoit une bonne nouvelle de ce genre on est étonné. C’est un film qui m’est très personnel à propos de ma grossesse. Comment l’esprit d’une femme vit cette expérience, et je ne m’attend pas à ce que quelqu’un comprenne ça. Que beaucoup de gens apprécie et aime mon film c’est vraiment une agréable surprise. Tout ce qui arrive au film c’est comme avoir du sucre glace en plus sur le gâteau, si on gagnait un prix ça serait une cerise sur le gâteau mais on est déjà très content avec le gâteau.

EN : Quelque chose est prévu pour une distribution en France ?
Alice Lowe : Pas encore, on est toujours en discussion avancées avec des distributeurs anglais et des distributeurs américains qui sont très intéressés, on va voir pour la France et d’autres pays aussi. Quand le festival de Venise a annoncé avoir sélectionné notre film pour septembre, il était tout juste terminé. En fait il n’y a pas encore grand-monde qui a vu le film pour le moment, les gens du business en Angleterre ne l’ont pas encore vu ni même d'ailleurs certaines personnes de l’équipe (le film sortira le 10 février 2017 au Royaume Uni, ndlr). On est plutôt optimiste pour qu’il y ait une sortie en France. Ce que je veux dire c’est qu’on a vraiment fait ce film pour qu’il soit vu dans une salle de cinéma, en post-production avec le montage on a apporté un grand soin au sound-design pour un public de cinéma. Ça serait dommage que le film soit découvert sur Netflix et en vidéo à la demande, je sais que c’est une possibilité mais je veux qu’il soit vu dans une salle de cinéma. En tant que cinéaste la salle de cinéma c’est le but, on se souvient toujours de certaines expériences ou émotions ou rires lors dune projection dans une salle avec du public.

EN : Au Festival Britannique de Dinard on peut vous voir participer à deux autres films comme comme actrice : Chubby funny et Adult life skills qui sont aussi des premiers longs-métrages ?
Alice Lowe : Après avoir joué dans Touristes il y a beaucoup de gens dans l’industrie du cinéma qui ont vu et adoré ce film, et qui ont su que j’étais ouverte à participer à d’autres projets équivalents. J'étais amie avec Rachel Tunnard, je savais qu’elle était talentueuse, et quand elle a réalisé donc Adult life skills j’y ai fait un petit rôle dedans avec plaisir. Pour Chubby funny je connaissais un peu le producteur avant, le cinéma indépendant anglais est un petit monde. C’est un peu une coïncidence que je sois dans ses deux films et qu’ils soient là à Dinard en même temps que mon film Prevenge. Je me sens chanceuse que le public de Dinard puisse les voir en même temps, mais pour ce qui me concerne c’est des petits rôles où on ne me reconnait pas forcément.

Dinard 2016 – Victoria Bedos: « les scénaristes, c’est un peu la dernière roue du carrosse » en France

Posté par kristofy, le 30 septembre 2016

© christophe maulave / ecran noirElle est l'une des pétillantes membres du jury du 27e Festival du film Britannique de Dinard. Durant une pause entre deux films, le jury s'est rendu disponible pour évoquer aussi bien le festival, le cinéma britannique tout comme leur cinéma. L'occasion d'une rencontre en tête à tête avec Victoria Bedos, les yeux dans les yeux.

Ecran Noir : Comment se passe cette expérience de jury franco-britannique ?
Victoria Bedos : C’est la première fois que je suis jurée et j’ai beaucoup de chance avec ce jury de Dinard. Je m’entend hyper bien avec les meufs, on n’arrête pas de papoter entre gonzesses, Jalil Lespert je ne le connaissais pas bien et on s’entend très très bien aussi, pareil avec James D'Arcy. Comme on est un jury franco-britannique, les Français parlent en anglais plutôt que l’inverse évidemment. Moi j’ai un anglais qui n’est pas hyper bon ce qui fait que je dois attendre d’être un petit peu pompette pour oser parler aux jurés anglais. J’ai l’impression que les jurés britanniques ont un regard un peu plus dur sur leur propre cinéma que les jurés français. Forcément pour nous, c’est plus exotique. Je pense que ça va être très drôle les délibérations.

EN : On dit souvent que les acteurs britanniques sont les meilleurs du monde, qu'ils sont toujours extraordinaires, il y aurait quelles différences avec les acteurs français ?
Victoria Bedos : Pour nous français on est devant ces acteurs qui ne parlent pas notre langue, et je crois qu’on est plus critique avec ceux qui parlent notre langue. C’est vrai que chez les acteurs anglais, il y a une sorte de naturel chez eux, on ne les sent jamais vraiment jouer, on a l’impression qu’ils ne savent même pas qu’il y a une caméra qui les filme. Chez les acteurs français parfois on sent que c’est joué, que c’est forcé et que ce n’est pas vrai, on remarque plus l’effet. Je crois que chez les Anglais il y a un apprentissage peut-être différent dans les écoles de théâtre...

EN : ...comme jouer une autre version de soi-même avec votre film Vicky ?
Victoria Bedos : Vicky je l’ai écrit et je joue le rôle principal, mais je n’aurais pas pu le réaliser comme l’a fait Denis Imbert. Avec ce scénario, j’ai adoré continuer l’écriture avec le corps. Tout d’un coup le personnage que j’avais dans la tête et qui me parlait depuis longtemps, j’ai dû l’incarner, et c’est magique parce que c’est comme si je terminais ce travail d’écriture physiquement. Ce prolongement ça m’avait manqué sur le film de La famille Bélier en rendant le scénario, qui est devenu au final la vision de quelqu’un d’autre. Là c’est agréable que j’incarne le personnage moi-même, ça me permet de garder une sorte d’emprise dessus, d’y mettre encore plus ma petite musique en tant que comédienne.

EN : Durant la cérémonie d’ouverture de ce festival de Dinard la marraine, Rebecca O'Brien a rappelé que c’était l'un des rares festival où le métier de producteur est mis en avant. Et pour la place des scénaristes ?
Victoria Bedos : C’est vrai qu’à la cérémonie des César, j’ai été assez étonnée: toute l’équipe de La famille Belier était au troisième rang, et moi qui avait écrit le film avec Stanislas Carré de Malberg, on était tout au fond de la salle, avec d’autres scénaristes d'ailleurs. J'ai découvert que souvent les scénaristes, c’est un peu la dernière roue du carrosse en terme de considération, on est beaucoup moins bien payé, alors que sans nous il n’y a pas de film ou presque. Ce que je veux dire c’est que dans le budget d’un film il n’y a souvent pas grand-chose pour le développement de son écriture. Aux Etats-Unis les auteurs sont beaucoup plus mis en avant, ils ont une place plus primordiale. Je crois que en France vers la fin de la Nouvelle Vague il y a eu cette idée que les auteurs et les réalisateurs étaient la même personne alors que ce sont deux métiers différents. Moi j’adore écrire, mais j’adore jouer aussi. Là où je suis vraiment très heureuse c’est d’avoir trouver mon équilibre avec ces deux métiers.

EN : Si vous pouviez tourner avec n'importe quelle personnalité britannique, ça serait qui ?
Victoria Bedos : Je dirais Clive Owen ! J’ai vu Le fils de l’homme il y a une semaine et ça m’a vachement marqué. Il dégage une putain de virilité, il est à la fois sensible et fort, c’est un vrai mâle. On manque un peu d’acteur viril comme ça en France. Moi j’ai un petit côté masculin, alors ça me plait quand il y a un vrai mec en face, car, du coup ça me féminise. Avoir un partenaire avec un peu de brutalité masculine en lui, ça permet de me fragiliser.

EN : Quel est votre film britannique de chevet ?
Victoria Bedos : Love actually. Déjà c’est un bijou de scénario, l’histoire est tricotée de manière incroyable. Le montage est dingue aussi avec un sens du rythme super en passant d’une histoire à l’autre et qui se mélange les unes aux autres. Justement je suis en train d’écrire un scénario pour un film choral, mais je ne sais pas ce que ça deviendra. Pour moi c’est le principe de la mayonnaise, tous les ingrédients se mélangent dans une danse effrénée. Love actually aussi parce que je suis une midinette, j’adore les comédies romantiques anglaises qui mélangent l’amour et l’humour. Ce n’est pas juste une comédie: il y a aussi du drame. J’adore quand on mélange les genres en fait, c'est un peu ce qu’on appelle la comédie italienne, et ils savent vraiment très bien faire ça en Angleterre.

EN : Et pour votre film britannique préféré en tant que membre du jury ?
Victoria Bedos : Si j’ai un gros coup de cœur je vais tout faire pour que mon petit protégé soit défendu et récompensé. Après on se confronte quand-même au principe de la subjectivité. Moi je n’ai pas eu les mêmes expériences que les autres jurés comme Anne Parillaud ou que Claude Lelouch donc forcément on a des regards et des goûts qui sont différents. Par exemple, la violence je trouve que c'est merveilleusement bien fait au cinéma mais ce n‘est pas mon style, ça me fait du mal parce que je suis très sensible. On a vu des films très différents les uns des autres en compétition. C’est ça qui est chouette en tant que jurée, on part au combat, il faut convaincre les autres que son film préféré est le meilleur.

Jeff Nichols (Midnight Special): « Je demande à mon public de croire fortement à mes histoires »

Posté par vincy, le 16 mars 2016

jeff nichols au louxorEn compétition au dernier Festival de Berlin, le très spielbergien Midnight Special sort sur les écrans ce mercredi 13 mars. Lors de l'avant-première au cinéma Le Louxor à Paris, son réalisateur Jeff Nichols a répondu à une série de questions autour de son film et de son rapport au cinéma.

Naissance

"Ce n'est qu'après la naissance de mon fils que j'ai voulu comprendre ce qui allait m'arriver, ce qu'allait être ma vie. Take Shelter est le film d'un homme qui va être père, qui est protecteur. Midnight Special est le film d'un homme qui est déjà parent. La question est de savoir qui est mon enfant. Et pour moi, ce n'est le contrôler mais l'écouter."

Essence

"Ce n'est pas la foi ou le dogme religieux. C'est la foi en son enfant. C'est croire en cette personne en devenir. Il y a dans Midnight Special trois croyance: les parents envers l'enfant, la secte envers un messie et les autorités vis-à-vis du danger. C'est ce qui motive leurs actes."

Quête de sens?

"Midnight Special est un film de drive-in du samedi soir."

Définition

"Le genre, ce n'est pas un gros mot. C'est un archétype pour structurer une narration. Ça sert aussi à faire comprendre son projet aux studios et à ceux qui vont financer le film."

Audience

"Je demande à mon public de croire fortement à mes histoires. C'est pour ça que j'introduis autant de fausses pistes, notamment au début du récit. Le public est très intelligent. Il n'a pas besoin qu'on lui explique tout. C'est une façon de faire du cinéma que de jouer avec le spectateur. La seule chose sur laquelle je ne triche pas c'est cette relation entre les parents et le fils."

Direction

"La fin du film était toujours très claire dans mon esprit. Pour moi, il était important de montrer quelque chose. Le film retient tellement tout et montre tellement peu qu'il fallait quand même exposer, satisfaire une curiosité. Je sais, à travers les screen-tests, que le public veut en voir plus. Tant pis su le public ne suit pas. Moi c'est ce que je voulais montrer. Je n'ai pas pris de précaution avec mes histoires en pensant au budget. Take Shelter a été fait pour 800000$. Celui-ci a coûté plus de 18 millions de $".

Influences

"Je souhaitais que ce film ressemble au premier Terminator, qui est neveux, resserré, unique en son genre. Mes autres influences se sont les premiers films que j'ai vu au cinéma: Rencontres du troisième type, Starman, E.T., les Goonies, Les dents de la mer... Ce sont peut-être de meilleures références que Terminator... A cette époque, je ne savais pas ce qu'était le cinéma indépendant..."

Influence (supposée)

"Je ne pense pas que je sois influencé par Terrence Malick. Je n'ai pas de voix off et ma narration est plus classique. Notre lien est sans doute dans le rapport à la nature. C'est d'ailleurs la seule chose à laquelle je crois. La nature c'est la vérité. Même le surnaturel, le garçon comme les phénomènes, sont très naturels".

(In)cohérences

"L'histoire se déroule de nos jours mais je n'aime pas le présent. Je n'aime pas les téléphones mobiles et je déteste les films où on se parle avec ces téléphones. Donc j'ai écrit des personnages qui n'en ont pas. Ainsi, Adam Driver, qui travaille dans la très technologique NSA, est complètement analogique. Il prend des notes sur du papier."

Shannon, Edgerton, Driver

"J'ai écrit ce film pour Michael Shannon. C'est mon double et vous pouvez en conclure que j'ai une très étrange opinion de moi-même. Ce sont des échos et des reflets de ma vie. Michael fait de moi un bon metteur en scène, mais surtout un meilleur scénariste. Sur le plateau, on ne se parle presque jamais. Il a une compréhension innée de ce que je demande. Dans les scripts, je retire tout ce qui est en trop, ce qu'il peut traduire par son jeu."

"Dans Midnight Special, Michael Shannon est le personnage principal mais ce n'est pas un héros. Et Joel Edgerton est le pragmatique, celui auquel peut s'identifier le public."

"Adam Driver est le plus grand comédien que je connaisse et il sera le plus célèbre, et pas seulement à cause de Star Wars".

Amy Berg: « Janis Joplin est devenue autant un symbole féministe qu’une légende musicale. »

Posté par kristofy, le 5 janvier 2016

Janis, documentaire d'Amy Berg, est le portrait de l’une des artistes les plus impressionnantes et une des plus mythiques chanteuses de rock et de blues du XXe siècle. Mais elle était bien plus que cela : au-delà de son personnage de rock-star, de sa voix extraordinaire et de la légende, c'était une femme sensible, vulnérable et puissante. Le documentaire est l’histoire d’une vie courte, mouvementée et passionnante qui changea la musique.

Ecran Noir : Une des premières question du film à Janis Joplin est ‘pourquoi est-ce que tu chantes’, de la même façon pourquoi ce documentaire à propos de Janis Joplin ?
Amy Berg : En fait, je voulais faire ce documentaire depuis longtemps, depuis 8 ans environ. Je pense que Janis Joplin est l’une des femmes les plus inspirantes de notre temps. Je me sens profondément connectée à sa musique, elle chante d’une façon très particulière qui semble unique. J’ai toujours pensé que l’histoire de sa vie et des ses luttes serait un film très intéressant à faire au regard de la Femme d’aujourd’hui. Il y a aussi cette sorte de mythologie du ’club des 27’ avec ces musiciens morts à 27 ans comme Jim Morrison, Jimi Hendrix, Kurt Cobain, Amy Winehouse… Je crois qu'il y a un héritage différent selon les chanteurs ou chanteuses. On se souvient de ces chanteurs davantage pour leur talents de musiciens, pour leur groupe, pour ce qu’ils ont apporté de nouveaux ou de différents à la musique. Pour ces chanteuses je crois qu’on a d'abord en tête la cause de leur mort par overdose dans une chambre. Une autre raison de faire ce film était justement de ne pas relier Janis Joplin à l’usage de drogue. Janis a eu des expériences très fortes avec le fait d’être sur scène, avec le fait d’être célèbre et d’avoir des fans. Janis a eu beaucoup d’expériences heureuses dans sa vie autant en amour qu'en musique, et il faut que ça soit tout ça dont les gens doivent se souvenir.

EN : On découvre les débuts de Janis qui va s’imposer comme la leader de son groupe de musique composé d’hommes…
Amy Berg : Janis a voulu évoluer aussi vite que possible dans l’industrie musicale, qui est un univers dominé par les hommes et qui l’était encore plus durant les années 60. Très vite Janis a su attirer et captiver un public qui venait que pour elle, de fait les autres musiciens se sont retrouvés relégués à un second plan : le groupe disparaissait presque derrière ses performances à elle. Janis chantait avec son cœur de telle manière qu’il n’y ait plus de barrière entre elle et le public, il y avait presque communion. Elle est devenue quasiment la première femme star du rock.

EN : Le film semble progresser à la façon de chapitres rythmés par la lecture d’extraits de lettres de Janis Joplin, d’où viennent ces lettres ?
Amy Berg : Janis avaient écrit beaucoup de lettres à sa famille, surtout aux débuts de sa carrière. En préparant ce film j’ai pu voir ces lettres, Janis y raconte beaucoup de choses sur elle-même que personne ne savait. C’était important pour moi de montrer qu’elle avait aussi une personnalité douce et vulnérable en dehors de la scène, alors qu’elle s’impose puissante sur scène. J’ai retenu en particulier de ses lettres le rapport de Janis avec la célébrité. J’ai demandé à la chanteuse Cat Power de lire des extraits de lettres en voix-off, la tonalité de sa voix à elle correspondait la vulnérabilité des écrits de Janis. Les lettres qu’elle a écrites à ses copais Peter puis David ont d’ailleurs une part importante dans le montage. Elle avait rencontré Peter lors de son premier voyage à San Francisco, il était devenu son fournisseur de drogue puis il y a eu leur projet de mariage, mais il n’est jamais venu à la cérémonie. Ce genre d’évènement qui fait un cœur brisé a aussi fait de Janis une chanteuse de blues, sa vie personnelle est liée sa vie de chanteuse. Il y a en particulier l’histoire de ce télégramme de David qu’elle n’a pas reçu et qui je crois aurait pu éviter sa mort prématurée.

EN : Pourquoi avoir choisi de réaliser ce film avec la forme d’un documentaire plutôt qu’une fiction façon biopic ?
Amy Berg : La problématique du documentaire est de se baser sur des archives, quelle qu’en soit la qualité ou la quantité, d’ailleurs pour une certaine partie de l’histoire à raconter c’était un challenge car on n’avait pas de représentation visuelle de ces moments. Par exemple la rupture qu’on vient d’évoquer entre Janis et Peter, il n'y a que une seule image de lui que j’utilise d’ailleurs à un deuxième moment. J’ai contacté la fille de ce Peter qui m’a dit qu’elle n’avait pas plus d'images à cause d’un incendie. On doit faire face à ce genre de chose, à un certain manque de ressources pour raconter un moment de l’histoire en y étant tout de même le plus fidèle possible. Quand on fait un biopic il est bien entendu possible de tout recréer avec des décors et des acteurs. La chose impossible avec un biopic c’est de remplacer la vraie Janis par quelqu’un d’autre, une actrice aurait pu l’imiter un peu mais pas sa voix et ça n’aurait pas du tout été la Janis Joplin. Il y a par exemple ce projet de film sur Nina Simone et c’est pareil : il fallait montrer des images de la vraie chanteuse et pas une actrice (ndr : What Happened, Miss Simone? au festival de Berlin 2015, visible sur Netflix). Janis Joplin était une telle nature et une telle voix unique qu’il était impossible pour moi d’envisager une actrice.

EN : En quoi la vie de Janis des années 60 est-elle exemplaire pour le spectateur d’aujourd’hui ?
Amy Berg : Il y a eu des comparaisons entre mon film et le documentaire sur Amy Winehouse (ndr : Amy au festival de Cannes 2015, en salles le 8 juillet dernier, favori pour l'Oscar du meilleur documentaire) parce qu’il s’agit de deux femmes chanteuses très populaires et mortes à peu près de la même façon au même âge. C’est très différent pour Amy Winehouse qui a eu un rapport terrible avec la célébrité, elle détestait la façon d’être traquée par les médias, et elle a foiré plein de concerts. Pour Janis Joplin c’est très différent, elle aimait vraiment chanter en concert, la scène c’était communiquer avec ses fans, elle appréciait les choses bénéfiques de la célébrité. Janis c’était une tout autre génération où ce qui était souhaitable pour une femme à cette époque était par exemple de devenir une institutrice, une femme au foyer, fonder une famille, mais pas du tout chanteuse. En fait la célébrité et devenir une star était un moyen de faire accepter ce choix de vie dans la musique. A l’époque de Janis la célébrité était presque une nécessité, comme pour obtenir confirmation de son talent. A notre époque une célébrité surexposée comme Amy c’est plutôt un fardeau. Depuis les années 60 c’est Janis Joplin qui a planté un drapeau dans le monde de la musique pour les femmes. Elle a ouvert la porte pour d’autres chanteuses fortes et indépendantes qui allaient arriver après : Pink, Courtney Love, Linda Perry, Juliette Lewis, Amy Winehouse, Lana Del Rey… Janis Joplin est devenue autant un symbole féministe qu’une légende musicale.

Sophie Barthes (Madame Bovary) a deux projets en préparation

Posté par cynthia, le 4 novembre 2015

Dans un entretien à Ecran Noir, la réalisatrice de Madame Bovary, Sophie Barthes, évoque son prochain projet. "J'ai envie de faire des films sur des personnages féminins forts!" explique-t-elle et elle le confirme avec l'envie d'adapter Edith Wharton (Le temps de l'innocence que Martin Scorsese a adapté dans les années 90 avec Daniel Day-Lewis et Michelle Pfeiffer).

"Custom of the country (Les beaux mariages en français) dresse le portrait d'une femme complètement barrée qui divorce quatre fois, que rien n'arrête et à l'ambition dévorante. C'est super! C'est une satire très drôle du capitalisme et de la naissance de Wall Street" s'emporte la jeune cinéaste

"Nous sommes en train de «caster» une grande actrice et je ne peux rien dire (rires). Mais d'ici quelques semaines je pense que ce sera bon. En tout cas, ça va être génial, c'est un peu comme Gatsby, le magnifique mais version féminine."

Elle a aussi, de manière plus aboutie, dans ses cartons un "biopic" sur le couple Rosenberg. "Ethel Rosenberg a fini sur la chaise électrique...c'est très rock'n'roll (rires)! Mais c'est une belle histoire, un peu comme une tragédie grecque. Elle doit choisir entre ses enfants et son mari...elle choisi son mari pensant jusqu'au dernier moment qu'elle sera innocenté et en faite elle va à la chaise électrique comme son mari. Il y a deux semaines, ses enfants ont réussi à la faire exonérer ce qui nous amène à penser qu'elle n'était pas du tout espionne mais plutôt un sacrifice. C'est Elisabeth Moss (Mad Men, Top of the Lake) qui incarnera le rôle d'Ethel. Ce sera un donc un portrait de femme forte, une héroïne de tragédie qui jusqu'au bout est fidèle à elle-même et à ses valeurs."

Rencontre avec Peter Greenaway : « Personne ne se plaint que Michel-Ange ait fait de la propagande ! »

Posté par MpM, le 5 juillet 2015

eisensteinA l'occasion de la sortie de Que viva Eisenstein ! mercredi prochain, nous avons longuement rencontré le réalisateur Peter Greenaway pour une conversation à bâtons rompus sur Sergueï Eisenstein, le cinéma de propagande, la mort et l'avenir du cinéma. Petit avant-goût de ce long entretien avant sa publication mercredi, avec l'anecdote favorite de Greenaway à l'égard d'Eisenstein, qui l'amène à expliquer pourquoi il n'a pas désiré faire un biopic classique.

greenaway"Il y a une anecdote que l’on répétait souvent sur le tournage et qui figure dans le film. Lorsqu’Eisenstein est arrivé à l’aéroport de Rotterdam, il y a avait une foule compacte de journalistes qui l’attendaient. Mais quand ils l’ont vu, ils ont semblé très déçus : ils attendaient Einstein !

Biopic... non conventionnel

Donc, on peut se demander dans quelle mesure le grand public d'aujourd'hui connaît Eisenstein…  Mais est-ce que cela signifie que, moi, je dois éduquer les spectateurs ? Dois-je dire : voilà, c’est Eisenstein. Il est né tel jour, à tel endroit, etc.

D'une part ce serait assez barbant, mais en plus, à notre époque, les gens peuvent facilement trouver toutes les informations qu’ils souhaitent sur Eisenstein !

J’imagine que d’une certaine manière, c’est un biopic, mais un biopic très peu conventionnel. Je n’ai pris qu’une toute petite partie de sa vie, ces dix jours où il est loin de ses centres d’intérêt, de Staline, loin du matérialisme dialectique… et je pense que vous serez d’accord avec moi : quand on voyage à l’étranger, on devient une autre personne. Pas forcément de manière aussi dramatique, mais on gagne une certaine forme de liberté. On commence à voir notre pays d’origine différemment.

Par ailleurs, nous avons beaucoup joué, eisenstein 2dans Que viva Eisenstein !. Nous avons beaucoup cité ses films : des séquences célèbres d’Octobre et du Cuirassé Potemkine, à plusieurs reprises. C’est un peu ironique, aussi.

Car si vous êtes étudiant en cinéma, vous faites une orgie d’Eisenstein. Vous devez être attentif, tout regarder dans les moindres détails. Ca a un petit côté "allez, c’est reparti, tiens, les escaliers d’Odessa", etc. On voulait jouer avec cette idée-là aussi.

Propagande, vous avez dit propagande ?

eisensteinBien sûr, c’est un problème : est-ce que les gens ont assez de connaissances sur Eisenstein pour comprendre pleinement ce qu’on fait ? Le film est sardonique, il est critique envers le cinéma de propagande, envers le cinéma de propagande soviétique.

Lénine pensait que le cinéma était absolument idéal pour la Russie car 95% de la population russe était illettrée à l’époque. Donc faire du cinéma de propagande était primordial. Staline l’a compris lui aussi bien sûr, et l’a encouragé à outrance.

Mais vous savez, il y a une chose étrange au sujet de la propagande. J’ai été particulièrement irrité quand les gens ont rejeté Eisenstein en disant : "c’est de la propagande soviétique". Mais la chapelle Sixtine de Michel-Ange est de la propagande pour le catholicisme !!! Personne ne se plaint que Michel-Ange ait fait de la propagande !"

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Pour aller plus loin

- n'oubliez pas de participer à notre jeu concours et gagnez des places pour Que viva Eisenstein !

- lisez notre pré-critique du film lors de sa présentation au Festival de Berlin 2015

Champs-Elysées Film Festival 2015 : rencontre avec Zita Hanrot pour Fatima de Philippe Faucon

Posté par MpM, le 15 juin 2015

fatimaParmi les avant-premières proposées par le Champs-Elysées Film Festival 2015 se trouvait Fatima, petite pépite du réalisateur Philippe Faucon qui a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs lors du dernier festival de Cannes.

Librement adapté de Prière à la lune de Fatima Elayoubi, le film raconte une année dans la vie de Fatima, femme de ménage discrète et travailleuse qui s'occupe seule de ses deux filles et souffre au quotidien de sa maîtrise malhabile de la langue française. Avec une brillante économie d'effets, Philippe faucon raconte la honte et la fierté, l'envie de réussir et la peur d'échouer, la jalousie et la bienveillance qui se disputent le quotidien de Fatima et de ses filles.

A travers la voix vibrante de ce très beau personnage principal qui écrit ses pensées les plus intimes en arabe sur un cahier d'écolière, le film rappelle qu'aucune société ne peut faire l'impasse sur "ses Fatima" parce que ce sont elles qui font tourner le monde. Sans angélisme mais avec beaucoup de respect et d'émotion, Philippe Faucon dresse ainsi le portrait digne d'une femme tout en rendant hommage à toutes celles qui s'activent en secret dans les coulisses de nos existences : femmes de ménage, assistantes maternelles, caissières...

Autour de l'exceptionnelle Soria Zeroual Zita Hanrotqui incarne Fatima, on retrouve deux jeunes actrices formidables : Zita Hanrot, la fille aînée, étudiante acharnée, et Kenza Noah Aïche, la fille cadette, rebelle et révoltée. Zita Hanrot (que l'on avait jusqu'à présent aperçu dans de petits rôles pour François Ozon ou Mia Hansen-Love) était présente à l'issue de la projection de Fatima pour livrer quelques secrets de tournage.

Au sujet de Soria Zeroual

"Philippe Faucon a trouvé Soria Zeroual à Lyon après des mois de casting sauvage. Ca a pris beaucoup de temps. Elle ne voulait même pas passer les essais... Finalement elle a accepté... et elle a bien fait !"

Au sujet de son travail d'actrice sur Fatima

"Le travail avec Philippe Faucon est compliqué car il demande d'enlever tout ce qui est fabriqué. En tant qu'acteur, on a des réflexes, mais lui demande d'épurer le jeu. Pour moi, sur le tournage, cela nécessitait beaucoup de prises. C'est très exigeant comme travail mais ça apprend énormément. C'est intense. Philippe a l'exigence que le film n'aille jamais vers le pathos. Il n'y a ni cris ni hystérie. Ca laisse au spectateur la place d'être ému. Le regard qu'il porte sur ses personnages ets ainsi très juste, très tendre. Ce n'est jamais de la caricature."

Au sujet de Fatima Elayoubi

"Je l'ai rencontrée la veille de la présentation à Cannes. C'est une femme très forte et très courageuse. Elle était très émue et fière. En plus, je joue sa fille à l'écran... Elle était contente. Le film lui a beaucoup plu. "

Zoriah Miller, photographe de guerre: « Juliette Binoche est vraie, c’est une vraie professionnelle »

Posté par cynthia, le 12 mai 2015

Très occupé par son travail de photographe spécialisé dans l'humanitaire, c'est par mail que nous avons eu la chance d'échanger avec Zoriah Miller, célèbre photographe de guerre qui a coaché Juliette Binoche sur le tournage du film L'Épreuve (en salles depuis mercredi).

Écran Noir: Comment êtes-vous arrivé à ce travail de photojournaliste?
Zoriah Miller: C'est une histoire assez longue mais voici la version condensée: après la fac, j'ai dirigé un petit magasin de disque à l'est de la ville de New York. J'adorais ce job mais je voulais vraiment trouver une profession qui me permette de voyager, de vivre des aventures, de l'excitation et aussi d'aider les plus démunis. Le 11 Septembre, j'ai été très proche des tours jumelles du World Trade Center, à New York, et cet évènement m'a réellement affecté.
J'ai donc passé un an et demi à étudier la gestion des catastrophes et l'aide humanitaire dans les pays en développement. Je me suis retrouvé à travailler durant une courte durée avec La Croix Rouge mais j'ai vraiment détesté. Je ne savais pas combien de paperasserie et de bureaucratie étaient impliqués et ce n'était tout simplement pas quelque chose que je pouvais traiter.
J'ai acheté un appareil photo d'occasion et un billet d'avion, puis je me suis documenté sur les catastrophes dans les pays du tiers monde, dans l'espoir d'ouvrir les yeux de l'occident sur la souffrance qui se passe dans le monde. Mon champ a rapidement été élargi. Je suis passé des catastrophes aux questions sociales telles que le SIDA, les orphelins, la pauvreté et enfin la guerre.

EN: Racontez-nous une journée type?
ZM: Et bien, ma journée la plus type n'est pas du tout type. Un jour je peux me réveiller dans une tente dans un camp de réfugiés et trois jours après dans un superbe hôtel à préparer mes conférences universitaires. Il y a peu de constance dans ma vie mis à part les aéroports où je passe une grande partie de ma vie. Je travaille normalement dans environ 20 pays par an. Je passe le reste de mon temps à voir ma famille entre deux avions. Je prends beaucoup de photos, je passe beaucoup de temps sur mon ordinateur et j'enseigne cinq à six fois par an à l'université.

EN: Comment avez-vous dirigez Juliette Binoche sur le tournage?
ZM: J'ai passé beaucoup de temps à discuter avec Juliette Binoche avant de la rencontrer sur le tournage. Nous avons passé de nombreuses heures au téléphone et elle était désireuse de comprendre ma vie, mon travail et ma lutte. Le premier jour au Maroc nous sommes sortis dans la rue pour photographier des personnes réelles dans des situations réelles. Je pensais que ça devait être important pour elle de ressentir ce que c'est de soulever un appareil face à un étranger. J'étais sur le tournage tous les jours afin de répondre à ses questions et lui montrer comment je pouvais gérer un certain type de situation dans la vie réelle. Nous nous rencontrions le soir après le tournage afin de discuter davantage.
Juliette a été au-delà d'une simple interprétation. Elle est vraie, c'est une vraie professionnelle. Elle comprends comment utiliser un appareil mieux que n'importe quel professionnel lorsque nous avons commencé à tourner. Chaque détail était important pour elle et c'est pour cela que le film est aussi bien et réaliste.

EN: Quel est le meilleur, le pire de votre travail?
ZM: Je pense que le meilleur dans mon travail, ce sont les expériences que j'ai pu avoir. De plusieurs façons, mon travail a été mon passeport pour voir et pour comprendre des choses que je n'aurais jamais pu imaginer. J'ai été assez chanceux pour rencontrer des gens incroyables et voir des choses magnifiques. Je ne pense pas que j'ai raté quelque chose dans ma vie.
Mais c'est aussi l'une des pires choses de ce travail. J'ai vu des choses que j'aimerais oublier mais que je ne peux pas oublier. J'ai vu certaines choses que personne n'a pu voir et de ce fait, cela créer un fossé entre les gens et moi. Parfois, je sens que j'en ai trop vu.

EN: Voudriez-vous faire un film sur votre vie?
ZM: Non, ma vie me semble inintéressante... Je préférerais plutôt entendre parler de la vie des autres que de la mienne.

Vesoul 2015 : Trois questions à Wang Chao

Posté par MpM, le 18 février 2015

wang chaoEn parallèle de la vaste rétrospective de 50 ans de cinéma chinois proposé au FICA cette année, les organisateurs du Festival de Vesoul se sont tout naturellement tournés vers un cinéaste chinois de première envergure pour succéder à Brillante Mendoza dans le rôle difficile de président du jury international.

Wang Chao, dont le premier long métrage, L'orphelin d'Anyang, fut sélectionné à Cannes en 2001, était donc l'invité d'honneur de cette 21e édition, durant laquelle il a reçu un Cyclo d'or spécial. Deux de ses films récents (le polar intime Memory of love et le drame familial Fantasia) étaient également présentés.

L'occasion pour Ecran Noir de rencontrer ce cinéaste rare qui porte sur son pays un regard à la fois critique et chaleureux, soucieux d'en montrer fidèlement tous les contrastes.

Ecran Noir : votre cinéma est souvent le reflet de la société chinoise actuelle. Est-ce pour vous ce que représente le cinéma, un moyen de transmettre la réalité ?

Wang Chao : Je pense en effet que mes films représentent la vie en Chine. La chine évolue maintenant très vite. D'un côté, on a beaucoup de succès en tant que puissance économique. Notre vie s'améliore de plus en plus. On peut voir ça facilement dans les journaux ou à la télévision. Mais en tant que réalisateur, et en tant qu'artiste, je voudrais aussi montrer des gens qui sont ignorés par les médias. Montrer un autre côté de la Chine.

EN : Cela influe-t-il sur la manière dont vous regardez un film, notamment lorsque vous occupez comme ici le rôle de président du jury ?

WC : Non, pas vraiment. Je regarde les films sous un prisme plus artistique. Je m'attache aux films qui me touchent, et aussi quand même aux films qui sont proches de la réalité. Mais c'est le niveau artistique qui prime.

EN : Comment est né le projet du film A la recherche de Rohmer que vous avez tourné en France ?

WC : Ce film est adapté de mon roman qui s'appelle Tibet sans retour. Il raconte l'histoire de deux hommes dont un qui est mort au Tibet et l'autre qui veut aller le chercher. Pour ce qui est de Rohmer, déjà, c'est un scénariste que j'aime beaucoup. Je voulais lui rendre hommage. En plus, son film Le rayon vert raconte aussi une histoire de recherche, d'où le parallèle, même si le traitement est bien sûr complètement différent.

Photo Wang Chao : Michel Mollaret

Vesoul 2015 : rencontre avec Nilesh Maniyar, co-réalisateur de Margarita with a straw

Posté par kristofy, le 17 février 2015

nilesh« Qui voudrait sortir avec moi ? » C'est l'une des répliques émouvantes de l'un des 9 films en compétition cette année au Festival de Vesoul : Margarita with a straw co-réalisé par Shonali Bose et Nilesh Maniyar.  Le sujet a réussi à prendre par la main les spectateurs pour les toucher au coeur, avec une jeune fille qui souffre d'un handicap et qui va découvrir le désir et l'amour pour une autre femme...

Ce film est écrit et réalisé par un duo (une femme et un homme) originaire de l'Inde, pays où l'homosexualité  est toujours un délit. A noter que l’héroïne est interprétée par l'actrice Kalki Koechlin, qui avait été révélée dans les premiers films de Anurag Kashyap (avant que les suivants ne soient à Cannes) Dev.D et That Girl in Yellow Boots.

L'histoire avec ses rebondissements et ses bons sentiments nous fait partager le parcours émotionnel d'une jeune fille qui va sortir de sa solitude. C'est Nilesh Maniyar qui était présent à Vesoul pour accompagner Margarita with a straw :

Ecran Noir : L’histoire de Margarita with a straw est une idée originale de Shonali Bose inspirée de sa famille mais le scénario tout comme la réalisation ont été faits à deux. Pouvez-vous nous dire quelle est la part de vérité ou de fiction ?
Nilesh Maniyar : L’histoire a en effet été inspirée en partie par la vie de la sœur de Shonali Bose, mais tout le scénario est en fait vraiment de la fiction. Sa sœur Manili est atteinte d'une forme de paralysie cérébrale, elles ont grandi ensemble. Le film est aussi dédié à la mère de Shonali décédée quand elles étaient jeunes et aussi au jeune fils de Shonali qu’elle a perdu, la vie et la mort ont fait comme un cercle autour d’elle. Des caractéristiques du personnage principal et de sa mère sont en lien avec sa famille, mais l'histoire est une fiction.

EN : On découvre dans le film deux jeunes filles avec deux sortes de handicap, l’une est en fauteuil roulant et l’autre est aveugle, qui vivent différentes expériences dans deux pays, en Inde et aux Etats-Unis. Est-ce que tout cela a multiplié les difficultés pour réaliser le film ?
NM :
Le film n’a pas été facile à mettre en route parce que notre histoire ne s’appuie pas sur des problèmes liés à des handicaps mais beaucoup plus sur les émotions des personnages. La chose importante était de ne pas traiter des deux filles comme des personnes handicapées mais de regarder ces deux personnages de filles comme égales aux autres. Avec ce film on a voulu donner comme des lunettes aux spectateurs pour regarder le monde ainsi. Pour créer ce monde cela n’a pas été facile, et il fallait deux actrices très talentueuses comme Kalki Koechlin et Sayani Gupta pour que l’on finisse par oublier leur condition physique et qu’on s’attache à leur cheminement intime et personnel.

EN : Deux filles avec un handicap de deux cultures différentes et des relations homosexuelles qui sont sujet tabou en Inde, craignez-vous certaines réactions du public ?
NM :
Non seulement je n’ai pas peur de ces réactions mais je les attends. Si quelqu’un me tirait une balle dans le dos à cause de ce film je pourrais en être fier… Plus sérieusement, il temps de ne plus avoir peur de parler de certains sujets de société comme l’homosexualité ou d’autres, il est temps d’en faire des sujets de conversation. Cela concerne la personne qui est handicapée et qui ressent ces sentiments et personne ne devrait avoir à y redire, il n’y a rien de mal à ça. Il y a beaucoup de spectateurs à travers le monde qui ont aimé ce film, et des voix ont pu dire "oh enfin une histoire qui raconte nos sentiments"...

EN : Margarita with a straw est en compétition au Festival de Vesoul avec d’autres films de plein de pays très différents…
NM :
L’organisation de ce festival de films asiatiques dans cette petite ville de France qu’est Vesoul est formidable, depuis que j’ai atterri ici j’ai l’impression que les gens sont très chaleureux et que tout le monde connaît presque tout le monde. Voir tout ces gens qui remplissent les salles même le matin pour célébrer ensemble des différences culturelles, ça c'est formidable. A une séance de mon film il y a eu plusieurs dizaines de jeunes lycéens qui étaient là. Un adolescent qui est exposé à un jeune âge à une culture asiatique à travers un film de cinéma c’est quelque chose de précieux. Pour moi Vesoul a su marquer son empreinte sur une carte où tout est globalisé, il faudrait y aller chaque année. Réussir à organiser un festival comme celui-là à notre époque où tout est uniformisé est vraiment courageux et magnifique.

EN : et après Vesoul ?
NM :
A Vesoul c’était l’avant- première française pour le film, je ne connais pas encore de date de sortie pour la France. Notre vendeur international a d’ailleurs des bureaux basés en France, la société Wide Management, et ils ont fait un boulot fantastique pour la diffusion du film. Margarita with a straw devrait être distribué au Japon, en Corée du Sud, aux Etats-Unis, au Canada, en Espagne, au Mexique...

Photo Nilesh Maniyar : Michel Mollaret