Nantes 2009 : bilan et palmarès

Posté par MpM, le 2 décembre 2009

bandhobiExcellente édition pour le festival des 3 Continents qui a attiré  28 000 spectateurs en 123 séances ! C’étaient en effet 76 films venus de 35 pays qui étaient présentés cette année en présence de 60 invités venus des trois continents.

Côté compétition, le jury composé de Barmak Akram (Afghanistan - réalisateur, plasticien et musicien), Paz Fabrega (Costa Rica - réalisatrice et scénariste), Bouchra Khalili (Maroc - artiste vidéaste et plasticienne, programmatrice de la Cinémathèque de Tanger), Catherine Ruelle (France - journaliste politique, critique, productrice radio), Guillaume de Seille (France - producteur indépendant) et Daniel Taye Worku (Éthiopie - réalisateur, producteur) a récompensé deux films ayant en commun une observation aiguë des manifestations de racisme dans leurs sociétés.

Bandhobi de Shin Dong-il (Corée du Sud) a reçu le Grand Prix du Festival, la Montgolfière d’Or. Le film raconte l’étrange relation se nouant entre Min-suh, une lycéenne boudeuse, et Karim, un travailleur émigré venu du Bangladesh. Avec beaucoup de subtilité et pas mal d’humour, le réalisateur (à qui l’on doit également My friend and his wife) dénonce la fermeture de la société coréenne face à tout ce qui lui est étranger, et fait de ce couple improbable un duo attachant et profondément humain.

Pas très éloigné, quoi que dans un registre diamétralement opposé, l’Indonésien Edwin Blind pig who wants to fly(lauréat de la Montgolfière d’Argent et du Prix du jury jeune) aborde la question du racisme anti-chinois en Indonésie avec Blind pig who wants to fly. Sa mise en scène ultra-maîtrisée et inventive, qui dynamite les codes traditionnels du récit, s’accompagne d’un ton radical et provocant. C’est à la fois hilarant et déroutant, décousu et efficace, violent et potache. Une œuvre qui n’a pas laissé indifférent le public nantais, et qui donne envie de suivre la carrière du jeune réalisateur dont c’est le premier long métrage.

Enfin, le prix du public est allé au seul film africain en compétition, Scheherazade, Tell me a Story de l’Egyptien Yousry Nasrallah, une œuvre éminemment politique sur un couple de journalistes confrontés au désir de dénoncer la corruption.

Nantes 2009 : voix d’Iran

Posté par MpM, le 30 novembre 2009

BassidjiPremier film en compétition au Festival des 3 continents de Nantes, le documentaire Bassidji suit le réalisateur Mehran Tamadon (un Iranien vivant en France) qui a décidé d’aller à la rencontre des "Bassidji" (les membres des forces paramilitaires iraniennes créées au moment de la guerre Iran-Irak et qui aujourd’hui font partie des Gardiens de la Révolution islamique) pour tenter de comprendre leur point de vue. Derrière et devant la caméra se rejoue une confrontation digne de Socrate et de ses grands amis les Sophistes.

Si ce n’est qu’à la différence de son illustre prédécesseur,  Mehran Tamadon ne parvient ni à mettre ses adversaires face à leurs contradictions, ni à leur faire partager son point de vue. Aux questions concrètes de plusieurs Iraniens, posées par l’intermédiaire du réalisateur (sur le voile ou la posture d’éternelle victime adoptée par le régime), les Bassidji ne répondent pas vraiment, ou s’empêtrent dans de longs discours théoriques.

Mais peu importe, car le film vaut presque plus pour ce qu’ils ne disent pas, pour cette manière qu’ils ont de ne pas répondre aux questions qui les dérangent ("Ce n’est pas logique", s’emportent-ils. Ou alors : "On s’écarte du sujet"), que par leurs propos, forcément propagandistes. On loue le courage et l’intelligence du réalisateur qui a fait l’effort de provoquer ce débat et d’offrir ainsi un regard intérieur sur une réalité très prégnante du pays.

 Iran et sexualité

Comme en écho, au Lieu unique de Nantes, une installation vidéo est consacrée à l’artiste iranienne Mitra Farahani. Elle aussi vivait en France jusqu’à il y a peu. En juin Tabousdernier, elle a été arrêtée à Téhéran dès sa descente d’avion, maintenue deux semaines en détention puis libérée suite à la mobilisation internationale. Depuis, elle jouit d’une relative liberté mais ne peut pas quitter le territoire, et n’est pas sûre de pouvoir tourner son prochain film, Le coq, écrit dans le cadre de la Cinéfondation du Festival de Cannes.

Outre quelques-unes de ses toiles, on découvre dans cette exposition plusieurs de ses films. Le temps suspendu, sur la peintre iranienne Bejat Sadr. Juste une femme, un documentaire suivant une transsexuelle prostituée à Téhéran. Et Tabous, sorti en France en 2004, enquête gonflée sur le rapport secret que la société iranienne entretient avec la sexualité. Comme son compatriote Tamadon, Mitra Farahani recueille la parole sans la commenter, dans un rôle "d’accoucheuse" plus que d’exégète.

On y entend toutes les voix, de la prostituée qui reste vierge ( !) dans l’optique de se marier un jour au chirurgien spécialiste de la "reconstruction" des hymens, en passant par une mère de famille vantant les mérites de la pureté ou une jeune fille (anonyme) avouant une grande liberté sexuelle. Toutes ces voix et ces points de vue mêlés forment un étonnant portrait de l’Iran d’aujourd’hui, obsédé par les lois morales qui le régissent et pourtant avide d’ouverture et de liberté, contraint et harcelé, mais pas réduit au silence. Malgré le poids des traditions, cette parole libre et audacieuse fait souffler comme un petit vent d'espoir, et apporte un contrepoint salutaire et passionnant au prêchi-prêcha des Bassidji de Tamadon.

Musée Guimet : focus sur le cinéma thaïlandais contemporain

Posté par MpM, le 31 janvier 2009

Au fil du MékongAvec son nouveau cycle "Au fil du Mékong", l’auditorium du Musée des arts asiatiques propose jusque fin juin une programmation éclectique s’intéressant à trois pays bordés par le célèbre fleuve : la Birmanie, le Laos et le Thaïlande. Si les deux premiers seront uniquement abordés sous l’angle des "rites et croyances des peuples et minorités ethniques" (les nagas birmans, le peuple karenni, le bouddhisme et les bouddhas d’or, les rites laotiens…) par le biais d’une quinzaine de documentaires, le dernier bénéficiera à la fois de cette facette thématique (les esprits, les Akhas, la fête des eaux…) et d’une exploration plus fictionnelle offrant un véritable panorama du cinéma thaïlandais contemporain.

Cette cinématographie, qui s’impose depuis une dizaine d’années comme l’une des plus originales et novatrices du monde, existe quasiment depuis l’invention des frères Lumière. Elle a connu un premier âge d’or dans les années 30 et un véritable renouveau à la fin des années 70. Mais la concurrence conjointe des films hollywoodiens et de l’essor de la télévision a réduit de manière drastique la production locale après 1981. La Thaïlande est ainsi passée de 150 films locaux par an en 1978 à seulement une dizaine au milieu des années 90.

La nouvelle vague actuelle a été initiée par trois réalisateurs de publicité (Nonzee Nimibutr, Pen-ek Ratanaruang et Wisit Sasanatieng) qui, en 1997, décident de reprendre la Blissfully yourscinématographie locale en mains en proposant une qualité artistique susceptible de séduire aussi bien les investisseurs que le public. Cela donne 2499 antapan krong muang (écrit par Wisit Sasanatieng et réalisé par Nonzee Nimibutr) et Fun Bar Karaoke (de Pen-ek Ratanaruang, Prix spécial du jury au Festival des 3 continents de Nantes), qui sont d'énormes succès au box-office thaïlandais.

Un cinéma en vogue depuis huit ans

Mais très vite, l’engouement gagne les grands festivals internationaux. En 2001, le western stylisé Les larmes du tigre noir de Wisit Sasanatieng est le premier film thaïlandais sélectionné au Festival de Cannes. Suivent Monrak transistor (Quinzaine des réalisateurs 2002) et Ploy de Pen-ek Ratanaruang (Quinzaine des réalisateurs 2007) ainsi que deux autres de ses œuvres qui reçoivent les honneurs de Venise et Berlin : Last life in the universe, présenté à la Mostra en 2003 et Vagues invisibles, en lice pour l’Ours d’or en 2006. Enfin, autre grand réalisateur révélé et porté aux nues par le Festival de Cannes, Apichatpong Weerasethakul y reçoit le prix du meilleur film de la section Un certain regard pour Blissfully yours en 2002 et le prix du jury pour Tropical malady en 2004, avant d’être l’un des jurés de la compétition officielle en 2008.

Citizen DogA noter que tous ces films figurent parmi ceux projetés à Guimet d’ici la fin du mois de juin, ce qui en dit long sur la qualité de la programmation. Ce "Regard sur le cinéma thaïlandais contemporain" offre en effet un panorama passionnant des films et des auteurs qui comptent et ont compté en Thaïlande depuis la fin des années 90, ne faisant l’impasse ni sur le courant léger et ultra-loufoque où s’inscrit par exemple la délirante comédie musicale Citizen dog, ni sur la cinématographie plus exigeante et déconcertante représentée par les longs-métrages oniriques et mystérieux d’Apichatpong Weerasethakul. L’occasion de (re)découvrir, en une douzaine de films, toute la richesse et l’inventivité de ce cinéma thaïlandais que l’on ne se lasse pas de voir venir à nous.
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Du 2 février au 24 juin 2009
Séances à 12h15 les lundis, mercredis ou vendredis selon les semaines
Programme complet et informations sur le site de l’Auditorium Guimet