#OscarsSoWhite – Face à la polémique, les Oscars se réforment en profondeur

Posté par vincy, le 23 janvier 2016

C'était l'année de trop. Un an après la polémique autour de l'absence de nominations d'Ava DuVernay, réalisateur de sexe féminin et de couleur noire, les Oscars ont du affronter une fronde médiatique sur la question ultrasensible aux Etats-Unis de la représentation des minorités (les "non blancs représentant 40% de la population américaine). C'est désormais la question qui est posée dans chaque interview. Tout le monde se doit d'y répondre: les Oscars sont-ils racistes? (lire aussi notre article du 17 janvier) Les vétérans - de Michael Caine à Charlotte Rampling - ont beau tempéré, rien n'y fait. Le hashtag #OscarsSoWhite continue de se propager. Les Will Smith, Spike Lee (pourtant Oscar d'honneur cette année) & co ont décidé de boycotter la cérémonie, qui sera d'ailleurs animée par Chris Rock, comique afro-américain qui va devoir jongler sur le sujet avec délicatesse, ou pas. Certains activistes lui ont demandé de démissionner de son poste. Dustin Hoffman a même parlé de "racisme subliminal". Mais si la fronde provient des afro-américains, elle touche en fait toutes les minorités ethniques (asiatiques, latinos) et l'égalité hommes-femmes.

Aucun acteur, aucune actrice, aucun cinéaste n'est issu des rangs de la "diversité" cette année. Certains plaideront que noirs, latinos, asiatiques n'ont pas eu les meilleurs rôles (et la responsabilité est rejetée sur les studios), d'autres pointent des absences criantes (Idris Elba pour commencer). Au-delà du problème de couleur de peau, les Oscars sont aussi critiqués pour leur misogynie, reflet d'une industrie qui laisse peu de pouvoirs et peu de films entre les mains d'une femme - aucune réalisatrice n'est citée (une seule, française, dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère) -, et pour leur homophobie (le procès est latent depuis la défaite de Brokeback Mountain il y a plus de dix ans).

Des membres essentiellement mâles, vieux et blancs

Dans l'urgence, et afin d'éteindre le feu qui s'empare de la vénérable Académie, une réforme assez ample a été votée unanimement jeudi 21 janvier pour laisser plus de place aux femmes et aux minorités ethniques dans le corps des votants. La présidente de l'Académie, Cheryl Boone Isaacs, une femme noire qui doit se sentir blessée intimement par les attaques, a proposé une politique d'ouverture plutôt que de quotas.

Il y a actuellement 6261 membres ayant le droit de voter (sur un total de 7152). Tous travaillent dans divers métiers de l'industrie du film. La liste évolue marginalement chaque année, en s'ouvrant à ceux qui ont été nommés récemment ou à des talents reconnus dans les grands festivals. En juin dernier, 322 nouveaux noms se sont ajoutés, soit l'une des plus importantes transformations de l'histoire de l'Académie. Et on constate en effet une amélioration du côté de la diversité et de la féminisation.

Objectif: doubler le nombre de femmes et de votants issus des minorités

L'Académie souhaite désormais, d'ici 2020, doubler le nombre de femmes membres (et atteindre ainsi 48%) et de professionnels issus des minorités ethniques (et atteindre ainsi 14%). Actuellement, les membres sont vieux (en moyenne) mais surtout mâles (76%) et blancs (93%). Ava DuVernay a été l'une des premières à réagir vendredi sur Twitter: "C'est un bon pas au cours d'un chemin long et compliqué pour les gens de couleur et les femmes artistes".

Mais la réforme va bien au-delà d'une simple intention arithmétique. Car désormais, les nouveaux membres n'auront le droit de vote que pour dix ans et non plus à vie, et ce droit ne sera renouvelé que si les membres ont été actifs au cinéma pendant la décennie en question. Le droit de vote à vie ne sera obtenu qu'au bout de trois décennies actives dans l'industrie ou après l'obtention d'une nomination ou d'un Oscar.

Manière de rajeunir le panel qui est considéré depuis des décennies comme trop conservateur. Déjà, il y a quelques années, les Oscars avaient limité les campagnes de lobbying et de promotion mondaine lorsque certains outsiders ont réussi à l'emporter sur des films historiquement plus marquants.

Nouveau processus d'adhésion et fin du statut de membre à vie

L'Académie s'attaque désormais au coeur du réacteur en altérant le processus de sélection de nouveaux membres, jusque là centré sur la cooptation. Une campagne ambitieuse et mondiale pour identifier de nouveaux membres qualifiés représentant une plus grande diversité sera lancée.

"L'Académie va mener le mouvement et ne pas attendre que le secteur rattrape le retard" en termes de diversité, a déclaré Cheryl Boone Isaacs. Manière de renvoyer aussi la balle enflammée aux studios. Elle reproche la lenteur des changements dans les institutions hollywoodiennes, et conforte ainsi le sentiment d'acteurs comme George Clooney qui soutient que l'Académie avait régressé sur ces points là ces dix dernières années.

Les statistiques sont sans appel

Historiquement, les Oscars ont souvent été confrontés à ce genre de crise "politique", certains refusant même la statuette.

Statistiquement, il est vrai que les Oscars sont blancs.
Afro-américains: 4 acteurs noirs ont remporté l'Oscar du meilleur acteur (19 nominations pour 13 comédiens) ; Une actrice noire a été oscarisée (10 nominations, 10 comédiennes) ; 4 acteurs ont reçu l'Oscar du meilleur second rôle masculin (16 nominations pour 14 comédiens, dont 3 ont aussi été nommés pour l'Oscar du meilleur acteur) ; 6 actrices ont été honorées d'un Oscar du meilleur second rôle féminin, dont Hattie McDaniel en 1939, pionnière en la matière (sur 19 nominations, dont 2 ont aussi été nommés pour l'Oscar de la meilleure actrice) ; et sinon les afro-américains ont récolté 70 nominations (dont seulement 3 pour le meilleur réalisateur et 6 pour le meilleur film) dans les autres catégories (une seule cette année) pour 17 victoires (2 pour l'adaptation, un seul pour le meilleur film, 6 pour la meilleure chanson, 2 pour la meilleure musique...).
Les Latinos (hors artistes d'Amérique latine) doivent se contenter de 3 Oscars (deux meilleurs seconds rôles féminins, un pour la meilleure chanson) sur 8 nominations.
Les Asiatiques de nationalité américaine ne comptent que quatre nominations dans la catégorie réalisateur et six toutes catégories d'interprétation confondues. Le nombre est beaucoup plus important si on prend en compte les artistes britanniques d'origine asiatique ou simplement les nombreux talents d'Asie qui ont collaboré à Hollywood.
Côté femmes, une seule réalisatrice a remporté l'Oscar du meilleur film et celui du meilleur réalisateur (Kathryn Bigelow). Seules trois autres réalisatrices ont été nommées dans l'histoire de la catégorie meilleur réalisateur.
Catégorie intéressante puisque les cinq derniers vainqueurs sont tous nés à l'étranger...

Nancy Cunard et les premiers pas du cinéma afro-américain

Posté par vincy, le 18 mars 2014

exposition nancy cunard musée du quai branlyDepuis le 4 mars et jusqu'au 18 mai, le musée du quai Branly accueille une exposition aussi passionnante qu'enrichissante, "L'Atlantique noir - Nancy Cunard, Negro Anthology (1931-1934)". La personnalité singulière et iconoclaste de Nancy Cunard (1896-1965), artiste avant-gardiste et citoyenne engagée contre le colonialisme et le racisme, permet de redécouvrir la lutte anti-discriminatoire des années 20 et 30. A partir de 1931, elle entreprend un travail documentaire exceptionnel qui dura trois ans avant d'aboutir à la publication de Negro Anthology: 855 pages qui mélangent culture populaire, sociologie, politique, histoire, histoire de l’art à travers des articles, des archives, des photographies, des extraits de presse, des partitions musicales et des témoignages. Les contributeurs sont militants, journalistes, artistes, universitaires, africains-américains, antillais, africains, malgaches, latino-américains, américains, européens, femmes et hommes. L'ouvrage est une revendication affirmée sur l'apport des noirs dans l'Histoire et notamment dans notre culture.

Le visiteur débute son parcours avec la découverte de cette femme anticonformiste puis découvre ceux qui ont participé à cette anthologie avant de rappeler le contexte de l'époque, ce qui inclut le cinéma.

Les premières vedettes afro-américaines

L’histoire culturelle des Noirs d’Amérique, des Antilles et d’Afrique est abordée dans des textes de Negro Anthology traitant de différents arts. L’aspect documentaire de l'ouvrage est illustré par la publication de photographies, de biographies et d’autobiographies d'artistes, incluant celles de comédiens et mais aussi des photos de tournages de films. Parfois ce sont des seconds-rôles, souvent ce sont aussi des chanteurs ou danseurs utilisés pour des comédies musicales.
La section « Negro Star » présente ainsi 45 photographies d’artistes noirs, de spectacles et de films. Les premières "vedettes" de "couleur" du grand écran.

kenneth macpherson borderlineDans le couloir qui mène vers la fin de l'exposition, un pan entier consacré au 7e art va plus loin et s'interroge sur la représentation du noir au cinéma, souvent cantonné dans le rôle du descendant d'esclaves, dans les champs de coton. Les noirs sont ainsi des nounous, des bouffons ou des fainéants (Wooing and wedding of a coon en 1905, The Masher en 1907, Coon Town Suffragettes en 1914), des métisses et mulâtres mal dans leur peau (The debt en 1912, In Humanity's cause, In slavery days, The octoroon en 1913, Naissance d'une nation en 1915, Within Our Gates en 1919) ou encore des sous-fifres souvent exploités. D.W. Griffith n'hésite pas à ajouter le personnage du sauvage, de la brute, du barbare dans Naissance d'une nation. Le criminel est un animal s'il est noir. Et même s'il est esclave et qu'il hait son propriétaire, il n'est pas légitime à prendre sa revanche ou à s'insurger.
Ce débat se retrouve dans la discussion entre le célèbre acteur/chanteur afro-américain Paul Robeson et le réalisateur écossais Kenneth Macpherson (photo). L'exposition la synthétise tout en montrant quelques extraits du film qu'ils ont tourné ensemble, Borderline (1930).

Sortir des clichés et des préjugés

Kenneth Macpherson, auteur du texte A Negro Film Union – Why Not? dans la Negro Anthology, et réalisateur de Bordeline, défend ici l’idée que les acteurs et réalisateurs noirs doivent s’approprier le cinéma. Borderline est l'histoire, à l'époque choquante, d'un triangle amoureux interracial où une femme noire tombe amoureuse d'un homme blanc déjà marié.

"En mêlant une image expérimentale, des intrigues psychologiques et sentimentales entre des Blancs, des Noirs, des homosexuels, des lesbiennes et en dénonçant le racisme, Macpherson réalise un film d’avant-garde du point du vue esthétique, théorique et politique" explique le dossier de presse. Pourtant, dans d'autres films, l'acteur noir américain Paul Robeson (Show Boat, les Mines du Roi Salomon), durant les années 20, est parfois filmé comme une « icône noire primitive ».

Un long chemin

L'an dernier, au Festival International du Documentaire à Marseille, Richard Peña, professeur d'Études filmiques à Columbia University, et ancien directeur de la programmation des festivals du Film de New York et de la Film Society of Lincoln Center, a expliqué que l'évolution s'était faite durant les années 30 : "Les Afro-Américains faisaient des films depuis l’ère du cinéma muet, et sont parvenu à créer, dès les années 30, leur propre industrie cinématographique qui a créé et distribué des films qui dépassaient les médias dominants des blancs. Ces films, où on trouve tous les genres — de la comédie à la comédie musicale et du western jusqu’aux films de gangsters — traitent souvent des thèmes qu’Hollywood n’osait pas à l’époque aborder, tel des amours mixtes, des préjugés sociaux dans la communauté afro-américaine elle-même ou le lynchage." On pense alors à Oscar Micheaux, considéré dans les années 30 comme le réalisateur emblématique des "Race movies", cinéma de résistance à la domination hollywoodienne.

the birth of raceSi Edison a filmé dès 1895 des Antillais et en 1898 The Colored Troops Disembarking et plus tard The Ninth Negro Cavalry Watering Horses, on se souvient aussi qu'en 1903, Edwin S. Porter réalise La Case de L'Oncle Tom avec un acteur blanc maquillé en noir. Et cette anomalie sera répétée avec Le Chanteur de Jazz de Alan Crosland, premier film "parlant" de l'histoire, réalisé en 1927, où l'acteur blanc doit se maquiller en personne de couleur.

Il y a bien des exceptions : certains réalisateurs ou acteurs ont donné une image positive de la population de couleur comme William Jones Foster avec le premier film afro-américain en 1912, The Railroad Porter. Six ans plus tard, Emmett J. Scott et John W. Noble produisent The Birth of a Race (photo), réponse au film raciste Naissance d'une nation. Et en 1916, la Lincoln Motion Picture Company est fondée : tous les membres de cette société sont noirs.

Il faudra attendre 1940 pour qu'Hollywood sortent les africains-américains de la marginalité. Hattie McDaniel rentre alors dans l'histoire en étant la première personne noire à remporter un Oscar pour son second rôle, très cliché, dans Autant en emporte le vent. Et la représentation du noir n'évoluera que dans les années 50/60, quand Hollywood décide de devenir un outil de propagande anti-ségrégationniste avec des films comme Du silence et des ombres ou La chaîne avec Sidney Poitier, première star noire traitée d'égal à égal avec ses collègues wasp.

Intouchables cartonne à l’étranger et Harvey Weinstein le prend en main aux USA

Posté par vincy, le 5 mars 2012

7,3 millions d'entrées dans le monde : Intouchables a déjà dépassé les 55 millions d'euros de recettes hors territoire français. Son total mondial en fait le 2e film de l'année, juste derrière Voyage au centre de la terre 2. Un score exceptionnel pour un film produit en dehors d'un studio hollywoodien.

Phénomène européen

En Italie, où il vient de démarrer sa carrière en tête du classement, Quasi Amici, titre italien du film, a attiré 226 000 spectateurs le premier week-end. Ils se sont ajoutés au million d'entrées en Suisse (record depuis plus de 20 ans) et aux 900 000 en Belgique. Et surtout aux 5,5 millions d'Allemands (dont 440 000 Autrichiens) qui ont déjà été le voir en salles, devenant ainsi le film en langue Française le plus populaire depuis plus de trente ans (Le Gendarme et les Extra-terrestres). Cela fait sept semaines de suite qu'Intouchables (Ziemlich beste Freunde en allemand) domine les autres films Outre-Rhin. A lui tout seul, il a attiré autant de spectateurs germanophones que tous les films français l'an dernier.

Il va désormais affronter le marché espagnol (Intocable, 9 mars) et surtout américain (25 mai). Aux USA, le film est entre les mains d'Harvey Weinstein, qui vient de remporter un joli succès personnel avec The Artist, en passe de devenir l'un des cinq plus important succès de sa nouvelle compagnie de distribution, The Weinstein Company. "Un film français, c'est ce qu'il y a de plus cool en ce moment" a-t-il confié.

Polémique sur le racisme présumé du film

Le dernier nabab du cinéma américain a déjà commencé à déminer le terrain. Intouchables est en effet au coeur d'un mauvais buzz depuis sa sortie en France. Accusé de racisme par la critique américaine, Weinstein anticipe. Il a notamment dénoncé les propos de Jean-Marie Le Pen qui s'en prend à un film où un "délinquant immigrant" aide un handicapé : "Il y a cet homme politique en France, (...) il a dit que le personnage de François représente la France handicapée et que le personnage d'Omar représente les immigrés, et que la France ne sera pas sauvée par ces immigrés." Il a ajouté : "Jean-Marie, j'ai deux mots pour vous, et ce n'est pas "happy birthday" !" Le producteur et distributeur américain se dit effrayé par le soutien populaire à la candidate éventuelle Marine Le Pen et répugné par l'opinion - "bigote" selon Weinstein - du père sur Intouchables. "Ce serait un désastre pour la France si ces idées se répandaient".

Jeudi dernier, Intouchables vient de débuter sa série d'avant premières en ouvrant les Rendez-vous du cinéma français à New York. L'accueil a été chaleureux. Mais tout le monde a en tête la critique de Variety cet automne (voir notre actualité du 24 décembre), où la comédie était qualifiée de film raciste et Omar Sy de "singe savant". Le New York Times n'a pas été plus tendre en février :  "une grossière fiction qui exploite tous les vieux stéréotypes de l'homme noir en libérateur de culture".

A cause de leur histoire, les Américains voient du racisme partout. Viola Davis, citée à l'Oscar de la meilleure actrice pour son rôle de bonne dans La couleur des sentiments, en a fait l'expérience l'an dernier. Un film est considéré comme raciste si le Noir est dans le rôle du "soumis". Il ne l'est pas si les personnages peuvent être interchangeables et le scénario indifférent à la couleur de peau. Apparemment, cela vaut quelque soit le message ou le contexte historique.

Le Monde a interviewé Manthia Diawara, Américain d'origine malienne, professeur à l'université de New York et auteur d'African Film : "c'est un film inoffensif et plutôt drôle" mais "le Blanc s'éloigne par sa rationalité ou par une manière de négliger l'intuition, l'émotion, et, de temps en temps, il a besoin du Noir pour lui rappeler qu'il est humain. C'est son contemporain primitif". Omar Sy ne serait donc qu'un Noir malin et amusant.

Harvey Weinstein honoré à Paris en juin

Peu importe qu'Intouchables séduise ou pas les Américains. Weinstein peut toujours en faire un remake puisqu'il en a acquis les droits en juillet dernier. Selon Olivier Nakache, "c'est dans les tuyaux". Pour l'instant, il prépare la bande annonce, les affiches et a programmé le film dans différentes avant premières. On parle aussi d'un événement à Cannes pour célébrer le succès phénoménal du film.

Harvey Weinstein sera ensuite en France début juin pour l'hommage qui lui sera rendu au premier Champs Elysées Film festival (6-12 juin, voir notre actualité du 23 octobre 2011). C'est bien le minimum pour celui qui a permis à un film français d'obtenir l'Oscar suprême avec The Artist. Il avait déjà distribué l'autre film phénomène des années 2000, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, et produit Le Patient anglais, qui avait valu un Oscar à Juliette Binoche. Le Festival lui décernera un trophée pour l'ensemble de sa carrière et projettera une sélection des plus grands films qu'il a produit (y compris durant la période Miramax).

Les Freaks, c’est cinématographique au musée du quai Branly

Posté par vincy, le 25 janvier 2012

Le musée du quai Branly propose jusqu'au 3 juin "Exhibitions, L'invention du sauvage", exposition (utile et ludique, conseillée même aux enfants) sur la manière dont les ethnies des nouveaux mondes, les "barbares", les "freaks" ont été exhibés, transformés en "animaux de foire" à travers les siècles (jusqu'à l'après guerre pour être exact), que ce soit dans des expositions universelles, dans les Cours royales, ou dans les cirques. Cette exposition, composée d'affiches, de peintures, de sculptures, de photographies, reflète d'un point de vue historique le racisme et le complexe de supériorité qui s'est glissé dans l'inconscient occidental au fil des siècles. Le commissaire général Lilian Thuram (oui, l'ancien footballeur), président de la Fondation “Education contre le racisme”, et les commissaires scientifiques, Pascal Blanchard et Nanette Jacomijn Snoep, permettent ainsi un voyage pas si lointain dans le passé où "l'autre" était considéré comme un objet de curiosité. Ou comment nous avons inventé le "Sauvage"?

Cela fait longtemps que le cinéma s'est intéressé à cette réflexion.  Le musée du quai Branly propose à partir du 26 janvier et jusqu'au 6 avril, un cycle de projection, sur entrée libre.

Au programme, des films cultes ou très connus comme Freaks de Tod Browning, Lola Montès de Max Ophuls, Elephant Man de David Lynch, Man to Man de Régis Wargnier, Le sifflement de Kotan de Mikio Naruse, Vénus Noire d'Abdellatif Kechiche, L'énigme de Kaspar Hauser de Werner Herzog. Mais aussi des documentaires plus rares : une sélection de courts métrages des frères Lumière (qui ont filmé les expositions ethnographiques de Paris entre 1896 et 1897), un segment signé Rachid Bouchareb, Exhibitions, Joséphine Baker en couleurs, On l'appelait la vénus Hottentote, Des Zoos et des hommes...

Le musée organisera pour l'occasion des discussion et des rencontres avec les réalisateurs. Notamment, Régis Wargnier sera présent le 23 mars, à l'issue de la projection de son film.

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Tout savoir sur l'exposition

Programmation détaillée :

Jeu 26/01 19h00 Freaks 64min

Ven 27/01 18h00 Sélection films des frères Lumière 17min
19h00 Lola Montès 115min

Sam 28/01 14h00 The Couple in the cage 30min
15h00 Joséphine Baker en couleurs 54min
18h00 Elephant Man 125min

Dim 29/01 14h00  A World on display 40min
15h00 Exhibitions + Zoos humains 61min
17h00 L’Enigme de Kaspar Hauser 110min

Sam 04/02 14h00 On l’appelait la vénus Hottentote 52min
16h00 The return of Sarah Baartman 52min
18h00 Le Sifflement de Kotan 126min

Dim 05/02 14h00 Ota Benga 16min
15h00 Boma Tervuren 54min
17h00 Des Zoos et des hommes 70min

Ven 23/03 18h00 Man to Man 122min

Ven 06/04 18h00 Vénus noire 160min

Intouchables : un film « raciste », « réactionnaire », « sarkozyste » élu événement culturel de l’année

Posté par redaction, le 24 décembre 2011

Avec bientôt 15 millions de spectateurs, Intouchables est devenu cette semaine le 3e plus gros succès français depuis 1945, le 5e toutes nationalités confondues, battant Avatar, au passage. Un phénomène qui, logiquement, a été choisi comme l'événement culturel le plus marquant de l'année 2011 (sondage BVA/FNAC/Le Parisien/Europe 1 auprès de 1003 personnes). 52% des Français interrogés l'ont plébiscité.

Il est donc loin devant The Artist, Harry Potter, les Césars pour Des Hommes et des Dieux et Polisse. Le cinéma squatte une bonne moitié des dix premières réponses, laissant un peu de place à la musique, aux expos et reléguant les livres en queue de peloton.

Évidemment, tout phénomène amène une série d'analyses plus ou moins sérieuses, cherchant les causees de cette irrationalité qui dépasse les esprits les plus cartésiens. D'un point de vue cinématographie, on peut y voir une bonne comédie, bien écrite, bien interprétée, mise en scène avec efficacité, sans être médiocre. Intouchables est plus proche de Trois hommes et un couffin que des Visiteurs ou Bienvenue chez les Ch'tis.

Acte 1 : Marcela Iacub accuse le film d'être sarkozyste

Libération a publié deux textes voulant absolument rendre le film abject. Le raisonnement peut tenir, l'équation ne convainc pas. Ainsi Marcela Iacub (lire le texte intégral), qui a décidément un problème dès qu'elle analyse la culture après avoir attaqué prétentieusement l'exposition de Lilian Thuram au Musée du Quai Branly, qualifie le film de "propagande voilée des politiques sociales de Nicolas Sarkozy." Rien que ça. "Le succès de ce film montre à quel point la société française lui reste fidèle sur le fond et pourrait annoncer, mieux que d’autres enquêtes d’opinion, celui de l’actuel président dans les urnes de 2012. Car on sait que si jamais le chef de l’Etat était amené à faire un second mandat, son but sera de rendre chaque œuf volé au lieu d’ouvrir de grands débats afin de savoir qui devrait être considéré comme leur véritable propriétaire." Elle reproche en effet que Philippe/François Cluzet veuille récupérer l'oeuf de Fabergé que lui a volé Driss/Omar Sy. Le vol est certainement pardonnable,le personnage de Cluzet aurait pu en effet transmettre cette valeur à celui de Sy, comme une sorte de redistribution des richesses. Mais aux dernières nouvelles, l'handicapé ne porte pas plainte contre le noir, et ne fait que récupérer un objet qui lui rappelle sa défunte épouse. L'attachement sentimental n'a donc aucune valeur?

Acte 2 : Intouchables, un conte à la Cendrillon réactionnaire

Dans un autre texte (lire le texte intégral), le quotidien dit de gauche, le professeur de philosophie en classes préparatoires (c'est un métier honorable, mais à quand la tribune d'une maîtresse en cours préparatoire?) Jean-Jacques Delfour trouve Intouchables "parfaitement réactionnaire". Pour lui il s'agit de l'histoire de deux saints, "le saint crucifié par sa tétraplégie et l’autre saint qui le sert, crucifié par son milieu de naissance et sa peau, forment un couple sacré, intouchable. Leur rencontre et leur amour sont une rédemption qui les lave de tous leurs péchés : l’arrogance et la hauteur sociale pour l’un, la délinquance et la déchéance pour l’autre. Un film religieux, sans autre Dieu que la richesse qui a permis cette rencontre."

Pour lui, ce film doit son succès public, entre autres, au conte revisité de Cendrillon. "Ce conte misogyne enseigne comment changer sa vie lorsqu’on est une pauvre fillette exploitée. La beauté de cette souillon ne peut suffire : il lui faut une jolie robe, de jolies chaussures, une belle bagnole avec de beaux canassons. Mais cela ne suffit toujours pas, il lui faut de la chance : un prince riche et puissant qui daigne la trouver ravissante et ne point s’émouvoir de sa basse extraction. Le message du conte est simple : l’instruction, la culture, le désir d’émancipation, la révolte sont inutiles ; la beauté cosmétique et le hasard ont seuls quelque puissance."

Nous aurions tendance à le conforter dans son analyse, en ajoutant une donnée : si ce film est bien tel qu'il le décrit, alors il s'agit d'une comédie réaliste. Elle reflète en tous points l'Etat de notre société, la valeur de l'humain dans une civilisation consumériste et matérialiste. On peut s'en désoler, mais c'est ainsi. On taxe la culture à 7% et non pas comme un bien de première nécessité, et ça ne choque personne. On préfère le cinéma aux livres, le people à la critique, la propagande à la réflexion. Intouchables est bien un film symptomatique de notre époque, avec, en bonus, un morale basée sur la confiance en l'autre et la transgressions des barrières sociales. Mieux, Intouchables est un film sur deux minorités qui s'unissent pour retrouver une liberté, une "normalité". Il brise le tabou des handicapés, isolés, et des immigrés de deuxième génération, parqués en banlieue, sans espoir d'ascenseur social, rejetés.

Iacub a tort en expliquant qu'il n'y a pas de redistribution des richesses : le personnage d'Omar Sy trouve un job grâce à un riche un peu illuminé. Delfour n'a pas plus raison. Le personnage d'Omar Sy se met à peindre - c'est bien de la culture, non? - et grâce à son patron, se fait un beau pactole, après avoir vendu une de ses toiles à un avocat méprisable et payant certainement l'ISF.

Acte 3 : Variety n'y voit que des stéréotypes raciaux et sociaux

Avant d'en arriver à notre conclusion, on doit aussi relever la critique du magazine professionnel américain Variety. Son auteur, Jay Weyssberg, estime que Driss  (Omar Sy) est "traité comme un singe de compagnie qui apprend au blanc coincé à s'amuser, en remplaçant Vivaldi par Boogie Wonderland, et en lui montrant comment on bouge sur la piste de danse".  Le journaliste trouve qu'il est "pénible de voir Omar Sy, un acteur joyeusement charismatique, dans un rôle qui se détache à peine de l'époque de l'esclavage, dans lequel il divertit le maître blanc, en endossant tous les stéréotypes raciaux, et de classe."

Intouchables raciste. En plus d'être sarkozyste et réactionnaire. N'en jetez plus.

Intouchables est adapté d'une autobiographie, une histoire vraie. En écoutant les témoignages des deux véritables protagonistes de cette histoire, on se dit que leur vie est incompréhensible pour ceux qui la jugent. Pas l'impression de voir Driss/Abdel Sellou/Omar Sy maltraité et malheureux, même encore aujourd'hui. La fin est d'autant plus ouverte que le personnage d'Omar Sy a la vie devant lui, de l'argent, et s'est sorti de la spirale infernale des Cités sans emploi.

Au delà de tout ce pataquès philosophico-intellectuel, le film est davantage une histoire d'amitié, certes un peu misogyne, qu'un manifeste politique.

Finalement ce n est pas Intouchables qui est raciste reactionnaire et sarkozyste mais bien la France. Le film insuffle en plus un peu d'espoir, de générosité et d'altruisme, pour nous faire croire que ce n'est pas une fatalite.

Agathe Cléry : quelle représentation pour les Noirs au cinéma ?

Posté par MpM, le 2 décembre 2008

Agathe Cléry - valérie LemercierMercredi sort sur les écrans le film Agathe Cléry d’Etienne Chatiliez où un personnage de femme raciste interprété par Valérie Lemercier devient noir du jour au lendemain. Si la campagne d’affiches a recouvert les espaces publicitaires et la bande-annonce envahi les cinémas (quoique sans rien dévoiler de plus), le film, lui, n’a été montré qu'à des médias acquis d'avance comme Canal + ou le JDD. Difficile, donc, de se faire une idée du résultat : dénonciation édifiante ou prétexte à comédie lourdingue ? A défaut, son sujet donne néanmoins envie de réfléchir à la représentation des noirs au cinéma et plus généralement dans les médias, d’autant que la question est perpétuellement d’actualité. La semaine dernière, le Club Averroes (observateur de la diversité dans les médias) dressait ainsi un état des lieux accablant de la représentation des minorités pour la période 2007-2008, dénonçant notamment "l’immobilisme" dont font principalement preuve les chaînes de télévision. Quant aux disciplines artistiques, la situation est si peu encourageante que le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) annonçait il y a quelques mois la création des "Trophées du monde noir", les Césaire, chargés de mettre en lumière des artistes issus des cultures afro-caribéennes de la littérature, de la musique et du cinéma.

Et c’est vrai, les "minorités visibles" sont tellement absentes des écrans qu’on se souvient encore tous du battage médiatique ayant accompagné la nomination du journaliste Harry Roselmack à la présentation du journal de 20h sur TF1. Ce qui n’aurait dû être qu’un choix évident récompensant une carrière réussie s’est mué en acte politique quasi héroïque prétexte à ne parler que de la couleur du présentateur et jamais de son travail. François Dupeyron raconte d’ailleurs que c’est cet événement qui lui a donné envie de tourner un film avec des personnages noirs. Résultat, au moment de la recherche de financement, le scénario a été rejeté par toutes les télévisions : une famille noire à 20h30, ça n’intéresse personne. Aide-toi, le ciel t’aidera a beau être tout sauf communautaire, il continue lui-aussi à être perçu presque uniquement à travers le prisme de la couleur de peau de ses interprètes…

Il y a peu, une autre anecdote du même style nous frappait. La cinéaste Cristina Comencini a réalisé une comédie très directe sur le racisme en Italie, Bianco e nero. Il y est Aissa Maiganotamment beaucoup tourné en dérision le racisme qui s’ignore, fourbe et rampant. Son interprète principale, la divine Aïssa Maïga, y interprète une jeune femme d’origine sénégalaise travaillant dans une ambassade et mariée à un intellectuel africain. Elle est magnifique et élégante, les plus grands créateurs devraient se battre pour l’habiller… et aucune d’eux n’a souhaité le faire. "Pour nos deux protagonistes noirs, nous n’avons trouvé aucun sponsor", confirme la réalisatrice. "Dans tous les films importants, les principaux interprètes sont habillés par les grandes marques, chaussettes et chaussures comprises. Pour eux, rien…"

Des exemples parmi d’autres de l’hypocrisie régnant dans l’univers de la représentation par excellence, celui du 7e art. Difficile ensuite de s’étonner que le cinéma compte si peu d’acteurs "issus de la diversité" et que chacun d’entre eux ait vite tendance à être considéré comme un porte-parole de sa communauté. Immanquablement, on pense au personnage interprété par Robert Downey jr dans Tonnerre sous les tropiques : un acteur de grand renom ayant subi une opération pour devenir noir le temps d’un rôle… et qui soudainement se met à parler au nom de tous les Noirs d’Amérique ! C’est pourquoi on souhaite bien du plaisir à Valérie Lemercier grimée en femme de couleur… Il ne reste plus qu’à espérer très sincèrement qu’Agathe Cléry soit réussi et parvienne à secouer les consciences pour que, dans un avenir pas trop lointain, une vraie actrice noire obtienne le premier rôle dans un film très médiatique affiché dans tous les couloirs du métro parisien.

On se souvient que Romuald et Juliette, comédie "bicolore" de Coline Serreau, affichait Daniel Auteuil mais pas Firmine Richard sur ces mêmes espaces publicitaires...

Lancement des Trophées du monde noir

Posté par vincy, le 22 juillet 2008

blacks.jpgToute tentative pouvant accentuer le sentiment de communautarisme pourrait être critiquable. Cependant, on peut comprendre que la réalité de la discrimination soit bien plus pénible à combattre.
En créant les Trophées du monde noir, le Cran (Conseil représentatif des associations noires) veut, le 23 septembre, récompenser les artistes issus des cultures afro-caribéennes de la littérature, de la musique et du cinéma. Ils auront lieu au Théâtre du Châtelet, lieu d’accueil des récents César.

Aux Etats-Unis, différentes cérémonies segmentent les Afro-américains des autres. Ainsi au cinéma, il y a les Black Reel Awards et surtout, les Image Awards. Ces derniers, à l’origine destinés aux Afro-américains s’est ouvert aux autres minorités. Même si les Latinos ont aussi leur propre cérémonie. Les Image Awards existent depuis 39 ans et sont diffusés en prime time depuis 12 ans. Ils récompensent aussi auteurs, musiciens, artistes du cinéma et de la télévision.
Ainsi des films comme Ali, Ray ou Crash ont été primés, ainsi que des actrices comme Angela Bassett, Morgan Freeman, Whoopi Goldberg, Denzel Washington, Halle Berry, Djimon Hounsou, Kerry Washington, Forrest Whitaker, Queen Latifah ou Jamie Foxx.

« Est-ce un film de Noirs ? »
Pour le Cran, la tâche va être dure. Le cinéma français a peu de stars afro-caribéennes. L’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’Acse, qui a développé avec le CNC une aide dédiée à favoriser la diversité dans la production audiovisuelle, constate que, si la production comprend l’enjeu, ce n’est pas le cas de la diffusion, notamment télévisée.
Le manque de visibilité de cette minorité est réel. Il n’y a aucun Will Smith français… Pire, comme dit le président du Cran, Patrick Lozès, « où sont les fictions où l’on voit un cadre noir déjeuner avec sa femme et ses enfants avant d’aller au travail » à l’image d’un Cosby.

Ceci dit, ne nous leurrons pas. Le chemin est difficile. Comme le dit Queen Latifah dans Hairspray : « un pas après l’autre ». Danny Glover, autre récipiendaire d’un Image Award, grande figure d’Hollywood (La couleur pourpre, L’arme fatale, La famille Tenenbaum), confessait cette semaine : « Vous n’imaginez pas le nombre de producteurs que je suis allé voir, aux Etats-Unis et en Europe. Ils ont dit « C’est un superbe projet », puis « Est-ce un film de Noirs ? » ».
Glover a annoncé qu’il allait réaliser un film sur le révolutionnaire haïtien Toussaint-Louverture. « Ils pensent tous qu’un film sans héros blancs ne marchera ni en Europe, ni au Japon… » Il a dû réunir un budget de 22 millions d’euros, dont plus de la moitié proviendra d’un organisme culturel vénézuélien créé par le président Hugo Chavez. Il réunira Don Cheadle, Mos Def, Wesley Snipes et Angela Bassett.

Mais, même si les Trophées du monde noir sont légitimes, quel sera leur impact sur le seul indice qui compte pour les producteurs : la popularité d’un artiste ou les recettes d’un film... ?

P.S. L'illustration parle d'elle-même. D'un côté le Cosby Show, programme mondialement connu dans les années 80 ; de l'autre Plus belle la vie, programme très populaire des années 2000.