Raoul Coutard (1924-2016) éteint la lumière

Posté par vincy, le 9 novembre 2016

Le chef-opérateur Raoul Coutard est décédé mardi soir, le 8 novembre 2016, à l'âge de 92 ans près de Bayonne. Il avait été le directeur de la photographie de films de référence comme Jules et Jim, La peau douce, La mariée était en noir et Tirez sur le pianiste de François TruffautLa 317e section et Le crabe-tambour de Pierre Schoendoerffer, Lola de Jacques Demy ou encore L'aveu et Z de Costa-Gavras. Sa filmographie comporte au total 65 films signés De Broca, Molinaro (L'Emmerdeur ), Rouch, Oshima (Max mon amour), Dembo (La diagonale du fou), Mocky, Pinheiro (Ne réveillez pas un flic qui dort), Nicloux et sur la fin de sa carrière Philippe Garrel, avec qui il a collaboré sur trois films.

Evidemment son destin est surtout lié à celui de Godard (15 films au total ensemble) dont À bout de souffle, Une femme est une femme, Bande à part, Alphaville, Made in USA, La chinoise, Prénom Carmen, et surtout Le mépris et Pierrot le Fou.

Né à dans le Marais, à Paris, le 16 septembre 1924, Raoul Coutard, qui n'avait pas pu financer ses études de chimiste, ancien sergent dans l'infanterie pendant la guerre d'Indochine avant de devenir photographe aux armées puis photographe-reporter pour Paris Match et Life, a d'abord rencontré Pierre Schoendoerffer à Hanoï en 1952, avec qui il se lie pour ses premiers pas cinématographiques. "Nous avons très vite conclu un pacte entre nous : le premier qui arriverait à entrouvrir la porte du cinéma y entraînerait l'autre !", racontait le cinéaste dans un livre il y a quelques années.

Beauregard impose Coutard à Godard

En 1959, À bout de souffle marque la naissance de la Nouvelle Vague. Le producteur Georges de Beauregard, qui voulait faire des films bon marché, avec des tournages rapides. Il impose Coutard à Godard. Sans savoir que leur "liaison" serait l'une des plus marquantes du 7e art. "Pour moi, la rencontre décisive, ce fut Godard. À bout de souffle, qui devait être n'importe quoi, fut une entrée dans la vie professionnelle", expliquait Raoul Coutard à Libération. Il tourne caméra à l'épaule avec une lumière blanche: à l'époque, c'est révolutionnaire.

S'il s'est éloigné de Godard, c'est un peu à cause de Mai 68 - Coutard n'est pas franchement gauchiste. On a souvent associé son travail au noir et blanc, pas très propre, froid comme l'hiver, naturaliste au maximum. Il cherchait une vérité, celle de la lumière, celle du réel. Ses expériences sur les terrains de bataille de l'Indochine, en tant que photographe, lui avaient appris à travailler rapidement. La caméra à l'épaule était une manière libre de faire du cinéma, qui correspondait à ce qu'il savait faire avec un appareil photo. Mais il ne faut pas oublier que c'était un esthète, un maître des couleurs aussi. Des couleurs franches, saturées, des explosions de bleu et de rouge.

Honoré à Hollywood, primé à Cannes, Venise et aux César

Le cinéma, il y est entré plus pour l'argent que pour une passion quelconque. Mais sa légende était scellée dès ce petit film de Godard où un voyou incarné par un jeune premier au nez cassé et une garçonne américaine tombaient amoureux sur les Champs-Elysées. Terriblement moderne avant l'heure, le chef op' s'était raconté dans L'Impériale de Van Su - Ou comment je suis entré dans le cinéma en dégustant une soupe chinoise, mémoires publiées il y a près de dix ans.

Il avait été distingué par 1un International Award de l'American Society of Cinematographers, un César pour Le Crabe-Tambour (et une nomination pour Prénom Carmen), un prix de la meilleure première œuvre à Cannes et le prix Jean-Vigo, en tant que cinéaste, pour Hoa-Binh en 1970, le Grand prix de la technique à Cannes pour Passion et le même prix à Venise pour Prénom Carmen.

Car Raoul Coutard avait aussi réalisé. Outre Hoa-Binh, sur la guerre d'Indochine, il avait signé La légion saute sur Kolwezi (1980) et S.A.S à San Salvador (1982).

Il affirmait qu'"un film est bon quand on sort du cinéma complètement sonné ; on ne sait pas ce qui nous arrive ; on ne sait plus si on a dîné, où on a garé sa voiture ; on veut rester seul à y réfléchir. Pour moi, c’est ça, la définition d’un grand film."