Arras 2013 : retour sur les découvertes européennes

Posté par MpM, le 13 novembre 2013

2 automnesL'édition 2013 du Arras Film Festival proposait une sélection de films européens formant un instantané passionnant de la jeune création contemporaine, avec curieusement une prédominance pour la comédie et une tendance palpable à vouloir réinventer le cinéma.

Le chef de file de ce courant est évidemment Sébastien Betbeder qui, avec 2 automnes, 3 hivers, signe un film formellement audacieux dressant le portrait saisissant d'une génération de trentenaires à la fois nourris par l'art et la culture et en même temps assez indécis par rapport à leur propre vie.

La liberté de ton surprenante du réalisateur lui permet de se démarquer de la pure comédie (représentée assez platement par le très caricatural Brasserie romantique de Joël Vanhoebrouck) sans tomber dans le travers du film expérimental qui laisse tout le monde perplexe.

Un créneau d'ailleurs admirablement occupé joypar l'énigmatique Joy du Grec Elias Giannakakis, qui est sans doute l'ovni de ce 14e festival arrageois.

Dans un noir et blanc ultra-soigné, on suit une femme quasi mutique dans sa fuite en avant à la radicalité  presque poétique. Les lents fondus au noir qui séparent chaque séquence, le magnétisme de l'actrice et l'âpreté de la narration donnent à ce portrait en creux la beauté envoûtante d'une œuvre brute et désespérée.

Les autres films s'ancrent dans une veine plus classique, quoi que particulièrement efficace en ce qui concerne le biopic suédois Valse pour Monica de Per Fly, d'excellente tenue et servi à merveille par la chanteuse Edda Magnason.

Même chose pour la comédie politique Viva la liberta de Roberto Ando, avec un Toni Servillo plus savoureux que jamais dans le double rôle d'un homme politique dépressif et de son frère jumeau à peine sorti de l'hôpital psychiatrique.

D'une vie à l'autre Mais le grand choc de cette section reste probablement le thriller politique allemand D'une vie à l'autre réalisé par Georg Maas, qui mêle habilement l'ambiance anxiogène du film d'espionnage traditionnel avec le récit d'événements réels survenus pendant la deuxième guerre mondiale, la séparation d'enfants nés de pères allemands de leurs mères norvégiennes.

Un film intelligent et vertigineux qui prouve au passage la grande vitalité d'un cinéma allemand tentant d'explorer autrement les traumatismes de son passé.

Mais on n'a probablement pas fini d'être séduit par le cinéma européen puisque les découvertes se poursuivent à Arras jusqu'au 17 novembre, avec dès jeudi 14 le début de la compétition européenne. Ce sont en tout neuf longs métrages inédits venus de Slovaquie, de Croatie, de Finlande ou encore d'Estonie qui concourent pour l'Atlas d'or et espèrent trouver rapidement un distributeur français.

Arras 2013 : 3 questions à Sébastien Betbeder pour 2 automnes, 3 hivers

Posté par MpM, le 10 novembre 2013

2 automnes 3 hiversAvant sa sortie en salles le 25 décembre prochain, 2 automnes, 3 hivers de Sébastien Betbeder poursuit sa tournée des festivals. Le film, qui est passé notamment par Cannes, Paris et Londres, est présenté cette semaine à Arras dans la sélection "découvertes européennes".

Jolie découverte en effet que ce film extrêmement singulier qui mêle, souvent dans une même séquence, voix-off, monologues face caméra et commentaires a posteriori sur l'action. Une liberté de ton surprenante et ultra-vitaminée qui fonctionne à plein régime, entre auto-dérision et mélancolie douce amère.

L'intrigue suit plusieurs personnages d'une trentaine d'années au cours de trois années qui bouleversent un peu leurs existences. Il y est question d'amour et d'amitié, mais aussi de musique, de cinéma et d'art en général. Rencontre avec le réalisateur et scénariste, Sébastien Betbeder (photo de gauche, en compagnie de son acteur Bastien Bouillon).

Ecran Noir : Le film est extrêmement référencé. On y parle de Bresson et de Munch, d'Eugene Green et de Judd Appatow...

Sébastien Betbeder : Je tenais à montrer des gens de ma génération, qui ont fait des choix de vie très particuliers, et pour qui la culture est très importante, déterminante, et fait partie prenante de la vie au quotidien. C'est quelque chose que l'on voit très très peu en tout cas dans le cinéma français. Je dis tout le temps cette phrase mais c'est vrai car dans le cinéma américain c'est beaucoup plus assumé. Je trouve ça dommage et triste. A partir du moment où j'avais décidé de monter des gens qui m'étaient proches et qui me ressemblaient, comme mes amis qui vont beaucoup au cinéma et au théâtre, j'aurais trouvé ridicule que cela ne soit pas dans mon film. J'aurais trouvé ça insincère. Et je trouve que souvent dans le cinéma français il y a cette habitude de mettre les références sous le tapis comme si tout venait par le saint esprit, de manière automatique.

EN : Justement, au grand jeu des références, ce sont les vôtres que l'on voit dans le film ?

SB : Je voulais rendre hommage à des auteurs, à des films qui m'ont marqué. Après, ce ne sont pas forcément les films qui m'ont marqué le plus. Judd Appatow, c'est un auteur que j'aime beaucoup, mais ce n'est pas une référence. J'avais besoin qu'il ait sa place dans le film. Durant l'époque dont traite 2 automnes, 3 hivers, Judd Appatow a été un auteur important. Eugene Green aussi, différemment. C'est quelqu'un que je connais personnellement, avec qui j'ai eu des discussions sur le cinéma assez inédites et précieuses, qui ont été très importantes dans la prise de risque que représente le monologue face caméra dans mon film. Après, Alain Tanner, la Salamandre, je l'ai vu très très jeune, j'en avais gardé un souvenir assez diffus. Je l'ai revu quand j'écrivais 2 automnes, 3 hivers, et c'était assez fou comme ça rentrait en écho avec des questions que je me posais par rapport au monde réel, à l'autobiographie même si je n'aime pas beaucoup ce terme, à un film personnel et à ce qu'est l'idée de la fiction. Toutes ces références, c'est plus de la nourriture en fait. Il y a aussi quelque chose que j'aime bien dans le film, c'est quand Benjamin parle de la Salamandre, qui est dans son top 10 et qu'il a découvert grâce à Katia. Et qu'il dise ça, pour moi, ça dit beaucoup plus sur sa personnalité que s'il avait développé des arguments beaucoup plus psychologiques. Rien que de dire ça, pour moi, ça dit énormément. C'est comme dans mes relations amicales. C'est très important pour moi ce qu'écoutent les gens, ce qu'ils aiment.

EN : Dans votre film précédent, Les nuits avec Théodore, il y avait déjà beaucoup de voix-off. Or c'est toujours un peu particulier, l'utilisation de la voix-off dans un film. Pour vous, qu'est-ce que cela apporte, qu'est-ce que cela ajoute ?

SB : C'est marrant parce que de plus en plus je me pose la question à l'envers. C'est-à-dire que j'écris beaucoup et de manière très littéraire, et je trouve que la méthode est intéressante, d'utiliser ce mode de récit qui utilise ce registre de la voix-off, et après, de creuser pour faire advenir des scènes de jeu. J'ai de plus en plus besoin de ce support. Tout à l'heure on parlait de références et de gens qui osaient, eh bien je vais citer un auteur français qui ose beaucoup, en tout cas dans ce travail sur la forme et de l'utilisation de la voix-off en particulier, c'est Alain Resnais. Il a dit dans une interview qu'il dressait des portraits de ses personnages de leur naissance au moment de leur apparition dans le film, même s'il n'écrit jamais ses scénarios. Je comprends totalement ça. Moi j'ai besoin d'écrire beaucoup, pour en dire moins, mais pour que cela soit présent malgré tout. Je pense que c'est présent dans la façon dont je vais filmer mes personnages. Pour moi, la voix-off, c'est une espèce de fondement qui existe de manière multipliée par rapport à ce qui existera dans le film et Les nuits avec Théodore avait été écrit un peu comme ça aussi. En fait, c'est la question de creuser, de garder l'essentiel.