Berlin : The Reader émeut, Kate Winslet séduit

Posté par MpM, le 7 février 2009

berlinale kate winslet ralph fiennesPour cette première journée de festival, c’est un film hors compétition qui a monopolisé toute l’attention berlinoise. Little soldier d’Annette K. Olesen (un thriller intimiste entre un père proxénète et sa fille récemment revenue de la guerre) et Ricky de François Ozon (comédie réalistico-symbolique sur une famille étrangement bouleversée par la naissance du petit dernier) ont en effet été élégamment éclipsés par le très attendu The reader (Le liseur) de Stephen Daldry. Logique pour un film cinq fois nommé aux Oscar (dont meilleur film et meilleur réalisateur) et adapté d’un best-seller, le roman éponyme de Bernhard Schlinck…

Plus encore que la présence du réalisateur ou de son interprète masculin Ralph Fiennes, la venue de Kate Winslet a littéralement électrisé la capitale allemande. L’actrice, qui interprète une ancienne gardienne de camp de concentration, rôle pour lequel elle a déjà reçu le Golden Globe du meilleur second rôle féminin, s’est retrouvée sous un feu nourri de questions allant de son rapport à la nudité à son opinion sur la manière dont on enseigne l’Holocauste aujourd’hui. Elle a expliqué s’être énormément documentée sur cette période de l’histoire afin de mieux entrer dans son personnage. "C’était très compliqué pour moi de jouer ce rôle", a-t-elle avoué. "J’ai éprouvé une grande responsabilité. Il était difficile de trouver le bon équilibre entre la honte ressentie par Hannah et la culpabilité dont elle prend conscience au moment de son procès. Pour autant, il aurait été faux de tenter de l’humaniser… même s’il fallait aussi qu’elle reste un être humain également capable de faire parfois preuve de chaleur."

L’interprétation de la comédienne est à ce titre extrêmement subtile, entre rudesse et passion, violence et douceur, monstruosité et banalité. L’Oscar pourrait facilement être au bout du chemin… Le film, lui, s’inscrit dans un surprenant retour en force des intrigues liées à la seconde guerre mondiale dans le cinéma américain : Walkyrie de Bryan Singer, Adam resurrected de Paul Shrader (présent en section parallèle), The boy in the striped pyjamas de Mark Herman, Inglorious basterds, le prochain Quention Tarantino… et même international ! Rien qu’à Berlin on découvrira quatre films ayant pour toile de fond cette période de l’histoire récente (John Rabe de Florian Gallenbreger, North face de Philipp Stolz…). La Scandinavie semble même s’être fait une spécialité des "actionners" situés pendant le conflit mondial, comme Max Manus des Norvégiens Joachim Roenning et Espen Sandberg, qui raconte l’histoire vraie d’un saboteur ayant combattu l’occupant nazi…

Immanquablement, le retour en force de ce type de films fait grincer quelques dents : faire de l’art (et de l'argent) avec un sujet tel que l’Holocauste choque encore de nombreux professionnels… et Stephen Daldry, malgré la qualité de The reader, n’a pas échappé aux remarques acerbes. Lui, pourtant, se défend d’avoir fait un film sur la Shoah. "Le sujet est l’Allemagne d’après-guerre", clame-t-il. C’est justement ce que les esprits chagrins lui reprochent : ce mélange de love story sensuelle et de récits terribles sur le fonctionnement d’Auschwitz… Pourtant, à bien y regarder, c’est le cas de la plupart des films à venir, qui ne se sentent plus obligés de témoigner sur le passé et n’éprouvent aucun malaise à utiliser la force dramatique et romanesque de ce traumatisme récent. On jugera sur pièces, mais le fait est que ces histoires ne viennent pas de nulle part : elles plaisent au public international et remplissent les salles, voire récoltent des prix. On n’a donc pas fini de voir des nazis parler anglais dans des thrillers haletants et des comédies sentimentales tragiques…

Plus tard tu comprendras : touchant mais pesant

Posté par Morgane, le 20 janvier 2009

jeanne moreau plus tard tu comprendras« - Promets-moi de résister à l’intolérance »

L’histoire : Paris, aujourd’hui : Victor, un homme d’une quarantaine d’années, seul, se recueille devant un grand mur où l’on devine des noms gravés. Le mur à la mémoire des déportés. Paris, 1987. Alors que le procès de Klaus Barbie est retransmis en direct, on découvre Victor entouré de documents où il tente de découvrir la vérité à propos de son passé familial.

De son côté, Rivka, sa mère, s’active à préparer un repas. De la télévision, on entend très distinctement le début du même procès, le témoignage d’une rescapée. Lors du dîner, Victor tente de faire parler sa mère qui s’y refuse. Elle fait mine de ne rien entendre ou change de conversation, elle veut finir tranquillement sa vie, au milieu d’objets et de souvenirs et entourée de ses enfants et petits-enfants. Son attitude ne fait que renforcer l’agitation de Victor. Sa femme Françoise va le soutenir dans cette reconquête de la mémoire familiale.

Ce que l’on en pense : Loin des conflits armés, Amos Gitaï plonge ici au cœur d’une famille juive parisienne, dans les dédales de la mémoire et de la transmission. Il se fonde sur les Mémoires de Jérôme Clément, président de la chaîne Arte, qui diffuse, d'ailleurs le film en avant-première ce soir.

Victor (Hippolyte Girardot), petit-fils de grands-parents juifs morts dans les camps, cherche à savoir et part en quête de quelque chose d’impalpable. Espérant trouver des réponses auprès de sa propre mère Rivka, interprétée par la grande Jeanne Moreau, cette-dernière se ferme à lui et refuse de parler du passé. A ses côtés, sa femme Françoise (Emmanuelle Devos) le soutient, l’aide à comprendre tandis que sa sœur Tania (Dominique Blanc) cherche à respecter ce silence, celui de la mémoire qui a parfois nécessité de se rompre ou bien au contraire de rester enfouie, comme c’est le cas ici, afin de continuer d’avancer et surtout de pouvoir vivre.

Le sujet abordé ici est bien évidemment touchant mais également lourd et pesant. Cette sensation d’étouffement est renforcée par une mise en scène tout en sobriété. Les scènes tournées en plans-séquences, presque exclusivement dans des intérieurs plutôt sombres, symbolisent fortement l’enfermement des personnages, notamment de Rivka dans sa mémoire et de Victor dans son obsession de savoir. Même les extérieurs, rares, semblent fermés, dans des rues étroites. Les seuls moments de respiration, aussi bien pour les personnages que pour les spectateurs, se situent dans le petit village où Victor et sa famille se rendent sur les traces de ses grands-parents disparus ou lorsque, tour à tour, Victor puis Rivka ouvrent rapidement la fenêtre comme une bouffée d’air nécessaire avant de replonger en apnée en eux-mêmes.

Malheureusement, tout ceci est trop vite dissimulé par le côté beaucoup trop scolaire avec lequel Amos Gitaï peint son film et son propos. Celui-ci débute face au mur à la mémoire des déportés comme un cours d’histoire nous frappant en pleine figure. Le fil se déroule pour ensuite déboucher sur le procès de Klaus Barbie retransmis à la télévision. Puis ce dernier continue son chemin via des questions très scolaires des enfants de Victor et Françoise sur les juifs et leur grand-mère. Le côté très démonstratif, à l’image d’un cours magistral, ôte l’émotion de certaines scènes devenant alors très froides comme celle où Rivka emmène ses petits-enfants à la synagogue pour Kippour.

Amos Gitaï interroge avec pudeur la question du silence et de la mémoire ensevelie. Néanmoins, son aspect instructif en fait un film froid d’où l’émotion et les sentiments sont finalement absents là où ils devraient être à fleur de peau.