Festival Lumière – Jour 2 : le Bubby de Rolf De Heer et le King de Martin Scorsese

Posté par Morgane, le 14 octobre 2015

Deuxième jour du festival Lumière à Lyon. De l'Australie à New York, on se dépayse en quelques heures.

Bubby le bad boy australien

Aujourd'hui direction la salle obscure du Cinéma Opéra pour découvrir Bad Boy Bubby (1993) de Rolf De Heer présenté ici en avant-première avant sa ressortie en salles le 11 novembre prochain. Le pitch attire, intrigue (un enfant sauvage de 35 ans, enfermé depuis sa naissance, fait pour la première fois l'expérience du monde extérieur…), tout comme la bande-annonce.

Rolf De Heer est là en personne, fraîchement débarqué de Tasmanie, pour nous présenter son film. Il a aussi inauguré sa plaque rue du Premier Film hier après-midi. C'est un cinéaste australien majeur. Il réalise des films très politiques, abordant notamment la thématique aborigène - The Tracker, 10 canoës, 150 lances et 3 épouses et Charlie's Country. Les deux derniers ayant été présentés et primés à Cannes dans la section Un Certain Regard. Son travail a donc marqué l'Histoire du cinéma australien de par ses thématiques qui font encore polémique dans les débats nationaux (la politique, les aborigènes, les marginaux…).

Ce film a été tourné à Adelaide il y a de cela 23 ans et l'on peut noter une anecdote peu commune : il y a eu 32 directeurs de la photographie sur ce film. Pourquoi? Rolf De Heer nous explique: "C'est compliqué! Quand j'ai commencé à travailler sur ce film, 11 ans avant de le faire, je pensais que ce serait mon tout premier film et je n'avais donc aucune attente en ce qui concernait le financement. Je pensais alors devoir tourner les week-end et travailler la semaine pour le financer. Je pensais également qu'il faudrait deux ou trois ans pour filmer et le problème serait que je ne pourrai pas garder la même équipe aussi longtemps. J'ai alors résolu ce problème dans le script même. J'ai enfermé mon personnage!!! J'ai retiré tout l'extérieur pendant 35 ans. Une fois libéré, tout ce qu'il voit, il le voit pour la première fois et ça pouvait donc ressembler à n'importe quoi. J'ai alors eu l'idée de prendre un chef opérateur différent pour chaque lieu que Bubby va découvrir.

Mais 11 ans plus tard, Bad Boy Bubby est en réalité le quatrième film que je réalise. On a un budget correct et je peux donc filmer en une seule fois. Mais j'ai conçu le film avec l'idée de tous ces chefs opérateurs alors je décide quand même de le faire ainsi. Ce qui s'est avéré une belle idée avec trois résultats inattendus : On ne voit pas qu'il y a 32 directeurs de la photographie différents. À chaque nouveau chef opérateur une nouvelle et terrible énergie émergeait! Et avec cette idée, les financeurs nous prenaient pour des dingues et nous ont donc foutu la paix durant le tournage!"

Quant au côté culte de son film, y avait-il pensé? "Non. La réussite de ce film est quelque chose de très inattendu. C'est le public qui fait d'un film un film culte!" Le film a gagné 4 "Oscars" australiens (dont meilleur réalisateur, meilleur scénario et meilleur acteur) et trois prix à Venise (Grand prix spécial du jury, Prix FIPRESCI)?

"Bubby, pas fait pour l'extérieur"

Rolf De Heer nous souhaite donc une bonne projection, les lumières s'éteignent et l'on plonge au coeur de cette expérience peu banale. Dès les premières images le spectateur est happé par cet univers glauque dans lequel Bubby est enfermé par sa mère depuis 35 ans. Une unique pièce sombre, des cafards qui rasent les murs, un chat martyrisé, une relation mère/fils plus qu'incestueuse, le décor est posé et on sait d'ores et déjà que ce film ne nous laissera pas indifférent.

Puis le monde de Bubby s'élargit quand il finit par sortir de sa prison mais l'univers qu'il découvre n'en est pas moins sordide et absurde. Le film oscillant entre folie et scènes totalement surréalistes est tout à la fois dérangeant et émouvant. Les quelques longueurs que l'on peut éprouver dans la deuxième partie du film ne lui retire pas son côté ovni qui nous met une bonne claque. Bad Boy Bubby appartient à ses films qui marquent, qui dérangent et dont on ressort soulagés qu'il soit fini tout en étant à la fois fascinés…

Scorsese et sa Valse des pantins

Le temps de prendre l'air quelques minutes et on replonge de suite dans la salle du Cinéma Opéra pour découvrir cette fois la Valse des pantins (The King of Comedy, 1982) de Martin Scorsese.

C'est Delphine Gleize, réalisatrice notamment de La permission de minuit avec Vincent Lindon, qui vient présenter le film.

Elle nous explique qu'à sa sortie le film avait été un échec commercial car, comparé à Raging Bull, film précédent du réalisateur, celui-ci apparaît trop classique. Le film est alors soutenu par la presse mais boudé par le public. Pourtant le film, sélectionné en compétition à Cannes, a reçu le prix du scénario aux British Awards et le titre de meilleur film de l'année par les Critiques de cinéma de Londres.

Selon elle, il y a dans ce film "trois grands numéros d'acteurs : Robert De Niro, Jerry Lewis et la révélation du film, Sandra Bernhard, mélange de Mick Jagger et Courtney Love, qui est l'incarnation même du corps de l'acteur qui parle. Elle est fascinante et traduit à elle seule la folie du New York du tout début des années 80."

"Mieux vaut être Roi d'un soir que Charlot toute sa vie"

L'ambiance est ici un peu plus détendue que dans Bad Boy Bubby même si le thème de la folie y est également abordé.

Robert De Niro y campe Rupert Pupkin (alias The King) dans un rôle bien loin de ceux qu'il a tenu jusqu'alors dans les films de Scorsese (Mean Streets, Taxi Driver, New York, New York ou encore Raging Bull). Il est ici un comique, adorateur de Jerry Langford (Jerry Lewis), star du stand-up, prêt à tout pour percer. À tel point que son obsession tourne réellement à la folie.

Martin Scorsese aborde son sujet sous l'angle de la comédie mais celle-ci est noire. On ne sait parfois si l'on doit rire ou pleurer, aussi amusés que attristés par ce personnage de comique. Ce film donne l'occasion à Scorsese de montrer une autre facette du New York fou des années 80... Comme une suite à New York, New York. Il porte là un regard cruel sur le monde du show-business. Et encore une fois, plus dure sera la chute pour celui qui s'approchera trop du soleil...