ecran noir, le ciné zine de vos nuits blanches

france gall, résiste

Courrier

Visionné le 22.11.97, Paris UCG Cité Ciné Les Halles

Le Film

Le Monde est Stone

Paradoxalement, le dernier Alain Resnais est un film triste dont on ressort joyeux. Un de ces moments de cinéma plutôt jouissif et qui, pourtant, nous dépeint le regret, la grisaille, une certaine nostalgie, un manque d'humanisme, les murs de nos vies.
A quoi cela tient-il? A la superposition audacieuse - et réussie - entre une forme légère et un fond terriblement déprimant.

A la surface, les acteurs et les chansons. Tout le groupe, fonctionnant essentiellement par duos, forme un ensemble parfait, harmonieux.
Pierre Arditi et Sabine Azéma, en couple marié et blasé, expérimenté par la vie, faillible par ses tentations. André Dussolier (autre habitué du monde de Resnais), en agent immobilier, érudit, épris d'Agnès Jaoui. Un Dussolier soumis aux ordres de Lambert Wilson, VRP de toc et pseudo playboy.
Les deux hommes font la cour à Agnès Jaoui. Le premier maladroitement, le second avec arrogance. Jaoui, soeur d'Azéma dans le film, est une étudiante-à-long-terme, et guide à ses heures trouvées, une intello qui rêve comme une petite fille.
Et puis, enfin, Jean-Pierre Bacri, ex d'Azéma, mari de Jane Birkin, qui visite les apparts et les médecins. Dans les deux cas il essaie de remplir un vide.
Un puzzle de 6 personnages, tous reliés par un fil, qui s'assemble ou se déconstruit, psychanalytiquement. Il faut se méfier des apparences. Chaque mot, tous les maux, et même les mensonges cachent douleurs, angoisses et manques.

Pour exprimer leurs pensées, ce ne sont pas les dialogues, volontairement creux - à l'instar de notre communication de tous les jours - mais les chansons qui vibrent et raisonnent. D'un Résiste France Gallien à un Qu'est ce qu'elle a ma gueule? made in Hallyday, tous reprennent des refrains populaires de ce siècle. Tellement ancrés dans notre mémoire collective qu'ils participent, non pas à un choc, mais au contraire à une adaptation naturelle au processus: paroles - playback de Paroles Paroles - paroles.

Ce risque formel, cette innovation dans le langage cinématographique, contribue au plaisir éprouvé par le spectateur. Drôle, plein d'humour, le film de Resnais laisse un doux sentiments d'euphorie, et une impression de bien être.

Or, le film n'exprime que le mal être. Alain Resnais a réalisé soigneusement, sobrement, presque froidement. Avec un esthétisme glacial même. Ce qu'il montre de Paris - le XIXème siècle (l'art contemporain est sujet aux moqueries) - mais aussi les (superbes) décors, tout y est empreint de ce contraste vieux et charmant/nouveau et invivable.
Pas un ordinateur pour installer le film dans son époque. On en apprend plus sur le Parc des Buttes Chaumont que sur les quartiers à la mode d'aujourd'hui. Tout ce qui est futile dans nos vies est décrit: le cynisme des cellulaires, l'abrutissement de la télécommande, ....Et les soucis de prêts se substituent à ce qui est intéressant (l'Histoire par exemple).
Resnais ajoute quelques touches brillantes; un apport qui rend son film fantaisiste (l'ouverture sur un Paris occupé par les nazis, Dussolier en garde républicain) ou tragique (la descente aux enfers de Jaoui, les maladies de Bacri). On change de gammes, passant de Demy version Demoiselles de Rochefort, à Demy version Chambre en Ville.
Mais jamais Alain Resnais n'a la prétention de transformer sa "comédie musicale" en drame.

Cette superficialité, un peu passéïste, très parisianniste, toujours très digne, possède heureusement une profondeur. Une essence.
Pareillement aux personnages, au delà du style, du "paraître", il y a l'observation, l'être.
La consistance de ce film ne provient ni des chansons choisies, ni de la réalisation finale, mais du scénario. De cette écriture si particulière, mixant les piques verbales aux sentiments des gens. Des visages pas forcément bien dans leur tête ou dans leur peau.

Sous la plume alerte, rythmée et riche d'Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri - themselves - le script se déroule comme une parfaite partition pour piano mécanique.
Reprenant leurs thèmes de prédilection - l'incommunicabilité, les difficultés relationnelles, les soucis de la société, l'hypocrisie ou la carapace des hommes, le tournant d'une vie, et la "bouffe" - les "Jabac" ne font que décrire les carrences, les incohérences, les différences dans notre environnement. Tout ce qui nous pourrit la vie, mais rend les gens si humains.
Un travail (une thèse) qui ne débouche sur aucun emploi, des médecins qui fournissent un diagnostic différent, des loyers trop chers, des rêves inassouvis, la quarantaine dépassée, la réussite matérielle au profit de la richesse individuelle, les tabous et les obstacles créent par l'éducation ou les classes. Tout y passe. Et parfois ça casse. De quoi se jeter du Pont aux suicides. Mais voilà, c'est un beau film, c'est une belle histoire...

Ces choses graves sont dîtes à travers des chansons de variété. C'était aussi l'ambition de Michel Berger avec ses "pop-songs". Plus la chose était grave, plus il élevait la voix et les notes vers les aigües. Alors, on devient les groupies des artistes. On résiiiiste. Puis on joue des "bravos" debout.


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