Courrier
Visionné le 26.02.98, Cinema Berri, Montréal
Vincy Thomas
Fiche du film
Quentin Tarantino
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Embarquement immédiat
Attendu au tournant, Tarantino a donc utilisé un contre-poison, une anti-dote, un punch à base d'anti-héros.
Une femme en personnage central, des thèmes inhabituels (la vieillesse, les blessures de la vie) mais toujours des meurtres, de la musique rétro, L.A., et l'illégalité. Du Q.T. quoi.
Jackie Brown, c'est l'histoire d'une manipulation à plusieurs niveaux où s'entrecroisent des couples qui n'avaient rien à voir ensemble. Après nous avoir présenté un à un les personnages (premier acte), Tarantino nous unit les couples et nous dévoile l'enjeu de l'intrigue (deuxième acte) pour finalement se concentrer sur le but du jeu: le fric.
S'il n'y avait pas les hésitations du cinéaste (faire du Pulp Fiction ou carrément en dévier), le film aurait pu trouver un équilibre harmonieux dès le départ. Une vitesse de croisière qui aurait raccourcit le trajet de 30 bonnes minutes.
Le film est trop long, et son début extrêmement laborieux. Le spectateur a de la difficulté à s'impliquer dans cette "non-histoire", ultra-narrative, et essentiellement basée sur les personnages. Or Tarantino étire non seulement leur présentation, mais surtout, il nous révèle très tardivement l'objectif du scénario...
Heureusement, le script recèle quelques dialogues ou monologues intéressants par leur superficialité. On est à la limite de Godard dans le non sens. On jubile, ou on s'agace. Question de montage.
Et assurément, le montage a des failles, essentiellement dans la première partie. Il se rattrape notamment avec la scène-clé, filmée de 3 manières différentes, pour notre plus grand plaisir. Le meilleur moment du film sans aucun doute.
Tarantino s'essaye aussi au comique de situation (la scène de sexe entre De Niro et Fonda).
Si Jackie Brown n'apparît pas comme êtant un grand film, il reste un thriller au ton délibérément original, avec des remarques acerbes, des propos politiquement incorrects, et de l'humour noir. Sans jeu de mots.
Mais surtout il est sauvé par son casting, et ses quelques scènes de duos (Grier-Forster dans l'appartement de Jackie Brown notamment).
Ce film repose sur 6 personanges. Tous bien campés, bien dessinés. Mention à De Niro qui nous fabrique un ex-taulard jouissif.
Mais ce sont Pam Grier (superbe, battante, distante, digne) et Robert Forster, qui par leur jeu discret, en retrait, des vétérans profitant de la caméra comme s'il s'agissait d'une première fois, qui créent la bonne chimie.
D'abord il est rare de voir des couples transraciaux au cinéma. Cela mérite d'être salué. Ensuite leur Love Story sonne très juste.
Finalement ce film, très librement adapté d'un roman de Elmore Leonard, ressemble à son générique: son héroïne est immobile sur un tapis roulant d'aéroport. Puis elle marche, pour accélérer le pas et finalement courir afin de ne pas être en retard.
Il faut attendre la fin pour que le rythme s'emballe, et qu'on ne ressorte pas déçu de ce 3ème Tarantino. Il ne réinvente pas le cinéma. Mais il reste à part.
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