ecran noir, le ciné zine de vos nuits blanches

une discotheque

Courrier

Visionné le 04.12.97, Montréal Le Dauphin

Nettoyage à sec

Voiles et vapeur

Le cinéma français aujourd’hui se dédouble....tandis qu’une nouvelle vague de jeunes talents apparaît, issus de la BD, de la pub, du clip, nourrie aux années 70 libertaires et utopistes, désillusionnée, vivant avec ses tripes, de l’autre coté, des auteurs émergent, héritiers de la Nouvelle Vague.
Les premiers se revendiquent de l’univers de Besson, purement visuel. Les seconds prennent Sautet, Truffaut, Téchiné comme modèles.
Anne Fontaine appartient sans équivoque à cette seconde catégorie de réalisateurs. Ceux qui filment la Province, les sentiments, la société. La dure réalité de nos années 90.

Les caméras françaises avaient longtemps oublié de filmer la crise ou les évolutions des mentalités.
Or, de la sexualité au racisme, en passant par la solidarité et l’égoïsme des gens, tout s’est bouleversé.
Après Lyon (Les Voleurs), la Bretagne (Western), Marseille (Marius et Jeannette), nous visitons la région de Belfort, lieu ingrat, industriel, trou perdu entre Jura et Alsace, territoire batard où les commerçants ont une imagination qui dépasse rarement la frontière Suisse.

Anne Fontaine dépeint une vie de couple, banal, amoureux, mais sans désir, forçats de leurs tâches. ils tiennent un pressing prospère (excellente idée pour les métaphores).
Miou Miou et Charles Berling campent ces époux de manière impecable. Charmeurs, complices, perfectionnistes, et en cela jusqu’au boutistes.
Une machine trop bien huilée où un grain de sable va réveiller jeunesse et désir, tabous et folies.

Il n’y a rien de pervers ou de vulgaire dans Nettoyage à sec. Fontaine et son scénariste, Gilles Taurand, ont écrit une histoire ancrée dans notre époque. Une époque où les Reality Shows exhibent les excentricités des téléspectateurs devenus animaux jetés en pature au téléspectateur.
Une époque où n’importe quel night club joue avec les interdits et transgresse les sexes, pour le plaisir de mateurs incapables de réveiller eux-même leurs envies.
Une époque où le seul altruisme est un ragot, et où la peur des autres, de la vie, rend xénophobe.
Enfin, une époque, où l’on se sacrifie pour survivre, au lieu de se libérer pour vivre.

Le temps gris, les briques ternes, les montagnes sombres.....l’opression d’une ville sordide ajoute à la dureté du quotidien vécu par des gens-comme-tout-le-monde.
Et Fontaine ne rajoute rien à cette pathologie existentielle. En quelques mots, en quelques plans, elle montre à quel point ses personnages nous ressemblent, à quels points ils sont dévitalisés.
Survient l’arrivée de Loïc (Stanislas Mehrar, acteur révélé et solaire), par petites touches, progressivement. Et ce qui était une chronique de la vie provinciale d’un couple en 1997 devient une observation scientifique d’un élément trop désirable plongé dans deux corps liquides.

Expérience réussie puisqu’elle aboutie à transformer, voire transfigurer, les 3 protagonistes.
Guidés par Miou Miou, qui joue avec justesse, une femme libre mais dominée par ses passions, le trio épousera les travers d’une société permissive, curieuse, ouverte sur la marginalité, forcément plus intéressante que l’uniformité imposée par la mondialisation.
Oubliant les principes chrétiens (fidélité, hétérosexualité), et cherchant les nuances, les fausses frontières, Anne Fontaine demande à ses personnages d’évoluer vers l’impossible, vers leurs secrets, dans leurs entrailles.
Leurs pêchés vont les faire renaître un à un. Miou Miou va retrouver sa jeunesse à travers Loic, Loic va trouver son équilibre (familial, social) à travers le couple et le travail, et Charles Berling luttera jusqu’à la fin pour refuser l’ultime tabou masculin, la partie féminine en chacun de nous.
Cette ouverture sur le psycho, sur les variances de nos sentiments, les flous de nos sexualités, ose nous faire comprendre à quel point il est difficile de juger les gens.

C’est peut-être cela le plus beau pari du film: nous ouvrir l’esprit, nous affranchir de nos limites.
Drame fatal sur les secrets et les rêves, sur les désirs inassouvis et les libertés freinées, Nettoyage à sec comporte quelques scènes magnifiques, des rôles forts, une étude de caractère précise et intelligente.
Un film dont le regard fixe imperturbablement le besoin tellement actuel d’être hédoniste dans ce monde matérialiste. Où l’on cherche la douceur pour panser ses douleurs.
Nettoyage à sec c’est l’histoire d’un déraillement inévitable dans deux vies trop dirigées. Une volonté de vivre au présent....
Le film a reçu le prix du meilleur scénario à Venise, le Lumière de la meilleure actrice. Miou-Miou est l’actrice favorite pour les prochains Césars.


Sommaire Ecran Noir / Films / Critiques / Cannes 39-98

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