La BD au Ciné

 

De la bulle à l'écran
Il fallait s'y attendre. Après les énormes succès mondiaux des films américains adaptés des comics (Batman, Superman, Spiderman, X-Men...), c'était au tour des Français. Double raison : une capacité d'investissement sur des productions internationales et surtout un nombre impressionnant de bandes dessinées populaires et souvent traduites dans le monde entier. Hormis quelques exceptions, ou disons tentatives, les bandes dessinées francophones - françaises ou belges - ne sont pas parvenues à se transposer sur grand écran. Elles ont souvent trouvé leur voie sur le petit écran, sous la forme de série animée. Michel Vaillant, par exemple, dans les années 60. Mais depuis une dizaine d'années, des stars comme Tintin, Achille Talon, Rahan, Iznogoud, Boule et Bill, Titeuf, Blake & Mortimer, Bob Morane ou encore Lucky Luke ont carto(o)né en prime time. Artistiquement, ce "produit dérivé" était rarement à la hauteur, remaniant trop souvent la personnalité même de la bande dessinée (et notamment leur humour). Le potentiel reste immense avec des séries à succès et pas encore exploitées comme Léonard, Le Chat, Les Tuniques bleues, Les Cités obscures... On peut aussi imaginer des adaptations télévisuelles plus classiques à l'instar de Largo Winch, complètement transformé en vue d'une série "techno-thriller" et hebdomadaire. Il est toujours délicat pour une BD française de devenir un film, un téléfilm ou une série autre qu'animée.
Contrairement aux Comics made in US, les personnages sont physiquement déformés : gros nez, chevelure improbable, ... sans oublier un humour souvent très textuel. Aussi le nombre de BD à adapter tel quel est faible. En revanche, les scénarii de BD pourraient souvent servir à de bonnes histoires de cinéma. C'est ce que préconisait Franquin à propos d'une adaptation de Gaston Lagaffe. Fais galle à la gaffe, malheureux essai de Paul Boujenah en 1981, avait réussit à trouver le bon casting, mais avait échoué à restituer l'esprit de la BD. Auparavant il y avait bien eu Tintin, au début des années 60, désastreuse aventure kitsch et mal foutue, indigne de la qualité du matériau d'origine. Et la tentative (en 1991) de faire croire que Lucky Luke, brun et sans âge, avait l'allure de Terence Hill, blond et vieillissant, a donné l'aspect d'une parodie de western, qui évidemment fut elle aussi boudée par les spectateurs.

Film ou dessin animé?
Aussi, les éditeurs et les auteurs ont souvent préféré l'adaptation cinématographique sous forme de dessin animé. Astérix, évidemment, a ouvert le bal avec un début sur grand écran en 1967 et un projet en route pour 2006. Tintin et Le Temple du Soleil (1969), La Ballade des Dalton (1978), Les Schtroumpfs (à partir de 1976) ou encore Corto Maltese (2002) ont tous eu l'infortune de ne pas trouver leur public. À croire que ce créneau là est maudit.
Il faudra donc patienter jusqu'en 1999. Là encore c'est Astérix, BD leader, héros mondial, gaulois inadaptable, qui ouvre la voie. Malgré la faible ressemblance de Clavier et Depardieu avec Astérix et Obélix et une réalisation pépère de Claude Zidi, Astérix et Obélix (contre César) fait un triomphe à l'international. Il est donc possible d'adapter une BD en film, et d'en faire un hit en Allemagne, Italie, Espagne, ... Difficile, évidemment, d'imaginer Les Schtroumpfs ou le Chat dans ce contexte. Mais la BD francophone est beaucoup plus variée, dans son style, comme dans ses thèmes. Bilal, et nous observerons à ce titre son nouveau projet en 3D, est un exemple type de cette diversité.
Astérix aura une suite (Astérix et Obélix : mission Cléopâtre), en 2002, très librement adaptée par Alain Chabat. En France, le film bat des records et attire 14 millions de spectateurs en salles. Mais l'humour trop "local" détourne les publics étrangers. Et Uderzo, le dessinateur, ne reconnaît pas l'esprit de la bande dessinée. Tandis que Gérard Jugnot travaillait sur l'adaptation d'Astérix en Hispanie, le projet a été abandonné à la demande d'Uderzo. Si Astérix, poule aux oeufs d'or, se voit interdit de cinéma (sauf pour les dessins animés, comme dit plus haut), d'autres producteurs que Berri s'intéressent au filon. Besson, pour commencer. En faisant une O.P.A. sur Michel Vaillant (2003), il reformate complètement la BD pour n'en garder que la marque, le logo et les personnages. Franchise à la clef? Si le film marche, on peut aussi imaginer que tous les personnages de type Bob Morane, Corto Maltese ou Largo Winch pourraient se métamorphoser en film. Il y a déjà eu des tentatives avortées autour de Maltese. idem avec Tintin, qui intéressait jusqu'à Spielberg assez récemment. Avec des scripts riches, des personnages notoires, ces projets ne sont pas impossibles. On sait par exemple qu'Iznogoud a sa version cinématographique prévue pour fin 2004 (par Patrick Braoudé, avec Michaël Youn).

D'albums en franchises?
Mais le plus grand espoir semble reposer sur Blueberry (L'expérience secrète). Prévu pour début 2004 ce western, produit par le fils de Claude Berri, devrait harmoniser une réussite artistique (qui fait défaut pour le moment dans tous les films sus-cités) et un succès public (grâce à la présence de Vincent Cassel). Réalisé par Jan Kounen, le film vise aussi une rentabilité par la franchise. Normal : les albums de BD sont autant d'épisodes possibles. L'écriture fonctionne comme celle d'un feuilleton. Ce qui explique le rapport de connivence entre la télévision et la bande dessinée.
Avec l'invasion de BD au cinéma, et par conséquent en DVD, les BD retrouvent une nouvelle jeunesse, en ciblant de nouvelles générations. Surtout que certains héros sont vieillissants, certains auteurs 6 pieds sous terre, et qu'il s'agit d'un patrimoine littéraire comme un autre, c'est-à-dire exploitable.
On reste cependant perplexe. Avec un 8ème art aussi foisonnant dans le pays d'Angoulême, il est étonnant que l'industrie du 7ème art le méprise et le boude depuis si longtemps. Et lorsqu'on voit le résultat sur grand écran, il est évident que la sensation de plaisir s'est évaporée. Mieux vaut souvent lire la BD plutôt que de se taper une mauvaise adaptation. Oublions Astérix, Lucky Luke et Michel Vaillant. Le Marshall Blueberry conjurera-t-il ce sort?

Vincy