THE OUTSIDERS
En à peine 20 ans le cinéma américain a changé le regard qu'il porte sur sa jeunesse, qui plus est son principal public. Dans les années 80, le cinéma faisait le grand écart entre un Coppola (Rumble Fish, The Outsiders, Peggy Sue) davantage rebelle et même marginal, et un John Hughes (Ferris Bueller, Sixteen candles, The Breakfast Club), plutôt romantique et légèrement décalé. Si l'on caricaturait, le premier est à l'origine du cinéma qui nous préoccupe actuellement, quand le second a, involontairement, engendré des produits potaches et fleur bleue.
Car la subversion des années 80, qui prenait sa source dans le cinéma socialement engagé des années 60 (Rebel without a cause, West Side Story, Splendor in the grass), n'a pas pu supporter le clash générationnel des années 90. Là, le 7ème Art est devenu schizophrénique.
The teen-movies...
Les studios ont fabriqué des vedettes immatures et people, des créatures décérébrées pour des scénarios écrits à la chaîne, sur le même modèle, avec une morale similaire (et ultra conservatrice). Les films pour teenagers sont généralement abrutissants, naïfs, vulgaires, reprenant les codes de la sitcom pour faire rire et les drames du soap pour tirer les larmes. Nous sommes dans l'irréel. Ces films visant les jeunes leur inventent un monde idéal, propre, où le bonheur tient dans l'intégration au système, et notamment à la notion de la famille unie. Croire que les Américains sont ceux de films comme American Pie, She's all that, Boys and Girls, 10 things I hate about you, Just Married.... c'est comme imaginer qu'un français porte toujours un béret. Ces films ne sont que des viviers d'apprentis vedettes où les visages se ressemblent et les répliques se répètent. Tout est interchangeable. Le problème est sans doute que ces films sont populaires et agissent comme une véritable propagande vantant les bienfaits de l'éducation américaine. On parlera de propagande, car il est évident, si l'on lit ce dossier, que les producteurs d'Hollywood jouent les mystificateurs.
Kids???
A l'opposé vous avez des cinéastes qui, dans un système indépendant, avec bien moins de visibilité, essaient de montrer une forme de vérité autour de la jeunesse américaine. Le mythe, alors, explose en vol. Rules of attractions est même complètement "trash", comparé aux films sus mentionnés. Quand on regarde Requiem for a dream, Elephant ou Ken Park, il est évident que nous ne parlons plus de la même jeunesse - alors qu'elle vit au même endroit dans la même époque. Bien sûr, elle n'est ni dramatiquement héroïque comme chez Coppola ou nonchalante comme chez Hughes. Elle s'inscrit dans un processus sociologique et éducatif qui remet en cause la responsabilité parentale, qui rejette un système liberticide et dogmatique. Nous nous situons dans l'apologie de l'ennui et ses compensations : drogues, violence, sexe. Ici la famille implose, les ados violent les tabous, s'autodétruisent, et surtout le bonheur ne paraît être qu'une utopie impossible.
Ces films là, de par leur style plus audacieux, sont plus proches du cinéma européen (Dumont, Loach, Boyle, Vinterberg...). Le message est pessimiste, l'esthétisme est naturaliste. Les cinéastes n'ont plus de pudeur et s'attaquent à l'image béatifiante et niaise de la jeunesse selon Hollywood. Rares sont les instants de grâce dans ces films souvent magnifiques et tragiques. Mais les moments crus et lucides sont plus fréquents.
Génération X ?!?
Adolescence sacrifiée? On est loin de Ferris Bueller dont le principal crime était de mentir à tout le monde et de faire l'école buissonnière. La crise est passée par là, mais aussi la perception, même inconsciente, que la vie toute tracée qu'on leur vend, ne leur conviendra pas.
Surtout quand les films hollywoodiens, qui prônent le mariage et la fidélité, ne parlent jamais de SIDA et fument à peine une clope. Clairement ils ne reflètent pas leur vie. Et les jeunes ne s'y retrouvent pas.
La fracture est grande et permet d'expliquer le culte autour des films de Larry Clark et la justesse universelle des propos de Van Sant. Tandis que les studios cherchent à produire des scénarios qui s'acharnent à vouloir avoir raison, les cinéastes dont on parlera dans ce dossier posent des questions, cherchent à comprendre, émettent des doutes et acceptent de ne tracer que des pistes. Il n'y a pas une vérité, mais plusieurs. Et leur vision de l'Amérique fait peur.
L'inquiétude est réelle quand on voit la différence entre le message des studios, préfabriqués, vendant les valeurs de l'Amérique biblique, et cette vérité déterrée, radicalisée, en opposition totale, qui, tel un puzzle, nous dévoile la face cachée de cette civilisation. Le rêve américain sonne alors son requiem. Car la jeunesse n'a plus d'échappatoires. On leur a lavé le cerveau avec des films débilitants. Il n'y a rien de moins innocent que les images...
Vincy-