DANIELE DUBROUX OU L'ABSURDE REVELATEUR
Nous avons rencontré Danièle Dubroux lors du Festival International du Film de La Rochelle. Dès le début de la conférence de presse elle nous paraît fidèle à elle-même : un personnage haut en couleur qui ne mâche pas ses mots, comme les personnages qu'elle incarne dans ses films et dans ceux des autres. Lorsqu'elle parle de la critique et du scandale soulevé par Patrice Leconte (la dureté gratuite des critiques de cinéma envers les réalisateurs français), elle trouve au contraire que " les journalistes de cinéma devraient être plus méchants ". Par exemple pour elle, certaines grandes productions françaises avec force budget et moult cascades ne mériteraient souvent pas d'être épargnées : " Je ne vais pas vous dire ce que je pense de Taxi 2… Et puis si, après tout ! Pour ce genre de films, je suis pour la censure ! "
Si elle ne critique plus de film, c'est pour elle une question de déontologie. Parce que même si un réalisateur est très bien placé pour parler des films des autres (outre le point de vue de spectateur, il maîtrise le processus de fabrication), il est toujours délicat de juger le travail d'autrui en mettant de côté ses propres réalisations.
Concernant ses films, elle porte un regard réaliste. Elle est consciente que son cinéma n'est pas spécialement très grand public et ne s'étonne donc pas d'avoir quelques soucis de financement. Pour elle, seules certaines têtes d'affiches en vogue comme Daniel Auteuil ou Juliette Binoche assurent des fonds sans difficultés (ce qui ne veut pas dire qu'elles assurent un succès, preuve en est la récente Veuve de Saint Pierre dudit Leconte). Et elles sont très peu nombreuses. Même avec Catherine Deneuve qui devait jouer dans l'un de ses films, les producteurs montrent quelques réticences.
Elle analyse ses films avec humour : pour elle, si L'Examen de minuit a moins bien marché que ses autres longs-métrages, c'est qu'il n'y avait pas de meurtres !…
Parce que l'absurde et la dérision chez Danièle Dubroux, sont fondamentaux. Même si tous ses films sont extrêmement profonds et subtils, ils sont tous empreints d'un côté absurde et corrosif. Par l'humour, elle instaure une sorte de distanciation par rapport aux affres de l'âme et de l'existence et surtout par rapport au questionnement intérieur. Ses personnages sont souvent irrésistibles de drôlerie et d'autodérision : le fameux Mathieu Almaric, dans Le Journal du séducteur, essayant de séduire Claire (Chiara Mastroiani) et sa mère (Danièle Dubroux elle-même) en tentant de paraître sûr de lui alors qu'il n'en est rien. Ou encore François Cluzet, dans L'Examen de minuit, en pleine dépression hystérique et nerveuse, luttant contre les démons de la création (il est écrivain) et ceux de la quarantaine. Sans oublier le psychiatre du Journal du séducteur qui, lorsqu'il commence à perdre la raison (il est bouleversé par une de ses patiente), refuse de prendre un nouveau patient en disant qu'il ne peut rien à son mal être et que seul le temps peut quelque chose pour lui. Le comble pour un psychiatre ! Mais les personnages les plus truculents restent ceux interprétés par la réalisatrice elle-même. On se souviendra longtemps de Marianne, la femme délaissée de L'Examen de minuit, qui, lors d'une scène nocturne, alors qu'elle fuit François Cluzet, rencontre un ancien élève (elle est professeur de philosophie) qui est devenu… clown ! Le fait qu'un de ses étudiants en philosophie ait choisi ce métier concourre à la plonger dans le désarroi lunaire dans lequel l'a plongée son mari.
La cocasserie de ses films est une façon plutôt émouvante de parler de l'existence humaine. Ces personnages sont toujours, à l'instar d'un de ses titres, border line. Comme ce terme de psychiatrie qui signifie que la névrose n'est pas loin, Danièle Dubroux traite de la folie de manière singulière, en jouant sur les décalages et les équilibres psychologiques fragiles.
Mais le tragique est toujours déguisé et caché par une incroyable fantaisie. Parce que la vie est trop courte pour filmer triste. Cela semble être la devise de Danièle Dubroux qui, alors qu'on lui apprend que la salle entière riait devant ses films, déclare : " c'est mon but ! Je veux les rendre tous fous ! ".
FILMOGRAPHIE
Réalisatrice :
1978 : Les Deux élèves préférés du professeur Francine Brouda (court-métrage)
1981 : Le Colosse et la fourmi (cm TV co-réalisé avec Claude Massot)
1982 : Sœur Anne, ne vois-tu rien venir (Les Filles héréditaires, cm)
1984 : Les Amants terribles
1987 : La Petite allumeuse
1992 : Border Line
1995 : Le Journal du séducteur
1998 : L'Examen de minuit
Actrice :
1982 : Sœur Anne, ne vois-tu rien venir (Les Filles héréditaires, cm)
1984 : Les Amants terribles
1992 : Border Line
1995 : Le Journal du séducteur
1998 : L'Ecole de la chair (Benoît Jacquot)
1998 : L'Examen de minuit
Scénariste :
1978 : Les Deux élèves préférés du professeur Francine Brouda (court-métrage)
1981 : Le Colosse et la fourmi (cm TV co-réalisé avec Claude Massot)
1982 : Sœur Anne, ne vois-tu rien venir (Les Filles héréditaires, cm)
1984 : Les Amants terribles
1987 : La Petite allumeuse
1992 : Border Line
1995 : Le Journal du séducteur
1998 : Comme elle respire (avec Pierre Salvadori)
1998 : L'Examen de minuit
BIOGRAPHIE
Avant de se lancer dans la réalisation, Danièle Dubroux a exercé divers métiers. En 1975, elle co-réalise L'Olivier avec le groupe Vincennes (long-métrage documentaire sur le problème palestinien). Dans les années 80, elle envoie des articles aux Cahiers du Cinéma et devient rédactrice du magazine jusqu'en 1985. De cette époque, elle conservera une analyse très fine en matière de cinéma. Parallèlement, elle donne des cours de cinéma à Paris III et Paris VII.