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Production : El Deseo SA
Réalisation : Pedro Almadovar (En chair et en os, Tout sur ma mère)
Scénario : Pedro Almodovar
Montage : José Salcedo
Photo : Javier Aguirresarobe
Musique : Alberto Iglésias
Durée : 112 mn
Casting :
Javier Camara (Benigno)
Dario Grandinetti (Marco)
Leonor Watling (Alicia)
Rosario Flores (Lydia)
Géraldine Chaplin (Katerina Bilova)
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Almodovar / Bausch, un duo d'émotions.
Parle avec elle commence par une scène de "Café Müller", l'une des pièces
les plus connues du répertoire de Pina Bausch (1978) et s'achève par "Masurca
Fogo" (1998). La surprise est de voir la chorégraphe interpréter elle-même un
duo. Car Pina Bausch est un mythe de la danse contemporaine, de la danse-théâtre
(tanztheater) en particulier. Si ses apparitions sont rares sur scène ou à
l?écran, ce sont à chaque fois des enchantements tant par sa présence que par la
force de cette femme à l'apparente fragilité.
Almodovar a saisi que la danse était l'un des meilleurs moyens d'aborder
l'intériorité, l'intimité et l'émotion. La danse est un des fils conducteurs de
Parle avec elle. Elle intervient comme des pauses, des bribes du passé ou
des espaces d'évasion.
Ce n'est pas la première apparition de Pina Bausch au cinéma : il y a eu d'abord
ses participations dans Die général Probe de Werner Schroeter en 1980 et
dans Et vogue le navire de Federico Fellini en 1983. Elle est passée ensuite
de l'autre côté de la barrière en concevant et réalisant La Complainte de
l'Impératrice en 1989. Toutefois, il demeure difficile de transmettre
l'émotion de la danse par l'image sur grand écran. Almodovar ne tombe pas dans
le piège et extrait des images de spectacle ou de répétitions, là où quelque
chose se passe.
Après avoir fêté les 25 ans du Wupperthal Tanztheater, Pina Bausch présentera "Agua", sa dernière création inspirée des ambiances de la ville de Sao Paulo au Théâtre de la Ville à Paris du 18 au 30 juin 2002.
-Serge
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Hable con ella / Parle avec elle
Espagne / 2002 / Sortie France le 10 avril 2002
Ouverture Festival du Film de Paris
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Marco et Benigno sont l'un à côté de l'autre, admirant avec émotion un spectacle de Pina Bausch.
Marco est journaliste. Il vient de vivre une douloureuse séparation. Un jour il apeçoit la célèbre torera Lydia, pleurant à la télévision. Elle aussi a du mal à vivre une séparation. Ils se rencontrent et apprennent à s'aimer.
Benigno est infirmier. Il veille autant qu'il peut sur la douce Alicia qu'il observait de sa chambre quand elle s'entraînait à danser. Alicia est dans le coma. Il lui parle, la soigne, la lave, lui raconte sa vie. Sa vie à elle si elle n'était pas dans le coma.
Lydia affronte un taureau de trop, perturbée par sa journée. Elle finit dans le coma. Marco croise de nouveau Benigno. Leur amitié commence; Même si le destin de l'un et de l'autre n'est pas celui là. Car tout pourrait se résumer à Alicia.
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Sa mère est morte. Pour Almodovar, ce fut une tragédie. Parle avec elle est-ce avec la mort ou avec la mère? Son dernier opus est un aveu de solitude. Après le triomphal Tout sur ma mère, loin de l'exhubérance passée, ce drame n'aura pas le droit aux honneurs de Cannes (Almodovar dit que le Festival ne l'a même pas approché) mais simplement le prestige du Festival de Paris.
Pour ce film il s'est inspiré de faits et notes qu'il a relevé : une femme qui se réveille après 16 ans de coma, le viol d'une morte par un gardien de morgue qui a pour conséquence de réveiller la victime, une fille dans le coma qui s'est retrouvée enceinte, une phrase de Cocteau, des séries B sur la mutation de l'être humain...
Et en effet tout cela se retrouve dans ce film, un des meilleurs Almodovar. On y retrouve les destins qui se croisent, un film muet onirique de 7 minutes (où un homme rétrécit et joue les spermatozoïdes), les taureaux et la danse. Almodovar aime utiliser les autres films pour raconter le sien. Là il s'inspire de Griffith, Lang, Mureneau... L'Espagne a produit peu de films muets.
Il a aussi associé deux grands artistes : la chorégraphe Pina Bausch et le chanteur résilien Caetano Veloso qui interprète un magnifique "Cucurrucucu Paloma" devant Marisa Paredes (Talons Aiguilles) et Cecilia Roth (Tout sur ma mère), dans la résidence même d'Almodovar, "en direct".
Pour ce film, Almodovar a choisi des acteurs avec qui il n'avait jamais tourné. Javier Camara est une star de la TV. On l'a aussi vu dans Torrente (Semaine de la critique, énorme hit en Espagne) et le récent Lucia y el sexo. Dario Grandinetti est argentin. Il fut cité comme meilleur acteur dans de nombreux festivals (dont Biarritz) avec El Lado oscuro del corazon.
Leonor Watling est une jeune étoile montante du cinéma espagnole. Bigas Luna l'a enrôlée pour son Son de mar. Rosario Flores, fille de la star du flamenco Lola Flores (une des grandes figures admirées par Almodovar), a commencé au cinéma il y a 20 ans. Elle a aussi enregistré trois albums qui ont du succès. Géraldine Chaplin, fille de Charlie Chaplin, ex petite amie de Carlos Saura, a fait ses débuts dans Limelight, de Charlot. Danseuse, elle se consacra à la comédie dans les années 60. Elle donna la réplique chez Deray à Belmondo, dans Par un beau matin d'été. Puis elle devint la femme d'Omar Sharif dans l'immense succès de David Lean, Docteur Jivago. Elle tourna pour Saura, Altman, Ivory, Deville, Lelouch, Resnais, Rivette, Scorsese et Zeffirelli.
Aucun film d'Almodovar n'a eu moins de 450 000 entrées depuis 1987. Trois seulement ont dépassé le million d'aficionados. Sans Cannes, et avec Chihiro en face, il faut bien tout le poids de la critique dythirambique pour espérer que son film fasse aussi bien que le mauvais Kika ou l'excellent Femmes au bord de la crise de nerfs, soit 600 000 auditeurs.
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LES MOTS DES MAUX
"- Je viens de couler un bronze monumental"
Chaque Almodovar est un équilibre entre une narration innovante, des expérimentations hasardeuses et un amour infini pour ses personnages, fragiles, névrosés, seuls, cherchant à se parler. Même les moins harmonieux dégagent un charme cinématographique indéniable. Il était évidemment très dur pour le plus célèbre des cinéastes espagnols contemporains de rebondir après le triomphe mondial et mérité de "Tout sur ma mère". Il y a d'ailleurs eu de nombreux projets avortés. Finalement, si le film Parle avec elle sera peut être considéré comme mineur dans sa filmographie, il n'en sera pas moins un très bon film, riche et passionnant, sans être fascinant. On constate surtout une maturité d'écriture dramatique, même si le réalisateur n'évite pas quelques tics de mise en scène ou de choix artistiques moins inspirés qu'auparavant. Ses auto-références sont autant de clins d'oeil à un style unique. Cela se traduit par un plan dans un rétroviseur illustrant un dernier regard sur le passé ou encore les caméos de Marisa Paradès et Cecilia Roth.
Mais Parle avec elle est bien plus que tout cela. C'est un film sur l'amour, la solitude, le dialogue, l'écoute, l'absurde de la vie, l'émotion autour de la beauté, le dialogue avec la mort... Un film sur deux hommes bavards, deux femmes silencieuses, des accidents tragiques, et l'art magnifique.
Ici encore, il plante sa caméra dans le milieu médical. L'Hôpital devient un confessionnal mystique avec des belles au bois dormant. Les femmes y sont désespérées, tragiques. Face à elles, deux hommes, piégés entre leur attirance pour elles et l'incompréhension, entre l'amour impossible et la foi dans le miracle. Le film est étrangement mélancolique, destructuré, sensible et relativement peu excessif. Le lien entre les personnages est faits de paroles et de silences. C'est la principale réussite du film : montrer ces dialogues de sourds et de muets, dévoiler les sentiments entre ces "presque" morts et ces (sur)vivants. Communication étrange, qui atteint son summum lorsque l'infirmier caresse sa patiente, fusionne la chair et la parole. L'importance du verbe est une donnée récurrente du cinéma almodovarien. Mais là personne ne s'entend. Ici les mots prennent tout leur sens pour combler l'ennui de leurs quotidiens et ôter le poids opressant de leur solitude. ce sont des monologues qui aboutissent dans des impasses, et parfois se font écho.
Nous assistons à des voyages immobiles. Les personnages sont statufiés dans leurs décors, prisonniers de leur environnement (prison, hôpital, appartement), même lorsqu'il sont censés partir. Cette immobilité est rare chez Almodovar, et par conséquent marquante. Il a préféré l'observation, le discours, les pauses. Il y a peu d'énergie, peu de frénésie. Ces voyages sont ponctués par trois évasions lyriques : deux chorégraphies de Pina Bausch et le "cucurrucucu" de Caetano Veloso. Trois moments de grâce, qui ponctuent le film, mais qui ne transporte qu'intellectuellement le spectateur passif. En filmant Pina Bausch, il dessine des parralèles avec son film. La symétrie est d'ailleurs parfaite entre ces deux somnanbules en chemise de nuit qui se fracassent contre un mur et ces deux femmes dans le coma en tenue d'hôpital. Le ballet ne s'arrête pas là. Les corridas ajoutent une touche de sang et apportent la mort. Et puis il y a ce "court métrage muet" dans le film, métaphore de ce que nous apprendrons plus tard, "L'amant qui rétrécit". Petit bijou délirant, ce court en noir et blanc, très bien "introduit" se conclut par un fantasme : un homme miniature se baladant sur le corps d'une femme, de ses seins qui pointent à son pubis accueillant.
C'est là tout le génie du réalisateur : nous divertir (dans les deux sens du terme) pour nous raconter une même histoire. La danse, le spectacle, la musique et même un film muet, ont toujours fait partie intégrante de ses films, sans jamais faire preuve de maniérisme. Le film, malgré sa nature dépressive, n'oublie pas l'humour. Par exemple, la concierge qui se plaint des mass médias du pays qui ne viennent pas l'interviewer... Ou encore cette entrevue vérité et impudique avec la torréador qui rappelle les révélations cathodiques de Victoria Abril dans Talons Aiguilles.
Durant toute la première partie du film, on se demande quelle drame va survenir, qu'est ce que le cinéaste va nous raconter. L'histoire ne prendra sa cohérence que lors du final. Là, une danseuse se laisse porter, s'envole, souffle dans le micro l'espoir de sa vie qui renaît dans ce nouvel éden. Et les deux seuls vivants restant ne sont séparés que par un siège, vide et lourd de symbole.
Un peu comme dans La Fleur de mon secret, le film s'achève sur une lueur optimiste qui nous fait croire que les malheurs sont désormais passés. Le labyrinthe des passions prend fin pour atteindre une sorte de sérennité bienveillante. Alors, on aime.
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