Production : Pathé, Intermedia Films, Moritz Borman
Distribution : Pathé
Réalisation : Oliver Stone
Scénario : Oliver Stone, Christopher Kyle, Laeta Kalogridis
Montage : Tom Nordberg, Yann Hervé, Alex Marquez
Photo : Rodrigo Prieto
Décors : Jan Roelfs
Son : Jean Paul Muguel
Musique : Vangelis
Effets spéciaux : BUF
Directeur artistique : James Lewis, Stuart Rose
Durée : 170 mn

Casting :

Colin Farrell : Alexandre
Angelina Jolie :Olympias
Val Kilmer : Philippe
Jared Leto :Héphaïstion
Jonathan Rhys-Meyers : Cassandre
Anthony Hopkins :Ptolémée
Rosario Dawson : Roxane
Annelise Hesme : Stateira
Christopher Plummer : Aristote

 

 
Angelina Jolie
Jared Leto
Anthony Hopkins
Val Kilmer
site officiel
site sur Alexandre le Grand
  (c) Ecran Noir 96-05
Alexander / Alexandre 
USA / 2004 / Sortie France le 5 janvier 2005 
 
 
Ptolémée est Pharaon d'Egypte, ancêtre de Cléopâtre. Il raconte sa jeunesse, aux côtés du roi des Macédoniens, Alexandre.
Dès son enfance, celui-ci se liguera contre son père, Philippe, au bonheur de sa mère, Olympias. Mais quand Philippe est assassiné, Alexandre prend son destin en main et pacifie la Grèce au prix de batailles sanglantes. Accompagné de ses fidèles amis, conscient de l'enseignement d'Aristote, aimé d'Héphaïstion, il s'en va sur les traces d'Achille et de Troie, s'en va en Phénicie.
Il conquiert ainsi au fil des ans un Empire de 2 millions de kilomètres carrés de la Grèce à l'Hindus.
 
   Envahis par les Alexandre. Baz Luhrmann (Moulin Rouge) avait même envie de faire le sien, avec Leonardo DiCaprio et Nicole Kidman. Mirage ou réalité? Réponse l'an prochain... Les résultats du film d'Oliver Stone pourraient soit les refroidir, soit les encourager. Avec seulement 35 millions de dollars au Box Office US, comparé aux scores de Gladiator ou Troy, c'est un des fours de l'année 2004. D'autres films ou feuilletons sur le conquérant grec sont sur le marché. Une fascination qui trouve ses limites dans les budgets à débloquer. Cette version avec Colin Farrell (acteur à moins de 10 millions de dollars pourtant) a coûté modestement 150 millions de dollars, hors frais marketing. Film officiellement franco-américain (à opposer au Jeunet qui est américano-frenchy), Alexandre aurait pu coûter beaucoup plus cher si Tom Cruise, star initialement prévue, avait accepté le rôle. Puis on le proposa à Heath Ledger, un zeste trop jeune?
Le casting est digne des grands péplums des années 50 : incohérents et charismatiques. Angelina Jolie, 29 ans, joue la mère de Farrell, 28 ans. On retrouve aussi les vétérans Anthony Hopkins et Christopher Plummer en guest, les "bleus" Jared Leto (Requiem for a dream), Jonathan Rhys Myers (Joue la comme Beckham), la pin up Rosario Dawson (plusieurs Spike Lee)... Quelques français : Stéphane Ferrara, Féodor Atkine, Annelise Hesme... Sans oublier Val Kilmer, ex Doors d'Oliver Stone. C'est d'ailleurs en 1991 que Stone évoqua pour la première fois son projet avec sa vedette.
Le cinéaste s'est toujours intéressé aux leaders, pas forcément les plus sympathiques : Jim Morrison, les vautours autour de Kennedy, Nixon, Castro (dans son documentaire Comandante). Il dépeint les périodes les plus violentes (Salvador, Platoon, Wall Street et Any Given Sunday avec le fric, Natural Born Killers, ...) ou les utopies déchues (The Doors, Born on the Fourth of July, et la plupart de ses films...).
Alexandre n'est qu'au croisement de tout ceci. Entre le Maroc, Malte et Londres, la Thaïlande et l'Inde, le film s'est tourné entre septembre 2003 et avril 2004.
Ce n'est pas la première fois qu'Alexandre est porté à l'écran (Richard Burton l'a autrefois interprété). Entre les péplums italiens et les versions insolites (chinoise, indienne...), le héros macédonien a inspiré le cinéma, mais peu les grands récits ou le théâtre. le premier défi du réalisateur était d'écrire une dramaturgie autour du mythe. C'est la biographie rédigée par le professeur d'Oxford, Robin Lane Fox, qui servit de base au scénario. Le professeur fut aussi consultant sur les aspects de la vie quotidienne. "J'ai le sentiment que le film de Robert Rossen, en 1956, se réduisait à l'intrigue de la période grecque et s'épuisait avec la victoire d'Alexandre sur les Perses. Les dernières années de la vie d'Alexandre, au cours desquelles se produisirent certains des événements les plus intéressants et les plus importants, restaient ignorées", explique le cinéaste. Dans notre ère sordide et sensationnaliste, c'est évidemment la sexualité du personnage qui attira les quolibets. Des avocats grecs se sont érigés contre la vision de Stone de leur mythe. Quand le révisionnisme croise l'homophobie... triste époque. Les amours homosexuels sont pourtant très chastes, et historiquement vérifiés. Au moins, contrairement à Troie, il n'y a pas d'hypocrisie. Si Troie, justement, était une honte en terme d'adaptation littéraire, Alexandre est surtout coupable de gros raccourcis. Pas de mensonges ni trop de contre-vérités, juste une pudeur et des choix qui rendent l'entreprise peu précise. La description des batailles est plus "inventée". Alexandre pouvait être bien plus cruel et moins magnanime que dans le film. Stone s'intéresse surtout à trois époques : l'enfance (356-336 avant J.C.), la conquête de Babylone (331-330 avant J.C.) et l'exploration de l'Afghanistan (anciennement Bactriane) et des Indes (327-325 avant J.C.). Il mourra à peine une année après le décès de son amant, Héphaïstion, en 323 avant J.C. Autrement dit rien de ces premières conquêtes (grecques), ni de ses grandes batailles du Proche Orient (Issos, Gaza) ou de ses séjours en Egypte (pourtant fondateurs de son mythe).
Oliver Stone défend son héros, qu'il admire depuis l'enfance : "C'est un roi guerrier qui avait une vision de compassion, de générosité, de paix. Ce n'était pas un tueur ou un boucher. Bien sûr, il a du faire des massacres, mais l'époque n'était pas tendre. Il avait, à chaque fois, ses raisons. Il n'avait rien à voir avec Gengis Khan ou Attila. C'était un constructeur d'Empire, avec une seule langue, une civilisation, des peuples unifiés. Il y eut une forte croissance dans toute la Méditerranée et la Perse, qui conduisit à l'idée d'une Bibliothèque d'Alexandrie," explique le réalisateur, qui met en garde contre les interprétations. Il y a des parallèles avec notre actualité, mais "c'est une coïncidence. J'ai démarré le projet avant que ne commence ce cauchemar. La situation est vieille : l'Est contre l'Ouest. Alexandre était grand parce qu'il voyait au delà du conflit, il proposait une synthèse. Je ne suis pas sûr que Bush ait la même capacité." Ce qui coûta cher à l'Empire ce fut ce besoin toujours plus grand d'armes et de soldats pour le conquérir et le protéger. Alexandre avait su propager les valeurs helléniques (et notamment la liberté individuelle, il avait mélangé les coutumes et les lois, respecté les colonisés. Il ne voulait pas forcément imposer son diktat. Reste que Bush a conquis Babylone et le Bactriane, comme  
 
SALADE MACEDOINE

"- La beauté est-elle quelque chose qui dégrade l'âme?"

Selon Virgile, cité dans le film, "la fortune sourit aux audacieux". Oliver Stone devrait être riche après cette aventure qui visite les origines de l'Europe : Egypte, Babylone, Perse, Inde. Les confins de nos racines, l'étendue d'un empire.
Alexandre peut apparaître comme la suite d'une autre distribution Warner : Troy. D'ailleurs Colin est aussi blond décoloré que Brad. Tous deux visent la gloire, les conquêtes. Invincibles, ils meurent jeunes. Jolie, qui reprend plaisir à jouer au milieu de ses serpents, roulant les r (pire qu'une Mireille Mathieu) ne surnomme-t-elle pas son fils, Alexandre, "Mon petit Achille"?
Mais si l'amour entre Achille et Patrocle était invisible dans Troy, l'homosexualité est, ici, revendiquée. L'amitié des hommes serait la plus belle des vertus. Seule la luxure est condamnable, dit-on dans le film? Cache sexe sémantique pour justifier la chasteté de cette production? Paradoxe inexcusable pour un tel projet, ce manque de chair, malgré les cicatrices et les blessures, les passions et les meurtrissures, nous laisse froid. "On dit, depuis, qu'Alexandre ne fut jamais défait sauf par les cuisses d'Hephaiston" (cuisses qui en prendront un sérieux coup lors de l'assaut final). En l'occurrence Hephaiston sera prêt à faire gagner Alexandre pour gagner ses faveurs. C'est-y pas mignon? D'ailleurs sans lui, le Grand Alex il n'est pas grand chose dans ce monde de barbares. La tendresse à défaut de nous faire croire à leur amour. Film américain, le puritanisme n'empêche pas Stone d'être bien sanglant dans les séquences violentes. Déjà, nous devrions nous méfier. Au milieu de ces moeurs sauvages, mais filmées de loin (on sodomise le premier venu en fond de salle), il y a ce souci de filmer une réalité, pourtant bien déformée par cette pudeur d'aller jusqu'au bout : pas de bisous entre mecs (que ce soit avec son "mari" ou son amant androgyne), et juste une scène de cul (évidemment hétéro et dans le cadre du mariage).

Savoir jouer un héros.
Mais ce n'est pas la moindre des failles de cette entreprise cinématographique. Car on s'embarque pour un long récit, avec un prologue, interminable monologue d'Hopkins. La narration sera fastidieuse du début à la fin. Littéraire et pompeux, les dialogues sont déjà kitschs, à l'instar des péplums de type Ben Hur. Car en trois heures il ne se dit rien. Les dialogues sont des descriptions dénuées d'intérêts, échanges ados sentimentaux qui rendent les relations amoureuses peu crédibles. Stone est plus à l'aise avec la stratégie et la politique. Quoique. "- Si tu perds, tu perds ton armée. - Oui mais si nous le capturons, nous gagnons un empire." Pas facile d'habiter un tel personnage avec des phrases comme celle-là. Naviguant entre les contraintes hollywoodiennes et les quelques jolies idées du cinéaste, le projet devient bancal mais attachant, notamment grâce à la crédible interprétation d'un Colin Farrell dont le destin d'Alexandre (et le film?) semble le dépasser. Aussi agité que Darius est robotisé, il insuffle une certaine dureté que n'a pas, par exemple, Pitt dans Troie, trop éphèbe et héroïque.
Les épisodes de sa vie sont survolés. Mais le film ne perd jamais son personnage en route. Farrell est magnifique de beauté lorsqu'Alexandre est grand et ivre de ces conquêtes. Il perd de sa flamboyance avec l'épuisement, l'empire trop vaste. Car on fonctionne par étape : Alexandre et sa maman, Alexandre et son cheval, Alexandre "tue" son père, Alexandre va montrer qu'il est plus fort que Darius... Alexandre de marie (pour s'allier à une tribu, parce qu'il a besoin d'un héritier, pour emmerder sa mère). mais ça n'empêche pas de balancer à sa femme : "Tu n'es qu'un pâle reflet du coeur de ma mère." Pas sympa l'époux.

Savoir raconter une histoire.
La narration sera donc le talon d'Achille de cette méga production sans alexandrins. Avec de sacrés raccourcis, entre un pied sur l'accélérateur temporel et l'autre sur le frein. Cinq années entre sa prise de pouvoir et une grande bataille dure ici 10 minutes. De nombreux événements sont oubliés, omis, évincés. Alors à quoi s'intéresse Stone puisque tout ne l'intéresse pas? Le motif de ce tri? Le déclin de l'empire alexandrin. La flamboyance de Babylone et toute la décadence qui a suivit. Les deux tiers du film qui lui offre quelques libertés avec la vérité historique; ça reste regrettable quand on remarque son obstination à vouloir la rétablir sur d'autres points. Les épisodes de transition sont mal écrits. La plus lourde erreur stratégique d'Alexandre, par exemple, est racontée en trente secondes en voix off. Et pourquoi ce flash back trop tardif vers la fin du film? Pour nous faire revoir Jolie et Kilmer? La descente aux enfers - ceux de la jungle - est ainsi interrompue par la surexposition. Heureusement, cette ultime scène entre le fils et sa mère est, de loin, la plus intense.
Défi, non relevé, de cette épopée, entre description de batailles et présentation des hommes, le scénario a beau s'offrir les yeux d'un aigle, il a de la difficulté à être fluide et limpide. Que de fatras et de confusion. C'est frénétique, épique, c'est antique. C'est en toc. Le ridicule ne tue jamais, surtout au cinéma. Par exemple lorsque Hephaiston meurt (mince, je vous ai raconté la fin), Alexandre soliloque au premier plan tandis que son amant est secoué par des spasmes en flou, en arrière plan. C'est presque comique. Pas besoin d'être critique pour comprendre que l'amant est en train de trépasser... Farrell se retourne et joue le surpris. C'est bien le seul. Pire, au lieu de pleurer, on veut rire...
Il faudra attendre l'ultime bataille, en Inde, pour que le film décolle. D'une manière générale, après Babylone, le film est artistiquement plus riche et plus inspiré. Légendaire, spectaculaire, le film abuse des plans larges avec des figurants démultipliés et une musique pompeuse. Il faut la majesté de Babylone, la magnificence de l'Hymalaya, sa grande muraille, pour nous dépayser enfin! L'homme tout petit face à sa grandeur, tout seul au milieu de la Nature. Ici, le conquérant trouve sa véritable identité, le film sa belle force.

Savoir faire de belles images.
Car Stone n'a pas réalisé un film de commande. Il a été inspiré, et ça se sent, parfois. Entre bestiaire kusturikien et documentaire type National Geographic, avec un monde folklorique très "world" éthique, entre danses hindoues, moeurs arabes et peuplades afghanes. Désert, montagnes et tropiques. Et une Inde hostile avec moussons et serpents. Alexandre est allé trop loin, ça on le sent bien. Mais Stone s'intéresse plus à la déliquescence de l'empire qu'à son essence. Et c'est bien en Inde qu'il est le meilleur. L'ultime bataille, avec éléphants en guests et monochromie en idée de génie, est celle de trop (sauf pour nous), celle où le sang imbibe la pellicule, celle où le héros a franchit "the thin red line". Ralenti, ennemi indien exotique, étranger, musique de Vangelis et yeux exorbités donnent un aspect baroque à l'ensemble. Psychédélique. Bizarrerie esthétique digne d'un Zhang Yimou avec clin d'oeil à Tarkovsky. Du bruit et de la fureur, qui nous ramènent à Platoon. Atrocité des blessures, charnier à vif. Comme cette séquence dans l'infirmerie, endroit rarement filmé dans les péplums, et qui révèle le cinéaste tel qu'on l'apprécie : en nous montrant l'autre côté du miroir.
Dans cet album d'histoire à la Decaux, avec cartes géographiques et belles images en bonus, et en contrepartie de cette oeuvre de grande ampleur, les personnages sont un peu noyés dans l'image., les seconds rôles relativement anecdotiques. Alexandre est l'objet central, au milieu de ses paysages et de ses troupes.
Car que retient-on de tout cela? Quel était le message? Que nous a t-on dit, appris?
On voit bien Stone persévérer dans cette obsession des grands hommes. Pourquoi sont-ils entrés dans l'histoire (une vision, un caractère?), quelle est leur part de gloire et où commence la déchéance? Tout comme Alexandre a lui aussi cette fascination pour les grands mythes.

Savoir pour ne pas ignorer.
Et là, c'est plus l'Odyssée que La Guerre de Troie qu'on nous raconte. Ou une Eneïde qui échouerait à fonder Rome.
Car Alexandre n'est pas n'importe quel belliqueux. Il propagera la philosophie et les arts de la Grèce, là où l'Egypte et les empires Mésopotamiens s'étaient plantés. Les guerres ont brisé son Empire, malgré la justesse de sa vision, métaphore d'une Amérique, embourbée dans ses mêmes déserts...
Le Conquérant se voyait Messie. Il prône le métissage et opte pour un empire confédéral plus qu'un e organisation centralisée. Il s'oppose à la pureté de la race grecque pour imposer le mélange des sangs.
Il est pour l'égalité des peuples. Cependant, Alexandre n'a rien d'innocent : orgueilleux, vaniteux, coléreux, capricieux mais aussi miséricordieux, magnanime, amoureux, visionnaire, ambitieux. Trop entier, pas assez ironique. Bref le film ressemble à son héros.
Oliver Stone a osé croiser un portrait psychanalytique avec une mère possessive et manipulatrice, un père absent et ivrogne - et hop on fait du fils pédé! - et une leçon d'Histoire où l'Orient engloutit les rêves et les empires depuis la nuit des temps.
Il ne fait pas de cadeaux : un peuple qui gobe tout, un Kilmer anéanti, ringardisé par son époque, incapable de supporte le poids des tragédies de son pays et de faire survivre l'idéal démocratique. Tout est en place pour une tragédie grecque : la filiation, la trahison, la folie de la mère, et le pêché comme coeur du problème.
Et si ce Péplum grandiose n'évite pas les écueils du genre - ça va mal vieillir car on est loin de la virtuosité d'un JFK - il a peu de longueurs malgré sa pesanteur. Il a ce zest de grandeur, mais jamais on ne se laisse embarquer dans ce voyage. Il manque de charisme. Un comble.
Le réalisateur a-t-il réussit une critique de cet impérialisme messianique? Pas sûr. Pas si clair. Le regard est davantage critique sur la folie qui y conduit que sur l'objet, qu'il estime louable. Voilà ce qui focalise un Stone après avoir scruté Nixon et Castro. Toujours l'homme. Plutôt que l'Histoire.

- Vincy