Production : Little Bear, Les Films Alain Sarde, TF1 Films
Distribution : TFM
Réalisation : Bertrand Tavernier
Scénario : Tiffany Tavernier, Dominique Sampiero, Bertrand Tavernier
Montage : Sophie Brunet
Photo : Alain Choquart
Format : 1.85, Dolby SRD DTS
Décors : Giuseppe Ponturo
Son : Dominique Levert, Elisabeth Paquotte, Gérard Lamps
Musique : Henri Texier
Costumes : Eve-Marie Arnault
Durée : 128 mn Ê

Casting :

Jacques Gamblin :Pierre
Isabelle Carré :Géraldine
Bruno Putzulu :Marco
Lara Guirao : Annie
Frédéric Pierrot : Xavier
Maria Pitarresi : Sandrine
Jean-Yves Roan : Michel
Séverine Caneele : Patricia
Somany Na : Chenda
Rithy Panh : Mr Khieu

 

 
Jacques Gamblin
Isabelle Carré
Bruno Putzulu
  (c) Ecran Noir 96-04
Holy Lola 
France / 2004 / Sortie France le 24 novembre 2004 
 
 
Pierre et Géraldine ont quitté pour trois mois leur Cantal. Ils débarquent au Cambodge, en pleine mousson. Leur couple est solide, ils s'aiment. Il est tout aussi fragile : ils ne peuvent pas avoir d'enfant.
Au milieu d'autres couples français, expérimentés ou pas, plus jeunes ou plus âgés, ils vont découvrir les affres de l'adoption dans un pays étouffé par sa bureaucratie, la corruption et la concurrence d'adoptants plus riches.
Entre paperasses et visites d'orphelinats, en croisant des cambodgiens bienveillants ou en se heurtant à un mur d'incompréhension, leur désir va être mis à rude épreuve. Et ils voudraient revenir pour Noël...
 
   Co-césarisés au titre de meilleur réalisateur en 1997, l'un pour Ridicule, l'autre pour Capitaine Conan, deux visions de l'Histoire de France, Leconte et Tavernier se sont de nouveau croisés... au Cambodge. Avec deux projets aux antipodes l'un de l'autre. L'un a filmé ce pays sous l'impulsion d'une musique et en a fait une fresque symphonique sans paroles. Un caprice. L'autre a poursuivi son incursion dans le monde du documentaire pour réaliser un film engagé, impliqué, réaliste. Une complainte. A chacun son regard.
Après le film de Jean-Jacques Annaud, c'est le troisième film français, cette année, a avoir été tourné dans ce petit pays de la péninsule Indochinoise. Il y a 13-14 ans, c'était son voisin, le Vietnam, qui était convoité par tous les producteurs : Dien Bien Phu, Indochine, L'Amant...
Si pour Leconte il s'agissait d'un coup de coeur esthétique et pour Annaud d'un choix pragmatique et budgétaire, Tavernier lui aurait pu tourner ailleurs. Après avoir observé et filmé la violence de notre société (côté flics et côté voleurs), les banlieues (dans des documentaires pour la télévision), les immigrés et la justice, et surtout l'éducation nationale (avec Ca commence aujourd'hui), il saisit un autre sujet de société de notre époque : l'adoption.
Or, le Cambodge n'est pas le pays où l'on adopte le plus. Mais les médias français donnent une impression inverse, notamment depuis la parution du livre de notre consoeur Quin (aux propos controversés). L'adoption est un phénomène croissant dans les pays occidentaux. L'an dernier, en France, près de 4000 cas d'adoption internationale ont été enregistré (contre 935 en 1980!). Soit 80% des adoptions dans ce pays. De 10 pays "fournisseurs", nous sommes passés à 70. Un véritable marché, avec ses règles, sa convention (La Haye), ses intermédiaires s'est mis en place. Et si, il y a quelques années la majorité des enfants venaient d'Asie, le rééquilibrage continental est beaucoup plus nuancé aujourd'hui avec 1250 enfants américains, 970 africains, 900 européens et seulement 883 asiatiques. Les deux tiers d'entre elles se réalisent individuellement, sans l'aide d'une Bernadette Chirac pour le couple Hallyday (au Vietnam, en octobre dernier). Le reste des adoptions passent par des organismes affiliés, notamment des associations spécialisées dont les plus importantes sont Médecins du monde et Rayons de Soleil (470 adoptions à eux deux), parmi la quarantaine répertoriée. Par pays, Tavernier aurait pu cibler le plus grand "pourvoyeur" d'orphelins pour la France : Haïti (542 adoptés en 2003!). Ou encore la Chine, la Russie, Madagascar (plus de 300 chacun). Des enfants colombiens, guatémaliens, vietnamiens (234 cas, après avoir été l'un des pays les plus "populaires" dans les années 90), bulgares et éthiopiens forment l'essentiel des pays "exportateurs". "Après une hésitation entre Haïti, le Mali, le Vietnam et le Cambodge, on finit par retenir ce dernier" explique la co-scénariste Tiffany Tavernier. 132 maliens adoptés en 2003. Seulement 60 cambodgiens. Le pays, dévasté par le régime des Khmères Rouges (voir le documentaire S-21 La machine de mort Khmère rouge), n'est pas un acteur majeur du marché (à peine plus que la Lettonie ou Djibouti, moins que le Burkina, la Thaïlande ou le Brésil). "Pour la moyenne des adoptions, une vraie galère : huit semaines sur place, une procédure lourde qui ne cesse de changer, une ambassade française peu coopérative, un flou artistique concernant le montant des sommes à verser, un pays encore exsangue à la suite du génocide, des institutions encore très bancales..." se justifie la scénariste. Un cadre idéal pour des rebondissements et du stress dans une fiction!
Evidemment Bertrand Tavernier a relancé un débat passionnel sur le sujet : il décrit l'adoption comme une course d'obstacles (avec la corruption parmi eux), comme un marché concurrentiel et international (avec les dollars des américains qui faussent le jeu) et avec une question éthique sur le rôle des occidentaux dans ces flux migratoires forcés. Retirons-nous une future main d'oeuvre et donc une croissance potentielle à ces pays déjà incapables de s'éduquer, de s'industrialiser ou participons-nous à un rééquilibrage des richesses (avec un métissage des sociétés occidentales à la clef)?
"L'adoption n'est pas la quête de parents potentiels qui souhaitent un enfant mais la recherche de parents pour un enfant. Et ce n'est pas une affaire d'argent", insiste Enfance et familles d'adoption, qui a trouvé le film "émouvant" mais trop axé sur "le désir des parents". Certes, mais tout cela n'existerait pas sans le désespoir d'adultes incapables d'avoir des enfants (célibat, homosexualité, stérilité, ...) et l'esprit consumériste de nos civilisations (que nous ne devons pas nous cacher).
Preuve que Tavernier a frappé juste, les choses bougent : "La MAI - Mission de l'adoption internationale, émanation du Ministère des Affaires Etrangères - a rappelé à la presse que la France avait suspendu le 31 juillet 2003 l'adoption d'enfants cambodgiens, pour prévenir les dérives évoquées dans le filmÊ: absence d'Etat civil de nombreux enfants, exposés de ce fait à tous les trafics. A Perpignan et Montpellier, deux familles françaises sont poursuivies devant des juridictions sur commission rogatoire par des familles cambodgiennes pour enlèvement d'enfant", affirme-t-on à la MAI. De son côté, le ministère de la Famille rappelle qu'"il nous faut aider ceux qui vont adopter" dans des pays difficiles et que ce sera la mission d'une agence nationale de l'adoption, attendue pour 2005.
Il était temps. Dans une planète qui compte environ 150 millions d'orphelins, tandis que les richesses sont concentrées sur une trentaine de pays, il y a peut-être une politique mondiale à mettre en place. Aux Etats Unis, seuls 13% des enfants adoptés (soit 1,6 millions d'enfants) sont nés à l'étranger (principalement en Corée du Sud, de Russie et de Roumanie). Et une harmonisation des pratiques (véritable "industrie" aux USA, parcours kafkaien et bureaucratique en France). "Dans un certain nombre de pays, l'adoption n'est pas autorisée. C'est le cas dans la plupart des pays musulmans qui, par référence au Coran, interdisent l'adoption et autorisent seulement une kafala , qui correspond à une simple tutelle en droit français," peut-on lire sur les documents officiels liés à l'adoption. On ne peut adopter des enfants ayant des parents. Beaucoup sont atteints du SIDA dans certains pays. Certains peuvent-être adoptés dans le pays même, et d'autres ont déjà atteint l'âge de l'adolescence. C'est toute la difficulté de cette démarche. Mais l'adoption est un phénomène récent. En France, il est inscrit dans le code civil depuis 1804, réservé aux "vieux" (plus de 50 ans), à condition que l'adopté ait 25 ans de mois, au minimum. C'était une manière de faciliter les héritages pour des grosses fortunes sans héritiers. Il a fallu attendre 1923 pour que des couples de plus de 40 ans puissent adopter des mineurs.
Il y avait donc une histoire à faire autour d'un tel débat. Tiffany Tavernier, qui avait explorer la misère en Inde vue par une jeune occidentale, et Dominique Sampiero, qui avait cohabité avec 22 enfants de la DDAS chez lui, se sont penchés sur cette aventure, quelques années après Ca commence aujourd'hui, dont la filiation cinématographique semble évidente. Des mois d'écritures, de préparation, de tournage sur place. Le cinéaste avait prévu de réunir son actrice de L'appât et son comédien de Laissez-passer. Gillain et Gamblin, beau couple de cinéma. Mais la Marie tombe enceinte et ne se risque pas au voyage. On la remplace par Carré, jugée peu "bankable" malgré son César et quelques jolis succès, par les producteurs. Elle fonce, plante une pièce de théâtre à quelques semaines de la première, et se retrouve face à Jacques Gamblin et en compagnie de seconds-rôles épatants parmi lesquels Bruno Putzulu (Père et fils, L'appât), Maria Pitarresi (Ca commence aujourd'hui), Anne Loiret (L'adversaire), Frédéric Pierrot (Cette femme-là), Séverine Caneele (L'humanité), Lara Guirao ... La plupart avait déjà tourné chez Tavernier, donnant une allure de troupe. On note la présence de Rithy Panh, le cinéaste et documentariste du Cambodge (S21) et de Somany Na, collaboratrice à RFI. Et le Cambodge, principalement sa capitale, Phnom Penh, mais aussi son poste frontière au Sud, avec le Vietnam, Kep.
Holy Lola pourrait finalement récolter des Césars, un beau succès public, un bel éloge critique. Et pourquoi changer un peu les mentalités...


 

 
TRAFIC

"- J'adore le ski, mais ici la neige..."

Il y a des films qui vous frappent. Comme un coup de poing, avec la même dureté, la même douleur. Et puis on se relève, on refait le film. On cherche à comprendre. Bertrand Tavernier, cinéaste et documentariste, personnalité engagée politiquement, cinéphile passionné, a réalisé un film qui peut se rapprocher du Soderbergh (Traffic et la drogue) et s'affilier à Ca commence aujourd'hui (par les mêmes scénaristes), en tissant des liens entre la précarité sociale et l'éducation nationale.
Il décortique, décrypte ce qui peut apparaître comme un désir : la volonté d'avoir un enfant. La souffrance de ne pas pouvoir en faire un. Il y a un mélange de détresse, d'espoir, d'impuissance et de détermination à démarcher administrations et orphelinats pour donner un amour immense à un enfant du bout du monde, sans liens du sang ni du sol. Cela défie notre morale, notre préjugés sur la famille, notre vision de la famille. Et c'est ce qui rend beau le geste de l'adoption.
Mais Tavernier n'a jamais été un candide ni un naïf. Et c'est là toute sa force. Il nous déracine dès la première image. La France sera absente, lointaine, provinciale. Nous ne sommes pas dans un univers élitiste ni parisien. Nous allons voir des occidentaux moyens, parfois mesquins, souvent touchants car terriblement humains. Autour du couple principal, une nuée d'hommes et de femmes qui se battent avec leurs forces et faiblesses pour obtenir un "produit" pas comme les autres. Ce portrait d'expatriés, pas franchement glorieux, mais très juste, est l'une des grandes réussites du film. Mention spéciale à quelques comédiens comme Pierrot ou Guirao, aidés certainement par la générosité de leurs personnages.
A la seconde image, le cinéaste nous présent un Cambodge aux frontières de l'hostilité, complètement "déglamourisé". Mousson divine, moustiques omniprésents, boue salissante, et Internet, le téléphone portable, la corruption, les mines, les prothèses... Rien de très sexy (et la musique ringarde n'aide pas). Ce profil d'un pays détruit par un génocide récent (et toujours pas jugé) est un personnage à part entière. Car il oblige les Français de Thionville ou d'Aurillac à se confronter à une autre réalité : pas seulement celle de leur simple désir d'enfant mais aussi celle d'un pays incapable de donner un avenir à ses orphelins.
Car - et c'est toute l'intelligence du scénario - chacune des pistes est explorée, chacun des enjeux est examinée, sans que ce ne soit didactique. Les réponses apportées et le respect de la culture cambodgienne telle qu'elle est filmée, conduisent à d'intéressantes questions sur le rôle global et mondial de ce flux migratoire pas comme les autres. Dans ce métissage non complaisant de personnages faillibles et de situations absurdes, de répliques humoristiques et de réactions à bout de nerfs, Holy Lola se transforme en un voyage familier et familial, dépaysant et présent.
Pour cela Tavernier est parvenu à un équilibrage rare entre fiction et reportage, entre cinéma et documentaire, entre son regard politique sur ce pays et son regard cinéphile sur ses comédiens. Il s'aide aussi d'un couple de cinéma dont l'alchimie percute dès la première séquence. Isabelle Carré est insupportable, invivable, irritable, et adorable dans cette incarnation d'une femme fragile, qui doute de sa motivation. Orgueilleuse et capricieuse, son personnage, relativement ingrat, est sauvé par le jeu en mode mineur, infiltré de l'intérieur, de la comédienne. Mais c'est surtout Jacques Gamblin qui nous ébahit, une fois de plus, impressionnant de beauté, de solidité, de légèreté. Leurs emballements, frustrations, découragements entraînent une guerre des nerfs permanentes et une étendue de jeu, du rire aux larmes, vrai pain béni pour un acteur. Qui espérons-le pour eux ne seront jamais des marques de cigarettes, comme Alain Delon là bas ("Je ne fume jamais les acteurs.").
Au milieu de cette loterie humaine et si injuste, où les couples sont tous au bord de la falaise, prêts à abandonner ou plonger dans le vide, Tavernier, avec une caméra dynamique, un découpage rythmé, nous offre quelques récits, quelques témoignages, et nous ouvre les yeux sur une culture étrangère. "Le Cambodge est un pays où tout le monde sourit et a le coeur brisé." Il y installe un vrai suspens, une course contre la montre palpitante, un compte à rebours nerveux, où l'égoïsme, l'argent, les tensions créent des petits drames et giflent les grands espoirs. "Trop de cons". Disons pas assez de tact. Car face à une bureaucratie kafkaienne, dans un marché si concurrentiel, les Français, regroupés en communauté dans un huis-clos trois étoiles, partagent leurs expériences mais sont prêts à éliminer le moindre maillon faible. Doit-on en arriver-là? En pesant le pour et le contre, en filmant cette histoire où la quête n'est pas un trésor au fond d'une grotte, Tavernier reprend les codes du polar et du film d'aventure, et y insuffle une dimension humaniste qui fait souvent défaut dans le cinéma d'aujourd'hui. Lola, McGuffin adorable, est avant tout le Graal ou une Jade précieuse qui reflète toutes les interrogations sociétales de notre époque : mondialisation, immigration, définition de la famille, coopération, consumérisme, ... Elle est un enfant de l'avenir. C'est là sa beauté : Holy Lola ne manque pas d'amour.

- Vincy