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   spécial Cannes
 
 
 
Réalisateur: Neil Labute
Scénario: John C Richards et James Flamberg
Photo: Jean Yves Escoffier
Montage: Joel Plotch et Steve Wesiberg
Musique: Rolfe Kant
Durée:

Interprétation:
Morgan Freeman (Charlie)
Renée Zellweger (Betty)
Chris Rock (Wesley)
Greg Kinnear (Dr David Ravell)
Aaron Eckhart (Del)
 

 Nurse Betty
2000 / Etats Unis / Sélection officielle / Compétition / Projection le 12 mai 2000
 
Betty est serveuse. Elle aurait voulu être infirmière. Dans cette vie médiocre, elle n'a qu'un soap opera comme pilule de bonheur ; elle rêve par procuration avec Amour et Passion.
Mais une nuit, deux tueurs à gage viennent assassiner son mari. Au lieu d'affronter, elle préfère nier cette réalité. Et fuir son traumatisme. Betty va changer de vie, toujours à travers sa série TV favorite. Elle se prend pour une infirmière et cherche son grand amour, le "Docteur David Ravell".
Mais les deux tueurs la poursuivent...
 
 
C'est la première sélection officielle pour Neil LaBute. Et une consécration pour ce remarquable observateur de nos névroses, des rapports humains et urbains, de ces chocs sentimentaux qu'on a pu admirer (ou détester) dans In Company of men puis dans Your friends and Neighbors. Mais ce coup-ci LaBute voit plus grand : il enrôle des stars, il adapte un scénario écrit par deux écrivains, il tourne à LA, et dispose enfin de moyens finanicers conséquents. Il est désormais dans la cour des grands; si on ne présente plus Morgan Freeman (présent sur la croisette dans Under suspicion), Chris Rock (L'arme Fatale 4) ou encore Greg Kinnear (Pour le pire et pour le meilleur), on notera la présence constante de Aaron Eckhart (récemment vu dans Erin Brockovich), déjà enrôlé par LaBute dans ses autres films, et surtout de Renee Zellweger. Elle a été révélée en jouant face à Tom Cruise dans Jerry Maguire. Elle nous a séduit en tenant tête à Meryl Streep dans Contre-jour. Elle sera la vedette du prochain film des frères Farrelly (Mary à tout prix) en compagnie de Jim Carrey, son compagnon hors-écran. LaBute cherchait une actrice à la fois pleine de bonté et d'authenticité.
LaBute s'attache beaucoup aux couleurs du film, aux transitions, à des décors symboliques (le Grand Canyon, Rome). De l'autre, il s'offre le plaisir de tourner une cascade avec effets spéciaux et 7 caméras. Pour les scènes de soap opéra "fictif", le réalisateur engage a productrice et réalisatrice de General Hospital, la doyenne des séries à l'eau de rose, afin de donner un maximum de crédibilité. Il s'est inspiré autant de G.H. que des Feux de l'Amour.
Une histoire de femme, un risque pour un artiste de sortir de ses sentiers battus, et un casting époustoufflant : Nurse Betty devrait détonner et nous charmer. C'est le but.
 
Cela fait longtemps que l'on suit avec intérêt les chroniques humaines de Neil LaBute. La mysoginie de son premier film est ici contrebalancée par une critique violente du mâle moderne. Et les rapports cyniques du second film font place à une générosité permanente. Oeuvre féministe, communautaire et séduisante, Betty Nurse est le premier film "positif" de LaBute.
L'atout de ce film charmeur est dans le mélange des genres : thriller, road movie, satyre, comédie, drame, romanceŠ avec un équilibre étonnant, le cinéaste maintient le sujet de son film du début à la fin, sans faux pas et avec un vrai sens du rythme.
Très proche de l'univers des Coen, Nurse Betty s'offre un casting royal et des personnages tous plus déjantés les uns que les autres. Une grande partie de notre plaisir provient justement de ces tarés, unis par un même humanisme, une même compréhension des frontières entre morale et schizophrénie, normale et marginale. Rien n'est bizarre, y compris dans cette fugue (en mineur) un peu absurde, où l'héroïne fonce à travers un pays virtuel, et vit dans un monde parallèle.
En fait, LaBute ne méprise jamais ses personnages, ni leur goût pour le soap opéra. Cet esprit " goût des autres " permet à ce drame de la folie ordinaire de flirter avec les bonnes répliques, les scènes inspirées et une chimie autour des acteurs qui fonctionne.
Techniquement, le film se risque même à transposer "de manière très exacte des épisodes de soap opéras sirupeux. Mais l'intérêt du film provient surtout de l'impact de ces séries interminables sur les spectateurs. Cette sorte de communauté invisible qui réunit des personnes de tous horizons. Un peu rétro, beaucoup mélo, le cinéma se penche sur une autre industrie d'images, qui fait rêver des millions de gens. Elle leur permet un échappatoire mental, une évasion par procuration de leurs vies enchaînées, qui s'avère dangereux si l'on tombe sur Betty. Le fan devient alors acteur, la série se transforme en vie réelle. Miroir fascinant que tend LaBute à des cinéphiles, des midinettes et des consommateurs d'images.
Cette serveuse capable de verser du café de dos, en regardant la télé, marié à un abruti qui pense que le bowling devrait être discipline olympique, voudra changer sa vie, et tenter sa chance. Il finira sauvagement scalpellisé. Elle apprendra à se suffire à elle-même. Sans mari, sans prince charman, sans père-ange gardien, Betty apprend à être une femme non soumise et assumant sa propre existence.
En prenant l'adorable mais pas trop belle Renée Zellweger, douce enfant au visage caméléon, le réalisateur américain s'offre une poupée middle-class qui voulait être infirmière et rencontrer le Prince charmant ; ici un personnage fictif. Son " coté sain à la Doris Day ", accentué de remarques et des références au Magicien d'Oz, à Vacances , à Tootsie et même à Thelma et Louise, fait l'éloge de la naïveté et de la gentillesse, avec deux anges noirs exterminateurs aux trousses.
En brossant un portrait d'une Amérique profonde, quotidienne, poétique, LaBute nous fait rire, nous touche et nous renvoie un beau constat sur une société bouffée par des rêves inaccessibles, des désirs fabriqués par d'autres.
Histoire semble-t-il incroyable, happy end de rigueur, Nurse Betty est un merveilleux conte peuplé de cauchemars, à la Alice au pays des merveilles. Film inévitable, il puise dans la parodie et l'itinéraire d'une femme oubliée, dans ce mix de strass et de banalité, une inspiration scénaristique réjouissante. Le premier coup de c¦ur du Festival 2000. Et Neil LaBute prouve à quel point son regard sur ses contemporains est aiguisé et curieux, et juste.

VCT 

 
 
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