Japon
Fiche technique
Production : NoDream Cinema
Réalisation : Carlos Reygadas
Scénario : Carlos Reygadas
Montage : Daniel Melguizo, Carlos Serrano, David Torres
Photo : Diego Martinez Vignatti
Son : Gilles Laurent, Ramon Moreira
Musique : Dimitri Chostakovitch, Arvo Pärt, Jean-Sébastien Bach

Durée : 129 mn

Alejandro Ferretis
Magdalena Flores
Carlos Reygadas Barquin

Festivalcannes.org
Quinzaine des Réalisateurs
 
 

Japon (Japan)

Mexique / Espagne / 2002 /
présenté à la Quinzaine des réalisateurs le 17 mai 2002

Un homme quitte la ville pour se rendre au fin fond du Mexique, où il se souhaite se préparer à la mort. Il se trouve à se loger chez une vieille métisse habitant seule dans un canyon désolé. Plongé dans l’immensité d’une nature vertigineuse et sauvage, il se trouve confronté à l’humanité infinie de sa logeuse. L’homme oscille entre cruauté et lyrisme et voit en lui se réveiller l’ivresse des sens, son désir de vie.

Japon est le premier film du talentueux Carlos Reygadas, inconnu du grand public. Passionné par les films de Tarkowski, le jeune réalisateur Carlos Reygadas est fasciné depuis l’âge de seize ans par le cinéma comme moyen d’expression plus que comme outil à raconter des histoires, divertir, documenter ou militer. Voilà en gros le style d’un réalisateur qui n’en manque pas. Reygadas a intégré une université de droit au Mexique où il a effectué une thèse sur la Cour Internationale de Justice. Fasciné par les situations extrêmes, le réalisateur a commencé à travailler pour le service extérieur du Mexique, aux Nations, sur les travaux préparatoires de la cour. Puis Carlos arrête tout pour repartir à Bruxelles étudier le cinéma. Il prépare alors un court-métrage avec le futur chef opérateur de Japon. Dès lors tout s’accélère et durant le premier semestre de 1999, il réalise trois autres courts-métrages auto-produits, en vue de maîtriser le technique de projets plus ambitieux. Au regard du résultat de " Japon ", l’expérience a été plus que profitable.

Le scénario de Japon a été écrit entre septembre 1999 et février 2000. Le film a été tourné en été, auto-produit et en partie autofinancé. Ce fût d’ailleurs pour la totalité de l’équipe une première expérience sur un long métrage.

Le film a d’abord été présenté au festival de Rotterdam en janvier 2002 dans une version différente. Lors du premier visionnage, le réalisateur décela de nouveaux points faibles. C’est alors qu’il rencontre Philippe Bober, vendeur international qui s’enthousiasme pour le film. Ce dernier lui donne davantage de moyens, tant au niveau du montage, de l’étalonnage que du mixage.
Enfin, le casting est composé de non professionnels à commencer par le personnage principal, incarné par Alejandro Ferretis, un ami des parents du cinéaste.

 

 

THE MAN WHO WASN’T THERE

Le diable charge les armes, les crétins appuient sur la gâchette.

La vie, la religion, le sexe, la mort. Autant de thèmes sont abordés dans Japon, film on ne peut plus dense. Dans une atmosphère éthérée, aux dominantes sépia, le jeune mais néanmoins talentueux réalisateur Carlos Reygadas filme les derniers jours d’un homme dont on devine les blessures secrètes sous-jacentes. Tout ici est suggéré, calculé, à tel point qu’on pense au perfectionnisme de Wong-Kar Waï. Une comparaison non fortuite : à l’instar d’ " In the mood for love " la musique joue ici un rôle prépondérant, catalyse les émotions et remplace souvent les dialogues, devenus inutiles. La beauté de la musique classique transporte le spectateur, déjà époustouflé par la splendeur des paysages verdoyants, somptueux du Mexique.

On reste subjugués devant ces plans aériens, tout comme les panoramiques, englobant l’intégralité spatiale et temporelle. Pas de bluff et de mouvements de caméra inutiles pour autant. Tout est calculé, rien n’est laissé au hasard, pas même le choix de la trame sonore, particulièrement soignée. Certains seront déconcertés par le manque de rythme et l’histoire, qui se résume en une ligne : une complicité qui s’installe entre un homme qui vit ses derniers jours et une vieille métisse pétrie d’humanité. Une sorte d’ " Une hirondelle a fait le printemps " (présence de la nature sauvage aidant) en moins allégorique. Tout est question d’ambiance, de psychologie et d’émoi. Pour autant, Carlos Reygadas ne tombe pas dans le pathos, bien au contraire et réussit à diluer ici et là un humour insolite. Difficile en effet de ne pas s’esclaffer devant une personne âgée en train de goûter aux joie de la marijuana ou un ivrogne récitant un poème d’amour. Signe d’un talent certain, le réalisateur sait passer du rire aux larmes sans accrocs. Un constat d’autant plus étonnant quand on note la performance obtenue avec un casting de non-professionnels, à commencer par l’étonnant Alejandro Ferretis. Ce dernier a réussit à composer un personnage complexe, qui se protège derrière une barrière d’idées métaphysiques, sorte d’armure pour ne pas être atteint pas les choses basiques de la vie. Dès lors, lorsque Ascen, vieille femme plus âgée et plus forte s’abandonne à lui de manière aussi ouverte, l’homme dévoile que sa carapace est inadéquate. L’occasion aussi pour le réalisateur d’aborder la pratique religieuse, l’exacerbation du rite. De la même manière que les mythes sont révélateurs de l’inconscient d’un peuple, les icônes révèlent ici des désirs, des peurs et des frustrations. L’essence même de la vie.
Japon est en tout cas un film qu’il faut prendre le temps de comprendre et surtout de ressentir. Carlos Reygadas filme l’impalpable à travers un personnage rendu ultra réceptif par la situation dans laquelle il se trouve. Tous les sens du spectateurs sont en éveil pour découvrir une ¦uvre basée sur la suggestion et les non-dits. La maîtrise de l’ensemble fait vraiment plaisir à voir. Un réalisateur à suivre de très près.

 

  (C)Ecran Noir 1996-2002