CRITIQUE

Le chercheur qui a mis au point des clones de moutons s'est finalement endormi.
Journaliste et humoriste français [ Laurent Ruquier ]
Extrait de Le mois par moi

LES RACINES DU MAL

"- Tu te focalises sur le négatif. Maîtrise tes pensées."

Après le retour raté de la saga en 99, il fallait s'inquiéter sur le bienfondé d'une telle entreprise de la part de Lucas, si ce n'est multiplier les épisodes pour décupler sa propre fortune. Pour notre infortune, artistiquement, cinématographiquement, cette nouvelle trilogie n'est pas à la hauteur des attentes. Nous y reviendrons.

Reconnaissons juste que les fans de la série (notamment les trentenaires nostalgiques de leurs combats au sabre laser dans la cour d'école) se régalent davantage avec ce deuxième opus qu'avec La Menace Fantôme. Quelques morceaux de bravoure et séquences pleines d'humour contribuent à cette communion en chambre noire où les regards sont pointés vers des personnages de la mythologie contemporaine ; la plus grande réussite de L'Attaque des Clônes trouve ses racines dans les personnages permanents de la saga : Yoda, R2D2, C3P0. Outre la dérision qu'ils apportent, le duo de robots s'offrent un show qui préfigurent de leur grande histoire à la "je t'aime moi non plus". Les Clônes se font doubler par les clowns. De même, Maître Yoda s'octroie enfin des scènes à sa mesure, où l'on jubile à chaque instant de voir ce sage montrer son savoir. Hélas, cela ne fait pas un film, et ne justifie en rien, pour le moment, la création de cette nouvelle trilogie antérieure à La Guerre des Etoiles. Car les maladresses ne manquent pas et ne font que croître la sensation désagréable d'un film épongeant trop les tendances à défaut d'affirmer une vision.

De cet épisode II, on retiendra avec soulagement le choix des deux acteurs : Ewan McGregor, qui donne une vraie cohérence au personnage d'Obi Wan créé par Alec Guiness, et Hayden Christenssen, qui parvient à nous faire imaginer le futur Dark Vador. Si la psychologie des personnages est parfois esquissée, on peut crier à l'imposture de la caricature dans la plupart des cas. Clônant les clichés, Lucas est complètement à côté de la plaque dès qu'il filme les sentiments amoureux, les dilemmes intérieurs, la sagesse a priori inexpressive. Ce sur-jeu permanent agace et rend le film tellement "hollywoodien" qu'on ne peut s'empêcher de penser au cinéma de Lucas, à ses origines. En optant pour des jeunes comédiens, très californiens, il caresse dans le sens du poil pubère son public adolescent. Mais il oublie ainsi la profondeur, le charisme, l'expérience des personnages de la "première" trilogie. L'histoire d'amour en devient niaise, peu crédible et même ridicule. Cela tient principalement au massacre opéré sur le rôle de Natalie Portman (seul élément sauvable du premier segment), qui n'existe que par oeillades et dialogues insipides. Le débat politique se résume ainsi à des propos candides, lycéens et simplistes. Rien ne prend de la hauteur, tout est nivellé par le bas, pour être sûr de rendre intelligible à chacun une histoire manichéenne et métaphorique. Cela en dit long sur le regard que porte le fabulateur sur ses adorateurs.

Plus sombre, plus tourmentée, plus agressif, ce nouvel épisode pêche par respect au sacro-saint public familial. L'horreur sous-jacente n'est pas montrée; le sexe obsédant n'est pas effleuré (et hypocritement caché par un amour maternel hors sujet); toute dureté, toute âpreté est maquillée par des effets numériques lissant l'esthétique américaine. Le contraste avec les plans "réels" et les décors "naturels", tellement plus vivants, annulent d'ailleurs l'émerveillement froid et artificiel du catalogue ILM. L'inspiration artistique est elle-même en manque de singularité. Le savoir-faire d'ILM se met au service d'une imagerie déjà vue dans la Science Fiction (de Blade Runner à A.I. en passant par Mad Max), dans des planètes qui manquent cruellement de contradictions (l'eau, le sable, la verdure, ...). Lucas ne parvient pas à mélanger la dimension humaine, naturaliste et la rêverie des mondes lointains. Il ne fait que "reproduire" un système politique idéaliste (mais inamovible), un comportement humain inaliénable (et inébranlable), et surtout des fantasmes et cauchemars d'un univers futuriste finalement très obscur (des giga-villes sans arbres ou des coins paumés féodaux). Il nous livre avec mauvais goût une séquence barbare issue des arènes romaines (à la Gladiator). Rien de nouveau.
Quelques éclats nous font briller les yeux : la course poursuite dans une ville verticalement sublime ou la magnifique planète Kamino et ses océans déchaînés.

Mais le scénario nous engoufre dans la faille béante du manque d'imagination. A la puérilité de l'histoire, s'ajoute trop de plagiat ou de banalité, une surenchère croissante des scènes d'action - jusqu'au traditionnel final - qui épuise et lasse, et un découpage symétrique absurde. Pendant la moitié du film, nous suivons en alternance deux films, en parallèle : la quête solo d'Obi Wan et l'attraction désastre d'Anakin et Padmé. Lourdement, ce procédé finit par nous détacher de l'enjeu du film : une guerre civile à l'intérieur de la République.

Au final l'Attaque des Clônes est un produit commercial parfaitement ciblé, conçu dans un pur objectif matérialiste, reprenant tous les clichés de la pop culture et permettant à une jeunesse sans imagination d'en acquérir une à bas prix. Tandis qu'on reste sur un impression plaisante d'avoir plongé dans une odyssée familiaire et fascinante, à force de clôner sa Guerre des Etoiles, Lucas risque malgré tout de dilluer la qualité de son oeuvre mythique et de transformer ses soldats de collections en jouets en plastique.

Vincy-   

  (C) Ecran Noir 96-02  Photos: (C) Lucasfilm LTD
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