APOCALYPSE NOW

J'avais prévu de vous écrire un édito léger et envolé sur les films diffusés dans les avions. Etant à New york la semaine dernière, j'ai assisté dimanche soir au spectacle féérique du survol de Manhattan by night; à ce moment là je ne pensais pas que ce serait la dernière fois que la silhouette de l'île aurait cette allure. Quiconque connaît New York ou Washington ne s'étonneront pas que des avions survolent les centre-villes à si basse altitude.
C'est donc ce que j'avais en tête, jusqu'à hier 15.00, heure de Paris. Il devenait impossible de ne pas en parler, même dans un magazine de cinéma. Show must go on? La vie continue? Sans aucun doute. Mais la tragédie d'hier, à la fois envisageable et choquante, monstrueuse et symbolique, est liée à jamais aux images que nous avons vues. Un de nos collaborateurs est encore sur place. Là bas on ne pense qu'à rassurer ses amis, à savoir si il y a des victimes parmi ses proches. Là bas on a crié en voyant le second avion se crasher dans l'une des deux tours.
Los Angeles a interrompu le show de Madonna, fermé les parcs Disney et Universal, stoppé les tournages. les post-rpoductions sont soppées. Des sorties de films comme Big Trouble et Collateral Damage sont repoussées. Le festival de Toronto a appuyé sur pause.
Le 7ème Art a longtemps imaginé, filmé, vendu ces catastrophes comme autant de faits spectaculaires "irréels". Hier, c'était bien réel.
C'était même mieux chronométré qu'un film hollywoodien. Pour paraphraser Prévert (via Jouvet) : "A force de montrer des choses horribles, les choses horribles arrivent". Des gratte-ciels qui explosent (Die Hard, La tour infernale), un avion qui s'enfonce dans un building (True Lies), Washington et New York détruites (Mars attacks!, Independance Day, A.I. Armageddon), des avions détournés (Airport, Air Force One)... le cinéma américain joue avec ses peurs en fantasmant l'apocalypse, l'anéantissement et donc la mort certaine de millions d'innocents. Sans aucun mal. Sans aucune douleur, juste pour le divertissement. New York a même été imaginée terrorisée par des attaques inconnues et protégée par un général fasciste dans Couvre Feu, de Zwick, avec Denzel Washington et Bruce Willis. On peut ajouter les romans de Tom Clancy (La somme de toutes les peurs, Sur Ordre) qui évoquent avec précision comment des groupuscules extrêmistes (toutes origines confondues) peuvent nuire violemment au mode de vie américain.
Il ne s'agit pas de parler de politique, de trouver des responsables ou des coupables. Ce n'est pas notre rôle. On peut juste s'interroger sur le poids des images, les fictives et les réelles. Il serait peut-être temps d'être plus raisonnable dans l'utilisation de la mort, des attentats, des armes à feu au cinéma. L'esthétisme de la violence a ses limites si elle n'est pas décodée comme un acte répréhensible, amenant la répulsion, en tout cas si elle est déclinée de façon trop gratuite et systématique. Cet été les films hollywoodiens ont cumulé 856 cadavres dans l'indifférence générale.
Hier, les images montrées (montées) ont fusionné fiction et réalité. De quoi marquer nos mémoires. Ces attaques "barbares" qui ciblent deux cités symboles d'un monde auquel nous appartenons, ce n'est pas une super-production et il n'y a aucun box office à commenter. ici aucun Will Smith pour puncher un alien (étranger), aucun Bruce Willis pour buter l'ennemi hors des USA, aucun Schwarzzy pour sauver l'Amérique. Les Américains, sauveurs du monde, désormais ça n'est plus possible. Ni dans Pearl Harbor, ni dans d'autres films. Il va falloir revoir les scripts, comme le Vietnam a donné beaucoup de films existentialistes ou mystiques. La guerre peut-être (et doit l'être) montrée dans toute son atrocité, à l'instar d'un Platoon ou d'un Soldat Ryan. Achille était vulnérable de par son talon. Hier les USA l'ont été par leurs trop faibles présomptions sur ce qu'est leur pays et le reste du monde.
Le blockbuster de la rentrée se joue sur CNN, en direct live, ce sont presque les journalistes qui en écrivent le script au fur et à mesure. Le malaise s'installe quand cette impression de déjà vu nous effleure. Il ne faudrait surtout pas qu'on nous banalise cette souffrance, qu'on normalise ce spectacle. Car l'impossible, l'inavouable, Hollywood s'est acharné ces dernières années à vous les concrétiser dans la démesure pour vos loisirs, en salle ou en DVD.
Ce que vous avez vu hier, ce n'est pas du cinéma. Il reste une question : cette catastrophe aura-t-elle besoin de devenir un film?

Vincy. 12/09/01  
 


(C) Ecran Noir 1996-2001