IL FAUT ENTERRER LE SOLDAT REAGAN

Le jour le plus long. Un pont trop loin. Il faut sauver le soldat Ryan. Et compagnie. Le cinéma a embrassé avec passion cet épisode de la seconde guerre mondiale, cet événement en kinopanorama du XXème siècle. Du sacrifice des "boys" aux batailles féroces, des parachutistes dans la campagne normande (très champêtre) aux tanks débarquant sur les plages sablonneuses, l'événement fut plus que cinégénique. Témoignent toutes ces photos, ces archives de reportages. Ce fut peut-être la première bataille médiatique de l'histoire. Il est donc logique qu'elle fascine tant les scénaristes et les cinéastes. On ne peut rêver plus belle fresque. Même si, et les vétérans le répètent, l'horreur est insoupçonnable. L'odeur de merde, le sang et la chair qui gicle, la puanteur des cadavres et de la poudre. Des villes dévastées (Saint-Lô). Des troupes anéanties (sur Omaha Beach notamment). Une force cosmopolite (d'Australie au Canada, de Pologne à l'Ecosse, et même quelques français de la France libre) voulait terrasser le monstre nazi, déjà très mal en point du côté du Front russe et sur les rivages méditerranéens.
Le cinéma est ainsi un vecteur de mémoire. Il transmet, maladroitement, avec ses moyens (la fiction, donc le romanesque), des faits réels. Il nous sert de médicament contre l'oubli. Parfois, grâce à la force de l'image, il nous tétanise. D'autres fois, avec des mots bien choisis, il nous galvanise. Mais le cinéma a un réel pouvoir d'évocation, de provocation. Déclenchant ainsi le réveil de nos souvenirs collectifs. Il ne s'agit plus de se poser la question sur le droit à montrer telle atrocité ou pas, il s'agit d'en parler, encore, toujours. Comme le cinéma interpelle nos consciences avec l'Holocauste, Hiroshima, Stalingrad, l'occupation en France (par les nazis) ou en Extrême Orient (par les Japonais). Morceaux choisis évidemment. Mais si certains détails sont oubliés, faîtes confiance à un cinéaste pour le faire resurgir un jour. Rosenstrasse cette année, Ouradour sur Glane un jour...

Car ce 6 juin 1944, c'est une étape vers la liberté qui s'est amorcée. Sans les Américains, les Britanniques et leurs alliés, nous ne serions pas là pour avoir la nostalgie de ces années que nous n'avons pas vécu - pour la plupart d'entre nous. Dans une France qui a peur de son avenir, qui cherche ses repères, cette date devrait nous rappeler que notre confort actuel date de cette époque. Il ne faut pas s'empêcher d'être ému devant tant de bravoure. Pas besoin de musique symphonique à la John Williams pour appuyer le moment.
C'est d'autant plus important que la mémoire vivante, les témoins réels, les récits oraux vont s'éteindre. Il y aura très peu de vétérans au 70ème anniversaire du D-Day. Avec le temps, est venu, heureusement, la réconciliation des peuples. La Russie n'est plus communiste, l'Allemagne est le premier partenaire commercial et politique de la France, l'Espagne n'est plus franquiste et le Japon est considéré comme un pays occidental. Tout a été reconstruit. Nous sommes amis avec nos ennemis d'hier. Nous risquons donc de déformer de plus en plus notre passé. Les historiens seront les vigiles de demain. Mais déjà les films ont tendance à ne plus être aussi manichéens. Par souci de vérité (Amen) ou de compassion (Monsieur Batignole), la seconde guerre mondiale ne devient plus une histoire de batailles mais bien une histoire d'hommes. Du macro au micro, il n'y en a plus que pour les héros.
La réhabilitation de certains risquent de brouiller le message. Nous voyons désormais cette guerre avec notre regard contemporain, noyé dans 50 années de paix (relative). Pourtant ce passé n'est pas à oublier y compris dans sa bestialité. Sinon nous ne serons jamais capable de nous défendre dans le futur ...

Nos hommes politiques n'ont pas connu cette guerre. Hormis Chirac, vétéran des Puissants, et Babeth II. Les voir autour d'une même table est réjouissant. Mais nous pouvons regretter, finalement, l'absence des vrais grands. Qui parmi eux, exceptée the Queen, peut se vanter d'avoir la hauteur nécessaire pour célébrer un tel événement? Notre époque est tiède, nos décideurs tout autant. Nos idées, n'en parlons pas. Le cinéma a raison de se pencher sur notre passé : il est bien plus glorieux que notre présent.
En voyant les cérémonies du jour J, on peut se dire qu'il manquait un metteur en scène. Finalement les films et les documentaires nous parlent bien plus que ces mascarades, reconstitutions pathétiques ou discours sans chair. Il nous manquait de grands acteurs. Et le public, forcé d'être au rendez-vous, frôlait l'overdose.
Ironiquement, Ronald Reagan, alzheimer, est mort durant ce week end qui lutte contre l'oubli. Ce fut le premier Président Américain à participer à une vraie commémoration symbolique (le 40ème anniversaire), à l'instigation de François Mitterrand. Eux avaient connu la guerre. Eux avaient tout fait pour cessé la Guerre Froide. Eux avaient chercher à construire une Amérique puissante, une Europe puissante. Mais voilà les deux grands montres sacrés ont disparu. Et à la place on a des Guignols.
Comme si nous avions mis Eric et Ramzy dans le rôle de Bourvil et d'Arletty (Le jour le plus long). On a l'époque, le cinéma et les politiciens qu'on mérite. Alors, revoyez les grands classiques déjà cités, et puis aussi Les Canons de Navarone, La bataille du Rail, The Big Red One (grand Samuel Fuller), Le Pont de la River Kwaï, Das Boat, Paris brûle-t-il?...

Vincy. 06/06/04  
 


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