- Un long dimanche de fiançailles
- Un crime dans la tête

 

A VERY LONG ENGAGEMENT
(UN MAUVAIS REMAKE US)

De la démocratie en Amérique
Quel remake l'Amérique choisira-t-elle? A priori, il n' s'agira pas de Reagan / Carter malgré la nette domination de Kerry sur Bush lors des débats, à l'instar de l'ancien acteur qui avait dévoré le futur Prix Nobel de la Paix en pleine crise des otages en Iran. Carter a eu sa revanche en devenant le symbôle d'une Amérique sage, éclairée, tolérante, ouverte sur le monde.
Si les initiales, sa ville d'origine (Boston), sa foi papiste, en font un héritier "old fashion" de Kennedy, Kerry va peut-être rallier les indécis (à défaut de convaincre même dans son propre camp), et s'offrir une victoire à la Carter (1976). Mais il est plus probable que Bush, grâce au système des grands électeurs qui lui est clairement favorable, nous réédite le coup de Nixon (1972). En pleine guerre du Vietnam (pourtant contestée) et à la veille du crash pétrolier, le futur auteur du scandale du Watergate fut largement réélu.
So what?
Le choix des Américains correspond à une réalité dure à accepter pour les peuples progressistes (Européens, Canadiens, ...) : il va falloir choisir entre une alliance naturelle, culturelle avec la puissance hégémonique (ce que veut un Sarkozy, américanophile) ou assumer nos critiques à son égard, parce que nous voyons le monde différemment; pour cela, nous devrons gagner (ou plutôt payer) une autonomie militaire, audiovisuelle, diplomatique.
Ne sous-estimons pas le poids de l'Amérique sur notre inconscient et sur notre quotidien. Si la culture française résiste plutôt bien à cette invasion, elle est de plus en plus isolée, et va éprouver des difficultés de plus en plus grandes.
Par exemple, comment combattre Pixar et DreamWorks Animation, capables de dégager entre 3 et 5 milliards de $ en bourse, pour produire 2 à 3 blockbusters par an? Aussi longtemps que nous jouerons petits, étroit, chauvins, et malgré nos immenses talents, nous ne pourrons que nous glorifier de succès exceptionnels (Kirikou, Les triplettes de Belleville).

Les mutants d'Amérique
Pourtant malgré cette formidable arrogance, l'Amérique d'aujourd'hui a peur de tout : du voisin, de l'étranger, de la science, ... C'est inscrit dans ses gênes. Les médias attisent ce sentiment. Introvertie, peu curieuse, relativement inculte, elle se ferme sur elle-même (sauf ses façades Atlantique et Pacifique), impuissante à penser ses plaies (certaines datant de la Guerre de Sécession). Les sudistes sont républicains quand les nordistes sont démocrates. A quelques comtés près. Son modèle démocratique prend l'eau : l'Inde avec 3 fois plus de votants a montré bien plus de maturité. Les médias, autrefois contre-pouvoir aussi garanti qu'un contrat Darty, deviennent des outils de propagande et des lobbies partiaux. Il faut donc des trublions (Jon Stewart, Michael Moore) pour jouer un 5ème pouvoir.
La mutation ethnique, démographique et géographique (la population s'hispanise et migre vers le Sud et l'Ouest, des régions plus républicaines que démocrates) bouleverse ce que nous savions d'elle. Dans ce pays adepte de la liberté et créateur des discriminations positives, il n'est pas si facile d'être homosexuel, arabe ou athée. Après tout, c'est le Mayflower qui débarqua à Plymouth - 50 kilomètres au sud de Boston, la ville de Kerry, réputée la San Francisco de la Cote Est - rempli de pèlerins chassés par les Anglicans. C'est une secte puritaine qui fonda l'Amérique. Filialisée, ses multiples branches prélèvent 10 % des revenus des fidèles (80% de croyants, 50% de pratiquants, des scores dignes du Brésil). Ici la Scientologie est banalisée. Mel Gibson l'a bien compris lorsqu'il a marketé sa Passion : 40 millions de spectateurs!
Face à l'immigration hispano-catholique et la montée de l'Islam dans le monde, sans oublier le nombre croissant de bouddhistes, les White Anglo-Saxon Protestants (WASP) se sentent menacés dans leur culte et dans leur culture; la Bible devient leur étendard, leur dernier rempart. Il faut bien déculpabiliser le consommateur, le pollueur et convertir le citoyen à la notion de bien et de mal.
Résultat? La mode n'a jamais été aussi terne, pudique et conservatrice. Les voitures sont de plus en plus volumineuses (et hautes, ce qui pose quelques problèmes de sécurité routière). Comme pour prouver leur superpuissance. Les corps - obèses, même dans les grandes villes - ont pris, en moyenne, 11 kilos en 40 ans pour seulement 2,5 centimètres de plus en taille. Pas raisonnable.
Egoïste, aveuglée, illuminée. Il n'y aurait aucune surprise à voir Bush, populiste, charmeur, simpliste, rieur, "born again christian", remporter la victoire. Il est la parfaite icône de cette Amérique qui décline, et qui garde encore de sa vigueur. Une régression qui se mélange à un destin divin. Les germes d'un fascisme religieux. Un mal pour un bien? Il faut peut-être cette impasse pour que la nouvelle Amérique - latino, métisse, à l'instar du futur Sénateur Obama - s'éveille dans une dizaine d'années, soit moins de temps pour que la France change de générations de politiques et pour que l'Europe se construise avec cohérence. C'est ce dynamisme qui peut encore fasciner...

Les délices d'Hollywood
Car si l'Amérique préfère sanctionner une fellation à un millier de soldat mort sans raison, et que cela nous échappe rationnellement, elle doute aussi de plus en plus d'elle-même. Cela se remarque à travers ses héros de cinéma et ses ennemis, moins évidents à discerner. Jason Bourne ou Le Jour d'après, c'est un personnage tourmenté qui voyage et une menace climatique incontrôlable (et inéluctable). Finit le temps des Rambo et des Schwarzzy (sauf quand celui-ci fait de la politique pro-Bush). D'ailleurs Vin Diesel, Ben Affleck, Bruce Willis et autres gros bras à petit pois dans le cerveau, ont été renvoyés à leurs études.
Le cinéma US a toujours été un outil pédagogique ou de propagande (Seconde guerre mondiale). Tempête à Washington, Mr Smith va au Sénat ou encore J.F.K., révèlent l'intérêt certain pour la Politique. Hollywood était parvenu à nous faire croire à la beauté d'un système, où le citoyen (parfois un journaliste) était toujours le héros d'une comédie parfois tragique (ou l'inverse). Les deux versions de The Manchurian Candidate (Un crime dans la tête) montrent à quel point l'Amérique a si peu changée, dans le fond en 40 ans. Et récemment, de Nixon à un pseudo Clinton, sans omettre 24 heures chrono et The West Wing, la Maison Blanche a été le théâtre de fictions réalistes et de fantaisies héroïques (Air Force One, la quintessance du Président anti-terroriste) ; ainsi l'Amérique se dotait de Présidents idéaux et improbables, et même d'une Présidente afro-américaine (Angela Bassett dans Contact). Impensable dans la réalité, mais sans doute - espérons-le - précurseur.
Ces dernières années, le Président a été mis à toutes les sauces (et ne sera jamais aussi hilarant que Bush vu par Moore). Le cinéma a fait des Etats-Unis la seule puissance leader de la planète, avec son chef, tantôt menacé (La somme de toutes les peurs), tantôt idéalisé (Le Président et Miss Wade), tantôt ridiculisé (Président d'un jour). Le locataire du bureau ovale est devenu guignol malgré lui, et ça ne trompe personne. Dans Fahrenheit 9/11, Bush est plus vrai que nature et mérite son traitement cinématographique. La charge était trop grossière pour être convaincante, à l'instar des Guignols avec Chirac, rendu sympathique. Héros récurrent, il est devenu l'instrument scénaristique, au mieux, un maillon faible de notre système, au pire. Hollywood n'est pas tendre avec les Institutions depuis une dizaine d'années, ce qui coïncide avec l'émergence de l'information-spectacle.
Cependant, malgré le respect apparent, le 7ème art poursuit sa tendance à s'immiscer dans les choix idéologiques américains. Dans les années 40, les studios avaient réalisé quelques comédies très féministes, préparant le terrain. Depuis, les studios ont embrayé sur d'autres sujets de société, comme la peine de mort, l'homosexualité, l'environnement, l'injustice de certaines guerres.... A chaque fois, la vision la plus progressiste prévalait tandis que l'Amérique s'enfonçait dans un conservatisme réactionnaire. Autrefois Capra et Preminger vantaient le pragmatisme d'un système. Aujourd'hui, Demme, Stone ou Eastwood démontrent toute sa déliquescence et ses failles. Le Vietnam et l'assassinat de Kennedy sont passés par là. L'Amérique pourrie. En partie.
Mais pour le moment, personne n'ose vouloir s'attaquer à l'ultime tabou : la religion, et son poids effarant dans l'idéologie Américaine. Ici nulle séparation de l'Eglise et de l'Etat. Aucun film sur cette liaison contre-nature. La critique a ses limites dans un pays où on implore "God" dans chaque exclamation et dans les discours officiels pour légitimer certaines décisions (des cellules souches à la Guerre en Irak).

Restore Hope
Bush réélu, ce ne sera pas la fin du monde. Il faudra juste espérer. Hollywood, en attendant, a donné le feu vert à bien d'étranges super-productions, ne sachant plus divertir avec profondeur, ou faire réfléchir en divertissant. Alexandre se fait impérieux et colonisateur de la Mésopotamie. Jésus devient super star. Howard Hughes rappelle les ambitions d'il y a 60 ans. Entre ce besoin de grands hommes et l'Américain moyen dépressif (Payne, Anderson, Penn, ...), il n'y a qu'un vide digne du Midwest. Certes les finales mondiales de Baseball concernent deux pays (cette année, c'est l'équipe de Boston qui l'a emporté). Et le Dimanche, après la messe, on file au McDo. Pourtant, dans les rues des grandes villes, on remarque la présence d'H&M (Suède), de Zara (Espagne), de Sephora (France). Grâce à l'immigration latino-américaine, le "soccer" s'impose en sport chouchou des mamans. Et depuis le triomphe de La Vita è bella, quelques Amélie, Tigre et Dragon, Héros, ... ont conquis un public large, préjugé analphabète et incapables de lire des sous titres. Cette année, les premiers favoris aux Oscars s'appellent Javier Bardem, Gael Garcia Bernal, Zhang Ziyi, Pedro Almodovar, Alejandro Amenabar, Walter Salles, Audrey Tautou, Jean-Pierre Jeunet... Et n'oublions pas les Anglais (Jude Law, Mike Leigh) qui complètent l'invasion et prennent le pouvoir dans le club.
Cela n'a l'air de rien, mais Hollywood a fait entrer un véritable cheval de Troie, pas forcément consciemment. Avant un néo-zélandais, un chinois ou un mexicain réalisaient de grosses productions financées par les studios, mais influencées par la patte de l'immigrant. Aujourd'hui, Internet oblige, les films cultes sont issus de l'étranger.
En cela le mauvais procès fait au Jeunet est d'une stupidité (française) sans nom. Produit grâce à la Warner, le film est bien plus français techniquement, artistiquement, linguistiquement et même scénaristiquement (c'est-à-dire dans son sujet même) que le film "officiellement" frenchy de Polanski (Le Pianiste). Au lieu de se focaliser sur une américanophobie (qui en fait est une intolérance due à une mauvaise compréhension des deux parties), mieux vaudrait se réjouir; plutôt que de nous croire si bien dans notre village gaulois, prenons notre place à l'ère de l'image globale. Le film, en étant distribué par le conglomérat américain, bénéficiera d'une force de frappe unique et ce, dans le monde entier. Il a déjà de sérieuses chances aux Oscars (le buzz est plus que favorable), et à l'instar de Carnets de Voyages, il devrait rencontrer un large public outre-atlantique. C'est un film qui respire la culture, la sensibilité (et l'Histoire) française. Un acte presque subversif s'il parvient à toucher des millions d'Américains en leur parlant de notre manière de voir le monde, même avec quelques effets spectaculaires. C'est toute la force du cinéma.

Et sinon une longue période de divorce...
Car n'en déplaise à Sarkozy : le cinéma européen, lui aussi, plaît aux jeunes. Il est offensant qu'un Ministre d'Etat se croit permis en Amérique de vanter l'admiration pour le cinéma US, certes réelle concernant certains auteurs, certaines productions, mais qu'il ne faudrait pas généralisér (sous prétexte de n'avoir qu'une lecture de chiffres avec un cinéma représentant "seulement" 60% des parts de marché). N'en déplaise au fervent catholique Sarko, l'Amérique, hormis peut-être ses campus universitaires, ne fascine plus, et peu de Français s'imaginent y vivre correctement (ne serait-ce que pour la question essentielle de la gastronomie). L'idée est donc démodée et ringarde. Il serait temps, en revanche, de promouvoir une industrie audiovisuelle non-américaine. Car ce sont les mangas japonais, les films sud-coréens, les Goodbye Lenin et autres Almodovar qui séduisent de plus en plus. Il ne faut pas confondre le marketing puissant d'une Amérique "as de pub" et le contenu culturel, qui se vide avec les années de New York à Los Angeles. Il faudrait mieux croire à une Europe culturellement intéressante.
En clair et sans décodeur, se foutre de Bush et influer sur Barroso.
Ne pas oublier que StudioCanal investit avec notre approbation nationale dans un Bridget Jones et soutenir un Jeunet dans son périple mondial pour vendre un film ambitieux et populaire.
Le peuple américain peut être attiré par l'Europe, quand elle est un modèle politique, grâce à son patrimoine et son art de vivre. Notre cinéma peut s'imposer, même avec des sous titres, et pas seulement dans les dix grandes villes. Nous pouvons insérer cette vision d'un monde qui n'est pas binaire.
Nous risquons, sinon, un autre désastre : une américanisation de notre société, libérale, religieuse, atlantiste.
Mais en France, contrairement aux States, il n'y aura pas de films pour nous montrer d'autres chemins : cela fait longtemps qu'on ne se mêle plus de politique dans notre cinéma. On a beau jeu de critiquer un pays quand on offre aux yeux du monde une élection Chirac / Le Pen à la Présidentielle... Alors Bush? We will survive.
Rendez-vous en 2008 pour la suite du remake : si Kerry passe, la candidature du populaire ancien maire de New York, Giuliani; si Bush confirme son mandat, rêvons à Madame porte la culotte, avec une Hillary Clinton plébiscitée.

Vincy. Octobre 2004 : Boston, Montréal  
 


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