On le sent intègre. Hors système. Beineix, par son parcours, ses films, son
exigence, ressemble à un personnage à la fois zen et passionné. Il ne vit
que pour son art, tel un artisan perfectionniste. Et puis, pas loin, il y a
le gamin, fana de cinéma, fier de prolonger ses rêves d'ados.
Car Beineix aime le 7ème Art. Il en est une sorte de survivant ; il peut
vous citer une réplique de Jouvet dans Quai des Orfèvres et être un grand
fan de cinéma japonais, de Vigo, de Dumont (L'Humanité) ou d'Egoyan
(Exotica). Il apprécie autant la farce et les polars de Melville que les
oeuvres épurées, éclatées, esthétisantes.
Beinex n'est pas contradictoire, il est humain. Il défend sa profession,
son travail et les petits cinémas comme Le Balzac. Si Besson est passé au
mode industriel, Beineix reste un petit commerçant qui ne veut pas faire
d'histoires, mais simplement les raconter.
Après 20 ans de cinéma, le réalisateur a pris de la bouteille, a piqué des
coups de gueule, a pris des coups dans la gueule. Bref le milieu ne l'a pas
épargné. Il en est marginalisé, faisant bande à part, et reste dans la
lignée des cinéastes maudits et acclamés, à l'instar d'un Carax. Ils
partagent le même romantisme noir, le même sens de l'allégorie, des
paysages surréalistes, et ce sens de l'esthétique qui leur sont propres :
chaque cadre est soigné, chaque plan est rempli de symboles, et le récit,
au final, a l'aspect d'une narration multimédia, proche de l'expérimental,
et pourtant si épique.
Mais Beineix, que l'on verrait bien écrire et réaliser un polar de société,
qui aurait pu nous épater avec ses Vampires dans Paris (le projet a avorté
pour cause de trop gros budget), se fait rare, et, ainsi, entretient
involontairement sa légende.
Un film signé Beineix est forcément un OVNI. Cet homme curieux et railleur
fut d'abord, dans les années 70, assistant de Zidi (qu'il remercie à chaque
fois), Berri, Nadine Trintignant, Simenon, Jean-Louis Trintignant,... C'est
son premier film qui en fit un phénomène. A peu près en même temps que Le
dernier Combat de Besson, Beineix signe le sublîme Diva. Ode à la voix qui
marqua les esprits. Césarisé, Diva lance par ailleurs Bohringer père. Un
nouveau cinéma français naît : coloré, stylisé, énergique, mystérieux. Un
thriller qui fait du débutant un réalisateur dans lequel tous les espoirs
sont permis.
Douche froide puisque La lune dans le Caniveau, son second opus, sera
traîné dans les égouts, et les étoiles ne se reflèteront nulle part
ailleurs que sur les marches (salies) de Cannes. Torrents de tomates.
Huées. Depardieu se désolidarise de cet échec artistique. Beineix gardera
cette blessure, cette humiliation, cette destruction en règle. Cannes a son
scandale. Mais Beineix ne sera pas son sacrifié.
Il fera d'ailleurs monter le thermomètre très haut en ouvrant son nouveau
film avec une scène de cul restée anthologique. Anglade à poil ne pouvait
que bander devant cette pulpeuse révélation, brune incendiaire, bouche
infernale; et Beineix créa la Dalle. 37°2 le matin sera un hit mondial,
remportant plusieurs prix, devenant le summum culminant de la carrière de
Beinex, rencontrant un large public, jusqu'à la Madonne " True Blue " qui
fera de " Betty Blue " son film culte du moment. Le réalisateur sait très
bien transposer l'univers conflictuel, passionnel de Djian.
Chacun de ses films a un décor à la fois magique et oppressant, où le
sentiment de liberté, d'exploration côtoie la destruction des humains.
Après les plages, Beineix s'enferme dans un cirque, avec les lions, puis
dans une île aux grands arbres, avec les pachydermes.
La critique ne le loupe pas. Le public ne s'intéresse plus à ses opus
insensés et beaux.
Il se fait dévoré cru par le cinéma français, perd la confiance des
producteurs, s'installe en politicien du 7ème Art. Il sera le dernier
réalisateur a avoir filmer Yves Montand. Lui offrant un cercueil en
celluloïd, avec un message digne des meilleurs mangas : initiation, vieux
sage, transmission de savoir, environnement. Vert avant l'heure.
Et puis le silence.
Les rouleaux de vagues bercent les cabanons. La cantatrice s'arrête. Les
lions ne rugissent plus et le fouet est rangé. Les arbres infinis couvrent
ses éventuels cris.
Beineix va au Japon, un pays qui lui va si bien. Il écrit une histoire à
grand spectacle de vampires au dessus de la capitale, avec Réno en big
star. Les financiers ne suivront finalement pas, pour l'instant, ce budget
de 300 millions de francs. Il se refait la main avec un polar
psychanalytique, à tiroir et à couloirs labyrinthiques...
Si le film échoue, il pense perdre le goût. Celui de filmer.
Il sait que ses oeuvres sont éternelles et lui survivront.
Prêt pour le cimetière des éléphants... Même les cinéastes sont mortels.
Vincy