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Dimanche après-midi, place Vendôme. Le soleil a aggloméré devant le Ritz quelques curieux venus photographier la propriété de Mohamed al-Fayed. Si Jodie Foster reçoit dans ce palace, «c'est à cause de la piscine».
«Je ne pense pas qu'il y en ait des comme ça dans les autres hôtels», rit-elle dans ce français légendairement parfait jusque dans la maîtrise de l'argot.
Rescapée de l'enfance prodige, Jodie Foster demeure, à 34 ans, un personnage inclassable.
Certainement parce qu'elle le souhaite (l'idée d'appartenir à une «bande» ou à une «catégorie», quelle qu'elle soit, lui fait horreur), mais aussi parce que, après trente ans de carrière et malgré deux Oscars, chaque film la remet dramatiquement en cause.
Ainsi, en 1995, elle affirmait que son rôle de Nell, la jeune femme sauvage qu'elle incarnait dans le film de Michael Apted, était le plus facile qu'elle ait jamais eu à jouer. On ne l'a pourtant plus vue entre Nell et Contact, qui sort aujourd'hui.
Certes, entretemps, elle a mis en scène son deuxième long métrage, Un week-end en famille, qu'elle a également produit. Mais le surbooking n'explique pas tout. «J'ai eu des mauvaises critiques dans ma vie. Mais pour Nell j'ai senti une sorte de mépris concernant ma performance qui m'a vraiment blessée. Je m'étais mise à nu dans ce rôle et je n'étais pas prête à prendre une veste», confesse cette jeune femme à lunettes, qu'on estime volontiers forte, pour ne pas dire froide.
Titulaire d'une maîtrise de lettres de l'université de Yale Ð elle a consacré son mémoire à l'écrivain Toni Morrison Ð, Jodie Foster, qui aime «travailler avec les textes», est évidemment la femme savante d'Hollywood. Une intelligence frôlant le handicap, dans un métier reposant beaucoup sur l'instinct. Cette femme de tête qui surprotège sa vie privée Ð depuis qu'en 1981 un déséquilibré a tenté de tuer le président Reagan pour se faire remarquer d'elle Ð a la réputation de ne pas se lâcher suffisamment à l'écran.
Reproche un rien surfait: aussi bien face à l'ultracabot Anthony Hopkins dans Le Silence des agneaux (son deuxième oscar), que seule dans le vaisseau spacial de Contact, l'actrice peut faire passer dans une attitude, une intonation, un regard, une multitude d'émotions.
Preuve que la surface de cet océan de sérieux peut se troubler de souffles contraires. Ou de tempêtes sous un crâne.
Ce genre de subtilités vient avec la vie, pas avec la technique. Or la jeunesse de Jodie Foster n'a pas été celle de mademoiselle Tout-le-Monde. Débutée à l'âge de trois ans dans un spot pour une huile solaire, la carrière de cette surdouée à la peau laiteuse s'est faite dans les usines Disney, où elle aurait pu finir en Minou Drouet mal poussée. Mais elle croise, à l'âge de 12 ans, la trajectoire de Robert De Niro dans Taxi Driver, de Martin Scorsese.
Evidemment, à jouer les fleurs de trottoir camées à peine pubère, elle a pris une telle avance sur la concurrence que, à l'âge où ses consoeurs se demandent comment prolonger l'état de Lolita nécessaire à la poursuite d'une carrière, elle en est déjà à établir le bilan de la mid-life crisis des quadragénaires. «Est-ce que j'ai pris le bon chemin ou est-ce que c'est le chemin qui m'a choisie?» est la question qui l'empêche de vivre tranquillement. Une inquiétude qui lui tient lieu de moteur: «Je suis attirée par toutes les choses que je ne suis pas. Jouer, pour moi, c'est me faire violence, surmonter l'intensité de la vie. C'est une forme d'analyse jungienne.»
Qui lui permet, peut-être, de régler quelques comptes avec l'adolescence. «Dans tout ce que j'ai fait avant les Accusés (rôle d'une femme violée qui lui valut son premier oscar, ndlr), j'étais une enfant. J'avais presque honte sur les tournages. Je pensais qu'être actrice ça n'était pas assez intellectuel et stimulant, que c'était juste émotionnel et physique. Je n'étais pas prête à me donner. Je ne parle pas de Taxi Driver, où je suis assez fière de ce que j'ai fait, c'est une performance tout à fait instinctive. Après... Je suis sûre que c'est l'adolescence. C'est un truc monstrueux, un moment que je ne revivrai pour rien au monde, l'adolescence.»
La partager sur grand écran avec des inconnus doit probablement relever du cauchemar. Et, pourtant, Jodie Foster se dit persuadée qu'à cette époque plus qu'à toute autre le cinéma a changé sa vie. En tant que spectatrice: «J'ai vu des films qui parlaient de choses dont personne d'autre ne m'aurait parlé, qui m'ont montré une humanité que sinon je n'aurais jamais connue, ou qui faisaient écho à mes préoccupations. Ça m'a formée. Les 400 Coups ou le Souffle au coeur, tous ces films qui parlaient d'enfants un peu à part ou incompris. Sans ça j'aurais eu l'impression d'être seule dans ce cas.»
Mais aussi, et c'est finalement la raison pour laquelle elle s'obstine dans cette voie douloureuse, en tant qu'actrice. Après ses débuts prodiges, elle est quasiment mise au rebut, comme tant d'autres ex-enfants acteurs d'Hollywood qui, une fois adultes, n'ont plus de fonction. Elle doit passer des essais pour jouer dans les Accusés. Les séances de casting ont des allures de quitte ou double. «Les Accusés, c'était vraiment mon ultime tentative avant de partir. Je me suis trouvée si mauvaise que j'ai décidé de reprendre les études pour devenir prof de lettres. Mais, finalement, ce rôle m'a bouleversée. Enseigner la littérature, j'arrivais à le faire bien, mais ça ne changeait pas ma vie.»
Entre un sens moral qui la pousse à ne tourner que des scénarios susceptibles d'avoir un minimum d'impact sur le société et sa quête du sens de la vie, cette cartésienne persuadée que «le salut viendra de la science», mais qui, finalement, a incarné bien peu de surdiplômées, cherche, sans l'avoir pour le moment trouvé, le prochain rôle «de personnage compliqué» qui lui permettra d'avancer. «Il y a des enfants très doués Ð ils travaillent, ils travaillent jusqu'au jour où ils pleurent au moindre prétexte, comme elle, parce qu'ils sont épuisés d'avoir tenté de prendre au piège la chose; oui, cette chose dont ils rêvaient Ð avec une telle violence Ð, et tout devenait bizarre Ð ils perdaient tout», écrit Carson McCullers dans la nouvelle Wunderkind.
Jodie Foster aurait eu tort de ne pas s'obstiner à vouloir retrouver cette chose.
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