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GLOIRE AU GLORIEUX LOUIS
Exposition à la Cinémathèque française du 15 juillet 2020 au 31 mai 2021.
Catalogue, Louis de Funès à la folie
Rétrospective à partir du 15 juillet 2020
Visites guidées les week-ends.
La Cinémathèque française consacre sa première grande exposition à un interprète à la star du patrimoine comique français, Louis de Funès. Roi du box office dans les années 1960-1970, vedette des planches (des belles bacchantes à Jean Anouilh), control-freak et agriculteur bio, De Funès était un petit homme qui eut une grande destinée.
1m63, les Marx Brothers, Charlot, Buster Keaton et Laurel & Hardy en mentors, De Funès attendra quand même la cinquantaine pour briller au firmament. L’exposition offre un parcours chronologique, et ça a son importance pour mettre en perspective non seulement l’évolution de son statut (il suffit de voir la place grandissante qu’on lui accordait dans les annuaires professionnels au fil des ans) mais aussi pourquoi il fut si emblématique de la société française. Car, soyons honnête, il y en a eu d’autres des drôles. Fernandel, Tati avant lui. Bourvil, Darry Cowl au moment de son « explosion ». Pierre Richard, les Charlots puis Le Splendid au moment de son crépuscule.
Le méchant malgré lui
Mais De Funès est à part, toujours et encore (il suffit de constater le succès des rediffusions de ses films à la télé). Parce qu’il grimace, parce qu’il peut-être mesquin, parce qu’il est un peu loser sur les bords. Parce qu’il est fourbe, impatient, colérique, perfide, obséquieux, exaspéré, un brin méchant, souvent épuisé par ses propres turpitudes. C’est un clown sombre. Il manie le burlesque et le rythme comme pas deux, capable d’être sexiste et misogyne (ça évoluera sur la fin, quand les femmes prendront leur revanche), et en même temps de se déguiser en none ou en princesse arabe. L’humour était parfois plus transgressé qu’il n’y paraissait. Jean Anouilh le soulignait: il avait retrouvé un ancien style de jeu, digne de la Commedia dell’arte et de Molière. Ah Molière. En effet, ses personnages de bourgeois, d’avares, et de tartuffes ne sont jamais loin de la panoplie de De Funès.
Cependant, l’intérêt de l’exposition est ailleurs. Bien sûr, il y a les objets de curiosité (lettres, scénarios, objets, costumes), le film avorté, les Gendarmes de Saint-Tropez (en guise de conclusion un peu obligée, on le sent bien), des extraits de ses pantalonnades, des photos et des accessoires. Mais on sera davantage fasciné par quelques étapes analytiques et ludiques.
D’abord, il y a cette comparaison entre des films burlesques hollywoodiens, et leur variation quasi copiée-collée dans les films avec De Funès. Les Temps modernes font ainsi écho à L’aile ou la cuisse. Un long montage passionnant déroule ensuite les innombrables petits-rôles où l’interprète se glisse. Chez Jacques Becker, André Hunnebel, Maurice Labro, Sacha Guitry, Claude Auatnt-Lara, Yves Allégret, Henri Verneuil… Face aussi à Fernandel, Michel Simon ou même (déjà) Bourvil. Il fait tous les métiers, et déjà il expérimente ses mimiques.
Le précieux ridicule
Passés les débuts, on entre dans l’émergence d’un second-rôle comme le cinéma français savait les fabriquer, avec le trio Gabin-Bourvil-De Funès dans La traversée de Paris. Nous sommes en 1956. L’exposition dévoile alors sa force: De Funès a accompagné les 30 glorieuses. Une lente (re)construction sur fond de progrès et de gaullisme, qui aboutit en 1963, en pleine Nouvelle Vague, à sa starification avec Pouic-Pouic, Fantômas, Le premier Gendarme et Le corniaud. Il tourne beaucoup, et certains des films qui suivent deviennent parmi les plus populaires de l’histoire du cinéma français. Ses 10 plus grands succès (tous au dessus de 5 millions d’entrées) sont réalisés entre 1964 et 1979, quand, finalement, les 30 glorieuses sombrent dans la crise économique après déjà deux chocs pétroliers.
L’exposition ravira aussi bien les petits que les grands tant l’univers est familier. Tout à la gloire de De Funès, le parcours ne s’appesantit pas sur la qualité des films, mais cite Godard et Chapier pour lui redonner un coup de vernis. Pas plus qu’il n’évoque son lien avec certains de ses partenaires, se préoccupant davantage de ses relations houleuses avec les producteurs.
Mais reconnaissons que celui qui a commencé en passant par une petite porte (du côté du cabaret), a su en ouvrir beaucoup pour finir « panthéonisé » ainsi. Jazzman et danseur, du noir et blanc à la couleur un peu délavée, de cette grande vadrouille (anti-thèse de la traversée de paris) à la folie des grandeurs (avec un hommage passionnant à Velasquez), De Funès s’est toujours adapté à son temps, en restant le même, en continuant ses pitreries, en accentuant toujours un peu plus ses onomatopées et ses gestes excessifs. Il savait capter l’époque, lui qui intervenait de plus en plus dans ses films (et ne pu jamais réaliser le sien). De la grande bouffe à la cuve de chewing-gum en passant par divers extra-terrestres, l’excès ne lui faisait pas peur. Or l’excès est proprement cinématographique. C’est bien ce que l’on comprend au fil de ce récit d’un petit devenu géant, d’un de ces provocateurs de désordre qui veulent que l’ordre règne. Le génie de De Funès c’est d’ailleurs sans doute d’accepter que les temps changent et de capituler pour le bonheur des autres.
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