- Mai 2004
- Théâtre du Rond Point
- Bernard Giraudeau
- Les Hommes à terre achat en ligne
- Vincent Delerm

 

 
JUIN 2004

DE L'HERMENEUTIQUE

Le fait d'habiter Bagnolet 18 mai-26 juin 2004
Théâtre du Rond-Point à Paris
par Vincy

"Septième, huitième, neuvième jour. Cristallisation "stendhalienne" créée par l'éloignement à Noirmoutier." C'est bien de ça qu'il s'agit. La cristallisation d'un amour. Elle et Lui. Une homme et une femme. Un gars, une fille. Une pizza. Plutôt qu'une crêperie. C'est le Jour J. Le D-Day. Le soir où ils vont s'embrasser, comme au cinéma, pour la première fois. L'effet d'une bombe H dans le cerveau, H comme hormones. Date fatidique anticipée, appréhendée avec angoisse, doutes, extrapolations. Deux jeunes trentenaires un peu déboussolés, en face à face, ou côte à côte. Leur utopie se niche dans la résignation à vivre heureux. Ici les magazines et les psys jouent les conseillers pré-matrimoniaux . Ils vivent leur vie par procuration. Plus dure sera la réalité.
Vincent Delerm, par ailleurs brillant auteur-compositeur-chanteur, prolonge, avec sa pièce, l'univers qui fait le charme mélancolique de ses chansons. Beaucoup de cinéma (ici, en vrac, Fassbinder, les stars des années 40, Sur la route de Madison, Deneuve...) et un peu de musique (Dépêche Mode, Alain Chamfort). Les petits détails de notre quotidien (les rideaux de douche avec des palmiers, les phrases débiles apprises en cours d'allemand, les souvenirs de judo). Parler de la naissance d'un amour c'est évidemment parlé de ses souvenirs et de ce qui peut rapprocher deux êtres, c'est à dire tout (la culture, les complexes, la peur d'échouer) et rien (les goûts et les couleurs, la certitude d'avoir bien interpréter les gestes de l'autre, et conséquemment, se tromper sur les intentions de l'autre).
Subtil. Précis. Drôle. Amer. Humble. Car cela rend humble de voir à quel point l'amour résulte de tant d'erreurs, de calculs si ratés, de hasards si désirés. Delerm met en bouche un texte juste, qui fait mouche. Mis en musique par la metteur en scène Sophie Lecarpentier, ces deux comédiens qui ne se parlent jamais, partagent tout avec le public, grâce à quelques astuces de décor et une belle compréhension de l'univers à la fois intime et extraverti de l'auteur. Rendons hommage à la belle inventivité sonore qui habille cette pizzeria et cette histoire d'A. Comme anchois. Car ça ne manque pas de sel. Le plaisir est délicieux. Rendant le sourire. L'envie de revivre cet instant éphémère où l'amour attache deux êtres. Ce flash back nous montrera toutes les petitesses humaines qui font de nos compromis des actes grandioses pour, simplement, vivre une belle histoire. Ancré dans son époque, Delerm cible parfaitement une génération désillusionnée, désemparée, névrosée, "adulescente" (aux limite du régressif et de l'irresponsabilité). Nos congénères et leurs habitudes. Désanchantés. Mais pas seulement puisque en réutilisant tous les symboles de notre passé, Delerm et Lecarpentier nous prouvent aussi que la culture populaire, si souvent dénigrée, façonne nos existences jusqu'à nous construire des identités singulières et rassurantes.
Bagnolet n'a rien de sexy a priori, mais par les simples mots et une observation scrupuleuse, l'auteur et la metteur en scène sont parvenus à nous faire croire que le romantisme existe encore et toujours. Ultime mirage de notre ère virtuelle.

LA ROCHELLE SANS GIRAUDEAU

Les Hommes à Terre
Bernard Giraudeau
Eds. Métailié- Paris- (Diffusion Seuil) - 177 pages
par Harry Stote

Bernard Giraudeau raconte cinq histoires dont les protagonistes ont pour port d’attache La Rochelle, Brest et Lisbonne. Mais comme le reconnaît l’auteur les récits auraient pu avoir lieu dans n’importe quelle autre ville maritime. Cependant il apparaît clairement que la nostalgie de sa ville natale (La Rochelle) soit déterminante pour la construction de chaque histoire.
Giraudeau est fortement lié à la vieille ville et à son vieux port, là où tout marin vient raconter la vie (plus ou moins vraie) de l’autre bout du monde. Cette nostalgie des villes d’il y a quelque 50 ans se retrouve dans le premier conte avec une vision du Saïgon au temps de la colonisation française. Lors des escales il s’agit surtout des relations avec les femmes et aussi l’alcool et les autres marins. Evidemment les récits sont toujours enluminés pour que les hommes et les femmes à terre rêvent aussi et soient partants pour des aventures maritimes souvent impossibles. A l’inverse, ce marin, à la recherche d’une jeune femme, se sent perdu dès qu’il se trouve à l’intérieur des terres.
Il semblerait que, derrière l’écriture livresque, il y ait l’ébauche de scenarii de films n’ayant pu ou ne pouvant être réalisés. Surtout en ce qui concerne le premier récit qui aurait pu s’intituler: “La Rochelle Ð Saïgon 1950”. Les situations et les dialogues sont écrits en phrases courtes (parfois trop, comme pour la préparation de scènes de films). Le vocabulaire est riche et reflète bien les actes de la vie (L’auteur aurait cependant pu traduire des mots tels que: “ragasser”et “sincer”. Patois Charentais?). Enfin, les récits concernant Diego l’Angolais et Jeanne seraient les plus proches de la réalité; leurs moments de bravoure étant très vraisemblables.


 
 
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