CRITIQUE
Lapsus Incriminateur
Deneuve fait jeu double dans Généalogies d'un crime de l'intriguant Raoul Ruiz. Ce thriller psychanalytique est le film le plus abouti du cinéaste chilien, avec une distribution étincelante (Piccoli, Poupaud, Andrzej Seweryn), des décors artistiquement magnifiques, et une bande sonore indispensable.
Le film repose sur une complexité narrative qui maintient un vrai suspens, tout en satyrisant les castes d'une société dont le trop de savoir tue l'intelligence. Sectes, psys, avocats, snobs parisiens...tout passe à travers le regard insolite d'un Ruiz qui semble jubiler dans cette partie d'échec à base d'horoscope chinois et de références littéraires.
Ses délires (un bordel transformé en club de psys, un suicide collectif à mourir de rire, ou encore les gestes hésitants d'une Deneuve névrotique) nous plonge dans un univers surréaliste, où tout le monde parait faire semblant, jusqu'à leur propre destruction.
Ruiz joue beaucoup avec l'art chinois: musique, objets, culture, légendes et même les ombres sont chinoises. Tel un fantôme permanent hantant nos rêves. Les réparties sont hilarantes ("un café avec deux tiers de café, un tiers de déca"). Comme dans Le Lieu du crime, Deneuve passe de victime, à complice puis à assassine. Et évolue avec facilité dans ce labyrinthe confus.
Deneuve continue ainsi de se construire en se désagrégeant: après son suicide dans Les Voleurs, et la folie dans celui-ci, elle interprètera une veuve alcoolique dans Place Vendôme.
(Vincy)
BUZZ
Présenté à Berlin où Ruiz a récolté un Ours pour l'ensemble de sa carrière, le film a été apprécié par les partisans et incompris des autres (moins nombreux que d'habitude).
Si l'on imagine difficilement un succès public de la taille d'un Téchiné, cela peut devenir, de par le sujet intriguant, les acteurs attirants, et un look séduisant, le plus populaire des films de Ruiz.
Quant à Melvil Poupaud, il est un (jeune) acteur fétiche pour le réalisateur franco-chilien (avec des papiers en règle) et l'ami d'enfance de Chaira Mastroïanni. Deneuve en rousse (!) succède à Marcello et leur fille Chiara pour ses premiers pas dans cet univers iconoclaste.
Résultat. Le film, trop iconoclaste, n'aura pas réussi à toucher le grand public en dehors des Festivals (comme le FFM de Montréal) où il a été présenté.
Deneuve, cependant, retrouvera Ruiz pour une adaptation de Proust, où elle jouera aux côtés de Béart, Le Temps retrouvé.